Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050830

Dossier : IMM-883-05

Référence : 2005 CF 1161

Ottawa (Ontario), le 30 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

MAHAMAT ACHTA ALI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                « ...la perception qu'un requérant n'est pas crédible sur un élément fondamental de sa revendication équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible suffisant pour justifier la revendication du statut de réfugié en cause. » Satinder Pal Singh c. Le Ministre de la

Citoyenneté et de l'Immigration Canada, IMM-3590-95, 18 octobre 1996 (Pinard J.).

[2]                « Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79). » Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609.


NATURE DE LA PROCÉDUREJUDICIAIRE

[3]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1](Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 20 janvier 2005. Dans cette décision, la Commission a conclu que la demanderesse, Madame Mahamat Achta Ali, citoyenne de la République du Tchad, ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de « personne à protéger » au paragraphe 97(1) de la Loi.

FAITS

[4]                Voici les faits allégués, tels que décrits par la Commission. Après la mort de son père, Mahamat Ali, le 1er avril 2000, toute la famille de Mme Ali s'est retrouvée sous la responsabilité de

l'oncle paternel de cette dernière, Youssouf Mahamat. Comme le veut la tradition, ce dernier était tributaire de la responsabilité de leur éducation et de leur avenir.

[5]                En décembre 2003, l'oncle de Mme Ali a convoqué cette dernière et l'a informé qu'il l'avait donnée en mariage à Monsieur Saleh Tahir, qui était de l'ethnie zakawa et également colonel dans

l'armée tchadienne. L'oncle de Mme Ali lui a précisé que son futur époux était extrêmement riche

et qu'il lui avait promis de l'amener à la La Mecque en pèlerinage. Mme Ali s'est effondrée en larmes, mais elle n'a pas contesté la décision de son oncle à cause de l'éducation qu'elle avait reçue.

[6]                Après l'annonce de son mariage prochain, Saleh Tahir a commencé à venir à la maison, toujours accompagné de ses gardes du corps. En janvier 2004, M. Tahir a entrepris la réfection de la concession de l'oncle de Mme Ali. Le 25 février 2004, à l'insu de Mme Ali, son oncle a organisé le fathia, c'est-à-dire l'union religieuse entre elle et M. Tahir, à la mosquée de son quartier. Le soir même, Mme Ali a été avisée de la célébration de son mariage et de son départ prochain pour la concession de son mari. Cette fois-ci, Mme Ali a indiqué à son oncle qu'elle n'acceptait pas ce mariage et qu'elle préférait plutôt mourir. Le 4 mars 2004, l'oncle de Mme Ali a fait appel aux tantes de cette dernière et à quelques voisins afin de préparer Mme Ali à son départ chez son mari. Mme Ali a été conduite directement dans une villa du quartier Sabangali. Deux heures plus tard, son mari a fait apparition et lui a expliqué que, selon la tradition zakawa, suite à leur union religieuse, elle ne pourrait aller chez ses parents qu'après sa première grossesse.

[7]                Le 20 mars 2004, Mme Ali a profité de l'inattention de son mari pour se sauver. Elle s'est rendue directement à une station de voitures et a payé une place pour Moussoro, ville natale de sa mère. Le 24 mars 2004, les gardes du corps de M. Tahir ont trouvé Mme Ali au domicile de ses grands-parents et se sont présentés chez eux vers minuit. Ils ont annoncé à ses grands-parents qu'ils avaient l'ordre de ramener à N'Djamena la femme légitime du colonel Tahir, puisqu'il avait tous les droits sur elle. Après quelques altercations, les grands-parents de Mme Ali ont expliqué aux gardes du corps leur désaccord et leur ont demandé de revenir le lendemain au grand jour pour récupérer Mme Ali. Les gardes du corps ont obtempéré. Deux heures plus tard, le cousin de Mme Ali, Monsieur Mahamat Saleh Issa, s'est présenté au domicile des grands-parents de Mme Ali. Lorsqu'il a été informé du fait que les gardes du corps de M. Tahir s'étaient présentés chez eux, il a indiqué qu'il allait ramener Mme Ali à N'Djamena et qu'il chercherait des moyens pour faire sortir Mme Ali de ce calvaire. C'est ainsi que cette dernière a pu quitter frauduleusement le Tchad le 13 mai 2004, est arrivée aux États-unis le lendemain et a revendiqué l'asile à la frontière de Lacolle le 16 mai 2004.

DÉCISION CONTESTÉE

[8]                La Commission a rejeté la demande d'asile en raison des documents d'identité douteux de Mme Ali et de son manque de crédibilité.

QUESTION EN LITIGE

[9]                Était-il manifestement déraisonnable que la Commission conclue que la demanderesse n'a pas établi son identité et manquait de crédibilité?

ANALYSE

[10]            Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de crédibilité, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)[2], Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4]). La question de l'identité est également évaluée selon la norme de l'erreur manifestement déraisonnable (Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration)[5], Najam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6], P.K. c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration)[7]).

[11]            Mme Ali prétend que la Commission a erré dans l'évaluation de son passeport et de ses autres documents d'identité (acte de naissance, certificat de nationalité tchadienne, carte d'identité scolaire, certificat de décès du père de Mme Ali), la Commission ayant rejeté ces documents sans avoir en sa possession les originaux ni le rapport d'expertise rédigé à leur sujet. La Cour souscrit à l'opinion du défendeur selon lequel le rapport d'expertise et l'original des documents d'identité n'étaient pas essentiels à la détermination du dossier puisque plusieurs autres éléments qui ne nécessitaient nullement le recours au rapport et aux originaux étaient amplement suffisants pour entraîner la conclusion que les documents d'identité n'avaient aucune force probante. Par exemple, la signature sur le Formulaire de renseignements personnels et le passeport de Mme Ali diffèrent nettement; le carnet international de vaccination de Mme Ali indique que cette dernière aurait reçu

des vaccins le 3 mai 2004 et pourtant Mme Ali, dans son témoignage, soutient ne pas avoir été vaccinée; la profession du père de Mme Ali diffère d'un document d'identité à un autre sans explications raisonnables; Mme Ali a déclaré à l'agent d'immigration au point d'entrée n'avoir fourni aucun document à son frère pour qu'il fasse son passeport, mais elle a dit à l'audience avoir fourni son acte de naissance et des photos pour pouvoir obtenir son passeport. Maintes autres incohérences portant sur chacun des documents soumis par Mme Ali sont indiquées par la Commission dans ses motifs.

[12]            Outre ce qui précède, il convient de souligner que c'est au revendicateur du statut de réfugié de prouver son identité. Il ne relevait donc pas de la Commission d'obtenir le rapport d'expertise sur les documents d'identité. La Cour entérine à ce sujet les propos du juge Beaudry dans l'affaire Najam, supra au paragraphe 20 :

Il est énoncé au paragraphe 36(2) des Règles que la Commission peut demander au ministre de lui transmettre les originaux de documents, mais la Commission n'a aucune obligation expresse de le faire. Il incombe au demandeur d'établir le bien-fondé de sa cause, notamment de produire les documents nécessaires pour établir son identité.

[13]            Par ailleurs, il n'y a aucune preuve au dossier indiquant que Mme Ali se soit objectée à l'utilisation de photocopies plutôt que des documents originaux. Par conséquent, Mme Ali est maintenant forclose de s'en plaindre devant la Cour.

[14]            Hormis la question des problèmes d'identité, la Cour note que le manque de crédibilité de Mme Ali quant à sa revendication en général n'est pas contesté en l'espèce.

[15]            Finalement, bien qu'elle élabore à peine sur le sujet, Mme Ali prétend que la Commission n'a pas pris en considération la preuve documentaire objective sur le Tchad. Point n'en est besoin lorsque le revendicateur de statut est jugé non crédible (voir, par exemple, Kazadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8]).

[16]            En somme, la Cour est convaincue que la Commission était en droit de tirer ses propres conclusions à la lumière des éléments devant elle et qu'elle l'a fait d'une façon tout à fait raisonnable. La Cour ne voit aucune raison d'intervenir en l'espèce.

CONCLUSION

[17]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la question en litige. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question soit certifiée.

« Michel M.J. Shore »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-883-05

INTITULÉ :                                                    MAHAMAT ACHTA ALI

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE          

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE                     

ET ORDONNANCE :                                    LE 30 AOÛT 2005

COMPARUTIONS:

Me Michel LeBrun                                            POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Mario Blanchard                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me MICHEL LeBRUN                                    POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS C.R.                                        POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, c. 27.

[2] (1993) 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL).

[3] (2001) 11 Imm. L.R. (3e) 233, [2000] A.C.F. no 2001 (1ère inst.) (QL).

[4] (2000) 173 F.T.R. 280, [1999] A.C.F. no 1283 (1ère inst.) (QL).

[5] 2003 CF 863, [2003] A.C.F. no 1103 (QL).

[6] 2004 CF 425, [2004] A.C.F. no 516 (QL).

[7] 2005 CF 103, [2005] A.C.F. no 130 (QL).

[8] 2005 CF 292, [2005] A.C.F. no 349 (QL) au paragraphe 20.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.