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Date : 20020731

Dossier : IMM-1689-01

Référence neutre : 2002 CFPI 833

ENTRE :

                                                                           M.

                                                                                                                                         demandeur

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Le demandeur, M., sollicite l'examen judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) dans laquelle la SSR a déclaré qu'il était exclu de l'application de la Convention des Nations Unies sur le statut de réfugié (la Convention), en vertu de l'article 1Fa) de la Convention.


CONTEXTE

[2]                 M. est un citoyen iranien qui allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait de son opinion politique, en tant qu'ancien membre du Service national du renseignement, la police secrète iranienne connue sous le nom de SAVAK.

[3]                 D'après son formulaire de renseignements personnels (FRP), M. a volontairement demandé à travailler pour les services secrets. Au cours des années, il a exercé les fonctions suivantes au sein de la SAVAK :

·           observation de la population et préparation de rapports sur les activités des personnes dont on pensait qu'elles avaient participé à des activités de protestation contre le Shah;

·           interrogation des personnes arrêtées en vue d'obtenir des renseignements;

·           arrestation de trois personnes;

·           examen de dossiers dans le but de déterminer la suite à leur donner.


[4]                 M. a déclaré dans son FRP qu'il n'avait jamais torturé qui que ce soit. Pour reprendre ses propres termes, [Traduction] « On me l'a demandé à quelques reprises, mais j'ai refusé en disant que je n'avais pas le courage de faire ce genre de chose. Je n'ai jamais vu torturer personne mais je savais que cela se faisait. »

[5]                 M. a finalement démissionné de la SAVAK.

[6]                 Lorsque le régime Khomayni a pris le pouvoir, les anciens partisans du Shah, y compris le personnel de la SAVAK, ont été arrêtés et exécutés. Lorsque M. a appris que les hommes du nouveau régime le recherchaient, il est entré dans la clandestinité. M. est finalement arrivé au Canada où il a présenté une demande de statut de réfugié au sens de la Convention.

LA DÉCISION DE LA SSR

[7]                 La SSR commence son analyse en examinant la nature de la SAVAK ainsi que le rôle et les fonctions de M. au sein de la SAVAK.

[8]                 Pour ce qui est de la nature de la SAVAK, la SSR note qu'elle avait principalement pour but d'éliminer les menaces contre le trône Pahlavi. La SSR cite le passage suivant d'un document présenté en preuve :

Fondée pour arrêter les membres du parti Tudeh interdit, la SAVAK a étendu ses activités pour inclure le renseignement et neutraliser les opposants au régime. Un système élaboré a été créé pour surveiller tous les aspects de la vie politique. Un bureau de la censure notamment a été établi pour surveiller les journalistes, les personnalités des milieux littéraires et universitaires partout au pays; il a pris les mesures appropriées contre ceux qui ne se comportaient pas comme il faut. Les universités, les syndicats et les organisations paysannes, entre autres, ont été soumis à une surveillance serrée des agents et informateurs rémunérés de la SAVAK.


[9]                 La SSR poursuit :

Au fil des années, la SAVAK est devenue une loi en elle-même, celle-ci détenant l'autorité légale d'arrêter et de détenir les gens indéfiniment. La SAVAK exploita ses propres prisons à Téhéran (le Komiteh et les installations Evin) et, selon bien des gens, ailleurs au pays également. Les méthodes de torture de la SAVAK, selon la preuve documentaire déjà invoquée, consistait à donner des chocs électriques, des coups de fouet, à battre, à insérer du verre cassé et à déverser de l'eau bouillante dans le rectum, à attacher des poids aux testicules et à arracher les dents et les ongles. Bon nombre de ces activités avaient lieu sans contrôle institutionnel. La même preuve documentaire fait observer que la SAVAK a de plus en plus symbolisé le régime du Shah, de 1963 à 1979, une période marquée par la corruption dans la famille royale, un gouvernement à parti unique, la torture et l'exécution de milliers de prisonniers politiques, la suppression et la dissidence et l'aliénation des masses religieuses.

[10]            Après avoir examiné le témoignage qu'a fourni M., la SSR déduit ce qui suit de ce témoignage :

[...] La SAVAK poursuivait bien les objectifs indiqués dans la preuve documentaire durant la période où le revendicateur était un officier et [...] durant cette même période, elle utilisait la torture pour réaliser ces objectifs. Le tribunal conclut également que les actes et les méthodes de la SAVAK sont des infractions qui comportent la dimension de cruauté et de barbarisme requise dans la définition de crimes contre l'humanité et que ces infractions ont été commises de façon systématique. [note de bas de page omise]

[11]            Pour ce qui est de la participation de M. à ces activités, la SSR note qu'aucun élément n'indique que M. ait participé lui-même à des actes de torture. La SSR admet que M. a désapprouvé le mauvais traitement des détenus, contesté un ordre de ses superviseurs exigeant que les détenus soient battus et qu'il s'est vraiment efforcé d'éviter de participer personnellement à des actes de brutalité. M. a ce faisant renoncé à toute possibilité d'avancement de même qu'à une partie de son salaire. La SSR examine ensuite si M. a été complice des crimes contre l'humanité perpétrés par la SAVAK.


[12]            La SSR conclut sur ce point :

[...] compte tenu du fait qu'il savait que l'organisation avait pour but d'identifier et de supprimer les opposants au gouvernement, qu'il connaissait l'existence d'une unité de torture dans la prison Evin et qu'il a été formellement invité à torturer d'autres personnes au nom de l'organisation, le tribunal conclut qu'il est peu vraisemblable qu'il n'ait pas su qu'au moins certains de ceux qui avaient été interviewés connaîtraient ce sort. Le tribunal conclut donc que le revendicateur savait que la SAVAK commettait des crimes contre l'humanité pendant la période où il y a travaillé. Le tribunal conclut également qu'en interviewant les détenus, en rédigeant des rapports à la suite de ces interviews et en remettant ensuite les détenus à d'autres qui donnaient suite au dossier, le revendicateur servait les fins de la SAVAK et contribuait ainsi aux fins de ces crimes directement perpétrés par d'autres dans l'organisation. [non souligné dans l'original]

La SSR a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que la SAVAK était responsable de l'arrestation, de la torture, de la disparition et de l'exécution extrajudiciaire systématique des opposants notamment politiques pendant que M. en était membre.

[13]            Compte tenu de cette conclusion et du fait que M. ne s'est pas dissocié de la SAVAK lorsqu'il a constaté qu'elle commettait des crimes contre l'humanité, la SSR a jugé qu'il y avait de sérieuses raisons de penser que M. était complice des crimes contre l'humanité perpétrés par la SAVAK pendant qu'il était au service de cette organisation. La SSR a alors conclu que M. était exclu de la catégorie des personnes ayant droit au statut de réfugié au sens de la Convention, en vertu de l'article 1Fa) de la Convention.

LA QUESTION EN LITIGE

[14]            M. ne conteste pas les conclusions de fait qu'a tirées la SSR mais soulève la question de droit suivante :


La personne qui ne commet pas personnellement de crime contre l'humanité et n'y participe pas non plus, mais qui travaille pour un organisme qui commet de façon systématique des crimes contre l'humanité peut-elle être déclarée complice de ces crimes lorsque cette personne sait que des crimes de ce genre sont parfois commis mais qu'elle ignore qu'ils le sont de façon systématique?

[15]            L'avocat de M. fait valoir que, dans ce genre de circonstances, pour qu'il y ait complicité, il faut que la personne connaisse le caractère systématique des crimes commis. Il affirme que la SSR a commis une erreur en ne se prononçant pas sur la question de savoir si M. avait connaissance du caractère systématique de ces crimes.

ANALYSE

[16]            La définition de réfugié au sens de la Convention que l'on retrouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) exclut expressément les personnes auxquelles la Convention ne s'applique pas en vertu de la section F de l'article 1 de la Convention. La partie pertinente de la section F de l'article 1 de la Convention se lit ainsi :



F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :                  a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes.


[17]            Pour ce qui est de la référence aux documents internationaux, l'article 6 de l'Accord de Londres et du Statut du Tribunal militaire international de 1945 (la Charte de Londres), mentionné au paragraphe 150 et à l'annexe VI du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, définit de la façon suivante l'expression crime contre l'humanité :

(c) Les crimes contre l'humanité, c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction à l'esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant et pendant la guerre, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce Tribunal.


[18]            Plus récemment, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome) définit « crime contre l'humanité » comme englobant la torture « [lorsqu'elle est commise] dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque » . L'expression « attaque lancée contre une population civile » est à son tour définie comme désignant « le comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque » . Les avocats n'ont pas contesté le fait que le Statut de Rome est un instrument international au sens de la section F de l'article 1 de la Convention.

[19]            Cette dernière définition formule expressément la condition traditionnelle selon laquelle les crimes contre l'humanité doivent en général être commis de façon généralisée et systématique. Ce qui transforme une infraction nationale comme le meurtre en un crime contre l'humanité, c'est le fait que la victime soit membre d'un groupe ciblé de façon généralisée et systématique. Voir Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.F.) à la page 443.

[20]            La raison pour laquelle les crimes contre l'humanité heurtent la conscience et justifient l'intervention de la communauté internationale est qu'il ne s'agit pas d'attaques isolées et commises fortuitement par des individus mais qu'ils résultent plutôt d'une tentative délibérée de cibler une population civile (voir par exemple le Procureur c. Tadic, no IT-94-1-T (Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l'ancienne Yougoslavie, 7 mai 1997, au paragraphe 653).


[21]            Le Statut de Rome indique donc clairement que, pour être déclaré coupable de crime contre l'humanité, l'accusé doit connaître le contexte dans lequel il a agi, pour que l'on puisse affirmer que ses actes ont été commis « dans le cadre » d'une attaque généralisée et systématique.

[22]            La Charte de Londres énonce également :

« Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan. »

[23]            Il est donc possible de commettre un crime contre l'humanité en qualité de complice, même lorsque la personne concernée n'a pas personnellement exécuté l'acte constitutif de ce crime.

[24]            Dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.), la Cour d'appel a examiné la nature de la participation exigée d'un complice. Voici quelques-uns des principes énoncés par la Cour :

·     nul ne peut être déclaré coupable d'un crime contre l'humanité s'il n'a pas participé « personnellement et de façon consciente » aux actes dont il s'agit;

·     les membres d'un groupe qui commet des crimes contre l'humanité peuvent, selon les circonstances, être considérés comme étant des participants directs et conscients;


·     la complicité dépend de l'existence d'un but commun et de la connaissance qu'ont toutes les parties de ce but;

·     le seul fait d'être membre d'un organisme qui poursuit principalement un but limité et violent peut entraîner, de façon nécessaire, la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.

[25]            En l'espèce, la SSR n'a pas conclu que la SAVAK recherchait principalement un but limité et violent.

[26]            Lorsqu'on examine la question de droit soulevée dans la présente demande à la lumière des principes généraux énoncés par la Cour d'appel dans l'arrêt Ramirez, précité, il me semble qu'en droit, le demandeur a raison de soutenir que, pour être complice d'un crime contre l'humanité commis par la SAVAK, il faudrait qu'il ait connu la nature généralisée et systématique des crimes commis par cet organisme. Cela vient du fait que les actes isolés et sporadiques, aussi répréhensibles soient-ils, ne peuvent constituer des crimes contre l'humanité. Par conséquent, pour participer de façon consciente à un crime contre l'humanité, il faut savoir que l'on participe à quelque chose d'autre qu'un acte isolé ou fortuit ou qu'on devrait le savoir.


[27]            Compte tenu de cette conclusion, il faut maintenant examiner la question de savoir si la SSR a apprécié correctement la connaissance qu'avait M. de la nature systématique des crimes commis par la SAVAK.

[28]            La SSR a montré qu'elle savait que les crimes contre l'humanité doivent être commis de façon systématique et généralisée lorsqu'elle a statué que les actes et les méthodes utilisés par la SAVAK constituent des infractions qui comportent la dimension de cruauté et de barbarisme requise dans la définition d'un crime contre l'humanité « et que ces infractions ont été commises de manière systématique » . La SSR démontre également qu'elle est sensible à cet aspect lorsqu'elle déclare que la SAVAK « torturait systématiquement ceux qu'elle soupçonnait de sentiments anti-gouvernementaux » au cours de la période pendant laquelle le demandeur travaillait pour la SAVAK. Une fois démontrée cette connaissance, il résulte, d'après moi, que la conclusion que tire ensuite le tribunal au sujet du fait que M. « savait que la SAVAK commettait des crimes contre l'humanité pendant la période où il y a travaillé » indique nécessairement ou implicitement que le tribunal a également conclu que M. avait eu connaissance de la nature systématique et généralisée de ces crimes. En effet, dans le cas contraire, cette connaissance ne concernerait pas la connaissance de crimes contre l'humanité.


[29]            En outre, l'examen de l'ensemble des motifs de la SSR indique que celle-ci a estimé que M. savait que la torture était pratiquée de façon systématique et non pas que M. n'avait eu connaissance que de cas de torture isolés.

[30]            Sur ce point, la SSR mentionne le fait qu'il a été suggéré à M. à plusieurs reprises de prendre le rôle de tortionnaire, qu'il savait qu'il existait une unité de torture dans une certaine prison, et elle a jugé qu'il était invraisemblable qu'il ne savait pas que certaines personnes interrogées seraient torturées et elle s'est fondée non seulement sur la preuve documentaire mais également sur le témoignage de M. pour conclure que la SAVAK « a été responsable de l'arrestation, de la torture, de la disparition et de l'exécution extrajudiciaire systématique de prisonniers politiques et autres durant la période où [M.] était au service de l'organisation » .

[31]            On a fait valoir pour le compte de M. que la fois où il a entendu deux employés parler du fait que deux membres de Mojahedin étaient torturés dans une certaine prison était la seule fois où il avait entendu parler de torture. L'avocat de M. a accordé une importance particulière au passage suivant du témoignage de son client :

LE REVENDICATEUR :      Deux des employés travaillaient pour la section 3. Ils étaient en train de parler. C'était ces deux-là qui parlaient. L'un demandait à l'autre s'il savait qu'on arrêtait des gens parce qu'ils étaient des Muhjahideen. Ils les torturaient dans « une prison donnée » . J'ai entendu cela. C'est tout. C'est ce que j'ai entendu. Habituellement, il était interdit aux employés de la SAVAK de parler des choses qui se faisaient au sein de la SAVAK. C'est pourquoi je n'aurais pas posé de questions à ce sujet et que personne ne m'aurait mentionné des choses que je ne connaissais pas.


DE LA PART DE M. MATAS :

Q.             Vous avez donc entendu cette conversation. Avez-vous entendu ce genre de conversation une fois ou plus d'une fois?

R.             C'est la fois où j'ai entendu cela. C'est la fois où j'ai entendu ça et c'est ainsi que j'ai appris qu'il se passait des choses comme de la torture dans cette prison.

Q.             Aviez-vous d'autres sources de renseignement que cette conversation que vous avez entendue?

R.             Non, parce que les employés de la SAVAK ne se parlaient pas de ce genre de chose.

[32]            Il a donc été soutenu que les preuves ne permettaient pas à la SSR de conclure que M. était suffisamment au courant de la nature systématique des crimes et que la SSR a donc commis une erreur en imputant rétroactivement à M. la connaissance que nous avons aujourd'hui des actes commis par la SAVAK.

[33]            Cependant, les éléments suivants ont également été présentés en preuve à la SSR :

i)           M. a déclaré à un représentant du SCRS que la torture « était surtout dirigée contre les personnes et les groupes qui s'opposaient au régime. Les communistes et un autre groupe appelé Tudih [sic] » . M. a répété cette déclaration à l'audience de la SSR.


ii)          M. n'a pas quitté la SAVAK pour être « un membre démuni de la société » avec « une femme et des enfants » , mais en fait, parce qu'il ne voulait pas faire des choses comme frapper les gens.

iii)          M. a informé le représentant du SCRS que « tous ceux qui acceptaient de pratiquer la torture recevaient une formation dans ce domaine » .

iv)         M. a fourni les réponses suivantes devant la SSR lorsqu'il a été interrogé par le représentant du ministre :

PAR M. OFFROWICH :

Q.             Très bien, vous traitiez les gens avec courtoisie, vous étiez contre la torture et vous vous refusiez à la pratiquer. Vous saviez quand même en 1964 que l'on pratiquait la torture dans votre section.

R.             Oui.

Q.             Pourquoi alors avez-vous attendu encore plusieurs années avant de quitter la SAVAK?

R.             C'est à cause du fait que - les actes que commettait la SAVAK.

Q.             Eh bien, ce n'est pas ce que je vous demande.

R.             Je souffrais beaucoup et j'étais en colère. Mais je ne voulais pas contribuer à troubler les gens à ce moment.

Q.             Quels gens?

R.             Que voulez-vous dire?


Q.             Non. C'est moi qui vous demande ce que vous voulez dire. Vous avez parlé de troubler les gens à ce moment. Qui? Qui aurait été troublé par votre démission?

R.             Je n'aurais troublé personne en démissionnant. C'est parce que la SAVAK faisait des choses que je n'approuvais pas et, à cause de toutes les choses qu'elle faisait, que j'ai décidé de démissionner.

PRÉSIDENT :        M. Offrowich vous demande en fait pourquoi vous n'avez pas démissionné plus tôt puisque vous saviez déjà depuis un certain temps ce que faisait la SAVAK.

LE REVENDICATEUR :      Lorsque j'ai appris cela, les gens parlaient du fait qu'on torturait et faisait toutes ces choses dans cette prison. J'ai décidé de me faire transférer ailleurs parce que je voulais m'éloigner de tous ces problèmes. C'est une fois transféré que j'ai remarqué que le colonel demandait également que l'on batte des gens; cela m'a bouleversé. C'est à cause de cela que j'ai démissionné au cours de la première moitié de cette année-là.

[34]            Compte tenu de sa déclaration et de l'ensemble du dossier présenté à la SSR, je suis convaincue que les conclusions auxquelles la SSR en est arrivée, selon lesquelles il était invraisemblable que M. ne sache pas que certaines personnes qu'il avait interrogées ont été torturées et M. était au courant de la perpétration de crimes contre l'humanité, sont justifiées par les éléments de preuve et ne sont pas manifestement déraisonnables.

[35]            Dans la mesure où il a été soutenu que les déclarations de M. selon lesquelles il avait été invité à pratiquer la torture se fondent uniquement sur l'hypothèse qu'il a bâtie après avoir entendu une conversation, M. n'a pas fourni cette explication au cours de son témoignage. En outre, si M. tenait pour acquis qu'il serait obligé de pratiquer la torture s'il était affecté à un certain poste, il faut que M. ait pensé, ou ait eu des raisons de penser, que la torture n'était pas une pratique sporadique ou fortuite.


[36]            Il en résulte que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de révision lorsqu'elle a conclu qu'il existait des motifs graves d'estimer que M. avait été complice des crimes contre l'humanité perpétrés par la SAVAK pendant qu'il travaillait pour cet organisme.

[37]            Il a également été soutenu pour le compte de M. que la SSR avait commis une erreur en ne tirant pas de conclusion au sujet de la disposition d'inclusion. La Cour d'appel fédérale a néanmoins jugé que le fait de tirer une conclusion concernant la disposition d'exclusion sans avoir tiré au préalable une conclusion concernant la disposition d'inclusion ne constitue pas une erreur de droit. Voir Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.F.).

[38]            Au moment de l'audience de la SSR, la demande de M. avait été jointe avec celle de son épouse. Par la suite, les demandes ont été séparées et la demande de contrôle judiciaire présentée par la femme a été accueillie sur consentement. J'estime que cet élément a pour effet de supprimer l'erreur pouvant découler de l'omission d'examiner l'application de la clause d'inclusion dans la circonstance particulière où l'épouse de M. était partie à l'instance devant la SSR de sorte que, conformément au principe établi par l'arrêt Gonzalez, cet aspect n'a pas pour effet de vicier la décision prise à l'égard de M.

[39]            Par conséquent, la cour rejette la demande de contrôle judiciaire.


[40]            L'avocat de M. a jusqu'au 30 août 2002 pour signifier et déposer des observations concernant la certification d'une question. Par la suite, l'avocat du ministre aura jusqu'au 27 septembre 2002 pour signifier et déposer ses observations en réponse. L'avocat de M. aura ensuite la possibilité de répondre aux observations du ministre, en signifiant et déposant cette réponse avant le 4 octobre 2002. Cet échéancier tient compte de la disponibilité des avocats.

   

                                                                              « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                             Juge                         

  

Ottawa (Ontario)

Le 31 juillet 2002

    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-1689-01

  

INTITULÉ :                                           M.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   WINNIPEG (MANITOBA)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 26 JUIN 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS :                        LE 31 JUILLET 2002

   

COMPARUTIONS :

M. DAVID MATAS                                                               POUR LE DEMANDEUR

Mme SHARLENE TELLES-LANGDON                              POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. DAVID MATAS                                                               POUR LE DEMANDEUR

WINNIPEG (MANITOBA)

M. MORRIS ROSENBERG                                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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