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Date : 20001006


Dossier : IMM-1537-99


ENTRE :


WAN RUI HUA


demandeur



- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 23 février 1999 par un agent d'immigration désigné1 du Consulat général du Canada à Hong Kong, Chine, qui a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.

[2]      Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada régie par les paragraphes 8(1) et 9(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, dans la catégorie des demandeurs indépendants, en tant qu'ingénieur en matériel informatique, CNP 2147. Après avoir procédé à l'entrevue de sélection du demandeur, l'agent des visas a conclu que celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences pour immigrer en tant qu'ingénieur en matériel informatique, CNP 2147. Le demandeur a ensuite été évalué à titre de technicien en génie électronique et électrique, CNP 2241.2, mais là encore, il n'a pas réussi à satisfaire aux exigences, principalement en raison de son manque d'expérience.

[3]      Sur le fondement de ce manque d'expérience, l'agent des visas n'a accordé aucun point au demandeur pour le facteur de l'expérience. Le paragraphe 11(1) du Règlement prévoit qu'un agent des visas ne peut délivrer de visa à un candidat qui n'obtient aucun point pour le facteur de l'expérience.

[4]      Le demandeur allègue que l'agent des visas n'a pas tenu compte de la définition d'ingénieur en matériel informatique prévue par la CNP et qu'il n'a pas correctement évalué son expérience de travail comme ingénieur en matériel informatique, CNP 2147.

[5]      Le demandeur allègue également que l'évaluation faite par l'agent des visas ne tient pas compte du fait qu'il satisfait au critère des études à l'égard de la profession d'ingénieur en matériel informatique, du fait que le Conseil canadien des ingénieurs professionnels (le CCIP) a reconnu l'équivalence de ses études au Canada et du fait que ses études étaient supérieures à celles requises pour la profession de technicien en génie électronique et électrique, CNP 2241.2. En dernier lieu, le demandeur soutient qu'il aurait dû se voir offrir la possibilité de répondre aux questions qui préoccupaient l'agent des visas relativement à son expérience dans le domaine de l'ingénierie informatique

[6]      Après avoir examiné le dossier du tribunal, et porté une attention particulière aux notes au STIDI, à l'affidavit du demandeur et aux lettres de recommandation de ses anciens employeurs, je ne suis pas convaincu que l'agent des visas qui a tenu l'entrevue a correctement évalué le facteur de l'expérience du demandeur.

[7]      Il faut noter qu'au titre « 2147 Ingénieurs informaticiens » , la CNP prévoit que les ingénieurs en matériel informatique remplissent une partie ou l'ensemble des fonctions suivantes :

         planifier, concevoir et coordonner le développement d'ordinateurs et de matériel connexe;
         superviser et vérifier l'installation, la modification et les essais d'ordinateurs et de matériel connexe;
         superviser des dessinateurs, des techniciens, des technologues et autres ingénieurs.

[8]      Le défendeur n'a pas cru bon de déposer un affidavit de l'agent des visas qui avait procédé à l'entrevue du demandeur. Toutefois, il ressort des notes au STIDI, prises au moment de l'entrevue, que le demandeur avait expliqué et décrit une partie de son expérience de travail comme ingénieur en matériel informatique. Les notes prises par l'agent des visas montrent qu'à l'entrevue, il s'est concentré sur la première partie des fonctions accomplies par un ingénieur en matériel informatique, c'est-à dire planifier, concevoir et coordonner le développement d'ordinateurs et de matériel connexe.

[9]      La jurisprudence reconnaît le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas de déterminer que certaines habiletés sont essentielles à l'exercice d'une profession, comme le dit le juge Reed dans la décision Wu c. Canada2 :

         Le fait qu'il n'est pas nécessaire d'être en mesure d'exécuter toutes les tâches énumérées dans une description de la CCDP ne signifie pas que l'aptitude à exécuter certaines tâches n'est pas un élément essentiel d'un poste [...] La CCDP appuie la conclusion qu'il s'agit de compétences fondamentales nécessaires pour travailler [...] au Canada. L'agent des visas ne s'est pas contenté d'apprécier la preuve en fonction de ses opinions personnelles.

[10]      Toutefois, dans la décision Muntean c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration3, le juge Cullen a dit qu'il fallait interpréter libéralement les descriptions CCDP (maintenant CNP) et qu'il n'était pas nécessaire de s'acquitter de toutes les tâches énumérées :

         [...] il faut interpréter libéralement les descriptions CCDP et [...] il n'est pas nécessaire d'être en mesure de s'acquitter des tâches énumérées dans telle ou telle description pour réunir les conditions requises pour une profession donnée. Si l'agent des visas a appliqué de façon mécanique les descriptions CCDP et exige que le requérant ait fait chacune des tâches énumérées, on pourrait dire qu'il a limité de son propre chef l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière.

À mon avis, cette jurisprudence s'applique encore dans le nouveau régime, selon lequel le défendeur utilise la CNP plutôt que la CCDP pour catégoriser les professions des demandeurs.

[11]      Dans la présente affaire, la preuve4 établit clairement que l'expérience du demandeur consistait à superviser et vérifier l'installation, la modification et les essais d'ordinateurs et de matériel connexe et à superviser des dessinateurs, des techniciens, des technologues et autres ingénieurs. La définition d'ingénieur en matériel informatique exige « une partie ou l'ensemble » des trois éléments de la définition.

[12]      Ainsi qu'en fait foi le dossier, l'agent des visas n'a pas affirmé qu'une des trois habiletés était essentielle quant à la profession d'ingénieur en matériel informatique. Dans ces circonstances, il semble que l'agent des visas ait accordé une importance exagérée à l'expérience du demandeur en programmation et qu'il n'ait pas analysé les autres exigences de la profession.

[13]      De plus, il ne ressort pas des notes au STIDI que l'agent des visas a posé des questions au demandeur à propos de ses habiletés en supervision et en planification. Il ressort du dossier que le demandeur a beaucoup d'expérience dans le genre de fonctions exigées à l'égard de la profession d'ingénieur en matériel informatique.

[14]      Le défendeur allègue que, comme l'énonce l'arrêt Lim c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration5, la conclusion portant sur les compétences d'un demandeur constitue une question de fait qui, à moins d'être manifestement déraisonnable, ne devrait pas être modifiée. Nous convenons que l'agent des visas est dans la meilleure position pour déterminer les compétences du demandeur.

[15]      En l'espèce, toutefois, la décision ne constitue pas seulement le résultat d'une comparaison de l'expérience et des connaissances du demandeur avec les fonctions énumérées dans la CNP en relation avec la profession d'ingénieur en matériel informatique, mais plutôt une interprétation de la loi. Dans ces cas, comme le dit le juge Muldoon dans la décision Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)6 :

         Le fait qu'on doive utiliser une définition ou recourir au sens nous indique que la décision ne porte pas simplement sur une question de fait, mais qu'elle porte sur l'application des faits à la législation. [...] La norme de contrôle prévue dans Lim, précité, a été adoptée dans le contexte d'une question de fait et elle ne lie pas la Cour lorsque celle-ci traite de questions de droit et de fait. Toutefois, on peut déterminer la norme de contrôle applicable en utilisant le critère pragmatique et fonctionnel :Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (ci-après Pushpanathan). En appliquant ce critère, la Cour note qu'elle est saisie d'une question de fait et de droit et qu'il n'y a pas de clause privative portant sur les décisions de l'agent des visas. Ces faits militent à l'encontre de la retenue judiciaire face à la décision de l'agent des visas. Le paragraphe 9(2) de la Loi sur l'immigration indique clairement que l'expertise d'un agent des visas constitue à déterminer si un demandeur répond aux critères énoncés dans la CNP, ce qui indique que la Cour devrait faire preuve de retenue judiciaire face à la conclusion de l'agent des visas. Un autre facteur qui milite en faveur de la retenue judiciaire en l'instance est le fait que l'agent des visas détermine les droits de la demanderesse plutôt que de traiter d'une question polycentrique. En pondérant tous ces facteurs, la Cour conclut que la norme de contrôle applicable est celle de la décision déraisonnable.

[16]      L'agent des visas a conclu que le demandeur n'avait pas l'expérience requise à l'égard de la profession d'ingénieur en matériel informatique. L'agent des visas a affirmé que [traduction] « L'immigrant éventuel (le demandeur) a fourni une illustration simple de connections de l'ordinateur principal au réseau central et ensuite à cinquante autres ordinateurs » . L'agent des visas aurait dû exprimer ses doutes à l'égard des habiletés du demandeur afin de lui permettre de réfuter ces allégations. Comme l'a énoncé le juge Stone, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Muliadi c. Canada (M.E.I.)7 :

         [...] j'estime qu'avant de statuer sur la demande et prendre la décision à laquelle il était légalement tenu, l'agent aurait dû informer l'appelant de l'appréciation négative et lui donner la possibilité de la corriger ou de la réfuter. Je pense que c'est du même type de possibilité dont parlait la Chambre des lords dans Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179, dans cet extrait souvent cité des motifs du lord chancelier Loreburn, à la page 182 :
             [traduction] Il peut obtenir des renseignements de la manière qu'il juge la meilleure, en donnant toujours aux parties engagées dans la controverse une possibilité suffisante de corriger ou de contredire toute déclaration pertinente portant préjudice à leur cause.

[17]      En outre, la jurisprudence récente a établi que les agents des visas qui avaient accordé des points pour le facteur professionnel mais aucun point pour le facteur de l'expérience commettaient une erreur importante qui ouvrait la voie au contrôle judiciaire8. C'est exactement ce qui s'est produit en l'espèce, tel qu'il appert du dossier :

     Âge                  10
     Facteur professionnel      05
     Études et formation          17
     Expérience              00
     Emploi réservé          00
     Facteur démographique      08
     Études                  15
     Anglais              02
     Français              00
     Personnalité              06
     TOTAL              63

[18]      Dans ces circonstances, la Cour interviendra pour annuler la décision de l'agent d'immigration désigné, rendue le 23 février 1999, qui avait rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. L'avocat du demandeur demandait la certification de deux questions mais, étant donné ma conclusion, la certification ne s'avère pas nécessaire.



ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un agent des visas différent pour un nouvel examen.



PIERRE DENAULT

Juge


Ottawa (Ontario)

Le 6 octobre 2000



Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-1537-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      WAN RUI HUA

                         - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 7 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU juge Denault

EN DATE DU :              6 octobre 2000



ONT COMPARU

Me Wm. Melvin Weigel                      POUR LE DEMANDEUR
Me Annie Van Der Meersheen                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Étude légale Weigel                          POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Aux fins de la présente décision, la personne désignée par le ministre en vertu du paragraphe 109(2) sera appelée « l'agent des visas » .

2      Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 4 (IMM-1330-98).

3      (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 18 (C.F. 1re inst.)

4      Aux pages 21 et 49 du dossier du demandeur.

5      (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F)

6      [1999] A.C.F. no 1907.

7      [1986] 2 C.F. 205, à la page 215.

8      Kopyl c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2000-07-19, IMM-3185-99 (le juge Dawson); Dauz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 16 (C.F. 1re inst.) (le juge Sharlow); Osman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 62 (C.F. 1re inst.) (le juge Reed).

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