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Date : 20050712

Dossier : T-215-05

Référence : 2005 CF 978

ENTRE :

                                                       PATRICIA MALOSHICKY

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                          L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

ET

                                                                                                                                             T-216-05

ENTRE :

                                                         HENRY MALOSHICKY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                          L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                             


                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Les époux Henry et Patricia Maloshicky exploitent une entreprise de bois de chauffage. Ils achètent le bois, qu'ils fendent, vendent et livrent. En outre, ils fabriquent des fendeuses de bois, qu'ils commercialisent par le truchement d'une société.

[2]                Suivant les conseils de comptables successifs, ils ont pendant de nombreuses années présenté leur entreprise de bois de chauffage comme une société en nom collectif à parts égales. Puis est venu un nouveau comptable, qui les a convaincus que ses prédécesseurs étaient dans l'erreur. Il a défini l'entreprise comme une entreprise individuelle appartenant à Mme Maloshicky, dont le mari n'était qu'un salarié. De cette manière, la totalité de certaines déductions ou pertes pouvait être soustraite des autres revenus de l'épouse. M. Maloshicky n'avait pour ainsi dire pas d'autres revenus.


[3]                C'est sur ce nouveau fondement que les époux Maloshicky ont produit leurs déclarations d'impôt de 2003. Le comptable a aussi demandé de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1997 à 2002 inclusivement, au motif que l'entreprise aurait alors dû être déclarée comme une entreprise individuelle appartenant à Patricia Maloshicky. Le ministre a non seulement refusé d'établir de nouvelles cotisations pour les années précédentes suivant ce principe, mais il a aussi établi une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2003 en définissant l'entreprise comme une société en nom collectif à parts égales. C'est là la matière d'un autre litige qu'instruira la Cour de l'impôt.

[4]                La Cour fédérale est saisie de la demande de contrôle judiciaire d'une partie d'un programme établi dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu, communément désigné « Dossier Équité » . Le paragraphe 152(4.2) de cette loi dispose qu'à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un particulier (qui est de trois ans), le ministre peut, sur demande du contribuable, établir de nouvelles cotisations concernant l'impôt, les intérêts ou les pénalités.

[5]                Les trois années d'imposition auxquelles s'applique le Dossier Équité sont 1997, 1998 et 1999.

[6]                Par une décision exposée dans des lettres en date du 27 octobre 2004, Pat St-Hilaire, fonctionnaire du Service de vérification au bureau à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC), a refusé d'établir de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1997 à 1999. Mme St-Hilaire a exprimé l'opinion que les premières déclarations étaient exactes et que l'entreprise en question était exploitée comme une société liée plutôt que comme une entreprise individuelle. L'attribution qui était faite dans les déclarations d'origine de 50 pour cent des bénéfices et des pertes à chacun des époux était selon elle raisonnable sous le régime du paragraphe 103(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.


[7]                Les Maloshicky ont alors exercé le deuxième recours qui s'offrait à eux. Par une lettre en date du 10 janvier 2005, Ian Gray, directeur du Centre fiscal de Winnipeg à l'ADRC, a confirmé la décision de Mme St-Hilaire. La présente espèce est la demande de contrôle judiciaire de la décision de M. Gray.   

LA QUESTION EN LITIGE

[8]         La seule question valablement soumise à cette Cour est celle de savoir si le ministre a légitimement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant d'établir de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999.

[9]                Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère au fisc le pouvoir discrétionnaire de dispenser le contribuable de l'application de certaines dispositions de cette loi afin de réduire son impôt, même après l'expiration des délais normalement fixés pour les nouvelles cotisations. Pour déterminer le montant auquel le contribuable a droit ou la réduction d'un montant payable par ce dernier, « le ministre peut, sur demande du contribuable, [...] établir de nouvelles cotisations concernant l'impôt, les intérêts ou les pénalités payables [...] » .

LA NORME DE CONTRÔLE


[10]       La norme de contrôle applicable à la présente espèce est celle de la décision raisonnable, ainsi que l'a établi la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Lanno c. Canada (Agence des douanes et du Revenu), 2005 CAF 153. Une décision raisonnable n'est pas nécessairement une décision correcte. Il y a plusieurs décisions raisonnables possibles. Je n'ai pas à me demander si j'aurais ou non rendu la même décision. La norme de la décision raisonnable veut que la décision attaquée ne soit pas remise en cause à moins qu'elle ne soit manifestement erronée, c'est-à-dire fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits (Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247). On peut lire ce qui suit au paragraphe 48 de l'arrêt Ryan :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion.

LES FAITS

[11]       Les Maloshicky, qui se représentaient eux-mêmes, ont commencé l'exposé de leurs conclusions en remontant à leur mariage en 1985. À ce moment, M. Maloshicky exploitait une entreprise générale du bâtiment sous le nom commercial déposé d'Archer Services. En outre, il coupait, fendait et vendait du bois à brûler sous son propre nom. Après leur mariage, Archer Services est devenu le nom commercial des deux époux pour ce qui concerne l'entreprise générale du bâtiment. [TRADUCTION] « Nous pensions que c'était ainsi qu'il fallait faire entre mari et femme » , les Maloshicky ont-ils déclaré. Cependant, l'entreprise de bois de chauffage, qui à cette époque ne comprenait pas la production de fendeuses, est restée une entreprise entièrement distincte, inscrite sous le nom du mari.


[12]            Les entreprises du couple sont restées inactives de 1986 à 1989, M. Maloshicky étant alors invalide. Les activités de l'entreprise de bois de chauffage ont repris en 1989. Selon les déclarations d'impôt produites à partir de ce moment, elle appartenait au mari. En 1994, le couple a retenu les services du cabinet Coopers & Lybrand, qui a défini l'entreprise de bois de chauffage comme étant plutôt une société en nom collectif à parts égales. M. et Mme Maloshicky ont déclaré qu'ils n'avaient pas été consultés à ce sujet, mais qu'ils avaient l'impression que c'était ainsi qu'on devait faire quand on était marié. Ce qu'ils ne disent pas, et que révèle le dossier de l'ADRC, c'est que Coopers & Lybrand, en tant que représentant du couple, a aussi demandé l'ajustement rétroactif, en fonction du principe que l'entreprise était alors une société en nom collectif à parts égales, des revenus et pertes d'entreprise déclarés par M. Maloshicky pour les années d'imposition 1989 à 1991. Le fisc a fait droit à cette demande. L'entreprise est restée ainsi définie aux fins fiscales jusqu'à la production des déclarations d'impôt de 2003.

[13]            En 2004, le nouveau comptable des Maloshicky a produit une déclaration pour 2003 sur le fondement que l'entreprise de fendage de bois appartenait entièrement à l'épouse. Il a également demandé de nouvelles cotisations pour les années 1997 à 2002 inclusivement. À propos des années 1997 à 1999, pour lesquelles il y a eu prescription, il a invoqué le « Dossier Équité » .


LE DROIT APPLICABLE

[14]       Dans la circulaire d'information 92-3, intitulée « Lignes directrices concernant l'émission de remboursements en dehors de la période normale de trois ans » , l'ADRC déclare qu'elle émettra un remboursement ou réduira un montant en souffrance dans les cas où elle sera « persuadé[e] que le remboursement ou la réduction auraient été accordés si la déclaration ou la demande avait été soumise à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la loi et qu'elle n'ait pas déjà été accordée » .

[15]            Mme St-Hilaire n'a pas souscrit à la thèse que l'entreprise en question fût une entreprise individuelle. À son avis, elle avait été correctement définie comme une société en nom collectif, et la répartition moitié-moitié lui paraissait raisonnable, sinon généreuse. Mme St-Hilaire s'est entretenue avec le couple, en particulier avec M. Maloshicky, qui a émis l'hypothèse qu'il s'agissait d'une société en nom collectif à part unique (ce qui est une contradiction dans les termes), et que si l'on ne retenait pas cette idée, que la répartition devrait être établie à quelque chose comme 97/3 pour cent, sa femme étant majoritaire. Mme St-Hilaire a examiné avec les Maloschicky la possibilité de leur envoyer un questionnaire qui l'aiderait à établir une répartition raisonnable. Cependant, elle a en fin de compte décidé de ne pas le faire au motif que c'était la répartition moitié-moitié qui se révélait la plus favorable pour le couple.


[16]            Le mode d'exploitation de la société en nom collectif n'est pas contesté. Mme Maloshicky fournissait le capital, et son mari, sinon la totalité, du moins la quasi-totalité du travail. Patricia Maloshicky exerçait une autre activité rémunérée : elle était enseignante. Son mari n'avait pas d'autre emploi. C'est lui qui ramassait le bois, le fendait, le vendait et le livrait. C'est aussi lui qui mettait au point les fendeuses, et les fabriquait ou engageait le personnel pour ce faire.


[17]            Les Maloshicky se méprennent malheureusement sur le sens de l'expression « société en nom collectif » . Ils semblent penser qu'il doit y avoir apport de capital et de travail à la fois de la part des deux associés. Or, la totalité du capital était fournie par Mme Maloshicky (ce qui n'est pas contesté), et ils en concluent que l'entreprise n'est pas une société en nom collectif. Selon eux, celui ou celle qui fournit le capital est propriétaire de l'entreprise. Ils invoquent à l'appui de leur thèse la Loi sur les sociétés en nom collectif (Manitoba), CPLM, ch. P-30, mais sans en citer de dispositions précises. On ne trouve rien dans cette loi qui aiderait le couple. Son article 3 porte que la société en nom collectif désigne la relation qui existe entre les personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. L'article 4 dispose que la réception par une personne d'une partie des profits d'une entreprise constitue la preuve prima facie qu'elle est un associé de cette entreprise. Aucune disposition particulière de la législation manitobaine n'exige un apport de capital de tous les associés. Il y a de nombreuses façons dont les associés peuvent établir leurs obligations et droits respectifs et réciproques. L'article 27 porte que les intérêts des associés sont établis, sous réserve de conventions expresses ou implicites entre eux, selon la règle qu'ils ont droit à une part égale du capital et des profits de l'entreprise et contribuent à part égale aux pertes de capital et autres. Or, il y avait convention expresse ou implicite que Mme Maloshicky fournissait le capital, et son mari le travail, et la répartition moitié-moitié était objectivement raisonnable, que ce soit sous le régime de la législation manitobaine ou du paragraphe 103(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

LES AUTRES QUESTIONS EN LITIGE

[18]       Dans les observations qu'ils ont présentées à la suite de la décision de Mme St-Hilaire, les Maloshicky ont mis en cause les années d'imposition 1985 à 2003 inclusivement, mais seules les années 1997 à 1999 nous occupent ici. Le couple devra engager d'autres procédures s'il estime que l'entreprise de fendage de bois aurait dû être considérée comme une entreprise individuelle de Mme Maloshicky pour les années 1986 à 1996 inclusivement.

[19]            Les Maloshicky présentent aussi des observations touchant Archer Services. Archer Services est en fin de compte devenue un nom commercial de la société de capitaux Archer Services Inc., qu'ils ont constituée en 1996. La défenderesse a protesté modérément contre le fait qu'un certain nombre de pièces figurant dans le dossier des demandeurs n'avaient pas été présentées à l'ADRC. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de ces pièces, mais je ne puis m'empêcher de noter qu'elles n'aident pas les Maloshicky. Elles révèlent par exemple qu'ils sont actionnaires à parts égales d'Archer Services Inc., par le truchement de laquelle ils commercialisent les fendeuses de bois.


[20]            M. Maloshicky conteste aussi la cotisation de l'année d'imposition 2003. Les époux ont produit leurs déclarations pour cette année en partant du principe que l'entreprise de fendage de bois appartenait à Mme Maloshicky. Ils ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation aux fins de la répartition à égalité d'une perte d'entreprise. Mme Maloshicky a exercé un recours. L'ADRC soutient que M. Maloshicky ne peut quant à lui exercer de recours, au motif que, en tout état de cause, il n'aura rien à payer au titre de l'impôt. Je ne suis pas saisi de cette décision, étant donné qu'elle ne se rapporte pas aux déclarations de 1997 à 1999.

LES DÉPENS

[21]       Les dépens suivent normalement le sort du principal, et je ne vois aucune raison de déroger à cette règle dans la présente espèce. Les Maloshicky ont jugé bon de congédier leur comptable parce qu'il voulait consulter un avocat, et ils se sont présentés devant la Cour avec une idée entièrement fausse de ce qu'est une société en nom collectif. Par conséquent, les dépens sont adjugés à la défenderesse. Cependant, ne seront acceptés qu'un seul mémoire d'honoraires pour la préparation à l'audience, et un seul pour la participation à celle-ci.

                                                                                                             « Sean Harrington »            

                                                                                                                        Juge           

Ottawa (Ontario),

le 12 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   T-215-05 et T-216-05

INTITULÉ :                                                    PATRICIA MALOSHICKY

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                     

ET                                                                    HENRY MALOSHICKY

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 6 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON       

DATE DES MOTIFS :                                   LE 12 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Patricia Maloshicky                                           POUR LA DEMANDERESSE

Henry Maloshicky                                             POUR LE DEMANDEUR

Gérald Chartier                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H.Sims, c.r.                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


Date : 20050712

Dossier : T-215-05

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2005

En présence de Monsieur le juge Harrington          

ENTRE :

                               PATRICIA MALOSHICKY

                                                                                    demanderesse

                                                     et

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                      défenderesse

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision de Ian Gray, directeur du Centre fiscal de Winnipeg, concernant la demande de nouvelles cotisations fondée sur le Dossier Équité pour les déclarations d'impôt de 1997 à 1999 est rejetée avec dépens.

« Sean Harrington »

           Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


Date : 20050712

Dossier : T-216-05

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2005

En présence de Monsieur le juge Harrington

ENTRE :

HENRY MALOSHICKY

                                                                                          demandeur

                                                     et

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

défenderesse

                                                     

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision de Ian Gray, directeur du Centre fiscal de Winnipeg, concernant la demande de nouvelles cotisations fondée sur le Dossier Équité pour les déclarations d'impôt de 1997 à 1999 est rejetée avec dépens.

« Sean Harrington »

           Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


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