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Date : 20041214

Dossier : IMM-8260-03

Référence : 2004 CF 1733

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                           ERNEST MADUMERE

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                            LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision, rendue en date du 17 septembre 2003, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.


LES FAITS

[2]                Le demandeur, Ernest Madumere, est un citoyen du Nigéria âgé de 30 ans qui prétend être une personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de ses opinions politiques et de son appartenance au mouvement visant à recréer l'État souverain du Biafra, le « Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra » (le MASSOB).

[3]                Le demandeur prétend qu'il est devenu membre du MASSOB en avril 2001 et qu'on lui a délivré une carte de membre peu après. Il affirme qu'il était souvent chargé de conduire des membres à des réunions et à des rassemblements auxquels il assistait également. Le 3 février 2003, le demandeur conduisait à une réunion un autobus plein de membres du MASSOB lorsque les policiers l'ont arrêté. Il prétend que les policiers ont forcé les membres à se coucher sur le ventre et leur ont donné des coups de pied et les ont frappés avec la crosse de leur fusil. Dans son témoignage de vive voix, le demandeur a témoigné qu'il a été frappé à la nuque avec la crosse d'un fusil, qu'il a perdu conscience et qu'il saignait du nez et de la bouche. Tous les membres du groupe ont été conduits au poste de police où ils ont été enfermés dans une seule cellule pendant au moins un mois. Le demandeur a été libéré lorsque son père a versé un pot-de-vin à un policier pour qu'il le relâche.

[4]                À la suite de sa libération, le demandeur a vécu dans la clandestinité pendant une semaine en attendant de quitter le pays. Le demandeur est parti en direction du Canada le 17 mars 2003 et bien qu'il ait apporté avec lui certaines pièces d'identité, il n'a pas apporté sa carte de membre du MASSOB.

[5]                Lors de l'audience, le demandeur a présenté à la Commission sa carte de membre du MASSOB. Il a prétendu qu'un membre de son Église au Canada s'était rendu au Nigéria et avait offert de recueillir des messages dans ce pays ou d'en livrer. Le demandeur lui a demandé de se rendre chez son père et de récupérer sa carte de membre, ce qu'il a fait.

LA DÉCISION

[6]                La Commission a examiné des éléments de preuve documentaire à l'égard du traitement réservé aux membres du MASSOB au Nigéria et a conclu qu'un membre aurait un fondement objectif solide de craindre d'être persécuté. Cependant, la Commission a rejeté la demande présentée par le demandeur parce qu'elle n'était pas convaincue qu'il était membre du MASSOB. Elle a conclu qu'il avait, afin d'étayer sa demande d'asile, inventé sa participation aux activités du MASSOB, la détention et les coups reçus et qu'il avait fabriqué sa carte de membre.

[7]                La Commission s'est fondée sur la façon selon laquelle la carte de membre avait été récupérée pour jeter un doute sur son authenticité. Le commissaire mettait en doute le fait qu'une personne passablement inconnue puisse être disposée à entreprendre un voyage de 24 heures en autobus pour prendre quelques minutes pour récupérer une carte sans même rapporter un message écrit du père. La Commission mettait de plus en doute la raison pour laquelle le demandeur ne savait pas le nom au complet du messager et celle pour laquelle il ne l'avait pas appelé comme témoin.


[8]                En outre, la Commission a conclu que ce que le demandeur connaissait du MASSOB était très général et que la description de son arrestation et de sa détention était passablement vague. La Commission a remarqué dans la preuve documentaire que des incidents comme celui décrit par le demandeur sont habituellement mentionnés dans la presse. Il n'y avait cependant pas de rapport à cet égard dans la présente affaire. En outre, sur le fondement de la preuve, la Commission n'était pas convaincue que le demandeur intéressait les policiers.

[9]                La Commission a conclu que, considérées dans leur ensemble, les incohérences et les invraisemblances dans la preuve du demandeur rendaient cette preuve douteuse.

QUESTION EN LITIGE

[10]            La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a apprécié la crédibilité du demandeur?

ANALYSE

[11]            La norme de contrôle à l'égard des conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. Voir l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


[12]            Lorsqu'elle a conclu que la carte du MASSOB présentée par le demandeur n'était pas authentique, la Commission s'est fondée en partie sur le fait que le membre de l'Église du demandeur aurait eu à faire un voyage aller-retour de 24 heures en autobus pour récupérer la carte auprès du père du demandeur. La Commission estimait qu'il était invraisemblable qu'il entreprenne un si long voyage simplement pour récupérer une carte. La Commission a clairement commis une erreur lorsqu'elle a déclaré que le voyage prendrait 24 heures. La preuve non contredite du demandeur lors de l'audience était qu'il n'aurait fallu au membre de son Église que trois heures, pour chaque trajet, pour aller chez lui, et non douze heures.

[13]            Bien que la Commission ait commis une erreur à l'égard de cette conclusion, je suis d'avis que cette erreur est sans conséquence quant à la décision définitive. Considérée dans son ensemble, la preuve appuie la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'est pas digne de foi.

[14]            Par exemple, la durée du voyage n'était pas le seul facteur pris en compte par la Commission lorsqu'elle a conclu que la carte n'était pas authentique. Elle s'est en outre fondée sur le fait que le demandeur ne connaissait pas le nom au complet du messager et elle a tenu compte de l'improbabilité que quelqu'un ait offert de récupérer la carte juste avant l'audition de la demande d'asile du demandeur. À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement tirer une inférence défavorable de ces facteurs. En outre, le demandeur n'a pas contesté cette conclusion de fait dans son affidavit déposé à la Cour. Si quelqu'un de l'Église du demandeur à Toronto s'est rendu au Nigéria, a entrepris un long voyage en autobus pour se rendre chez le demandeur et obtenir sa carte de membre et a par la suite apporté cette carte au demandeur à Toronto, je m'attendrais à ce que le demandeur ait un flot de gratitude envers le soi-disant bon samaritain. Cela aurait naturellement dû porter le demandeur à connaître le nom de cet homme aimable et à lui donner certains cadeaux. Plutôt, le demandeur, lorsqu'on l'a questionné quant à l'identité de l'homme, ne pouvait pas l'identifier clairement.


[15]            En plus de l'authenticité de la carte, il y avait de nombreux motifs appuyant la conclusion quant à la crédibilité défavorable tirée par la Commission. La Commission a décelé plusieurs incohérences entre les renseignements fournis par le demandeur dans son formulaire sur les renseignements personnels (FRP) et son témoignage de vive voix. Par exemple, son FRP ne mentionnait pas les blessures qu'il a personnellement subies au cours de l'arrestation et il n'a fourni de tels détails qu'à l'audience lorsque le commissaire l'a incité à répondre. De plus, le FRP ne mentionne pas le fait que le demandeur a été placé dans une petite cellule avec environ 25 autres détenus, une situation qui aurait été très difficile étant donné qu'il a été emprisonné pendant un mois. Il est bien établi que les contradictions entre l'exposé narratif d'un FRP d'un demandeur et son témoignage de vive voix peuvent être utilisées comme fondement de conclusions quant à la crédibilité défavorables. Voir la décision Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (1re inst.).

[16]            De plus, certaines des déclarations du demandeur lors de son témoignage étaient contradictoires. D'abord, le demandeur a prétendu qu'il ne savait pas si les policiers avaient pris contact avec son père après qu'il eut quitté le Nigéria, alors que par la suite dans son témoignage il a prétendu que les policiers s'étaient rendus chez son père à plusieurs reprises parce qu'ils le recherchaient. Compte tenu de cette preuve contradictoire, il était raisonnable pour la Commission de conclure que les policiers nigérians ne recherchaient probablement pas le demandeur.

[17]            La Commission est le mieux placée pour apprécier la crédibilité du demandeur. En outre, il appartient au demandeur de faire la preuve à l'égard de sa demande d'une manière claire et directe, ce qu'il n'a pas fait.

CONCLUSION

[18]            Pour les motifs précédemment énoncés, je conclus que la décision de la Commission à l'égard de la crédibilité n'était pas manifestement déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]            Les parties n'ont pas proposé une question aux fins de la certification. La Cour partage l'opinion selon laquelle la présente affaire ne soulève aucune question qui devrait être certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-8260-03

INTITULÉ :                                        MADUMERE ERNEST

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 7 DÉCEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Christian C. Chijindu

4101, avenue Steeles Ouest

Bureau 201

Toronto (Ontario)    M3N 1V7                POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovich

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Bureau 3400, case postale 36

Toronto (Ontario)    M5X 1K6                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christian C. Chijindu

(416) 650-9009                                                            POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovich

(416) 973-5111                                                            POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041214

                                            Dossier : IMM-8260-03

ENTRE :

ERNEST MADUMERE                     

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                 

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