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Date : 20010517

Dossier : IMM-4162-00

Citation neutre: 2001 CFPI 497

Entre :

                                                 SALAMATA SAWADOGO

                                                                                                       Partie demanderesse

Et :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           Partie défenderesse

                                                 MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire déposée à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la "section du statut") rendue le 14 juillet 2000 selon laquelle la demanderesse Salamata Sawadogo n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.


[2]                La demanderesse, née en 1976, est citoyenne du Burkina Faso. Le 22 avril 1999, elle aurait été mariée de force à un grand commerçant de religion musulmane, apparenté au président du pays et ayant déjà trois femmes et douze enfants. Celui-ci aurait exigé qu'elle soit soumise à la procédure d'excision. Afin d'échapper à cette procédure, la demanderesse se serait enfuie en Côte d'Ivoire en mai 1999. Retracée par la famille de son époux, elle aurait été ramenée de force à Ouagadougou en août 1999, détenue par la police et maltraitée. Elle aurait ensuite subi l'excision et aurait été forcée d'avoir des rapports sexuels douloureux avec son mari.

[3]                La demanderesse aurait quitté son pays en décembre 1999 avec l'aide d'une citoyenne de France. Elle est arrivée au Canada le 30 décembre 1999 où elle y a revendiqué le statut de réfugiée.

[4]                Le 14 juillet 2000, la section du statut a refusé sa revendication au motif que la demanderesse n'avait pas fait la preuve d'une crainte bien fondée de persécution et qu'elle n'était pas crédible à cause de nombreuses invraisemblances et contradictions.


[5]                La demanderesse prétend que la section du statut n'a pas tenu compte de plusieurs éléments primordiaux de la preuve tels que la lettre du médecin canadien attestant que la demanderesse avait été excisée, la lettre de son amie Aïcha confirmant son histoire, le rapport psychologique et les photos du mariage, et n'a pas expliqué pourquoi il ne tenait pas compte de ces preuves. De plus, la section du statut n'aurait retenu de la preuve documentaire que les passages qui appuyaient sa décision.

[6]                La demanderesse soumet que la section du statut a mal appliqué les critères servant à évaluer la possibilité raisonnable de protection de l'État et n'a pas suivi les lignes directrices de la Commission applicables lorsque la persécution est basée sur le sexe. Selon ces lignes directrices, la section du statut ne pouvait tenir rigueur à la demanderesse de ne pas avoir sollicité la protection d'organisations non gouvernementales. De plus et contrairement aux lignes directrices, la section du statut n'aurait pas tenu compte du contexte social, culturel, religieux et économique de la demanderesse.

[7]                La demanderesse soumet qu'il existe des raisons impérieuses qui font en sorte qu'elle ne peut retourner dans son pays et que la section du statut aurait donc dû appliquer l'article 2(3) de la Loi.


[8]                La demanderesse prétend que le comportement de la présidente de la section du statut durant l'audience a fait naître une crainte raisonnable de partialité ou d'apparence de partialité. Selon la demanderesse, la présidente se serait montrée très agressive et irrespectueuse envers elle. À plusieurs reprises, elle aurait manifesté ouvertement son impatience et son exaspération en levant les yeux au ciel et en poussant de grands soupirs. Elle se serait fâchée contre la demanderesse et son avocate lorsqu'elle ne comprenait pas les explications de la demanderesse. De plus, elle aurait interrompu la demanderesse lorsque celle-ci décrivait son excision, au motif qu'il s'agissait de voyeurisme.

[9]                La demanderesse prétend enfin que toute décision de la déporter ne respecterait pas l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés de même que les obligations internationales du Canada en matière de protection des droits de la personne.   

[10]            Contrairement à ce qu'elle semble prétendre, la demanderesse ne peut pas craindre d'être excisée à son retour au Burkina Faso puisqu'elle a déjà été soumise à cette procédure. La crainte dont la demanderesse a fait état devant la section du statut, et donc celle qui doit être prise en compte par cette Cour, est donc la crainte d'être retenue par la police à son arrivée et de devoir retourner vivre avec un homme à qui elle a été mariée contre son gré.


[11]            Le défendeur soutient que la demanderesse ne s'est pas acquittée de son fardeau de démontrer que les conclusions de fait de la section du statut avaient été tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Les photos du mariage ne montraient pas le mari et ne concordaient pas avec les explications de la demanderesse. La lettre de l'amie de la demanderesse, écrite en termes très généraux, ne corroborait nullement les faits essentiels de sa revendication et ne mentionnait pas le mariage forcé, l'âge du mari, de même que l'excision pratiquée après le mariage. Le Diagnostic Interview Report n'était pas un rapport d'un psychologue et s'appuyait entièrement sur les faits exposés par la demanderesse. Quant au certificat du médecin, il ne faisait pas mention de l'époque à laquelle l'excision pouvait avoir été pratiquée. Rien n'indique de plus que la section du statut n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve documentaire ou des directives en matière de persécution basée sur le sexe.

[12]            Le défendeur soutient que, compte tenu de la preuve, il était raisonnable pour la section du statut de conclure que l'histoire de la demanderesse était une fabrication. Selon le défendeur, il était invraisemblable qu'une jeune femme adulte, instruite, ayant occupé un emploi, vivant dans la capitale, ait subi contre son gré l'excision à l'âge adulte. La demanderesse ne correspondait pas au profil des victimes de cette procédure selon la documentation. Compte tenu des lois en place au Burkina Faso, il était invraisemblable que, détenue par la police à son retour de Côte d'Ivoire, la demanderesse n'ait pas demandé et obtenu d'aide contre la procédure d'excision à laquelle on voulait la soumettre, dans un pays où le gouvernement lutte résolument contre cette pratique. De plus, il était invraisemblable que les photos de mariage ne montrent pas le mari de la demanderesse.


[13]            Le défendeur soutient que la section du statut n'avait pas à aborder la question des raisons impérieuses dans le contexte d'une décision concluant au manque de crédibilité de la demanderesse. Un changement de circonstances faisant obstacle à une reconnaissance du statut de réfugié est nécessaire pour que la question des raisons impérieuses se pose. Or, la section du statut n'a pas conclu que la demanderesse aurait été déclarée réfugiée, n'eut été un changement de circonstances au Burkina Faso.

[14]            Quant à l'allégation de partialité, le défendeur souligne que la demanderesse n'a jamais soulevé d'objection à la façon dont l'audience se déroulait et doit donc être considérée, selon la jurisprudence, comme ayant renoncé à le faire ultérieurement.

[15]            La section du statut n'a pas cru les prétentions de la demanderesse quant à l'excision qu'elle aurait subie après son mariage forcé. Elle s'exprime comme suit:


"La revendicatrice allègue que son père avait décidé d'arranger son mariage depuis plusieurs années. Le tribunal trouve invraisemblable que la revendicatrice puisse avoir subi l'excision contre sa volonté à l'âge de vingt-trois ans seulement, si le père avait l'intention d'offrir sa fille à quelqu'un. En ce qui regarde l'excision forcée de la revendicatrice, le tribunal considère peu plausible que ce ne soit qu'à un âge avancé et après son mariage de surcroit que la revendicatrice allègue qu'elle y a été soumise. La preuve documentaire nous montre que cette pratique a lieu généralement chez la jeune fille en très bas âge pour préserver sa virginité, l'honneur de la famille, tout en assurant la fidélité de la future épouse. La revendicatrice a admis à l'audience que sa famille ne l'avait jamais exigée. Pourquoi alors la forcer dans un mariage où elle y serait obligée. Les réponses de la revendicatrice étaient confuses et peu satisfaisantes. Cette invraisemblance mine sa crédibilité.

De plus, la preuve documentaire indique que le profile de la personne généralement ciblée pour la mutilation génitale, est une jeune fille vulnérable, non instruite et demeurant dans un petit village. Nous avons devant nous une personne qui a douze années de scolarité, qui demeure dans un grand centre urbain (la capitale du pays) et qui était sur le marché du travail. La preuve documentaire nous indique que cet acte se pratique généralement chez les enfants en très bas âge (avant 6 ans), et surtout depuis l'introduction de la Loi anti-excision qui prévoit des sanctions pénales.

Une Loi anti-excision existe au Burkina Faso depuis 1996. Il existe aussi des groupes de défense des droits des femmes qui fournissent de l'aide pour protéger contre cette pratique illégale au Burkina Faso. La revendicatrice pouvait donc demander l'aide de l'État et de nombreux organismes qui s'occupent de la défense des droits des femmes au Burkina Faso. Plusieurs procès ont eu lieu et ont mené à la condamnation des personnes impliquées. De plus, la revendicatrice n'a pas démontré de façon claire et convainquante qu'elle ne pouvait pas avoir la protection de l'État pour empêcher l'excision à une femme de trente ans. Le tribunal est d'avis que c'est une histoire fabriquée." (sic)

[16]            La section du statut n'a pas commenté ni même mentionné l'existence du certificat d'un médecin canadien attestant du fait que la demanderesse avait effectivement subi une excision. Le défendeur prétend que le certificat ne mentionne pas l'époque à laquelle l'excision a eu lieu et qu'il était donc raisonnable pour la section du statut de ne pas en tenir compte. Avec respect, j'estime que le défendeur, en argumentant de la sorte, accomplit là un travail qu'il appartenait à la section du statut de faire. En omettant de mentionner cette preuve importante et en s'abstenant d'indiquer la raison pour laquelle elle la rejetait, la section du statut me semble avoir refusé d'accomplir son devoir d'appréciation de la preuve.


[17]            La section du statut n'a, nulle part dans sa décision, indiqué qu'elle croyait que la demanderesse avait subi l'excision en bas âge. En fait, certains passages de la décision laissent même, selon moi, planer des doutes quant aux véritables conclusions de la section du statut. Les mots suivants du troisième paragraphe de l'analyse sont particulièrement ambigus: "la preuve documentaire indique que le profil de la personne généralement ciblée pour la mutilation génitale, est une jeune fille vulnérable, non instruite et demeurant dans un petit village. Nous avons devant nous une personne qui a douze années de scolarité, qui demeure dans un grand centre urbain (la capitale du pays) et qui était sur le marché du travail." Il est loin d'être clair, à mon avis, que la section du statut a implicitement conclu que la demanderesse avait été excisée durant sa jeunesse, plutôt qu'à la suite de son mariage forcé. Les mots cités ci-haut sont loin de le laisser sous-entendre. À mon avis, il aurait été important et à tout le moins souhaitable que la section du statut indique clairement sa position quant à l'excision de la demanderesse et qu'elle traite de la preuve pertinente.


[18]            De plus, la preuve documentaire indique que le pourcentage de femmes qui subissaient l'excision en 1996, avant l'entrée en vigueur de la loi, est passé de 70% à 66% en quatre ans, ce qui, de toute évidence, laisse planer un sérieux doute quant à l'efficacité des mesures prises. Compte tenu de sa conclusion, intempestive et déficiente selon moi, quant à la crédibilité de la demanderesse, la section du statut n'a visiblement pas cru bon de mentionner quoi que ce soit quant aux explications de la demanderesse. À mon avis, la section du statut était tenue, à tout le moins, d'écarter explicitement les explications de la demanderesse compte tenu des circonstances, surtout lorsque ces explications concernaient directement le reproche qui est formulé à son encontre, à savoir: de ne pas avoir démontré qu'elle ne pouvait se prévaloir de la protection étatique.

[19]            En guise d'appui à sa conclusion négative concernant la crédibilité de la demanderesse, la section du statut a retenu certains passages de la preuve documentaire qui montrent que généralement, ce sont les jeunes filles vulnérables, non instruites et demeurant dans de petits villages qui sont ciblées par les procédures d'excision. De plus, la section du statut a noté l'existence d'une loi anti-excision qui tente d'être appliquée par les autorités du Burkina Faso depuis 1996, de même que l'existence de groupes de défense des droits des femmes. À mon avis, ces éléments d'information sont loin de rendre invraisemblable l'histoire de la demanderesse. La documentation indique clairement que 66% de la population féminine au Burkina Faso, deux femmes sur trois, subit encore aujourd'hui l'excision. Bien que ce soient généralement les très jeunes filles qui subissent l'opération, des exemples concernant des femmes plus âgées sont aussi présents dans la documentation. Somme toute, j'estime que les raisons avancées par la section du statut pour expliquer son doute au niveau de la crédibilité de la demanderesse sont peu convaincantes.


[20]            La section du statut a également passé sous silence un rapport rédigé par David L. B. Woodbury, un membre de l'Ordre professionnel des conseillers et conseillères d'orientation du Québec. Ce rapport dresse le profil psychologique de la demanderesse et est basé en partie sur les faits racontés par celle-ci, en partie sur les observations cliniques du professionnel. Ce rapport constitue une pièce importante de la preuve de la demanderesse et aurait certes dû, à mon avis, faire l'objet de commentaires de la part de la section du statut. Le défendeur réfère la Cour à la décision du juge Reed dans l'affaire Danailov c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), T-273-93, 6 octobre 1993, (C.F. 1re instance), où le juge a écrit:

"With respect to the assessment of the doctor's evidence, to find that the opinion evidence is only as valid as the truth of the facts on which it is based, is always a valid way of evaluating opinion evidence. If the panel does not believe the underlying facts it is entirely open to it to assess the opinion evidence as it did."

[21]            Avec respect, la situation n'est pas la même dans la présente affaire. La section du statut n'a même pas mentionné le rapport d'expert dans sa décision et tout porte donc à croire qu'elle n'a pas évalué la valeur probante de cette pièce importante. Une analogie peut certes être tracée avec l'affaire Khawaja c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), IMM-5385-98, 27 juillet 1999, (C.F. 1re instance), où le juge Denault avait écrit:


"In my opinion, the panel was wrong to conclude that the principal claimant was not credible without taking into account and without discussing the content of the psychological report which found severe post-traumatic stress disorder and the plaintiff's difficulties relating the traumatizing events he had experienced, except for negatively arriving at the conclusion that these were facts he had not indicated in his personal information form."

[22]            Dans l'arrêt Ward (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689), la Cour suprême du Canada a indiqué que sauf dans le cas de l'effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. La Cour a également écrit que cette présomption peut être réfutée au moyen d'une preuve "claire et convaincante" de l'incapacité de l'État d'assurer la protection.


[23]            Je note que la demanderesse a témoigné avoir demandé, sans succès, la protection de l'État et qu'elle a, de fait, subi l'excision. La preuve révèle clairement que la demanderesse, à trois reprises, s'est rendue au poste de police demandant de la protection. Il semble évident à la lecture du procès verbal que ce sont les policiers eux-mêmes qui auraient communiqué avec l'époux de la demanderesse, lui refusant ainsi la protection demandée. Comme elle l'a expliqué, son mari était un homme près du président et donc très influent. Il a utilisé son statut auprès des forces policières afin de permettre à trois agents de traverser la frontière pour se rendre en Côte d'Ivoire, un pays voisin, de ramener la demanderesse, la faire incarcérer pendant environ cinq jours au cours desquels elle fut maltraitée, puis finalement la faire transporter dans un centre hospitalier afin de faire soigner ses blessures.

[24]            L'argument de la défenderesse quant à l'article 2(3) de la Loi est clairement mal fondé, comme le démontre l'extrait suivant des motifs du juge Reed dans l'affaire Corrales (IMM-4788-96, 3 octobre 1997, (C.F. 1re instance)):

"I turn then to counsel's ‘compelling reasons' argument. In order for an inquiry under section 2(3) to be made, one must first find changed country conditions in the absence of which the applicant would be a convention refugee. The Board did not make such a determination in this case. [...]

Since the Board never made a determination that the applicant was a Convention refugee, there was no need for it to consider section 2(3)."

[25]            Ces observations sont directement applicables à l'espèce.

[26]            Une lecture du procès-verbal démontre bien que la section du statut, pendant 6 à 8 pages, a contre-interrogé la demanderesse en ce qui a trait à la distance entre le poste de police, l'hôpital où elle fut soignée et sa résidence. Je suis convaincu que cet interrogatoire n'avait pour but que de lui causer de la confusion et de la faire errer dans son témoignage. Il s'agit là d'un exemple de l'évidence de la partialité de la section du statut. Bien qu'il y en ait plusieurs autres, je suis d'avis qu'il est inutile d'en citer plus.


[27]            J'estime que la décision de la section du statut laisse voir que toute la preuve n'a pas été considérée dans cette affaire. Pour les motifs qui précèdent, j'accueille la demande et je retourne le dossier devant des membres différents de la section du statut.

    JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 17 mai 2001

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