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Date : 19981218


Dossier : IMM-1858-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 DÉCEMBRE 1998.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

ENTRE :


STEPHEN BRIAN FREDERICK KELLY,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

La demande est rejetée


J. E. DUBÉ


juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19981218


Dossier : IMM-1858-97

ENTRE :


STEPHEN BRIAN FREDERICK KELLY,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du premier juin 1988, dans laquelle l"arbitre David M. Burns a pris une mesure d"interdiction de séjour contre le demandeur au motif qu"il était visé par le sous-alinéa 27(1)d )(i) de la Loi sur l"immigration1.

[2]      Le 24 juin 1986, l"agente d"immigration Donna M. Gauthier a produit un rapport écrit en vertu de l"article 27 de la Loi sur l"immigration dans lequel elle a mentionné que le demandeur était un résident permanent du Canada ayant obtenu le droit de s"établir au pays le 10 décembre 1943, à Halifax (Nouvelle-Écosse), qu"il n"était pas un citoyen canadien, et qu"il avait été reconnu coupable, le 7 janvier 1985, à Sudbury (Ontario), de deux accusations d"agression sexuelle accompagnée de voies de fait graves et de deux accusations de séquestration et condamné à une peine d"emprisonnement de douze ans pour chaque infraction, ces peines devant être purgée concurremment.

[3]      Le demandeur a été avisé, dans un avis daté du 29 avril 1987, qu"il ferait l"objet d"une enquête d"immigration conformément au paragraphe 27(4) de la Loi sur l"immigration. Dans le cadre de cette enquête, ont été produits à titre d"éléments de preuve un mandat d"incarcération relatif aux condamnations susmentionnées et une lettre datée du 4 juillet 1986 de la Direction de l"enregistrement de la citoyenneté du Secrétariat d"État du Canada mentionnant que le demandeur ne pouvait revendiquer la citoyenneté canadienne. Néanmoins, le demandeur a insisté qu"il était un citoyen canadien. L"enquête a donc dû être ajournée, et l"arbitre l"a effectivement ajournée conformément au paragraphe 43(1) de l"ancienne Loi sur l"immigration de 19762, qui prévoyait :

                 43.(1) Toute enquête, au cours de laquelle la personne en cause revendique la citoyenneté canadienne, sans en convaincre l"arbitre, doit être poursuivie; elle ne doit être ajournée que s"il est établi qu"à défaut de cette revendication, elle aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d"interdiction de séjour.                 

[4]      Après avoir ajourné l"enquête, l"arbitre a invité le demandeur à déposer une demande de certificat de citoyenneté, ce qu"il a fait le 13 mars 1986. Le 4 juillet 1986, la Direction de l"enregistrement de la citoyenneté a indiqué que le demandeur ne pouvait revendiquer la citoyenneté canadienne pour deux motifs :

                 [TRADUCTION] Il ressort des documents fournis que vous êtes né avant le mariage de vos parents. Pour pouvoir revendiquer la citoyenneté sur le fondement que votre père était un citoyen canadien, il aurait fallu que vous fussiez né alors que vos parents étaient mariés. Vous ne pouvez revendiquer la citoyenneté canadienne sur le fondement que votre mère était une citoyenne canadienne, car elle ne l"était pas au moment de votre naissance.                 

[5]      À la reprise de l"enquête sur le demandeur le premier juin 1988, ce dernier n"ayant pas établi qu"il était un citoyen canadien et compte tenu du fait qu"il avait été condamné aux peines d"emprisonnement susmentionnées, l"arbitre a émis un avis d"interdiction de séjour, conformément au paragraphe 32(2) de l"ancienne Loi sur l"immigration de 1976. Il a de plus informé le demandeur qu"il avait le droit d"interjeter appel de l"avis d"interdiction de séjour devant la Commission d"appel de l"immigration, et il lui a fourni un avis d"appel qu"il aurait pu signer afin d"entamer le processus d"appel. Le demandeur a refusé de signer l"avis.

[6]      Après avoir fini de purger ses peines d"emprisonnement en décembre 1996, le demandeur a été détenu jusqu"à son expulsion, qui devait avoir lieu le 22 janvier 1997. Il a déposé une demande de sursis de l"exécution de la mesure d"expulsion prise contre lui et une demande d"autorisation, soutenant qu"il était un citoyen canadien. La demande de sursis a été rejetée par mon collègue le juge Cullen le 20 janvier 1997. Le demandeur a alors déposé un bref d"habeas corpus devant la Division générale de la Cour de l"Ontario le 22 janvier 1997, soutenant encore une fois qu"il était un citoyen canadien. Cette demande a également été rejetée.

[7]      En conséquence, le demandeur a été expulsé du Canada le 22 janvier 1997. Ma collègue le juge McGillis a rejeté sa demande d"autorisation (dossier IMM-4828-96) dans une ordonnance datée du 21 mars 1997.

[8]      Le demandeur est né hors du mariage en Angleterre, le 17 juillet 1941. Son père, qui est né au Canada, faisait partie de l"armée canadienne en 1940 et 1941. Sa mère est née en Angleterre en 1921. Ses parents se sont mariés en Angleterre environ un mois après sa naissance, le 12 août 1941. Son avocat soutient qu"il a obtenu le droit d"obtenir la citoyenneté canadienne le 10 décembre 1943, date à laquelle lui et sa mère ont obtenu, à Halifax (Nouvelle-Écosse), le droit de s"établir au pays. Sa soeur cadette, Margaret Beryl Kelly (née après le mariage de ses parents et citoyenne canadienne), les accompagnait.

[9]      Les faits de l"espèce sont très semblables à ceux de l"affaire Bell c. Canada (M.E.I.)3, dans laquelle la Cour d"appel fédérale a conclu que M. Bell n"était pas un citoyen canadien. Monsieur Bell est né hors du mariage en Australie, en 1960. À l"époque, son mère était une citoyenne de l"Australie et son père, un citoyen canadien. Monsieur Bell et sa mère ont par la suite déménagé au Canada, où son père a épousé sa mère et adopté M. Bell. Il n"avait jamais été inscrit comme citoyen canadien. Une mesure de renvoi a été prise contre lui par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié après qu"il a été condamné au criminel. Le juge de première instance a conclu qu"il était un citoyen canadien et qu"il ne pouvait faire l"objet d"une mesure de renvoi. L"appel interjeté contre cette décision a été accueilli sur le fondement que le sous-alinéa 5(1)b )(i) de la Loi sur la citoyenneté canadienne4 prévoyait que l"enfant né à l"étranger hors du mariage n"était un citoyen canadien que si sa mère était une citoyenne canadienne au moment de sa naissance. Ce sous-alinéa prévoit :

                 5(1) Une personne née après le 31 décembre 1946 est un citoyen canadien de naissance,                 
                      [...]                 
                      b)      si elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si                 
                          (i)      son père ou, dans le cas d"un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien , et si                 
                          (ii)      le fait de sa naissance est inscrit, en conformité des règlements, au cours des deux années qui suivent cet événement ou au cours de la période prolongée que le Ministre peut autoriser en des cas spéciaux.                 
                      [Je souligne.]                 

[10]      Le juge Strayer, s"exprimant au nom de la Cour d"appel fédérale, a dit :

                 Nous sommes tous d'avis que l'intimé n'a pas la qualité de citoyen. Son cas ne correspond pas à la formulation du sous-alinéa 5(1) b)(i). Il est né en effet en dehors du Canada et hors mariage, mais sa mère n'était pas une citoyenne canadienne à l'époque. Ce que le sous-alinéa veut dire selon nous, c'est que, lorsqu'une personne naissait en dehors du Canada et hors mariage, la citoyenneté canadienne ne pouvait être transmise que par la mère.                 
                 Cette conclusion ne saurait être modifiée par le fait que l'intimé Bell a été plus tard adopté par son prétendu père naturel, un citoyen canadien, et par le fait que son prétendu père naturel a plus tard épousé sa mère, ce qui, selon les lois de l'Alberta, a eu pour effet de le légitimer. Les exigences de la Loi sur la citoyenneté quant au lieu de naissance et quant au statut des père et mère au moment de la naissance sont très précises et ne peuvent être interprétées d'une manière qui tiendrait compte des modifications ultérieures de statut prévues par les lois provinciales à des fins provinciales.                 

[11]      Le demandeur en l"espèce étant né le 17 juillet 1941, c"est l"alinéa 4b )(ii) de la Loi sur la citoyenneté canadienne5 qui s"applique. En voici le libellé :

                 4. Une personne, née avant l"entrée en vigueur de la présente Loi [avant le 1er janvier 1947], est citoyen canadien de naissance                 
                      [...]                 
                      b)      lorsqu"elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien et que son père ou, dans le cas d"une personne née hors du mariage, sa mère                 
                          (i)      est né (ou née) au Canada ou sur un navire canadien et n"était pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou                 
                          (ii)      était, à la naissance de ladite personne, un sujet britannique possédant un domicile canadien,                 
                 si, avant l"entrée en vigueur de la présente Loi [avant le 1er janvier 1947], ladite personne n"était pas devenue étrangère, et a été licitement admise au Canada en vue d"une résidence permanente ou est mineure.                 
                 [Je souligne.]                 

[12]      Il s"ensuit, conformément à la ratio decidendi de la décision que la Cour d"appel a rendue dans l"affaire Bell (sur le fondement du sous-alinéa 5(1)b)(ii) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1970), que le demandeur en l"espèce n"est pas un citoyen canadien de naissance en vertu de l"alinéa 4b )(ii) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947. Je suis lié par cette décision qui, de toute façon, constitue la seule application logique possible du droit.

[13]      L"arrêt Benner6 que la Cour suprême du Canada a récemment rendu n"a pas d"incidence sur la situation du demandeur. Cet arrêt ne saurait étayer la prétention qu"une personne née d"une mère canadienne à l"étranger, hors du mariage, en 1941, a le droit de recevoir la citoyenneté canadienne. La Cour suprême a conclu qu"une disposition de la Loi sur la citoyenneté7 qui prévoyait que les enfants nés à l"étranger avant le 15 février 1977 d"une mère canadienne devaient faire l"objet d"un contrôle de sécurité et prêter serment avant d"obtenir la citoyenneté (alors que les enfants nés à l"étranger d"un père canadien n"étaient pas tenus de satisfaire à ces exigences) violait l"article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (discrimination fondée sur le sexe).

[14]      À mon avis, la définition du mot " enfant " au paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté8 n"a aucune incidence sur la présente affaire.

[15]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur à l"égard de la décision de l"arbitre au motif qu"il est un citoyen canadien ne saurait être accueillie.

[16]      La demande est donc rejetée.

[17]      Dans une lettre ultérieure à l"audition datée du 4 décembre 1998, le demandeur a soutenu que la question suivante méritait d"être certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur la citoyenneté :

                 [TRADUCTION] Les alinéas 4b)(i) et (ii) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 10 George VI, ch. 15, interprétés en fonction de la définition du mot " enfant " qui figure au par. 2(1) de la Loi sur la citoyenneté , L.R.C. (1985), ch. C-29, violent-ils dans l"ensemble ou en partie le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où ils imposent des exigences plus sévères aux demandeurs de la citoyenneté canadienne qui fondent leur demande sur la ligne maternelle comparativement à ceux qui fondent leur demande sur la ligne paternelle, cette partie de la question ayant été répondue par la Cour suprême du Canada dans Benner c. Canada (Secrétariat d"État), [1997] 1 R.C.S. 358? Dans l"affirmative, établissent-ils une limite légale qui soit raisonnable au sens de l"article premier de la Charte ?                 

[18]      Dans une lettre datée du 7 décembre 1998, le défendeur a fourni la réponse suivante :

                 [TRADUCTION] Le défendeur réitère respectueusement les observations qu"il a faites à l"audition du 3 décembre 1998, selon lesquelles la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale méritant d"être certifiée. Le défendeur répète que la Loi sur la citoyenneté ne s"applique pas dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. C"est plutôt la décision qu"un arbitre a rendue conformément à la Loi sur l"immigration qui est contestée. Le demandeur, cependant, tente maintenant, en proposant la certification d"une question, de contester de façon accessoire un ou plusieurs articles de la Loi sur la citoyenneté .                 
                 Le défendeur fait remarquer que le demandeur n"a cherché ni dans sa demande d"autorisation visant à obtenir une réparation, ni dans son mémoire, à obtenir un jugement déclaratoire portant qu"un ou plusieurs articles de la Loi sur la citoyenneté violent l"article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés . Cependant, il propose maintenant la certification d"une question qui paraît chercher à obtenir qu"un tel jugement déclaratoire en matière d"inconstitutionnalité soit rendu. Aucun avis relatif à une question constitutionnelle n"a été signifié au Procureur général du Canada ni aux procureurs généraux de chaque province, conformément à l"article 57 de la Loi sur la Cour fédérale . Il est bien établi que la Cour n"a pas compétence pour trancher une question constitutionnelle lorsque l"avis prévu à l"article 57 n"a pas été signifié.                 

[19]      Je suis d"accord avec le défendeur que la présente affaire ne soulève aucune grave de portée générale et que notre Cour ne peut trancher une question constitutionnelle à moins d"avoir signifié les avis prévus à l"article 57 de la Loi sur la Cour fédérale .

OTTAWA (Ontario)

Le 18 décembre 1998.


J. E. DUBÉ


juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-1858-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Stephen Brian Frederick Kelly c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 3 décembre 1998

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU :              18 décembre 1998

ONT COMPARU :

Stuart Beverley Scott                              POUR LE DEMANDEUR

Stephen Gold                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stuart Beverley Scott                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      S.R.C. 1976-77, ch. 52.

3      136 D.L.R. (4th) 286.

4      S.R.C. 1970, ch. C-19.

5      S.C. 10 George VI, ch. 15.

6      Benner c. Canada (Secrétaire d"État), [1997] 1 R.C.S. 358.

7      S.C. 1974-75-76, ch. 108.

8      L.R.C. (1985), ch. C-29.

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