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     Date: 19990609

     Dossier: IMM-3453-98

Ottawa (Ontario), le 9 juin 1999

Devant : Monsieur le juge Pinard

Entre


JORGE ALBERTO PORTILLO,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle W.A. Sheppit, en sa qualité de fondé de pouvoir du ministre, a conclu le 23 juin 1998 que le demandeur constitue un danger pour le public conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, est rejetée.

                                 YVON PINARD

                             ___________________________

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date: 19990609


Dossier: IMM-3453-98

Entre


JORGE ALBERTO PORTILLO,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle W.A. Sheppit, en sa qualité de fondé de pouvoir du ministre, a conclu le 23 juin 1998 que le demandeur constitue un danger pour le public, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Auparavant, le 28 juin 1995, la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la SSR) avait conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention et qu"il n"était pas raisonnablement possible qu"il soit persécuté au Salvador. La SSR avait également conclu que le demandeur était exclu des dispositions de la Convention conformément aux articles 1Fb) et 1Fc) de la Convention pour avoir commis des crimes graves de nature non politique au Salvador pendant qu"il était membre de l"Armée révolutionnaire du peuple. Le demandeur a été renvoyé au Salvador le 7 août 1998.

[2]      Le rapport sur l"avis du ministre renferme les remarques suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         Il a été conclu que M. PORTILLO avait commis de graves crimes de nature non politique pendant qu"il était au Salvador et que ses actions étaient sérieuses et peuvent être qualifiées d"atroces et de barbares. Ces actions constitueraient des crimes contre l"humanité. Étant donné les actes qu"il a commis au Salvador et ses antécédents criminels au Canada, M. PORTILLO a démontré à maintes reprises qu"il constitue un danger pour le public.                 

[3]      L"avocat du demandeur soutient essentiellement que l"avis exprimé par le ministre selon lequel son client constitue un danger pour le public n"est pas étayé par la preuve et qu"il est fondé sur des considérations non pertinentes.

[4]      Le paragraphe 70(5) de la Loi a pour effet de supprimer tout droit d"appel devant la section d"appel lorsque, selon le ministre, une personne contre laquelle une mesure d"expulsion ou une mesure d"expulsion conditionnelle a été prise constitue un danger pour le public au Canada. Le paragraphe 70(5) de la Loi se lit comme suit :

70.(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph 2(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitues a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or

(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.

70.(5) Ne peuvent faire appel devant la section d"appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a ) ou b), qui, selon la décision d"un arbitre :

a) appartiennent à l"une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d ) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l"alinéa 27(1)a .1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d"une loi fédérale d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l"alinéa 27(1)d ) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

[5]      L"arrêt de principe, en ce qui concerne l"avis selon lequel il y a danger, est l"arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Williams, [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.). Dans l"arrêt Williams , supra, la Cour d"appel fédérale a clairement dit que la décision d"exprimer un avis conformément au paragraphe 70(5) de la Loi est discrétionnaire, et que " ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence ".

[6]      Dans l"arrêt Williams , supra, Monsieur le juge Strayer a fait des remarques au sujet de la norme de contrôle, aux pages 663 et 664 :

             Le caractère révisable de l'avis du ministre                 
             Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger " selon le ministre " [je souligne] et non " selon le juge ". Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est " établi " ou " décidé " que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public , mais celui de savoir si, " selon le ministre " [je souligne], il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis[note de bas de page omise], ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence[note de bas de page omise]. [...]                 
Il a ajouté ceci à la page 675 :                 
         [...] Toutefois, la séparation des pouvoirs et les principes ordinaires de retenue judiciaire exigent qu'il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présumant la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale. Cela ne diminue nullement l'opportunité pour le décideur de fournir des motifs, mais je ne vois pas comment on peut en faire une obligation légale en l'absence d'une exigence législative.                 

[7]      Dans l"arrêt Thompson c. Canada (MCI) , (1996), 118 F.T.R. 269, Monsieur le juge Gibson a statué ce qui suit au sujet de la norme de contrôle, à la page 274 :

             J'estime que le pouvoir décisionnaire qu'accorde le paragraphe 70(5) à l'intimé est largement discrétionnaire. Le mot " opinion " (employé dans la version anglaise de cette disposition) dénote clairement une intention législative de procurer au ministre intimé une grande latitude pour ce qui est de déterminer s'il y a " danger pour le public au Canada ". En ce qui concerne la nature discrétionnaire de la décision visée par le contrôle judiciaire, je suis guidée dans ma démarche par la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shah c. Canada (M.E.I.) , (1994), 170 N.R. 238, où le juge d'appel Hugessen fait remarquer ce qui suit au sujet du fardeau qu'a une partie requérante de montrer qu'une erreur a été commise dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire :                 
         Pour avoir gain de cause, la partie requérante doit démontrer que la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire a commis une erreur de droit, a appliqué un principe erroné ou inapplicable ou a agi de mauvaise foi. Il s'agit d'un fardeau très lourd...                 

[8]      Dans l"arrêt Williams , supra, aux pages 668 et 669, le juge Strayer a également examiné la question de savoir ce qui constitue " un danger pour le public au Canada " :

         [...] À mon avis, le libellé du paragraphe 70(5) est suffisamment clair à cet égard. Dans ce contexte, le sens de l'expression " danger pour le public " n'est pas un mystère : cette expression doit se rapporter à la possibilité qu'une personne ayant commis un crime grave dans le passé puisse sérieusement être considérée comme un récidiviste potentiel. Point n'est besoin de prouver - à vrai dire, on ne peut pas prouver - que cette personne récidivera . Selon moi, cette disposition oriente convenablement la pensée du ministre vers la question de savoir si, compte tenu de ce que le ministre sait de l'intéressé et des observations que l'intéressé a faites en son propre nom, le ministre peut sincèrement croire que l'intéressé est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public. J'insiste sur le mot " inacceptable " parce que, vu l'impossibilité de prouver une conduite future, il y a toujours un risque, et la mesure dans laquelle la société devrait être prête à accepter ce risque peut faire intervenir des considérations politiques qui ne sont pas inappropriées de la part d'un ministre. Celui-ci peut bien conclure, par exemple, que les personnes reconnues coupables d'infractions reliées aux stupéfiants sont plus susceptibles de récidiver et que le trafic des stupéfiants constitue une menace particulière pour la société canadienne. Je conviens avec le juge Gibson dans l'affaire Thomson [note de bas de page omise] que le " danger " doit être interprété comme un " danger présent ou futur pour le public ". J'hésite toutefois à affirmer que le ministre doit avoir en main un type particulier de document pour tirer une conclusion de danger présent ou futur. J'ai du mal à comprendre pourquoi il n'est pas loisible à un ministre de prévoir une inconduite future à partir d'une inconduite passée, particulièrement eu égard aux circonstances des infractions et, comme en l'espèce, aux commentaires faits par l'un des juges qui ont prononcé les peines. Il se peut qu'une cour de contrôle ne soit pas du même avis que le ministre, ou considère qu'on aurait dû donner plus de poids à certains documents, mais cela ne veut pas dire que le critère législatif est d'une imprécision inadmissible simplement parce qu'il permet au ministre de parvenir à une conclusion différente de celle de la Cour.                 
                         [Je souligne.]                 

[9]      Si j"applique ces principes aux faits, tels qu"ils ont été établis au moyen de la preuve présentée en l"espèce, je ne suis pas convaincu que le fondé de pouvoir du ministre ait commis une erreur susceptible de révision. À mon avis, le ministre disposait de suffisamment d"éléments de preuve pour qu"il soit possible de conclure que le demandeur constitue un danger pour le public. Entre 1996 et 1998, le demandeur avait été déclaré coupable de quelque dix-sept infractions, dont la majorité se rapportaient à des stupéfiants. Les crimes commis par le demandeur au Salvador avaient peut-être un objectif politique, mais la SSR a conclu qu"il s"agissait d"actes sérieux et elle les a qualifiés d"atroces et de barbares. La décision de la SSR comprend également les conclusions suivantes :

-      certaines des actions du demandeur ont été commises contre de simples citoyens;
-      le demandeur exerçait un certain degré de violence dans ses actions à l"endroit des civils;
-      les civils qui étaient victimes des agressions du demandeur [TRADUCTION] " doivent avoir eu d"énormes craintes ou doivent même avoir été traumatisés par suite de la menace imminente d"être victimes d"actes de violence, ou encore d"être blessés ou peut-être tués ".

[10]      À mon avis, il n"est certainement pas déraisonnable de conclure que ces crimes montrent que le demandeur continuerait à agir de la même façon au Canada.

[11]      Dans ces conditions, étant donné le degré élevé de retenue dont il faut faire preuve envers le ministre à l"égard de décisions discrétionnaires telles que les avis de danger, je conclus qu"il n"est pas justifié pour cette cour d"intervenir. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                         YVON PINARD

                     ___________________________

                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

le 9 juin 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-3453-88

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JORGE ALBERTO PORTILLO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 19 MAI 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Pinard en date du 9 juin 1999

ONT COMPARU :

SHANE MOLYNEAUX              POUR LE DEMANDEUR

GERALDINE MACDONALD              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MCPHERSON, ELGIN ET CANNON              POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

MORRIS ROSENBERG              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA     

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