Décisions de la Cour fédérale

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Date: 19980909


Dossier: T-1522-98

Entre:

     LISE BOUCHARD

     Demanderesse

     ET

     MINISTRE DÉFENSE NATIONALE

     et

     GÉNÉRAL MAURICE BARIL

     CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE

     LA DÉFENSE NATIONALE

     Défendeurs

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une requête des défendeurs en radiation de la demande de contrôle judiciaire logée par la demanderesse à l'encontre de la décision du ministère de la Défense nationale (la Défense nationale) de ne pas la réintégrer au sein de la fonction publique.


[2]      Bien que les défendeurs fassent état des règles 208 et 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) au support de leur requête, leur procureure a convenu à l'audition que ces règles s'appliquent lorsqu'il s'agit de radier tout ou partie d'une action et que lorsqu'une attaque en radiation se porte contre une demande, ce sont les principes suivants dégagés par le juge Strayer de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al., (1994) 176 N.R. 48, qui s'appliquent:

                 This is not to say that there is no jurisdiction in this court either inherent or through rule 5 by analogy to other rules, to dismiss in summary manner a notice of motion which is so clearly improper as to be bereft of any possibility of success. (See e.g. Cyanamid Agricultural de Puerto Rico Inc. v. Commissioner of Patents (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (F.C.T.D.); and the discussion in Vancouver Island Peace Society et al. v. Canada (Minister of National Defence) et al., [1994] 1 F.C. 102; 64 F.T.R. 127, at 120-121 F.C. (T.D.)). Such cases must be very exceptional and cannot include cases such as the present where there is simply a debatable issue as to the adequacy of the allegation in the notice of motion.                 
                 (mes soulignés)                 

[3]      Il faut donc qu'il soit des plus clair que la demande de la demanderesse - qui se représente seule - soit dépourvue de toutes chances de succès pour que cette Cour la radie à ce stade-ci.

[4]      Suivant les défendeurs, tel est le cas. Premièrement, la décision attaquée par la demanderesse ne serait pas selon eux une "décision" au sens de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi). Deuxièmement, si la décision attaquée peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, cette Cour n'aurait pas compétence sur le litige puisqu'il serait soumis de par sa nature à un processus de griefs qui exclut la participation des tribunaux tels la Cour fédérale.

Les faits

[5]      Les faits pertinents aux fins de déterminer la présente requête sont assez simples et peuvent se résumer comme suit.

[6]      Il est acquis que la demanderesse était une fonctionnaire de sa Majesté du chef du Canada ayant été nommée à un poste à durée indéterminée au ministère de la Défense nationale.

[7]      Plus particulièrement, en 1997 et 1998, la demanderesse occupait un poste de magasinier de groupe et niveau GS-STS-03 à la section de l'habillement et de l'approvisionnement de la garnison située à la base militaire de Saint-Jean-sur-Richelieu.

[8]      La demanderesse était syndiquée et assujettie à une convention collective, la Convention Cadre, conclue entre l'Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor.

[9]      Par ailleurs, il retourne suivant la demande que durant les deux dernières années de son emploi, la demanderesse aurait été victime de harcèlement en milieu de travail, ce qui aurait porté atteinte à sa santé. En ce qui concerne ces difficultés, la demanderesse a fait appel aux divers mécanismes de redressement internes mis à sa disposition sans toutefois les épuiser.

[10]      Le 27 novembre 1997, la demanderesse avise son employeur qu'elle se porte volontaire pour bénéficier de l'un des programmes de retraite anticipée offert par le gouvernement fédéral dans le cadre de sa Directive sur le réaménagement des effectifs.

[11]      Voici du reste comment la demanderesse à son affidavit présente les mêmes évènements:

                 Durant les deux dernières années de mon emploi à la BFC Saint-Jean, soit entre août 1995 à avril 1997, j'ai été victime d'harcèlement dans le milieu du travail de la part de mon superviseur. Ceci a porté atteinte à ma santé à tel point que j'ai senti le besoin de consentir à mettre fin, de façon prématurée à mon emploi, à l'époque, j'étais inapte à prendre une telle décision qui, si elle devait être maintenue aurait pour effet de me vouer à la gène et à la nécessité pour le reste de mes jours;                 

[12]      Même si l'on retient pour les fins de la présente requête - et donc sans en décider le bien-fondé au mérite - la version de la demanderesse, il n'en demeure que la décision lui revient d'avoir quitté la fonction publique.

[13]      Ultimement, la demanderesse a été rayée des effectifs de la fonction publique le 1er avril 1998.

[14]      Or, le 15 mai 1998, la demanderesse faisait parvenir à la Défense nationale une mise en demeure dans laquelle elle demande d'être réintégrée au sein de la fonction publique du Canada ainsi qu'une compensation pour dommages qu'elle aurait subis pendant son emploi.

[15]      Le 10 juillet 1998, le lieutenant-colonel Crowe, avocat au bureau du juge avocat général de la Défense nationale, donnait suite au nom de la Défense nationale à cette mise en demeure.

[16]      C'est à l'encontre de cette lettre, ou plus précisément à l'encontre de la décision que cette lettre contiendrait, que la demanderesse a logé sa demande qui est maintenant sous attaque.

La nature de la lettre du 10 juillet 1998

[17]      Dans cette lettre, le lieutenant-colonel Crowe s'exprime, entre autres, comme suit:

                 J'ai discuté le cas de Mme Bouchard avec les responsables du bureau du personnel civil de la Fonction publique fédérale. Je dois à regret vous informer que je viens d'apprendre que les autorités du ministère de la défense régissant l'emploi du personnel civil m'ont avisé qu'il n'est pas question de réintégrer Mme Bouchard dans la fonction publique fédérale, ni de lui payer une compensation.                 
                 (mes soulignés)                 

[18]      Je considère que le lieutenant-colonel Crowe, en avisant le représentant de la demanderesse qu'il n'est pas question de réintégrer la demanderesse, prend par là une véritable décision et que cette décision - aux yeux de la demanderesse - doit être vue comme ayant été prise, indirectement ou par délégation de facto à tout le moins, en vertu de l'article 8 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, S.R., ch. P-32, art. 1.

[19]      Partant, je pense que l'on doit voir la lettre du 10 juillet 1998 comme une "décision" d'un "office fédéral" au sens de la Loi et, plus spécifiquement, au sens des articles 2, 18 et 18.1 de la Loi.

[20]      À l'étude, je pense qu'il faut distinguer la lettre du 10 juillet 1998 des autres situations auxquelles la procureure des défendeurs a fait référence et où, à titre d'exemple, les tribunaux ont refusé de voir comme une décision au sens de la Loi le fait de refuser de donner suite à une recommandation ou le fait de procéder à l'émission d'un certificat ou à l'émission d'une lettre d'information (voir les arrêts Feldsted c. Canada (1986), 6 F.T.R. 219; Michel Grenier c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et le Procureur-général du Canada, décision inédite du 6 mars 1996 portant le numéro T-2711-95; Fee et autres c. Bradshaw et autres, [1982] 1 R.C.S. 609; Demirtas c. Canada, [1993] 1 C.F. 602, à la page 606).

[21]      Entre autres, je ne pense pas que l'on peut s'inspirer des motifs contenus dans l'arrêt Fee (en page 618) pour affirmer à l'instar des défendeurs que: "cette lettre en réponse à la demande présentée par la demanderesse n'est ni par sa communication à cette dernière ni par les affirmations qu'elle contient une décision susceptible d'être révisée par cette Cour".

[22]      Dans la lettre du 10 juillet 1998, contrairement aux situations auxquelles les défendeurs se réfèrent, les défendeurs tranchent: la demanderesse ne sera pas réintégrée à la fonction publique.

[23]      Je pense qu'il importe peu dans la présente analyse que cette décision du 10 juillet 1998 ait été provoquée ou fasse suite à un geste posé par la demanderesse, soit sa demande de retrait de la fonction publique. Cette dynamique pourra possiblement avoir une importance certaine lors de l'appréciation au mérite de la demande de la demanderesse. Toutefois, ce que l'on doit analyser ici est de savoir si la décision du 10 juillet en est une au sens de la Loi et j'en ai conclu à cet égard par l'affirmative.

Les relations de travail de la demanderesse et le remède maintenant recherché

[24]      Il est vrai que l'on doit retenir que ce sont des incidents reliés aux relations de travail et aux conditions d'emploi de la demanderesse qui ultimement l'ont apparemment portée à se retirer de son emploi.

[25]      Toutefois la demanderesse ne s'est pas adressée à cette Cour au moment où elle était aux prises avec un de ces incidents en vue que la Cour règle ledit incident. Si tel avait été le cas, la procédure de grief à laquelle la demanderesse était soumise aurait alors dû recevoir application et la demanderesse aurait été empêchée d'entreprendre la présente demande.

[26]      Je ne pense pas également que l'on soutienne que la demanderesse a négligé à escient de porter sa situation jusqu'au troisième palier de grief dans le seul but éventuel de démissionner et de recourir par après à cette Cour pour être réintroduite à la fonction publique.

[27]      Le retrait de la demanderesse de son emploi m'apparaît comme une nouvelle phase ou étape dans les évènements et même si les incidents survenus avant cette étape étaient soumis à un mécanisme de redressement interne, je ne considère pas que l'on puisse de façon claire et évidente disposer qu'il en est de même pour sa demande de réintégration.

[28]      Cette demande ou ce remède pourra donc demeurer au dossier. Je pense que cette conclusion doit tenir même si les défendeurs ou même cette Cour n'ont, à strictement parler, pas ce pouvoir qui revient, de par le libellé de l'article 8 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, à la Commission de la fonction publique. Tel que l'affirme l'arrêt Donald C. Kelso c. Sa Majesté la Reine, [1981] 1 R.C.S. 199, la Cour peut certes en théorie déclarer éventuellement les droits de la demanderesse et laisser à la Commission de la fonction publique le soin de mettre en place cette déclaration.

[29]      Par ailleurs, il est néanmoins clair et certain que la demanderesse ne peut dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire obtenir des dommages-intérêts à l'encontre des défendeurs. Ce type de remède s'obtient par action et non par demande. Partant, les conclusions 2 et 3 de la demande, à savoir lorsque la demanderesse réclame:

                 2.      Une compensation monétaire à titre de dommages-intérêts pour réparé (sic) le préjudice subit (sic), suite à un climat de travail malsain.                 
                 3.      Dommages-intérêts pour la perte de mon emploi entre le 1er avril 1998 et la date de cette demande.                 

sont rayées de la demande de la demanderesse.

[30]      La requête en radiation des défendeurs sera donc accueillie en partie dans la mesure où les conclusions 2 et 3 de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sont rayées.

[31]      Comme le succès sur la présente requête est partagé, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 9 septembre 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-1522-98

LISE BOUCHARD

     Demanderesse

ET

MINISTRE DÉFENSE NATIONALE

ET

GÉNÉRAL MAURICE BARIL

CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE NATIONALE

     Défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 1er septembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 9 septembre 1998

COMPARUTIONS:

Mme Lise Bouchard pour la demanderesse

Me Nadine Perron pour les défendeurs

PROCUREUR INSCRIT AU DOSSIER:

Me Morris Rosenberg pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada


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