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Date : 20060712

Dossier : IMM‑5608‑05

Référence : 2006 CF 864

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

MAGDI YOUSEF

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision en matière d’examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue le 14 juillet 2005, selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il était renvoyé en Égypte. La demande d’asile présentée auparavant par le demandeur avait été rejetée le 6 octobre 2004 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

 

Les faits

[2]               Le demandeur, âgé de 56 ans, est un chrétien copte qui est arrivé au Canada en provenance d’Égypte en 2002 et qui a immédiatement demandé l’asile.

 

[3]               Le demandeur a présenté à la Commission un témoignage très cru où il a fait état de violentes agressions motivées par la conviction, au sein de la collectivité, qu’il avait tenté de convertir un jeune musulman au christianisme. Entre autres incidents, il a déclaré que son magasin avait été attaqué et incendié, que sa famille avait été menacée et qu’il avait été victime de deux tentatives d’empoisonnement et d’un délit de fuite délibéré. Il a dit aussi que l’on avait saboté les freins de son véhicule.

 

[4]               Le demandeur avait en Égypte un dossier médical considérable, mais la Commission a été troublée par le fait que ses données médicales ne corroboraient que peu, ou pas, les autres persécutions dont il avait fait état. La Commission a signalé que le demandeur n’avait cité à témoigner aucun expert médical ou psychologique canadien afin de confirmer les multiples lésions traumatiques qu’il disait avoir subies et leurs effets psychologiques persistants. Elle a aussi noté la contradiction entre la version du demandeur où il disait que les autorités égyptiennes étaient complices des agressions qu’il prétendait avoir subies, et l’emploi qu’il continuait d’occuper au sein de l’administration.

 

[5]               La Commission a aussi noté maintes autres contradictions et invraisemblances dans le récit du demandeur, ainsi que le fait qu’il a tardé à quitter l’Égypte alors qu’il aurait été harcelé et tourmenté, férocement et sans relâche. De tout cela, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible et elle a rejeté l’ensemble de ses allégations de persécution.

 

[6]               La Commission a conclu subsidiairement que le demandeur, un chrétien copte d’Égypte pouvait obtenir de l’État une protection comme ses six (6) millions de coreligionnaires.

 

[7]               Les déclarations du demandeur faites à l’agente d’ERAR reprenaient pour l’essentiel le récit qu’il avait fait à la Commission. Toutefois, le demandeur a produit, au soutien de sa demande d’ERAR, plusieurs « preuves nouvelles ».

 

[8]               Ces soi‑disant preuves nouvelles comprenaient un rapport de sept (7) pages rédigé par le révérend Maged El Shafie, président et fondateur de One Free World International (une église chrétienne dont le siège est à Toronto). Le révérend El Shafie est un chrétien d’Égypte qui semble connaître assez bien l’actualité politique et religieuse de ce pays. Son rapport contenait une critique page par page de la décision de la Commission, d’après la connaissance personnelle qu’il avait de la situation générale où se trouvaient les chrétiens d’Égypte, et l’on y trouvait les conclusions suivantes :

Après avoir examiné les antécédents de M. Yousef et les documents qu’il a produits, et après l’avoir interrogé très intensivement durant deux heures, je suis d’avis que le compte rendu qu’il fait des événements est à la fois crédible et vraisemblable.

 

Après lecture de la décision qui refuse à M. Yousef le statut de réfugié, je me rends compte que les conclusions de la Commission sur la crédibilité de M. Yousef et sur la vraisemblance de son récit reposent sur une mauvaise appréciation de la situation qui a cours en Égypte, et aussi sur des malentendus culturels et sociaux. J’examinerai ces conclusions en détail.

 

[9]               Le demandeur a aussi présenté le rapport psychiatrique daté du 12 mars 2005 et signé par le Dr Hung‑Tat Lo. Ce rapport, qui était fondé sur l’examen médical fait le 11 mars 2005, reprenait l’essentiel du récit du demandeur, où il disait avoir subi des violences en Égypte. Il évoquait aussi la situation personnelle et médicale du demandeur depuis son arrivée au Canada, et il concluait par le diagnostic suivant :

[traduction] En conclusion, je suis d’avis que M. Yousef a énormément souffert de la persécution et de la torture, au point qu’il est probablement atteint d’un syndrome cérébral organique, outre des troubles dépressifs modérément graves et un état de stress post‑traumatique. Il s’en sort à peine, mais essaie tout de même de subvenir à ses besoins par le travail, et il est profondément attaché à sa famille. S’il devait retourner en Égypte, je crois que sa santé et son bien‑être en souffriront gravement. S’il reste au Canada, il aura besoin d’un suivi psychiatrique beaucoup plus régulier ainsi que d’une rééducation post‑traumatique.

 

[10]           Afin de prouver que la traduction de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) était mauvaise, le demandeur a produit la lettre suivante du traducteur :

[traduction]

Je soussigné, SAMUEL FANOUS, suis intervenu dans le dossier de Magdi Yousef, et je reconnais avoir donné des renseignements erronés à son sujet.

 

Je le regrette sincèrement et lui présente mes excuses. En raison de la fatigue et du stress, j’ai beaucoup de mal à réfléchir.

 

J’espère que vous lui donnerez une seconde chance. Merci beaucoup pour votre bienveillance.

 

[Extrait du texte original]

 

[11]           Le demandeur dit aujourd’hui que la lettre susmentionnée constituait une preuve nouvelle, mais son avocate a fait remonter le problème de traduction à l’audience tenue devant la Commission. La communication écrite du demandeur à l’agente d’ERAR expliquait ainsi l’importance de cette preuve :

[traduction]

Certaines des divergences relevées par la SPR s’expliquent par le fait que le Formulaire de renseignements personnels de M. Yousef n’a pas été préparé avec soin et attention. Samuel Fanous, un interprète qui travaillait pour Rodney Woolf, avocat, a préparé le FRP de M. Yousef et devait comparaître comme témoin pour M. Yousef lors de l’audience du statut de réfugié. M. Woolf n’a pas rencontré M. Yousef pour la préparation du FRP et il n’a donc eu aucun échange avec lui sur les renseignements omis ou inexacts. M. Fanous reconnaît, dans la lettre ci‑jointe, qu’il était fatigué, stressé et épuisé à l’époque où il représentait M. Yousef, et c’est pourquoi il n’a pas bien consigné l’information et a commis des erreurs qui plus tard ont causé de graves difficultés à M. Yousef lors de l’audience le concernant. M. Yousef a dit à son avocate actuelle que M. Fanous s’endormait lorsqu’il préparait son FRP, et M. Yousef devait sans cesse rediriger son attention sur la préparation du document.

 

Après examen attentif du dossier, l’avocate actuelle de M. Yousef a découvert que Sam Fanous n’avait pas même signé la déclaration d’interprétation lorsqu’il avait rédigé le FRP de M. Yousef, et qu’il avait dû être appelé dans la salle durant l’audience pour signer la déclaration. Il l’a signée en toute hâte, sans même la lire, parce que l’audience avait déjà commencé. Cela montre le peu d’attention et de soin qui a été apporté au cas durant ces préparatifs.

 

M. Fanous n’a finalement pas comparu comme témoin à l’audience de la SPR. Son manque d’attention et de soin dans cette affaire a plutôt entraîné la confusion dans l’esprit du commissaire, et il explique largement les lacunes du récit de M. Yousef, lacunes qui ont conduit à la conclusion selon laquelle il n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Cependant, il a au moins le courage maintenant de se manifester et d’admettre dans sa lettre son erreur.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[12]           Une autre preuve « nouvelle » invoquée par le demandeur au soutien de sa demande d’ERAR était une lettre non datée reçue de son épouse, où elle déclarait que la police secrète égyptienne s’était rendue dans la famille pour le chercher. Cette lettre ne disait pas à quel moment la police s’était présentée, mais, d’après le contexte, certaines visites, sinon la totalité, avaient eu lieu avant l’audience de la Commission.

 

[13]           Le demandeur a aussi produit la lettre d’un prêtre où est décrite de manière très générale la condition des chrétiens en Égypte. La lettre contenait les observations suivantes :

[traduction]

Je voudrais dire que le climat d’hostilité religieuse est tel que les chrétiens voient sans cesse leurs maisons et leurs commerces incendiés et sont souvent emprisonnés. Tout cela sans raison. L’un d’eux est le fils béni Magdi Yousef, qui a souffert aux mains du S.S.I. et des groupes islamistes.

 

[Signé] Le prêtre Shenooda Sadk, 5 mars 2005

 

[Extrait du texte original]

 

 

[14]           Enfin, le demandeur a remis à l’agente d’ERAR de nombreux documents où sont exposés les problèmes que connaissent les chrétiens en Égypte.

 

La décision issue de l’ERAR

[15]           La décision d’ERAR contient un examen minutieux de la preuve dont a tenu compte la Commission pour rejeter la demande d’asile du demandeur. Elle contient aussi un résumé détaillé des nouveaux documents produits au nom du demandeur et les paragraphes suivants portent sur chacun d’entre eux :

[traduction]

·               Le rapport du 9 mars 2005 rédigé par le révérend Majed El Shafie, président et fondateur de « One Free World International, El Shafie Ministries ». Ce rapport relate les antécédents personnels de l’auteur, dont les tortures que lui ont fait subir les autorités égyptiennes après sa conversion au christianisme, et son activisme chrétien par la suite en Égypte. L’auteur y déclare que « [a]près avoir examiné les antécédents de M. Yousef et les documents qu’il a produits, et après l’avoir interrogé très intensivement durant deux heures, je suis d’avis que le compte rendu qu’il fait des événements est à la fois crédible et vraisemblable ». J’ai lu attentivement ce rapport, mais je lui accorde peu de poids pour plusieurs raisons, la première étant qu’il ne s’agit pas d’une preuve nouvelle. Il est postérieur à la décision de la SPR, mais il ne contient pas de renseignements nouveaux, et l’avocate n’explique pas pourquoi ce document (ou quelque chose de semblable) ne pouvait pas être présenté à la SPR (même si le demandeur a changé d’avocat). L’objet de l’ERAR est d’apprécier les preuves nouvelles ou les risques nouveaux qui ont surgi depuis la décision de la SPR; il ne s’agit pas de réfuter la décision de la SPR ou d’exprimer un désaccord avec les observations de la SPR sur tel ou tel paragraphe de la décision. Le demandeur a eu la possibilité de solliciter l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR, et il ne l’a pas fait.

 

Malgré cela, j’ai étudié le rapport et je suis d’avis qu’il est d’une valeur probante faible parce qu’il est fondé entièrement sur ce que le demandeur a rapporté à l’auteur du rapport, qui n’a pas une connaissance directe des antécédents du demandeur. S’agissant de la condition des chrétiens en Égypte, j’accorde davantage de poids aux sources spécialisées citées dans la section 9 du présent examen, parce qu’elles sont plus largement établies et qu’elles ne sont pas entachées de préjugés.

 

·               La lettre du 12 mars 2005 adressée à l’avocate par un psychiatre qui a vu le demandeur le 11 mars 2005 et examiné son FRP. Le médecin y rappelle le récit du demandeur tel qu’il apparaît dans son FRP et ajoute que le demandeur « avait de la difficulté à exposer les faits » et qu’il s’est mis à divaguer et qu’il ne pouvait se rappeler les dates et autres détails. Il relève que le demandeur a eu du mal à trouver un emploi et que son médecin de famille lui a prescrit un antidépresseur. Il fait observer que la mémoire du demandeur a été jugée très atteinte à la suite de tests et que son niveau de concentration était très faible, mais qu’il s’orientait en fonction des endroits et des personnes. Le psychiatre écrit : « En conclusion, je suis d’avis que M. Yousef a énormément souffert de la persécution et de la torture, au point qu’il est probablement atteint d’un syndrome cérébral organique, outre des troubles dépressifs modérément graves et un état de stress post‑traumatique. » Le médecin exprime l’avis que, si le demandeur est renvoyé en Égypte, « sa santé et son bien‑être en seront gravement affectés. S’il reste au Canada, il aura besoin d’un suivi psychiatrique beaucoup plus régulier ainsi que d’une rééducation post‑traumatique ». J’ai lu ce rapport, mais, comme je l’ai dit plus haut, il ne s’agit pas d’une preuve nouvelle. Encore une fois, comme il est indiqué plus haut, la connaissance que l’auteur du rapport a de la situation du demandeur vient du demandeur lui‑même et, même si je ne conteste pas les conclusions médicales, je ne crois pas que le médecin soit un spécialiste des conditions qui ont cours en Égypte. Je prends note néanmoins des conclusions médicales qualifiant l’état du demandeur. L’ERAR a pour objet l’examen des risques dont il est question dans les articles 96 et 97 de la LIPR. Comme il est indiqué dans le sous‑alinéa 97(1)b)(iv), le risque ne doit pas être causé par l’incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Le demandeur n’a pas produit une preuve suffisante montrant que, bien que des soins médicaux existent en Égypte pour traiter son état, il lui est impossible à lui spécifiquement de les recevoir pour quelque raison que ce soit.

 

·               La note manuscrite du 10 mars 2005 de l’interprète Samuel Fanous : « je suis intervenu dans le dossier de Magdi Yousef, et je reconnais avoir donné des renseignements erronés à son sujet ». On peut lire ensuite dans la note que l’auteur regrette ses failles, explicables par son état de stress et d’épuisement. Il déclare qu’il espère que le demandeur se verra accorder une seconde chance.

 

L’avocat écrit dans la lettre de demande d’ERAR que « [c]ertaines des divergences relevées par la SPR s’expliquent par le fait que le Formulaire de renseignements personnels de M. Yousef n’a pas été préparé avec soin et attention » et que l’interprète était stressé et épuisé lorsqu’il travaillait avec le demandeur et par conséquent « n’avait pas bien consigné l’information et avait commis des erreurs qui plus tard ont causé de graves difficultés au demandeur lors de l’audience ». J’ai examiné cette preuve, mais je suis d’avis qu’elle ne permet pas de dissiper les nombreux doutes de la SPR à propos de la crédibilité du demandeur. Par ailleurs, l’avocate ne dit pas que le récit fondamental du demandeur est maintenant différent parce que l’interprète a admis s’être fourvoyé, de telle sorte que, selon moi, même si cela peut expliquer une certaine confusion et quelques‑unes des nombreuses divergences relevées par la SPR, cela ne dissipe pas les doutes quant à la crédibilité du demandeur ni ne fait apparaître un risque nouveau.

 

·               La lettre non datée de l’épouse du demandeur (lettre qui a été traduite) indiquant que la police secrète est encore à sa recherche et qu’elle menace de prendre leur fils si elle ne parvient pas à trouver le demandeur d’ici à la fin de juin. Je n’accorde aucun poids à cette lettre parce qu’elle ne provient pas d’une source indépendante qui n’a aucun intérêt dans l’issue de l’examen. Elle est d’ailleurs contredite par le fait que le demandeur a quitté l’Égypte avec un passeport valide et un visa pour le Canada et qu’un timbre de sortie a été apposé sur son passeport. Je suis d’avis qu’une personne recherchée par les autorités égyptiennes n’aurait pas été capable de quitter le pays de cette manière.

 

·               La note du 5 mars 2005 rédigée par « Le prêtre Shenooda Sadk », affirmant que les chrétiens souffrent et que le demandeur « a souffert entre les mains du S.S.I. et des groupes islamistes ». Je n’accorde aucun poids à cette brève note, car la relation entre l’auteur et le demandeur n’est pas expliquée et qu’elle est invérifiable. Je n’ai pas d’autres détails sur l’auteur (par exemple où vit‑il? Au Canada ou en Égypte?) et la note ne contient pas de détails suffisants pour avoir une réelle valeur probante.

 

·               De nombreux articles de presse parus sur l’Internet et concernant les limites à la liberté religieuse en Égypte. J’ai lu et examiné ces articles dans le cadre d’un examen des conditions ayant cours dans le pays, mais j’accorde davantage de poids aux sources que j’ai citées, notamment le rapport du Département d’État sur le pays ou le rapport sur la liberté religieuse au niveau international (tous deux fournis également par le demandeur), parce que ce sont des sources impartiales qui donnent un portrait exhaustif et global des conditions qui ont cours dans le pays.

 

·               La thèse rédigée en 1996 à la Regent University, en Virginie, par Baheg Bistawros, intitulée The Coptic Christians of Egypt Today:  Under threat of Annihilation. L’avocate écrit que ce document est une thèse qui, bien que publiée en 1996, n’a été accessible sur l’Internet qu’en avril 2005, et que c’est la raison pour laquelle elle n’a pas été présentée à la SPR. J’accepte ce document comme preuve nouvelle, étant donné l’explication donnée par l’avocate, mais je lui accorde peu de poids, sauf pour ce qui concerne l’opinion de l’auteur sur la perspective historique de la condition des chrétiens coptes. Je trouve l’information trop ancienne pour être d’une réelle valeur probante, même si j’ai lu et considéré le document dans le contexte d’un examen des conditions du pays. Comme je l’ai dit plus haut, je préfère les sources actuelles et générales citées dans la section 9 du présent examen.

 

[Extrait du texte original]

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[16]           Après examen de tous les rapports décrivant la situation du pays, l’agente d’ERAR a estimé certains d’entre eux plus convaincants que d’autres. Cependant, dans sa décision, elle précise qu’elle a considéré favorablement certains des documents produits au nom du demandeur. Les conclusions à laquelle elle est arrivée, après examen de toute la preuve qu’elle avait devant elle, étaient les suivantes :

[traduction]

Après une lecture attentive de la preuve documentaire généralement accessible de sources fiables, il m’apparaît clair que le gouvernement égyptien voit avec suspicion les groupes fondamentalistes musulmans. Le demandeur n’a pas prouvé suffisamment que l’État demeurerait inerte devant les agressions manifestes commises sur ses ressortissants par des fondamentalistes musulmans. La preuve documentaire ne dit pas que l’État lui‑même persécute ou élimine sa population chrétienne copte ou tente de la convertir.

 

Je ne crois pas qu’il est probable que le demandeur serait exposé à un risque pour l’un quelconque des motifs prévus par la Convention. Je ne crois pas qu’il est probable qu’il serait soumis à la torture ou à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Égypte. Je reconnais qu’il y a en Égypte des cas de torture et de traitements cruels et inusités, mais la preuve selon laquelle le demandeur serait expressément la cible de tortures ou de mauvais traitements ne permet pas d’affirmer que c’est probablement ce qui arrivera.

 

 

Points litigieux

1.       L’agente d’ERAR a‑t‑elle commis une erreur dans sa manière de soupeser la preuve?

 

2.       L’agente d’ERAR a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité parce qu’elle n’a pas cherché à clarifier la preuve ou parce qu’elle n’a pas convoqué une audience?

 

Analyse

Norme de contrôle

[17]           Dans la décision Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1560, 2005 CF 1284, Madame la juge Eleanor Dawson a examiné la jurisprudence portant sur la norme de contrôle applicable aux décisions des agents d’ERAR. Je suis d’avis que ses observations qui figurent au paragraphe 23 de cette décision sont correctes et je les suis en l’espèce :

23.     En ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux décisions des agents d’ERAR, dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 540 (1re inst.), au paragraphe 19, le juge Mosley, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle, a conclu que « la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte ». Le juge Mosley a aussi souscrit à l’observation du juge Martineau dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 458 (1re inst.), au paragraphe 51 : lorsque la décision d’un agent d’ERAR est examinée « globalement et dans son ensemble », la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Cette jurisprudence a été suivie par la juge Layden‑Stevenson dans la décision Nadarajah c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 895 (1re inst.), au paragraphe 13. Pour les motifs exposés par mes collègues, je reconnais que telle est la formulation correcte de la norme de contrôle applicable.

 

 

[18]           En ce qui concerne les arguments de nature procédurale du demandeur, selon lequel l’agente d’ERAR avait l’obligation de se renseigner davantage pour clarifier la preuve et l’obligation de tenir une audience, il n’est pas nécessaire de déterminer la norme de contrôle. Pour résoudre les questions d’équité comme celle‑ci, il faut uniquement se demander s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité : voir l’arrêt Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195, [2004] A.C.F. no 174, 2004 CAF 49 (C.A.F.).

 

[19]           Il n’est pas inutile de rappeler ici que les conclusions factuelles tirées par l’agente d’ERAR, y compris celles qui concernent le poids à accorder à la preuve qu’elle avait devant elle, réclament une retenue judiciaire considérable. Ce point a été précisé par le juge Edmond Blanchard dans la décision Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1134, 2004 CF 872, au paragraphe 16 :

16.     Les agents chargés de procéder aux examens des risques avant renvoi ont des connaissances spécialisées en matière d’évaluation des risques. Leurs conclusions sont en général dictées par les faits et, à mon avis, elles justifient de la part d’une juridiction de contrôle une retenue considérable.

 

 

Dans la décision Augusto c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 850, 2005 CF 673, la juge Carolyn Layden‑Stevenson a fait la même observation, au paragraphe 9 :

À mon avis, cet argument vise essentiellement le poids que l’agente a accordé à la preuve. À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire. En l’espèce, les motifs révèlent que l’agente d’ERAR a tenu compte de la preuve présentée par Mme Augusto, mais n’y a pas attribué beaucoup de poids. Il n’était nullement déraisonnable pour l’agente d’agir ainsi.

 

 

 

Rôle de l’agente d’ERAR

[20]           Certains des arguments se rapportant à la preuve qui ont été avancés ici au nom du demandeur semblent montrer une incompréhension du rôle de l’agente d’ERAR. Il n’appartient pas à l’agente d’ERAR de réexaminer la preuve évaluée par la Commission, et il ne lui appartient pas non plus de revenir sur les conclusions de la Commission portant sur les faits ou sur la crédibilité du demandeur. Ce n’est pas non plus le rôle de l’agente d’ERAR d’apprécier la preuve qui aurait pu être présentée à la Commission, mais qui ne l’a pas été. Le rôle de l’agente d’ERAR, défini par l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), consiste à n’examiner « que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés ». En l’espèce, l’agente d’ERAR a défini clairement et correctement son rôle, d’une manière conforme aux limites précisées dans l’article 113.

 

[21]           Dans la décision Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 27, 2004 CF 32, le juge Michael Kelen confirmait très succinctement le rôle limité d’un agent d’ERAR, au paragraphe 11 :

[…] Pour ce motif, l’agent n’aurait pas dû tenir compte de ces lettres. La procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience de statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience [de la CISR] et la date du renvoi.

 

 

J’ajouterais aussi aux observations du juge Kelen qu’il n’appartient pas à un agent d’ERAR de jouer le rôle d’une cour d’appel et d’infirmer une décision antérieure en matière d’asile.

 

[22]           Malgré la jurisprudence mentionnée plus haut, le demandeur dit qu’il était loisible à l’agente d’ERAR de revenir sur les conclusions de la Commission en matière de crédibilité, et que c’est ce qu’elle aurait dû faire au vu de la preuve documentaire produite.

 

[23]           L’argument du demandeur sur ce point est difficile à suivre. Il a fait valoir que ces documents « nouveaux » n’avaient pas pour but de rétablir sa crédibilité, mais uniquement de réfuter les conclusions de la Commission [traduction] « touchant la vraisemblance du récit du demandeur lorsque ce récit est placé dans le contexte culturel et politique pertinent ». Il me semble que, quelle que soit la manière de qualifier cette preuve, on arrive au même résultat – elle a été présentée à l’agente d’ERAR dans le dessein d’ébranler les conclusions défavorables tirées par la Commission sur la crédibilité du demandeur. L’agente d’ERAR a correctement perçu cette démarche et, à juste titre, elle a essentiellement rejeté cette preuve ou n’en a pas tenu compte, la jugeant hors de propos vu le caractère restreint de ses attributions.

 

[24]           Le demandeur prétend que, parce que le rapport psychiatrique a été rédigé après l’audition de la demande d’asile, il répond à la définition de « preuve nouvelle ». L’agente d’ERAR n’a pas vu cela, et elle aurait donc commis une erreur. Cet argument n’a aucune valeur. Il n’y a dans le rapport psychiatrique rien qui soit « nouveau », c’est‑à‑dire qui soit apparu après l’audience tenue par la Commission. Seule la date de la lettre est nouvelle, mais son contenu ne l’est pas. Dans ses conclusions écrites, le demandeur souligne d’ailleurs à juste titre que l’opinion du psychiatre évoquait simplement la continuation d’un état médical qui avait persisté depuis que le demandeur avait quitté l’Égypte. Dans son affidavit, le demandeur admet aussi qu’il vivait dans un état constant de stress psychologique avant de quitter l’Égypte. C’était donc là une preuve qu’il était facile d’obtenir à l’époque de l’audience de la Commission, et la Commission a pris note de l’absence de cette preuve à ce moment‑là. L’agente d’ERAR a donc eu raison de qualifier cette lettre comme elle l’a fait.

 

[25]           Le demandeur conteste aussi les raisons pour lesquelles l’agente d’ERAR a repoussé la lettre de son épouse, et en particulier l’observation de l’agente selon laquelle la lettre ne provenait pas d’une source impartiale. Si cela avait été la seule raison qu’avait l’agente de rejeter la lettre, il y aurait peut‑être lieu de s’interroger. Ici cependant, l’agente d’ERAR a fait observer que la lettre n’était pas datée (et donc n’avait aucune signification chronologique) et que son contenu démentait la facilité avec laquelle le demandeur avait pu quitter l’Égypte. C’était là une conclusion portant sur la vraisemblance, une conclusion que l’agente d’ERAR pouvait raisonnablement tirer. La jurisprudence invoquée par le demandeur sur ce point peut être distinguée parce qu’elle portait uniquement sur le rejet injustifié de preuves simplement au motif que ces preuves provenaient d’une source familiale. Ici, l’agente d’ERAR avait d’autres raisons de rejeter la lettre, et il était tout à fait en son pouvoir de le faire.

 

[26]           Le demandeur fait valoir que l’opinion défavorable de l’agente d’ERAR quant à la lettre du Père Sadk ne concordait pas avec son appréciation de celle de son épouse. Cette critique n’est pas valable parce que c’est pour des raisons totalement différentes qu’aucune valeur probante n’a été accordée à la première lettre. L’agente d’ERAR a accordé peu de poids à la lettre du Père Sadk parce que l’auteur ne donnait aucune indication sur la source de sa supposée connaissance ni sur sa relation avec le demandeur. C’était la manière tout à fait indiquée de considérer un document qui n’avait pour ainsi dire aucune valeur probante en raison de son manque de détails et de contenu.

 

[27]           Le demandeur prétend aussi que l’agente d’ERAR aurait dû accorder un poids considérable au rapport rédigé par le révérend El Shafie car il s’agissait d’une opinion d’expert sur la condition des chrétiens en Égypte. Il fait aussi valoir que cette lettre dépeignait le contexte culturel et social de l’Égypte, ce qui était une preuve « nouvelle » que la Commission n’avait pas eue devant elle lorsqu’elle était arrivée à la conclusion que le récit du demandeur n’était pas vraisemblable. Cet argument n’est pas recevable non plus. Le rapport du révérend El Shafie ne contient rien qui puisse réellement être qualifié de preuve nouvelle. Il me semble plutôt qu’il s’agit clairement du genre de preuve dont il était question dans la décision Selliah, précitée, où le juge Blanchard a fait les observations suivantes, aux paragraphes 38 et 39 :

[38]  L’information dont la date est effectivement postérieure aux conclusions ERAR des demandeurs se compose principalement d’articles qui traitent des difficultés rencontrées dans le lancement du processus de paix, et des activités de réinstallation à Jaffna, et, bien que cette information soit nouvelle, elle n’est pas importante, ni sensiblement différente de l’information contenue dans les conclusions ERAR des demandeurs en date du 5 septembre 2002. Les nouveaux entrefilets, par exemple « Les rebelles continuent de détenir sept soldats au Sri Lanka » (Deutsche Presse‑Agentur, le 30 septembre 2002), « Amnesty International appelle le gouvernement sri‑lankais à mettre fin à la torture » (Associated Press, le 2 novembre 2002) et « Des réfugiés réinstallés condamnent la colonisation prévue d’un village tamoul » (Tamilnet, le 13 décembre 2002), font simplement écho à des articles produits antérieurement par les demandeurs, ainsi qu’à des problèmes que l’agente elle‑même avait reconnus et indiqués dans ses motifs. Les nouveaux documents ne sont donc pas à mon avis la preuve que la situation générale du pays a connu des changements importants qui, s’ils avaient été pris en compte, auraient pu conduire à une décision autre. Comme je l’ai dit plus haut, l’agente a tenu compte d’informations de même nature avant de rédiger ses motifs, et elle fait état dans ses motifs des écueils du processus de paix au Sri Lanka. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau cette preuve.

 

[39]  Je suis donc d’avis que l’information déposée par les demandeurs le 20 janvier 2003 ne constitue pas, pour l’essentiel, une preuve nouvelle, et que l’information qui est nouvelle n’est pas d’une importance telle qu’elle aurait pu entraîner une décision différente.

 

 

L’agente d’ERAR a eu raison de dire que la lettre du révérend El Shafie ne renfermait aucune donnée essentielle dont on n’avait pas eu connaissance à l’époque de l’audience de la Commission. Dans la mesure où cette lettre visait à ébranler la décision de la Commission, elle échappait tout à fait aux attributions de l’agente d’ERAR et elle n’était donc pas pertinente.

 

[28]           Les observations ci‑dessus du juge Blanchard, dans la décision Selliah, valent tout autant pour les rapports sur le pays qui ont été produits par le demandeur à l’agente d’ERAR. Vu ses attributions, elle pouvait écarter ces documents et privilégier d’autres documents qui selon elle étaient plus convaincants. D’ailleurs, ses conclusions relatives à la situation qui a cours en Égypte, et à la condition des chrétiens en général dans ce pays, sont confirmées par la preuve documentaire et elles étaient donc raisonnables. Il convient aussi de noter que certaines des preuves sur lesquelles s’est fondée l’agente avaient été produites par le demandeur.

 

[29]           Enfin, la critique du demandeur quant à la manière dont l’agente d’ERAR a considéré la thèse universitaire de 1996 est elle aussi infondée. Il était loisible à l’agente d’ERAR d’accorder « peu de poids » à cette preuve puisque l’information qu’elle renfermait était périmée. Il importe de rappeler que ce genre d’information ne constitue pas une preuve nouvelle du seul fait qu’elle porte une date postérieure à l’audience tenue par la Commission. L’agente d’ERAR s’est, à juste titre, demandée si le document contenait une information nouvelle et pertinente qui n’était pas généralement accessible au jour de l’audience tenue par la Commission. Si un tel document se limite à résumer d’autres preuves antérieures aisément accessibles, il n’a en général qu’une valeur restreinte aux fins de l’examen ultérieur des risques avant renvoi.

 

[30]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis que les critiques formulées par le demandeur quant à la manière dont l’agente d’ERAR a considéré la preuve documentaire ne sont pas justifiées.

 

Obligation d’équité

[31]           Le second argument du demandeur concerne l’obligation d’équité. Le demandeur voudrait imposer à l’agente d’ERAR l’obligation de [traduction] « préciser les points qui n’étaient pas clairs avant qu’elle rende sa décision ». Cet argument se fonde sur la manière dont l’agente d’ERAR a considéré la lettre du traducteur. Le demandeur déclare que cette preuve était suffisamment troublante pour inciter l’agente d’ERAR à obtenir des précisions sur ce qui s’était passé devant la Commission à propos de la pièce traduite.

 

[32]           L’agente d’ERAR a bien considéré cette preuve et a estimé qu’elle [traduction] « ne permet pas de dissiper les nombreux doutes de la SPR quant à la crédibilité du demandeur ». Le fait que l’agente ait bien voulu se pencher sur la lettre du traducteur était un acte de bienveillance envers le demandeur parce que manifestement il ne s’agissait pas là d’une preuve nouvelle. Le demandeur avait connaissance des difficultés de traduction qui étaient apparues avant et durant l’audience tenue par la Commission, mais il a décidé alors de ne rien faire. La lettre qui a par la suite été obtenue du traducteur ne dit absolument rien sur l’importance des points qui auraient été mal traduits. Autant que l’on puisse en juger, il s’agissait de points mineurs d’interprétation qui n’auraient eu absolument aucune incidence sur l’issue de l’audience de la Commission. Par ailleurs, si les difficultés de traduction auxquelles faisait vaguement allusion la lettre du traducteur étaient d’une réelle importance, alors on peut imaginer qu’elles auraient été clairement précisées dans un affidavit à l’appui. Le demandeur n’a donné aucune précision sur cet aspect, et l’agente d’ERAR était donc autorisée à en tirer la conclusion parfaitement raisonnable que les difficultés de traduction qui étaient évoquées étaient insignifiantes ou sans conséquence.

 

[33]           Je rejette aussi l’argument selon lequel l’agente d’ERAR avait l’obligation de rechercher des preuves supplémentaires en raison de cette vague allusion à des difficultés de traduction. C’est au demandeur qu’il incombait, tout au long de l’instance, de produire les preuves requises pour appuyer sa demande d’ERAR, et l’agente n’avait nulle obligation d’agir en ce sens. Cette question a été tranchée d’une manière concluante par le juge Blanchard dans la décision Selliah, précitée, où l’on peut lire les observations suivantes :

20     Les demandeurs affirment qu’il était important d’éclaircir ces points pour que la décision ne soit pas fondée sur une analyse erronée des faits. Selon eux, un tel éclaircissement s’imposait puisque l’agente affirmait dans ses motifs que « ... même si je devais tenir compte de tous les éléments de preuve qui ont été acceptés, cela ne suffirait pas à faire droit à la demande de protection, ... »

 

21     Le point de savoir si un agent des visas est tenu de faire d’autres investigations lorsqu’une demande est ambiguë a été examiné dans l’affaire Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 316 (C.F. 1re inst.). Au paragraphe 4 de ses motifs le juge Rothstein écrivait :

 

Un agent des visas peut pousser ses investigations plus loin s’il le juge nécessaire. Il est évident qu’il ne peut délibérément ignorer des facteurs dans l’instruction d’une demande, et il doit l’instruire de bonne foi. Cependant, il ne lui incombe nullement de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C’est au demandeur qu’il incombe de déposer une demande claire avec à l’appui les pièces qu’il juge indiquées. Cette charge de la preuve ne se transfère pas à l’agent des visas, et le demandeur n’a aucun droit à l’entrevue pour cause de demande ambiguë ou d’insuffisance des pièces à l’appui.

 

22     Je souscris aux motifs susmentionnés exposés par le juge Rothstein dans l’affaire Lam. Dans l’affaire dont je suis saisi, il appartenait aux demandeurs de prouver le bien‑fondé de leurs affirmations et de produire les preuves nécessaires à cette fin. Les preuves produites étaient ambiguës et parfois contradictoires. Rien ne permet d’affirmer que l’agente a délibérément ignoré certains faits, et je suis d’avis qu’elle a agi de bonne foi. Elle n’était nullement tenue de chercher des preuves complémentaires ou de faire d’autres investigations. Elle devait étudier le dossier et rendre une décision d’après les preuves qu’elle avait devant elle. À mon avis, il ne lui incombait pas d’éclaircir davantage la preuve. (Voir aussi l’affaire Ly c. Canada [2000] A.C.F. no 1965, en ligne : QL; et l’affaire Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 159 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.)).

 

 

[34]           Le dernier argument du demandeur au chapitre de l’obligation d’équité se fonde sur le fait que l’agente d’ERAR n’a pas tenu d’audience avant de rendre sa décision.

 

[35]           Les motifs qu’un agent d’ERAR doit prendre en compte pour décider s’il convient ou non de tenir une audience sont exposés dans l’article 167 de la LIPR, ainsi formulé :

167.     (1) L’intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

 

167.     (1) Both a person who is the subject of Board proceedings and the Minister may, at their own expense, be represented by a barrister or solicitor or other counsel.

 

            (2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix‑huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

 

            (2) If a person who is the subject of proceedings is under 18 years of age or unable, in the opinion of the applicable Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate a person to represent the person.

 

[36]           Le demandeur se fonde sur la décision Tekie c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 39, 2005 CF 27, où le juge Michael Phelan a statué que, lorsque la crédibilité d’un demandeur d’asile est en cause et que la crédibilité est susceptible d’avoir une incidence sur l’issue de la demande d’ERAR, une audience doit alors être tenue. Je souscris à ce principe, mais il n’a aucune application en l’espèce : la décision de l’agente d’ERAR était motivée par l’insuffisance de la preuve produite par le demandeur à l’appui de sa prétention selon laquelle il serait exposé à des risques nouveaux ou accrus s’il devait retourner en Égypte.

 

[37]           L’agente d’ERAR s’est référée aux conclusions de la Commission sur la crédibilité du demandeur, mais elle ne prétendait pas adopter lesdites conclusions lorsqu’elle a apprécié la preuve très restreinte qui lui avait été produite pour lui permettre d’examiner le risque actuel auquel était exposé le demandeur en cas de retour en Égypte. Vu les circonstances de la présente affaire, je fais miennes les observations suivantes du juge Blanchard dans la décision Selliah, précitée, au paragraphe 27 :

27     Après examen des facteurs énumérés dans l’article 167 du Règlement, je suis d’avis que les circonstances qui eussent justifié la tenue d’une audience n’étaient pas présentes dans le cas qui nous occupe. La crédibilité des demandeurs n’a pas été l’aspect déterminant de la décision de l’agente, l’agente ayant plutôt estimé que les risques auxquels étaient censément exposés les demandeurs n’avaient pas été établis au vu de la preuve objective, par exemple les avancées du processus de paix et l’existence, pour les demandeurs, d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). L’agente a bien précisé que, eût‑elle accepté l’ensemble des preuves produites par les demandeurs, ces preuves n’auraient pas suffi à justifier une conclusion favorable de sa part. Puisque le point essentiel était la pertinence de la preuve, et puisqu’aucune question sérieuse de crédibilité n’était soulevée, l’agente n’avait aucune obligation de tenir une audience : Kim c. Canada (MCI), [2003] A.C.F. no 452, en ligne : QL.

 

[38]           En conclusion, je ne vois dans la décision de l’agente d’ERAR, ou dans la procédure qu’elle a suivie, aucun élément pouvant justifier l’annulation de sa décision; par conséquent, la demande est rejetée.

 

[39]           J’accorderai aux deux parties l’occasion de proposer une question à certifier, dans les sept (7) jours de la présente décision, avec droit de réponse dans les trois (3) jours qui suivront.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR : rejette la demande.

 

LA COUR DÉCLARE AUSSI que les deux parties auront la possibilité de proposer une question à certifier, dans les sept (7) jours du présent jugement, avec droit de réponse dans les trois (3) jours qui suivront.

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5608‑05

 

INTITULÉ :                                       MAGDI YOUSEF

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le vendredi 1er juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 juillet 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melissa Melvin                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Janet Chisholm                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green & Spiegel

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

 

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