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Date : 20060626

Dossier : IMM-3245-06

Référence : 2006 CF 813

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

ALEJANDRO GIGENA PEREZ, MARIA FABIANA SCHMIEDT,

CRISTABEL GIGENA, NATANIEL GIGENA, JEZABEL GIGENA

et EZEQUIEL GIGENA, mineurs représentés

par leur tuteur à l'instance, Alejandro Gigena Perez

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]               La famille Gigena, qui est composée du père, Alejandro, de la mère, Maria, et de leur quatre enfants, âgés respectivement de 15, 12, 8 et 6 ans, sont tous des citoyens de l'Argentine. Ils demandent que l'exécution de la mesure d'expulsion prévue pour le 1er juillet 2006 soit suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d'ordre humanitaire (la demande CH).

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sous-jacente porte sur la décision en date du 7 juin 2006 par laquelle l'agente d'exécution Tanya Andrews (l'agente d'exécution) a refusé la requête en date du 2 juin 2006 par laquelle les demandeurs la priaient de reporter leur expulsion jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur demande CH.

 

[3]        La demande CH a été préparée par des consultants en immigration de Toronto et a été envoyée par la poste le 15 août 2005 à Citoyenneté et Immigration Canada, à Vegreville, en Alberta, (CIC) avec pièces à l'appui. L'article 25 de la Loi sur l'immigration et le statut de réfugié (la Loi), que je reproduis ici, prévoit la possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

 

Critères provinciaux

 

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

Provincial criteria

 

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.

 

[4]        Le 25 janvier 2006, CIC a retourné aux consultants en immigration tout le dossier de la demande CH de la famille Gigena en leur précisant qu'il manquait une demande, celle de Maria Fabiana Schmiedt. Le dossier dûment rempli a été retourné à CIC vers le 3 février 2006.

 

Contexte

[5]    Les demandeurs sont entrés au Canada le 6 juillet 2002. Ils étaient déjà venus au Canada comme visiteurs, surtout parce que la soeur de Maria est une résidente permanente canadienne.

 

[6]    M. Perez a obtenu un permis de travail temporaire qui venait à expiration en juillet 2003. Sa demande de prorogation de ce permis a été refusée le 13 août 2003.

 

[7]        Les demandeurs ont présenté une demande d'asile le 12 septembre 2003 et ont reçu une décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés le 28 juillet 2004. Cette décision prononcée oralement a été suivie de motifs écrits, qui ont été déposés le 17 septembre 2004.

 

[8]        Les craintes qu'ils expriment et qui expliquent leur fuite vers le Canada ont trait à la présence de criminels dans la ville où ils vivaient en Argentine. Les criminels en question avaient pris la famille en question pour cible parce qu'ils voulaient leur extorquer de l'argent. Le père et la mère craignaient par ailleurs que leurs enfants se fassent enlever et que les kidnappeurs exigent une rançon en échange de leur remise en liberté.

 

[9]    La Section de la protection des réfugiés a essentiellement conclu ce qui suit :

a.     Défaut de lien avec l'un des cinq motifs énumérés dans la Convention;

b.    Les demandeurs n'avaient pas besoin de la protection prévue à l'article 97 de la Loi parce que la situation qu'ils décrivaient en Argentine était généralisée et ne permettait pas de conclure qu'ils étaient personnellement exposés à un risque;

c.     Les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l'État en Argentine.

    

[10]    Les demandeurs ont demandé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de protection des réfugiés, mais cette autorisation leur a été refusée par un des juges de notre Cour le 13 décembre 2004.

 

[11]      Les demandeurs ont donné suite à l'invitation qui leur avait été faite de présenter une demande d'examen des risques avant le renvoi (demande d'ERAR). Cette demande a été refusée le 13 mars 2006 au motif essentiellement que les demandeurs n'avaient pas soumis de nouveaux éléments de preuve à l'appui et qu'ils n'avaient pas signalé, à l'appui de leur demande, de nouveaux faits permettant de conclure qu'ils seraient exposés à un risque. Leur demande d'ERAR n'était pas accompagnée d'observations ou de preuves documentaires. L'agente d'ERAR a déclaré qu'on ne lui avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour qu'elle puisse en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR. Aucune demande d'autorisation et de contrôle judiciaire n'a été déposée relativement à cette demande.

 

Analyse

[12]      Ainsi que je l'ai signalé, les demandeurs ont, en juin 2006, présenté par l'intermédiaire de leur avocate une requête priant l'agente d'exécution de [traduction] « envisager la possibilité de différer l'expulsion jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande présentée par la famille Gigena sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire ». L'avocate a ajouté : [traduction] « Il semble exister de solides raisons de reporter à plus tard leur expulsion ». L'avocate a formulé des observations détaillées à l'appui de la requête en report de l'expulsion des demandeurs. Ainsi que je l'ai déjà signalé, l'agente d'exécution a refusé le 7 juin 2006 de différer l'exécution de cette mesure.

 

[13]      L'agente d'exécution a consigné au dossier des notes détaillées au sujet de la demande de report (dossier du demandeur, aux pages 140 à 143).

 

[14]      L'agente d'exécution a expliqué qu'on lui avait demandé d'examiner des questions ayant trait à des circonstances d'ordre humanitaire, y compris les suivantes :

- La crainte des membres de la famille à l'idée de retourner en Argentine;

- Le bien-être des enfants;

- L'établissement de la famille au Canada et notamment les incidences du renvoi du Canada des membres de cette famille sur les compagnons de travail de M. Gigena et sur les entrepreneurs  […]               

 

 

[15]    Il importe de situer la demande de contrôle judiciaire sous-jacente dans son contexte. Je signale les points suivants :

1.  Ainsi que Mme Jackman l'a elle-même reconnu dans la demande qu'elle a adressée le 2 juin à l'agente d'exécution, le pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé du renvoi est limité. Ainsi que le juge Nadon, qui était alors juge à la Section de première instance, l'a souligné dans le jugement Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 936, « le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée »;

 

2.  L'agent chargé du renvoi doit respecter le mandat légal que lui confère l'article 48, qui dispose :

 

L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent

 

3. Suivant les lignes directrices du ministre, seuls les demandeurs qui réussissent à démontrer qu'ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives peuvent bénéficier de cette mesure d'exception;

 

4. L'article 233 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit un sursis administratif lorsqu'une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été approuvée en principe;

 

5.  Normalement, la demande de visa de résident permanent doit être présentée à l'extérieur du Canada. L'exemption dont bénéficieraient les demandeurs leur permettrait de présenter leur demande au Canada.

 

 

[16]   Appliquant aux faits que je viens de relater le critère à trois volets applicable en matière d'octroi de sursis judiciaires, je suis d'avis que l'existence d'une question sérieuse n'a pas été démontrée, qu'aucun préjudice irréparable n'a été établi et, enfin, que la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre.

 

[17]      Il ressort des notes qu'elle a prises que l'agente d'exécution s'est rendue compte qu'elle avait peu de latitude en matière de report d'une mesure de renvoi. Elle écrit ce qui suit : [traduction] « Elle le ferait s'il existait un obstacle au renvoi telle qu'une incapacité physique empêchant l'un des requérants de voyager ou si un moratoire frappait le renvoi des intéressés dans leur pays d'origine. Elle le ferait si, dans un avenir rapproché, une décision était rendue sur une demande CH ». Elle a conclu qu'aucun de ces facteurs ne jouait dans l'affaire dans elle était saisie.

 

[18]      En particulier, l'agente d'exécution a effectivement examiné les facteurs dont l'avocate des demandeurs l'invitait à tenir compte, à savoir l'état de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en instance, les risques auxquels les demandeurs seraient exposés s'ils retournaient en Argentine, l'intérêt supérieur des enfants et leur établissement au Canada.

 

[19]      L'avocate des demandeurs a avancé plusieurs arguments pour démontrer qu'il existait plusieurs questions sérieuses à juger :

1. Défaut de l'agente d'exécution de tenir compte du fait que la demande CH avait été présentée de nouveau et qu'il n'était pas nécessaire de renvoyer tout le dossier;          

 

2.  Défaut de l'agente d'exécution de se rendre compte qu'elle n'était pas tenue d'examiner la demande CH mais qu'il lui suffisait d'examiner les moyens sur lesquels reposait la demande CH;

 

3.  Mauvaise appréciation de la nature du risque auquel les demandeurs seraient exposés en Argentine;

 

4.  Application du mauvais critère pour apprécier une demande CH en instance présentée dans les délais prescrits;

 

5.  Défaut de tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants en conformité avec les conventions canadiennes et internationales.

 

[20]    À mon avis, ces arguments ne reposent sur aucun fondement probatoire. En réalité, l'agente d'exécution a bel et bien évalué les moyens tirés par les demandeurs de l'existence de circonstances d'ordre humanitaire et elle n'a commis aucune erreur dans son appréciation de ces éléments de preuve. Les consultants en immigration n'ont jamais dit à CIC qu'il ne fallait pas retourner tout le dossier. Ils se sont pliés à la demande de CIC. Qui plus est, suivant la preuve soumise à l'agente d'exécution, il fallait communiquer des renseignements complémentaires, ce qui a été fait.

 

[21]    Les difficultés signalées par l'avocate des demandeurs ne sont pas assez graves pour répondre à la définition du type de préjudice qui doit être démontré dans un contexte d'immigration. L'avocate des demandeurs voudrait que j'ignore ce contexte en appliquant à la notion de préjudice irréparable une norme différente. Je refuse d'accéder à sa demande et je refuse de certifier une question sur ce point. Les lignes directrices sont claires dans le cas des demandes CH : l'intéressé doit démontrer qu'il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[22]      Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de suspension de l'exécution soit rejetée.

 

 

« Francois Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       IMM-3245-06

 

INTITULÉ OF CAUSE :   

                                                           ALEJANDRO GIGENA PEREZ et al.

                                                           c.

                                                           MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

                                                           PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                CABINET DU JUGE – OTTAWA

 

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 21 JUIN 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 26 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Linda Chen

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Avocat

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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