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     T-1661-97

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

         HOLLANDSCHE AANNAMING MAATSCHAPPIJ,
         b.v., personne morale,

     demanderesse,

     - et -

         Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire
         " RYAN LEET ", et SECUNDA MARINE SERVICES LIMITED,
         personne morale,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     Il s'agit d'une requête présentée par les défendeurs visant l'annulation du mandat de saisie du " RYAN LEET ", la réduction de la garantie d'exécution et une garantie pour les dépens.

     Le Ryan Leet a été saisi en vertu du paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7 (la disposition relative aux navires-jumeaux).

         La compétence de la Cour peut, aux termes de l'article 22, être exercée en matière réelle à l'égard de tout navire qui, au moment où l'action est intentée, appartient au véritable propriétaire du navire en cause dans l'action.                 

     La preuve établit que Kenworthy Limited est la propriétaire enregistrée et véritable du navire en cause dans l'action, le Terra Nova Sea, que le Ryan Leet, le navire saisi, appartient à Secunda Marine Services Limited et que Kenworthy Limited appartient en propriété exclusive à Secunda Marine Services Limited et qu'elle n'a aucun droit " même bénéficiaire " sur le Ryan Leet.


     Les défendeurs disent que le terme " propriétaire " utilisé au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale s'entend du propriétaire enregistré. Selon eux, puisque Kenworthy Limited, la propriétaire enregistrée du Terra Nova Sea, n'est pas la véritable propriétaire du Ryan Leet, le paragraphe 43(8) ne s'applique pas et le mandat de saisie doit être annulé.

     La demanderesse dit, quant à elle, que le terme " propriétaire " au paragraphe 43(8) devrait être interprété de façon large pour comprendre le véritable propriétaire, en ce sens que Secunda, étant la propriétaire de Kenworthy Limited, est la véritable propriétaire du Terra Nova Sea. Elle ajoute qu'elle a été représentée par Secunda dans le contrat d'affrètement par charte-partie intervenu entre elle et Secunda et que cette dernière était la propriétaire du Terra Nova Sea.

     La Loi sur la Cour fédérale ne définit pas le terme " propriétaire ". À première vue, lorsque des termes différents sont utilisés dans une même disposition, il y a lieu de présumer que le législateur a voulu envisager des sens différents. Dans l'affaire " Evpo Agnic " [1988] Lloyd's L.R. 411, à la page 414, lord Donaldson énonce le principe relatif à la mise en contraste du terme propriétaire avec celui de véritable propriétaire, les termes litigieux dans la présente espèce :

         [TRADUCTION] (...) Selon la règle fondamentale d'interprétation, lorsqu'une loi emploie une terminologie différente dans diverses dispositions, c'est que, à première vue, le législateur a voulu leur conférer des sens différents, particulièrement si cette terminologie est utilisée dans le même paragraphe. Le terme " propriétaire " à l'alinéa b ) doit donc être mis en contraste avec le terme " véritable propriétaire " aux sous-alinéas (i) et (ii).                 

     En appliquant ce principe ici, le terme " propriétaire " au paragraphe 43(8) doit avoir un sens différent du terme " véritable propriétaire " employé dans le même paragraphe. Cette conclusion me convient, compte tenu du fait que le paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale porte sur la saisie du navire en cause dans l'action :

         Malgré le paragraphe (2), la Cour ne peut exercer la compétence en matière réelle prévue à l'article 22, dans le cas des demandes visées aux alinéas 22(2)e), f), g), h), i), k), m), n), p) ou r), que si, au moment où l'action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l'aéronef ou des autres biens en cause est le même qu'au moment du fait générateur.                 

     [Non souligné dans l'original.]

Il est évident que, lorsque le Parlement a eu l'intention de qualifier le terme propriétaire, il l'a fait. Il ne l'a pas fait au paragraphe 43(8), ce qui étaye la conclusion voulant que le terme " propriétaire " utilisé au paragraphe 43(8) à l'égard du navire en cause dans l'action ne s'entend pas du véritable propriétaire.

     Quel sens doit-on donner alors au terme " propriétaire " du navire en cause dans l'action, terme figurant au paragraphe 43(8)? Selon les défendeurs, vu l'alinéa 15(2)b ) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985) ch. I-21, la définition de ce terme dans la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985) ch. S-9, s'applique au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale. L'alinéa 15(2)b) de la Loi d'interprétation prévoit ce qui suit :

         (2) Les dispositions définitoires ou interprétatives d'un texte :                 

     ...

             b) s'appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique.                 

     Le terme " propriétaire " est défini comme suit à l'article 2 de la Loi sur la marine marchande du Canada :

         " propriétaire " Sauf aux parties XV et XVI :                 
         a) s'entend :                 
             (i) relativement aux navires non immatriculés, du propriétaire réel, et relativement aux navires immatriculés, du propriétaire enregistré seulement,                 
             (ii) ...                 
         b) s'entend notamment, pour l'application de la partie IX, du locataire ou de l'affréteur responsable de la navigation de tout bâtiment et, pour l'application de l'article 75, du véritable propriétaire.                 

     Le paragraphe 43(8) porte sur la marine marchande. La Loi sur la marine marchande du Canada qualifie la Cour fédérale de cour d'amirauté. L'avocat de la demanderesse n'a pas expliqué pourquoi le paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale ne porte pas sur le même objet que la Loi sur la marine marchande du Canada, même s'il prétend qu'une intention contraire ressort du paragraphe 43(8), argument que j'examinerai sous peu.

     La définition du terme propriétaire, relativement aux navires immatriculés que sont le Ryan Leet et le Terra Nova Sea, ne s'entend que du propriétaire enregistré. Il est vrai qu'une autre définition du terme propriétaire pour l'application de la partie IX de la Loi sur la marine marchande du Canada comprend les locataires et les affréteurs, mais l'examen de la partie IX révèle que l'intention du législateur est de permettre aux locataires et aux affréteurs de se prévaloir de la disposition relative à la limitation de la responsabilité y prévue. Les parties XV et XVI de la Loi ont trait à la prévention et au contrôle de la pollution, à la responsabilité civile et à l'indemnisation relative à la pollution. Chaque partie contient sa propre définition du terme propriétaire. Il est évident que le Parlement voulait donner un sens beaucoup plus large au terme propriétaire dans ces parties qu'il ne l'a fait, de façon générale, sous le régime de la Loi.

     Pour l'application de l'article 75 de la Loi, le terme propriétaire s'entend également du véritable propriétaire. Cet article a trait à la responsabilité à l'égard des peines prévues par la Loi. Ainsi, pour l'application des peines, le terme " propriétaire " s'entend également du véritable propriétaire.

     Il semblerait que, lorsque le Parlement en a voulu ainsi, il a qualifié le terme propriétaire pour des fins précises. Ainsi, lorsque aucune qualification précise n'est mentionnée, le législateur n'a aucune intention d'en conférer une, et, en particulier, la propriété bénéficiaire n'est pas envisagée.

     Cette conclusion est compatible avec la remarque incidente qu'a faite le juge Marceau dans l'affaire Mount Royal c. " Jensen Star " (1989), 99 N.R. 42 (C.A.F.), à la page 47, concernant le paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale :

         Quel que soit le sens du qualificatif " beneficial ", le terme " owner " est normalement utilisé uniquement pour désigner celui qui possède un titre dans la chose elle-même, titre qui comporte principalement le droit d'aliéner la chose.                 

Dans le cas des navires immatriculés, le terme " propriétaire " non qualifié s'entend uniquement du propriétaire enregistré.

     Cette définition du terme propriétaire peut-elle s'appliquer au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale ou une intention contraire ressort-elle? L'avocat de la demanderesse fait valoir que le terme propriétaire n'est pas qualifié parce que l'intention est qu'il soit interprété de façon large pour viser la propriété autre que la simple immatriculation du navire et, plus précisément, pour comprendre la propriété bénéficiaire. Je ne puis être d'accord. Le terme " propriétaire " désignera le propriétaire enregistré ou le propriétaire en common law, sauf si les termes utilisés ou le contexte de l'article 43 de la Loi sur la Cour fédérale indiquent le contraire. Je ne vois aucune indication du genre. De fait, comme je l'ai indiqué, lorsque le Parlement a eu l'intention de viser le véritable propriétaire, il l'a fait expressément. Dans la Loi sur la marine marchande du Canada, lorsque le terme propriétaire ne devait pas s'entendre du véritable propriétaire, la définition le disait expressément. Le fait que le Parlement n'ait pas qualifié le terme propriétaire au paragraphe 43(8) à l'égard du navire en cause dans l'action montre bien qu'il entendait limiter la propriété aux propriétaires enregistrés.

     Le paragraphe 43(8) a été édicté pour permettre aux demandeurs de faire saisir les navires-jumeaux en garantie d'une réclamation. Il s'agit, en vérité, d'un recours extraordinaire. Cependant, le recours est fondé sur la responsabilité éventuelle du propriétaire enregistré du navire en cause dans l'action. Interpréter le terme propriétaire de façon beaucoup plus large serait imputer au Parlement l'intention de " lever le voile corporatif " à l'égard de la propriété des navires qui s'exposent à une responsabilité éventuelle. Je serais porté à penser que, si le Parlement avait voulu s'écarter de façon aussi radicale des principes ordinaires du droit des sociétés au regard du recours déjà extraordinaire prévu au paragraphe 43(8), il l'aurait fait expressément1.

     L'avocat de la demanderesse prétend qu'il est prématuré de trancher la présente requête. Cependant, aucune preuve n'a été déposée qui contredise celle selon laquelle la propriétaire enregistrée du navire en cause dans l'action, le Terra Nova Sea, est Kenworthy Limited, et non Secunda, et que Kenworthy n'est pas la véritable propriétaire du Ryan Leet. L'avocat n'a pas pu dire quels éléments de preuve additionnels pourraient être présentés pour modifier les faits déjà connus. Que Secunda se soit présentée comme propriétaire du Terra Nova Sea dans le contrat d'affrètement par charte-partie ne change rien à l'affaire. Le contrat d'affrètement par charte-partie comporte une définition du terme " propriétaire " et les affirmations contenues dans le contrat d'affrètement par charte-partie visent cette définition, et non le sens à donner au terme propriétaire au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale . Secunda n'est pas la propriétaire enregistrée du Terra Nova Sea et des affirmations ne peuvent rien changer à ce fait.

     Pour ces motifs, la demande d'annulation du mandat de saisie du Ryan Leet est accueillie. Il s'ensuit que la garantie d'exécution ou la caution concernant le Ryan Leet ne sont plus nécessaires, et le nom Ryan Leet ne devrait pas demeurer dans l'intitulé de la cause.

     Les parties conviennent que la demanderesse se trouve à l'extérieur du ressort et qu'une caution pour les dépens de 25 750 $ est une somme convenable. Tant que cette somme ne sera pas consignée à la Cour, la demanderesse ne pourra entreprendre aucune autre démarche dans la présente action. Si cette somme n'est pas consignée à la Cour au plus tard le 15 septembre 1997, les défendeurs pourront demander à la Cour de radier l'action. S'il y a consignation, la demanderesse pourra demander à la Cour de fixer un calendrier pour la conduite de l'instance.

     Si les parties ne peuvent s'entendre sur la question des dépens afférents à la requête, la Cour pourra être saisie d'une demande en ce sens.

     Marshall Rothstein

     Juge

Traduction certifiée conforme :     
                     François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     T-1661-97

ENTRE :

     Hollandsche Aannaming Maatschappij,

     demanderesse,

     - et -

     Le navire " Ryan Leet " et al,

     défendeurs.


ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1661-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Hollandsche Aannaming Maatschappij,

     demanderesse,

     - et -

                     Le navire " Ryan Leet " et al,

     défendeurs.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :      Le 19 août 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

ONT COMPARU :

Mark Beliveau,

                         pour la demanderesse

Mylie Spicer,

                         pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

COX & DOWNEY

Halifax (Nouvelle-Écosse)

                         pour la demanderesse

McINNES, COOPER & ROBERTSON

                         pour les défendeurs
__________________

1.      Si la propriété de navires par des sociétés distinctes était considérée être une manoeuvre frauduleuse ou une frime, un tribunal serait peut-être disposé à établir le lien entre les deux sociétés. Il n'y a ici aucune preuve de manoeuvre frauduleuse ni de frime.

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