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Date : 20000121


T-730-97



E n t r e :

     CAE MACHINERY LTD.,

     demanderesse

     - et -

     29598505 QUÉBEC INC.,

     FRÉDÉRIC DEBAETS et

     FUJI KOGYO KABUSHIKI KAISHA,

     défendeurs


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés oralement à l'audience à Ottawa

     le jeudi 20 janvier 2000)

Le juge Hugessen


[1]      Je vais trancher la présente affaire de façon générale et il se peut que je demande aux avocats de rédiger une ordonnance à la suite de l'exposé de mes motifs.

[2]      En premier lieu, je ne suis pas disposé à ordonner à la demanderesse CAE de produire des documents qu'elle n'a pas entre les mains mais qui se trouvent en la possession du codéfendeur Fuji. Je ne crois pas que les modalités du contrat de licence entre Fuji et CAE ont pour effet de conférer à CAE le droit d'obtenir les originaux ou des copies de ces documents. J'estime que, même si c'était le cas, il n'en demeure pas moins que Fuji est partie à la présente instance et qu'il peut et qu'il doit produire ces documents s'ils sont pertinents. Dans ces conditions, la production de ces documents qui ne sont pas sous la garde de CAE peut être exigée par une partie adverse en vertu du paragraphe 223(3) des Règles.

[3]      En ce qui concerne pratiquement toutes les questions auxquelles la demanderesse a refusé de répondre, je suis d'accord avec l'avocat de la demanderesse pour dire que ces questions sont rédigées en des termes trop larges et qu'elles sont trop générales et vagues et que la Cour ne devrait pas ordonner à la demanderesse d'y répondre.

[4]      Je suis également d'accord pour dire que, lors d'un interrogatoire préalable, on ne doit pas contraindre un témoin à interpréter les modalités des brevets en litige ou à interpréter toute technique antérieure qui a pu être citée.

[5]      J'estime en outre que les demandes de production de documents sont libellées en des termes trop larges et que la plupart des documents réclamés ne sont pas pertinents. En particulier, comme la Cour a déjà rendu une ordonnance en vertu de l'article 107 des Règles en l'espèce, je suis d'avis que les factures et le détail des ventes concernant la vente par la demanderesse des machines qu'elle a fabriquées en vertu du contrat de licence afférent aux brevets en litige ne sont pas pertinents.

[6]      La rubrique du succès commercial invoqué par l'avocat des défendeurs ne justifie pas selon moi une investigation aussi poussée dans le cadre d'un interrogatoire préalable. Le succès commercial n'est qu'un des nombreux critères dont la Cour peut tenir compte pour évaluer la validité d'un brevet et ce facteur n'est le plus souvent utile que dans des cas exceptionnels. Même si le succès commercial devait constituer un point litigieux au moment de l'instruction effective de la présente action, je suis d'avis que le détail des factures, tels que le détail des modalités des redevances contenues dans le contrat de licence intervenu entre Fuji et la demanderesse est trop indirect et accessoire pour faire légitimement l'objet d'un interrogatoire préalable. L'interrogatoire préalable ne peut être illimité : les procès sont déjà beaucoup trop longs et il faut imposer une certaine limite aux investigations des avocats qu'on appelle parfois familièrement « interrogatoires à l'aveuglette » .

[7]      J'estime en outre que, comme le moyen d'irrecevabilité tiré du dossier de demande de brevet ne peut être invoqué au Canada, toute question portant sur l'instruction de la demande de brevet, sur les dossiers des agents de brevet ou sur l'instruction de demandes de brevets étrangers ne sont en règle générale pas admissibles. Dans certaines circonstances, une question précise portant sur des faits relatifs à une telle instruction peut être admise, mais toutes les questions posées en l'espèce sont, à mon avis, trop larges et générales pour remplir les conditions requises.

[8]      J'estime toutefois qu'à au moins un égard, la présente requête est bien fondée, en l'occurrence en ce qui concerne le privilège revendiqué par CAE au sujet de la correspondance qu'elle a échangée avec le défendeur Fuji. Cette correspondance serait privilégiée parce que l'avocat de CAE en aurait pris l'initiative en prévision du procès en instance. Il me semble toutefois que le privilège revendiqué a une portée excessive. Je ne vois en effet pas comment on pourrait considérer comme privilégiée une lettre envoyée à la demanderesse CAE par le défendeur Fuji en réponse à une lettre écrite par la demanderesse que ce soit ou non à la demande de l'avocat en question. Il me semble qu'il n'y a rien dans cette lettre qui puisse faire l'objet d'un privilège. Dans le même ordre d'idées, je ne vois pas comment la lettre provenant de la demanderesse CAE pourrait devenir privilégiée une fois qu'elle parvient entre les mains du défendeur Fuji. Je rejette en conséquence la revendication de privilège et j'ordonne la production des six lettres pour lesquelles un privilège est revendiqué sous cette rubrique.

[9]      En ce qui concerne le défendeur Fuji, le requérant me demande d'ordonner à Fuji de désigner une personne déterminée pour le représenter. Je refuse d'accéder à cette demande, étant donné que le droit de la défenderesse de désigner la personne qui parlera en son nom lors de l'interrogatoire préalable est incontestable, si je ne m'abuse, et que la partie adverse qui l'interroge n'a pas le droit d'exiger qu'une autre personne comparaisse à moins de démontrer que la personne nommément désignée est incapable de répondre aux questions.

[10]      Je refuse également d'ordonner que l'interrogatoire se déroule dans une langue déterminée. Si j'ai bien compris, la personne proposée par Fuji est japonaise, elle vit au Japon et sa première langue est le japonais. Si cette personne préfère témoigner en japonais, je crois qu'elle en a le droit, et je ne la forcerai pas à s'exprimer dans une autre langue.

[11]      On me demande ensuite d'ordonner que l'interrogatoire ait lieu au Canada. Je ne vois aucune raison d'ordonner une telle mesure. L'intéressé a le droit de comparaître et d'être interrogé au Japon et si cette mesure entraîne des frais supplémentaires pour la partie qui l'interroge, tant pis : ce genre de procès est coûteux.

[12]      J'en viens maintenant à la demande qui m'est faite de rendre une ordonnance portant la tenue d'une commission rogatoire pour interroger les trois inventeurs nommés dans le brevet en litige, qui sont tous des résidents japonais. Ainsi que nous en avons discuté à l'audience, les éléments de preuve tendant à démontrer que le tribunal japonais se pliera à cette demande sont insuffisants et, à la demande de l'avocat du défendeur requérant, cette requête est rejetée sous réserve du droit de présenter une nouvelle demande.

[13]      Il y a un dernier point que j'ai oublié de mentionner. La défenderesse requérante demande également l'autorisation de réinterroger le représentant de la demanderesse CAE. Lors du premier interrogatoire, l'avocat a eu du mal à saisir et à assimiler certains des documents produits, compte tenu du peu de temps qui lui a été accordé. D'autres réponses ont été données et d'autres documents ont été produits conformément aux engagements donnés à la suite de l'interrogatoire préalable. Il est tout à fait normal, dans un procès de ce genre, qu'un nouvel interrogatoire préalable ait lieu et je suis entièrement disposé à ordonner la tenue d'un tel interrogatoire. J'ordonne, pour le cas où les avocats n'arriveraient pas à s'entendre sur le lieu où il devrait avoir lieu, que cet interrogatoire préalable se déroule à l'endroit où le premier interrogatoire a eu lieu et que chaque partie assume les frais de cet interrogatoire.

[14]      J'ai précisé au départ que je demanderais aux avocats de rédiger l'ordonnance qui convient. J'invite également les parties à me soumettre leurs observations au sujet des dépens de la présente requête. Juste avant d'entendre les avocats au sujet des dépens, j'ai précisé à l'audience que je n'ordonnerais pas au défendeur Fuji de produire à ce moment-ci un affidavit supplémentaire pour la simple raison que la Cour ne dispose pour le moment d'aucun élément de preuve tendant à démontrer qu'il existe d'autres documents que ceux qui sont énumérés dans le présent affidavit. Une fois de plus, j'estime qu'il est tout à fait possible qu'à la suite de l'interrogatoire du représentant de Fuji, d'autres documents soient produits et il se peut fort bien que la défenderesse requérante puisse alors obtenir une ordonnance de production d'un affidavit supplémentaire si les documents ne sont pas eux-mêmes produits.

[15]      Enfin, ainsi que je l'ai déjà déclaré, comme j'estime que la demanderesse CAE et le défendeur Fuji ont chacun obtenu en grande partie gain de cause, j'estime qu'il y a lieu de condamner la défenderesse requérante aux dépens. Je crois que cette mesure se justifie davantage parce que je dois avouer que j'ai trouvé que les pièces qu'il a produites au soutien de la présente requête n'étaient pas aussi bien organisées qu'elles le sont normalement dans ce genre de requête et que je l'aurais souhaité. Habituellement, les avocats regroupent les questions et les refus en diverses catégories pour permettre à la Cour de les examiner. Or, on ne l'a pas fait ou du moins pas complètement en l'espèce, ce qui a occasionné un surcroît de travail aux avocats de la demanderesse et du défendeur Fuji, lequel a obtenu gain de cause. Je suis toutefois parfaitement conscient du fait que les procès de ce genre sont extrêmement coûteux et je ne suis pas disposé à condamner une partie à des dépens indûment élevés. Dans ces conditions, la défenderesse requérante est condamnée à verser sans délai à la demanderesse CAE la somme de 2 000 $ et au défendeur Fuji la somme de 1 500 à titre de dépens. Dans chaque cas, il faut ajouter à cette somme tous les débours raisonnables légitimement entraînés par la présente requête, y compris les frais de déplacement et de séjour légitimes des avocats, dont l'un a dû se déplacer depuis Vancouver et l'autre, depuis Toronto.



     « James K. Hugessen »

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 21 janvier 2000


Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-730-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CAE MACHINERY LTD. c. 29598505 QUÉBEC INC. et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          20 janvier 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Hugessen le 21 janvier 2000



ONT COMPARU :

Me Michael Manson              pour la demanderesse
Mes Jean-Guy Potvin              pour la défenderesse Copeaux

et Michel Chartrand

Me Ron Dimock              pour le défendeur Fuji

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar              pour la demanderesse

Ottawa (Ontario)

Cabinet juridique Potvin          pour la défenderesse Copeaux

Ottawa (Ontario)

Dimock, Stratton, Clarizio          pour le défendeur Fuji

Toronto (Ontario)

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