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Date : 20000407


Dossier : IMM-304-99



Entre :

     EDGAR JACOB MANRIQUE GALVAN

     SANDRA LUZ RAMIREZ DE MANRIQUE

     SOREN MANRIQUE RAMIREZ

     Partie demanderesse

     ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      La question essentielle soulevée par les demandeurs, citoyens du Mexique, est à savoir si la Section du statut de réfugié, (le "tribunal") a bien interprété la notion "d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social" qui se retrouve dans la définition de "réfugié au sens de la Convention" à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration (la "Loi"):


"réfugié au sens de la Convention" Toute personne_:

     a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:
         (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

     [je souligne]

.

"Convention refugee" means any person who

     (a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
         (i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

Le tribunal refuse cette reconnaissance parce que, selon lui, l'organisation des chauffeurs de taxis auquel appartient M. Galvan ne constitue pas un tel groupe social.

LE FORMULAIRE DE RENSEIGNEMENTS PERSONNELS DE M. GALVAN (FRP)

[2]      Dans son formulaire de renseignements personnels ("FRP"), Edgar Galvan indique adhérer à une organisation comprenant 130 membres de chauffeurs de taxis située dans la ville de Mexico. L'organisation s'appelle Émilien Zapata et son but est de protéger ses membres contre les criminels étant donné l'incapacité des autorités du pays de les protéger.

[3]      L'organisation protège ses membres en instaurant une communication radiophonique continue: si un membre est en danger, il envoie un signal d'alerte aux autres membres qui viennent immédiatement à son aide.

[4]      Le demandeur, Edgar Galvan, relate que les membres d'Émilien Zapata participaient fréquemment à de nombreuses marches de protestation dans le but de souligner le haut niveau de corruption et le non-respect des dispositions de la loi. Ils assistaient également aux rencontres d'autres organisations comme "Plaza Tepeyac" afin d'être informés des nouvelles méthodes de sécurité disponibles.

[5]      Selon Edgar Galvan, les bandes criminelles ont fortement réagi à la création et au fonctionnement de l'organisation Émilien Zapata parce que certains criminels ont été capturés par les membres de l'organisation et remis aux autorités lors de tentatives de vol. Pour détruire l'organisation, ces bandes criminelles envoyèrent des lettres de menace.

[6]      Dans son FRP Edgar Galvan décrit de la façon suivante l'incident l'ayant poussé à quitter son pays:

Néanmoins, jusqu'au temps où j'ai adhéré à l'organisation (du 15 mai au 12 juillet 1998), rien d'extraordinaire ne s'était encore passé.
     Je crains pour ma vie et celle de ma famille car le 4 juillet 1998, il y a eu encore une tentative de vol contre un camarade chauffeur de taxi. Il a envoyé le signal d'alerte. Dès que nous l'avons reçu, soit vers 21h30, nous sommes aussitôt rendus sur les lieux de l'incident qui se passait rue Mosqueta, coin Reforma. Nous étions environ 15 et, au moment où nous sommes arrivés, trois individus descendaient d'une voiture en empoignant des armes blanches. Comme nous avions cerné l'endroit, ils n'ont pas pu s'enfuir. Cependant, pendant que nous les désarmions, ils disaient que nous allions "nous repentir", qu'ils savaient qui nous étions. Ils nous lançaient des menaces en promettant de nous tuer et nous disaient de veiller sur nos familles. Quand nous les avons remis à la police, nous avons fait une dénonciation contre eux et avons conservé l'anonymat.

[7]      Par la suite, selon Edgar Galvan, le chauffeur de taxi, Marco Flores, ainsi que sa famille, furent agressés physiquement le 12 juillet 1998 dans leur maison. À l'hôpital, Marco Flores indiqua à Edgar Galvan que lorsque ses assaillants le battaient, ils lui crièrent "[N]ous sommes déjà fatigués de voir comment vous jouez aux policiers", en faisant référence aux chauffeurs de taxis, et "[N]ous allons vous attraper tous pour vous tuer", en faisant référence aux camarades qui avaient participé à l'événement du 4 juillet 1998.

[8]      C'est suite à cette conversation avec Marco Flores qu'Edgar Galvan aurait décidé de quitter immédiatement l'organisation, craignant pour sa vie, car son pays ne pouvait le protéger puisque les bandes de criminels opèrent sur tout le territoire mexicain et sont en contact avec d'autres pour l'échange de services. Edgar Galvan soutient que son unique option était de quitter le pays, ce qu'il fit avec sa famille, son épouse Sandra et son fils Soren.

[9]      Edgar Galvan témoigna à l'audience du tribunal. Il déposa aussi une preuve documentaire. Cette preuve documentaire, sous forme d'articles de journaux, démontre les faits suivants: (1) le district fédéral de Mexico est l'un des moins sûrs au monde et le taux de criminalité continue d'augmenter; (2) il existe 750 bandes d'environ 20,000 délinquants dans la capitale; (3) le chef d'une bande dangereuse d'assaillants de chauffeurs de taxis est détenu par la police judiciaire après avoir tenté d'enlever la voiture d'un chauffeur de taxi. Le journal Oppression du 30 octobre 1998 écrit:

Sonia Rosario Sanchez Toy est l'un des membres de "La Bande TOY" la plus recherchée. Ils se spécialisent dans l'enlèvement des voitures des chauffeurs de taxis. Les assaillants s'emparent de l'argent de leur comptes, dévalisent les véhicules et les abandonnent dans une zone solitaire quelconque.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[10]      Appliquant les principes établis par la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge La Forest, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le tribunal souligne son motif de refus comme suit :

     Monsieur a témoigné sobrement et a répondu clairement aux questions formulées. Toutefois, le tribunal est d'avis que le groupe social dont se revendique le demandeur, soit celui de chauffeur de taxi membre d'un regroupement de chauffeurs de taxis dont le but est de se doter de mesures de sécurité, ce groupe social, selon le tribunal, ne correspond à aucun des critères définis par la jurisprudence définissant ce motif de la Convention. Les critères sont les suivants:
     1.      les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
     2.      les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et
     3.      les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
     La Cour suprême a dit en outre ce qui suit:
         La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d'être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs de droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d'intentions historiques, quoiqu'elle se rattache également aux influences anti-discriminatoires, en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie.
     Avant de quitter son pays, le demandeur répond n'avoir jamais envisagé d'exercer son métier ailleurs qu'à Mexico et pas plus de changer d'occupation parce que, répond-il, celle-ci étant mieux rémunérée. Enfin, en réponse au procureur qui dans sa plaidoirie soumet que le droit pour monsieur d'exercer son emploi est fondamental, le tribunal admet que le droit de travailler est fondamental mais pas forcément celui d'être chauffeur de taxi à Mexico.
     [je souligne]

ANALYSE

     (a)      Les arrêts de principes

         i) Les arrêts Ward et Matter of Acosta

[11]      Le juge La Forest dans l'arrêt Ward, précité, approfondit la portée de l'expression "groupe social" au paragraphe 2(1) de la Loi qui, selon lui, "limite à cinq possibilités les motifs pour lesquels un réfugié au sens de la Convention peut craindre avec raison d'être persécuté..." (p. 726).

[12]      Tel que le tribunal l'a pertinemment indiqué dans ses motifs, le juge La Forest a établi l'existence de trois catégories de groupes se rattachant à la notion "de groupe social" au sens de la Loi et de la Convention:

1.      les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
2.      les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et
3.      les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
     [je souligne]

[13]      Après lecture du jugement, je crois qu'il est possible de résumer comme suit les principes de base identifiés par le juge La Forest:

     1"      un groupe social n'est pas simplement "toute alliance d'individus ayant un objectif commun" (p. 728) ou "une association de gens...du seul fait de leur victimisation commune en tant qu'objets de persécution" (p. 729). Cette "définition très générale, ... sert de filet de sécurité destiné à parer à toute lacune possible dans les quatre autres catégories" (p. 728).
     2"      Cette définition étendue (de groupe social) doit être rejetée pour plusieurs raisons: (1) elle exagère "les répercussions de l'intention des rédacteurs" [de la Convention] (p. 730); (2) elle déroge au principe que le "droit international relatif aux réfugiés était destiné à servir de 'substitut' à la protection nationale si celle-ci n'était pas fournie. C'est pourquoi le rôle international des états était assujetti à des limitations intrinsèques. Ces mécanismes restrictifs montrent que la communauté internationale n'avait pas l'intention d'offrir un refuge à toutes les personnes qui souffrent" (pp. 731-732).
     3"      Les thèmes des droits fondamentaux de la personne et le principe fondamental de la non-discrimination fixent une limite inhérente aux cas visés par la Convention (p. 733).
     4"      La décision du Board of Immigration Appeals américain dans Matter of Acosta, (1985) 19 I. & N. 211 (le "Board") est citée dans l'affaire Ward comme "façon de délimiter la portée de l'expression 'groupe social'." Dans la cause Matter of Acosta, il s'agissait d'une coopérative de chauffeurs de taxis; le demandeur avait fondé sa crainte de persécution sur son appartenance à la coopérative dont les membres avaient été la cible de guérilleros anti-gouvernementaux pour avoir refusé d'obtempérer aux demandes d'arrêts de travail que ceux-ci leur avaient faites. Le Board conclut que la coopérative des chauffeurs de taxis ne constituait pas un "groupe social" (p. 736).
     5"      Matter of Acosta établit que quelle que soit la caractéristique commune qui définit le groupe, "il doit s'agir d'une caractéristique que les membres du groupe ne peuvent changer ou ne devraient pas être requis de changer, parce qu'elle est essentielle à leur identité ou à leur conscience individuelle" (p.737).
     6"      En outre, le principe suivant dans Matter of Acosta est à retenir à la page 737:
     En interprétant ainsi l'expression "persécutée du fait de son appartenance à un groupe social", nous préservons la notion selon laquelle le refuge est limité aux personnes qui ne peuvent, par leurs propres actions, éviter la persécution ou qui ne devraient pas en toute conscience, être obligées de le faire.
     7"      L'arrêt Ward énonce ce principe à la page 737-38:
     Cette définition exclut les [TRADUCTION] "groupes définis par une caractéristique changeable ou dont il est possible de dissocier, dans la mesure où aucun de ces choix n'exige la renonciation aux droits fondamentaux de la personne .
     [je souligne]

[14]      Finalement, le juge La Forest tire deux grandes conclusions. La première se lit comme suit à la page 738-39:

     Ces types de critères nous semblent appropriés. L'obligation qui incombe au Canada de donner asile aux personnes qui fuient leur pays d'origine n'est pas illimitée. Les gouvernements étrangers devraient avoir une certaine liberté d'action en définissant ce qui constitue un comportement anti-social de la part de leurs ressortissants. Le Canada ne devrait pas outrepasser son rôle sur le plan international en engageant sa responsabilité dès qu'un groupe est visé. Il existe sûrement des groupes auxquels l'affiliation de la personne en cause n'est pas à ce point importante pour elle qu'il conviendrait davantage qu'elle s'en dissocie pour que la responsabilité du Canada soit engagée. La façon la plus simple de faire la distinction consiste peut-être à mettre en opposition ce à quoi une personne s'oppose et ce qu'elle fait, à un moment donné. Par exemple, on pourrait examiner les faits en cause dans Matter of Acosta, où le demandeur était visé parce qu'il était membre d'une coopérative de chauffeurs de taxis. À supposer qu'aucune question d'opinion politique ou de droit de gagner sa vie ne soit en cause, le demandeur a été visé en raison de ce qu'il faisait et non de ce qu'il était, et ce, d'une façon immuable ou fondamentale.
     [je souligne]

[15]      La deuxième conclusion est située à la page 739:

     Le sens donné à l'expression "groupe social" dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d'établir une bonne règle pratique en vue d'atteindre ce résultat.      [je souligne]

[16]      Il est pertinent, suivant les faits du présent dossier, de s'attarder à la décision Matter of Acosta puisque le Board devait déterminer si une coopérative de taxis salvadorienne constituait un "groupe social". À la page 22 [copie électronique] de sa décision, le Board, appliquant les principes qu'il a lui-même élaborés, donne les motifs l'incitant à refuser de reconnaître une coopérative de taxis comme groupe social au sens de la loi américaine:

     In the respondent's case, the facts demonstrate that the guerillas sought to harm the members of COTAXI, along with members of other taxi cooperatives in the city of San Salvador, because they refused to participate in work stoppages in that city. The characteristics defining the group of which the respondent was a member and subjecting that group to punishment were being a taxi driver in San Salvador and refusing to participate in guerilla-sponsored work stoppages. Neither of these characteristics is immutable because the members of the group could avoid the threats of the guerrillas either by changing jobs or by cooperating in work stoppages. It may be unfortunate that the respondent either would have had to change his means of earning a living or cooperate with the guerrillas in order to avoid their threats. However, the internationally accepted concept of a refugee simply does not guarantee an individual a right to work in the job of his choice. See 1 A. Grahl-Madsen, supra;, at 214. Therefore, because the respondent's membership in the group of taxi drivers was something he had the power to change, so that he was able by his own actions to avoid the persecution of the guerrillas, he has not shown that the conduct he feared was "persecution on account of membership in a particular social group" within our construction of the Act.
     [je souligne]

[17]      À la page 23 [copie électronique] de sa décision, le Board souligne qu'il appartient au revendicateur du statut de réfugié de démontrer que la crainte de persécution soulevée existe à la grandeur du pays ("country-wide"). Le Board s'exprime comme suit:

     In the respondent's case, the facts show that taxi drivers in the city of San Salvador were threatened with persecution by the leftist guerrillas. However, the facts do not show that this threat existed in other cities in El Salvador. It may be the respondent could have avoided persecution by moving to another city in that country.n14 In any event, the respondent's facts did not demonstrate that the guerrillas' persecution of taxi drivers occurred throughout the country of El Salvador. Accordingly, the respondent did not meet this element of the standard for asylum. [ n14 It is unfortunate when persons may be obliged to give up their jobs and leave their homes as a result of fear. But that is not the issue here. The issue is, once that decision is made, does an individual have the right to come to the United States rather than to move elsewhere in his home country.]
     [je souligne]

    

         ii)      L'arrêt Chan

[18]      La Cour suprême du Canada a également eu l'occasion de se pencher sur la notion de "persécution du fait de son appartenance à un groupe social" dans l'arrêt Chan c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration , [1995] 3 R.C.S. 593. Dans le cadre de ce dossier, la Cour devait, entre autre, déterminer si les personnes qui risquent la stérilisation forcée font partie d'un groupe social.

[19]      Rédigeant des motifs de la dissidence, le juge La Forest (mais majoritaire sur ce point ) se penche de nouveau sur ce que signifie l'appartenance à un groupe social et précise ce qu'il avait écrit auparavant dans Ward, précité:

     (1)      "La règle énoncée dans l'arrêt Ward n'est qu'une règle pratique et non une règle absolue visant à déterminer si le demandeur du statut de réfugié peut être classé dans un groupe social donné" (page 642);
     (2)      "Les thèmes sus-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination, doivent demeurer le facteur primordial en vue de la détermination de l'appartenance du demandeur à un groupe social" (page 642-43);

[20]      Dans Chan, le juge La Forest conclut que le revendicateur rencontre les exigences du deuxième volet établi dans Ward au motif que le droit revendiqué, soit celui de tous les couples et individus de décider librement du nombre d'enfants qu'ils auront et à quel moment, est un droit fondamental.

[21]      Il note que l'association ou le groupe existe parce que ses membres ont tenté d'exercer ensemble un droit fondamental. Le juge La Forest souligne à la page 644 des motifs, l'importance de se demander s'il existe une association si essentielle à la dignité de ses membres que ceux-ci ne devraient pas être contraints d'y renoncer. De plus, il précise que le demandeur, qui soutient appartenir à un groupe social, n'a pas besoin d'être associé volontairement à d'autres personnes semblables à lui.


         iii)      L'arrêt Islam

[22]      La Chambre des Lords en Angleterre s'est prononcée le 25 mars 1999 sur la question de la détermination d'un groupe social dans Islam (A.P.) v. Secretary of State for the Home Department et Regina v. Immigration Appeal Tribunal and Another Ex Parte Shah (A.P.), House of Lords - (Conjoined Appeal:http://www. parliament.the - statione ...9899/ludggmt/jd990325/ Islam01.htm).

[23]      Dans cette affaire, il s'agissait de revendications par deux femmes Pakistanaises mariées qui craignaient les répercussions de fausses accusations adultères qui pourraient être portées contre elles par leur époux et l'incapacité du Pakistan d'assurer leur protection dans un cas semblable. Dans ces circonstances, la Chambre des Lords conclut que "les femmes au Pakistan" constituaient un groupe social.

[24]      Cet arrêt de la Chambre des Lords est fort intéressant en ce qu'il souscrit à la majorité des principes sus-mentionnés ainsi que le raisonnement du juge La Forest dans les arrêts Ward et Chan, précités:

     (1)      Il entérine la caractéristique dominante et essentielle de "groupe social" établie dans Matter of Acosta, précité, se fondant sur la règle ejusdem generis à l'effet que:
Each of these grounds describes persecution aimed at an immutable characteristic: a characteristic that either is beyond the power of an individual to change or is so fundamental to individual identity or conscience that it ought not be required to be changed...
     The shared characteristic might be an innate one such as sex, colour, or kinship ties, or in some circumstances it might be a shared past experience such as former military leadership or land ownership. The particular kind of group characteristic that will qualify under this construction remains to be determined on a case by-case-basis... By construing "persecution on account of membership in a particular social group" in this manner, we preserve the concept that refuge is restricted to individuals who are either unable by their own actions, or as a matter of conscience should not be required, to avoid persecution.
         Cet extrait de Matter of Acosta, précité, est adopté par Lord Steyn.

    

     (2)      Lord Hoffmann considère comme facteur essentiel dans la définition de groupe social "the concept of discrimination in matters affecting fundamental rights and freedoms is central to an understanding of the Convention" en indiquant ce qui suit:
The notion that the Convention is concerned with discrimination on grounds inconsistent with principles of human rights is reflected in the influential decision of the U.S. Board of Immigration Appeals in In Re Acosta . . . where it is said that a social group for purposes of the Convention was one distinguished by
     an immutable characteristic: a characteristic that either is beyond the power of an individual to change or that is so fundamental to his identity or conscience that it ought not be required to be changed.
This was true of the other four grounds enumerated in the Convention. It is because they are either immutable or part of an individual's fundamental right to choose for himself that discrimination on such grounds is contrary to the principles of human rights.
     (4)      Finalement, les Law Lords identifient l'existence d'un autre principe général sus-jacent la notion de groupe social:
. . .that there can only be a "particular social group" if the group exists independently of the persecution...
     The only persecution that is relevant is persecution for reasons of membership of a group which means that the group must exist independently of, and not be defined by, the persecution....

        

[25]      Madame le juge Sharlow, maintenant juge à la division d'appel de notre Cour, appuie d'ailleurs ce principe comme absence à l'expression "groupe social" dans le jugement Serrano v. Canada (M.C.I.) , [1999] F.C.J. No. 570 (F.C.T.D.).

     (c)      Application des principes au cas en l'espèce

[26]      Les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur déraisonnable en considérant qu'ils ne sont pas persécutés pour un des cinq motifs énoncés dans la Convention, c'est-à-dire, du fait de leur appartenance à un groupe social, "les chauffeurs de taxis de Mexico victimes d'extorsion et de violence". Le procureur des demandeurs prétend que les chauffeurs de taxis de la ville de Mexico sont des travailleurs autonomes en danger; ils sont laissés sans protection par les autorités mexicaines faisant face à plus de 20,000 membres de bandes criminalisées dans cette ville.

[27]      Ils invoquent l'application de la deuxième catégorie de personnes visées par la définition de groupe social selon l'arrêt Ward qui comprend les défenseurs des droits de la personne. Il est plaidé que l'organisation en question vise justement à défendre les droits d'un groupe de personnes laissées sans protection de l'État et qui doivent gagner leur vie en exerçant ce métier.

[28]      Outre l'arrêt Ward, les demandeurs invoquent l'article 77 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, réédition, Genève, Janvier 1992, qui indique:

77. Par "un certain groupe social", on entend normalement des personnes appartenant à un groupe social ayant la même origine et le même mode de vie ou le même statut social.

[29]      Des ouvrages doctrinaux sont également soulevés à l'attention de la Cour dont The Refugee in International Law par Goodwin-Gill, 2e ed. (1996) où certaines caractéristiques permettant d'identifier les groupes sociaux y sont indiquées dont une qui précise que "les activités économiques d'un groupe de personnes et un métier commun peuvent constituer un groupe social". Le professeur Hathaway y est également cité ainsi que la décision américaine dans Sanchez-Trugillo v. Immigration and Naturalization Service (1986) 801 F.2d 1571.

[30]      Ainsi, il est soumis que Edgar Galvan a fait preuve, par le dépôt de son permis, qu'il est travailleur autonome, que l'État ne protège pas les travailleurs autonomes et qu'ils sont la cible de criminels. Il a aussi témoigné qu'il faisait partie d'un groupe de défense des droits des chauffeurs de taxis et que pour cette raison, certains membres dont lui-même ont reçu des menaces de mort.

[31]      Avec respect, je considère que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Ward et Chan, précités, vont à l'encontre des prétentions des demandeurs. Le juge La Forest dans l'arrêt Ward n'a pas accepté une interprétation expansive de la notion de "groupe social" et a rejeté la doctrine citée par les demandeurs. D'autre part, mon appréciation de la décision du tribunal me porte à conclure que celui-ci a bien apprécié la jurisprudence en concluant que le groupe social auquel Edgar Galvan appartient ne correspond à aucune des catégories établies par la jurisprudence et en particulier la deuxième catégorie (la seule invoquée par le procureur de la partie demanderesse) et ce, au motif "que le droit de travailler est fondamental mais pas forcément celui d'être chauffeur de taxi à Mexico".

[32]      Gardant en tête la prémisse du juge La Forest à l'effet qu'il faille se demander s'il existe une association si essentielle à la dignité humaine de ses membres que ceux-ci ne devraient pas être contraints à y renoncer, il demeure qu'il existe des groupes auxquels l'affiliation de la personne en cause n'est pas à ce point importante que la responsabilité internationale du Canada y est engagée.

[33]      Il est utile dans le présent cas de retenir les conclusions du Board dans Matter of Acosta, précité:

Neither of these characteristics is immutable because the members of the group could avoid the threats of the guerrillas either by changing jobs or by cooperating in work stoppages.... Therefore, because the respondent's membership in the group of taxi drivers was something he had the power to change, so that he was able by his own actions to avoid the persecution of the guerillas, he has not shown that the conduct he feared was "persecution on account of membership in a particular social group" within our construction of the Act.
    

[34]      Tel que le mentionnait le juge La Forest, l'obligation du Canada de donner asile aux personnes qui fuient leur pays d'origine n'est pas illimitée. La définition de "persécutée du fait de son appartenance à un groupe social" exclut les groupes définis par une caractéristique pouvant être changée ou même modifiée ou dont il est possible de s'en dissocier dans la mesure où aucun de ces choix n'exige la renonciation aux droits fondamentaux de la personne.

[35]      Comme le tribunal, je ne peux conclure que la dissociation du groupe Émilien Zapata par Edgar Galvan aurait comme conséquence d'entraîner la renonciation de ce dernier à un droit fondamental de la personne. En fait, je ne peux souscrire à une conclusion contraire pour quatres motifs: premièrement, en raison des conclusions de la décision Matter of Acosta, précité, entérinées par la Cour suprême du Canada dans Ward, précité; deuxièmement, en raison du fait que ce droit n'est nullement garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, aux citoyens canadiens et résidents permanents; troisièmement, en raison des motifs du juge La Forest dans Ward précisant que la notion de groupe sociale requiert davantage qu'une simple alliance d'individus en raison de leur victimisation ou en tant qu'objet de persécution; et finalement, en relation avec mon troisième motif, compte tenu de la jurisprudence de cette Cour ayant clairement rejeté les victimes d'actes criminels comme étant contenues à la définition de réfugié au sens de la Convention.

[36]      Vu mes conclusions, je n'ai pas à m'attarder au deuxième motif invoqué par les demandeurs à l'effet que le tribunal aurait commis une erreur déraisonnable en jugeant que ces derniers n'ont pas établi une crainte bien-fondée de persécution en omettant de considérer l'absence de protection de l'État.

CONCLUSION

[37]      Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[38]      Suite à l'audition de ce contrôle judiciaire, le procureur de la partie demanderesse a proposé la question certifiée suivante:

Est-ce qu'une association dont le but est de protéger ses membres contre des agressions d'individus de la population, et dont les membres sont persécutés précisément pour être contraints à renoncer à cette association, constitue un groupe social, en ce sens que ce but est une raison essentielle à la dignité humaine, tel que l'arrêt Ward l'entend?

[39]      Appliquant le test élaboré par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Liyanagamage c. Canada (M.C.I.) (1994), 176 N.R. 4 (C.F.A.), je ne vois nullement la pertinence de certifier une question semblable dans le cadre de ce dossier. En effet, j'ai constaté la jurisprudence abondante de cette Cour sur la question de revendicateurs au statut de réfugié fondant leur revendication sur le fait qu'ils ont été victimes d'actes criminels et j'en viens à la conclusion que ladite question ne soulève nullement un intérêt général, supérieur à celui des parties en cause et de grande importance puisque cette Cour s'est déjà attardée à plusieurs reprises sur la question.

     "François Lemieux"

    

     J U G E

Ottawa (Ontario)

le 7 avril 2000

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