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Date : 20060524

Dossier : IMM‑5653‑05

Référence : 2006 CF 637

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

ESTIFANOS MEKONNEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               La question au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la conclusion de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) selon laquelle les parents du demandeur ont versé de l’argent au Front de libération oromo (FLO) d’Éthiopie est manifestement déraisonnable. Le demandeur soutient que la Commission a mal interprété les preuves et tiré une conclusion qui ne reposait sur aucune preuve.

 

II.         Faits

[2]               Le demandeur, un citoyen éthiopien de 23 ans, se trouvait au Canada en vertu d’un permis d’études. Son permis a expiré en août 2001 et il a attendu une année entière avant de demander la prorogation de son permis. Lorsque la prorogation lui a été refusée en août 2002, il a encore une fois attendu jusqu’au 22 octobre 2002 pour demander l’asile. Sa demande était fondée sur la crainte d’être persécuté parce qu’il est membre du groupe ethnique oromo et du FLO, une organisation qui prône la sécession d’une région de l’Éthiopie.

 

[3]               Il a témoigné qu’il s’était occupé d’imprimer et de distribuer des tracts, qu’il avait assisté à des réunions secrètes et qu’il avait aidé financièrement le FLO. Il a affirmé avoir été arrêté, interrogé, battu et menacé par les policiers en raison de ses activités politiques. Il a également affirmé que, pendant qu’il se trouvait au Canada, il a appris que son père avait été détenu par un groupe politique rival, favorable au gouvernement et que sa mère avait été emprisonnée à deux reprises parce qu’elle cherchait à savoir où se trouvait son mari.

 

[4]               La Commission a rejeté la demande du demandeur parce que celui‑ci n’était pas suffisamment crédible. Cette conclusion reposait sur trois motifs principaux : le contenu d’un courriel provenant d’un fonctionnaire de l’ambassade du Canada à Nairobi qui contredisait les points importants de la version des faits du demandeur, le fait que le demandeur ne connaissait pas la période pendant laquelle son père avait été détenu et le temps qu’il avait attendu avant de demander l’asile.

 

[5]               Le courriel, la façon dont il a été traité et son contenu, sont les principales questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le courriel a été produit à l’audience. Le demandeur a manifesté certaines préoccupations au sujet de la présentation tardive de cette preuve, mais il n’a pas demandé d’ajournement. Le demandeur a choisi de répondre au contenu de ce courriel en déposant un affidavit postérieur à l’audience.

 

[6]               Le courriel émanait d’un employé du bureau des visas de l’ambassade qui communiquait des renseignements fournis par la mère du demandeur, une employée de l’ambassade. Selon le courriel, la mère aurait déclaré ce qui suit :

[traduction]

·                    « Elle et son mari sont tous deux Oromos et leurs familles respectives ont financé la cause (ne suis pas sûr de ce que cela veut dire exactement) […] »

·                    « Elle et son mari n’ont jamais été arrêtés ni détenus, et elle n’a pas mentionné que son fils avait été arrêté et détenu […] »

 

[7]               Après l’audience, le demandeur a déposé un affidavit de sa mère dans laquelle celle‑ci tente d’expliquer les déclarations qu’elle a faites au fonctionnaire de l’ambassade et qui figurent dans le courriel en question. Elle allègue qu’elle craignait de dire la vérité, que des policiers avaient cherché à savoir où se trouvait le demandeur, qu’elle avait été détenue et interrogée à deux reprises et que son mari avait été [traduction] « emprisonné et harcelé à plusieurs reprises pour avoir versé des fonds à divers groupes oromos et pour avoir adhéré à l’organisation du FLO ».

 

[8]               La Commission n’a pas retenu l’explication qu’a fournie la mère du demandeur selon laquelle elle n’avait pas mentionné les détentions parce qu’elle craignait de perdre son travail au cas où l’ambassade apprendrait qu’elle et sa famille entretenaient des liens avec le FLO. La Commission a jugé que l’aveu qu’elle avait fait selon lequel elle et son mari avaient versé de l’argent au FLO était susceptible de nuire davantage au poste qu’elle occupait que le seul fait d’avoir été détenue parce qu’une détention ne veut pas dire que la personne détenue est membre du FLO. On peut présumer que le fait de verser de l’argent est une preuve plus probante de l’appartenance au FLO.

 

[9]               La Commission a réitéré, comme motif principal de rejet de l’affidavit, que l’affidavit ne traitait pas de l’aveu selon lequel le père et la mère du demandeur avaient versé des fonds au FLO.

 

[10]           Le demandeur affirme que cette conclusion qui touche un élément essentiel de la décision, est manifestement inexacte. La décision est donc gravement viciée et doit donc être annulée.

 

III.       Questions en litige

[11]           Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

·                    La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle au sujet des preuves?

·                    La Commission a‑t‑elle violé les principes de la justice naturelle ou de l’équité?

 

IV.       Analyse

[12]           Il est établi depuis longtemps que la norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315). La norme en matière d’équité et de justice naturelle est la décision correcte.

 

[13]           Sur la question des fonds versés au FLO, le demandeur a déclaré que sa mère n’avait jamais admis, selon ce qu’indique le courriel, que elle ou son mari avait versé des fonds. Le seul aveu est que la famille avait aidé la cause. Le demandeur conteste que le terme [traduction] « cause » se rapporte au FLO.

 

[14]           Pour ce qui est du mot [traduction] « cause », il est évident dans le contexte de cette affaire que la seule cause pertinente concerne le FLO. Il n’était pas déraisonnable de déduire que le mot [traduction] « cause » concernait le groupe sécessionniste, à savoir le FLO.

 

[15]           De toute façon, l’élément pertinent est que des fonds ont été versés à une faction du mouvement sécessionniste.

 

[16]           Il est possible d’interpréter de deux façons la partie du courriel qui traite de ces contributions : (1) la mère et le père, membres d’une famille d’Oromos, ont tous deux versé des fonds ou (2) la mère et le père sont oromos et leurs familles (et non eux) ont versé des fonds. Aucune de ces interprétations n’indique que l’interprétation qu’a donnée la Commission aux déclarations figurant dans le courriel était déraisonnable.

 

[17]           En fin de compte, l’interprétation que la Commission a attribuée au courriel était renforcée par l’affidavit de la mère dans lequel elle déclare que le père a été emprisonné et harcelé à plusieurs reprises [traduction] « pour avoir versé des fonds » à des groupes oromos et pour être membre du mouvement FLO.

 

[18]           Il est tout simplement impossible de conclure que l’interprétation que la Commission a retenue sur ce point essentiel était déraisonnable, encore moins qu’elle était manifestement déraisonnable.

 

[19]           Le demandeur soutient que la communication tardive du courriel était inéquitable et qu’en l’autorisant à répondre au courriel par le dépôt d’un affidavit postérieur à l’audience sans toutefois lui signaler les problèmes que posait sa crédibilité, la Commission a agi de façon inéquitable.

 

[20]           La communication tardive était peut‑être inéquitable, mais le demandeur n’a pas demandé d’ajournement. Il était disposé, et a même proposé qu’il en soit ainsi, à régler cette question par le dépôt d’un affidavit postérieur à l’audience et par la présentation d’observations. On pourrait également soutenir que cette façon de procéder offrait pour le demandeur l’avantage de lui permettre de déposer un affidavit à propos duquel il était pratiquement impossible de le contre‑interroger et donnait au demandeur le temps de déposer des observations écrites plus détaillées.

 

[21]           Je ne vois rien d’inéquitable dans le fait d’avoir suivi la procédure proposée par le demandeur. La Commission n’était pas tenue de signaler au demandeur que l’affidavit soulevait des questions de crédibilité, tout comme elle n’aurait pas été tenue de le faire si ce sujet avait été traité à fond à l’audience.

 

[22]           Dans le souci de traiter tous les points soulevés par la demande, j’aimerais aborder trois autres sujets qui ont été soulevés, mais qui n’ont pas été pleinement débattus :

1.         l’omission de la part de la Commission d’accepter les explications fournies par le demandeur parce qu’il avait confondu certaines dates – la nécessité de passer du calendrier éthiopien au calendrier grégorien – constitue une erreur; celle‑ci ne porte pas toutefois sur un aspect essentiel de l’affaire et ne compromet pas le raisonnement sur lequel repose la décision;

2.         la conclusion selon laquelle il n’existe pas suffisamment de preuves crédibles établissant les persécutions antérieures constitue un fondement suffisant, en l’espèce, pour ce qui est de la crainte objective exigée par l’article 97;

3.         la question du retard dans la présentation de la demande d’asile n’a pas eu un effet déterminant sur la demande, mais a uniquement constitué un facteur qui a été apprécié dans le contexte des autres preuves qui compromettaient la crédibilité du demandeur.

 

[23]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5653‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   ESTIFANOS MEKONNEN

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 23 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 24 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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