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Date : 20060306

Dossier : IMM-2410-05

Référence : 2006 CF 288

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

JOSE DE JESUS ORTIZ JUAREZ

XOCHITL ARIZMENDI ARENAS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.           Les faits

[1]                Monsieur et madame Ortiz Juarez sont des citoyens mexicains dont la demande d'asile a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) pour les motifs suivants : a) leur récit n'était pas crédible, et b) ils n'avaient pas réfuté la présomption de la protection de l'État.

[2]                La CISR a tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité pour les motifs suivants :

·                     dans leurs témoignages oraux, les demandeurs avaient mentionné d'importants renseignements nouveaux qui ne figuraient pas dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP);

·                     les demandeurs n'avaient pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi les renseignements en question avaient été omis dans les FRP;

·                     il n'existait pas de preuve documentaire corroborante de la maladie de Mme Ortiz Juarez et du virement de fonds effectué pour payer les prétendus ravisseurs;

·                     l'omission d'expliquer pourquoi les renseignements avaient été omis et de fournir des éléments de preuve corroborants devait être retenue contre les demandeurs étant donné que ces derniers étaient représentés par un avocat chevronné.

[3]                Pour ce qui est de la protection de l'État, la CISR a conclu que la norme de preuve à laquelle les demandeurs devaient satisfaire pour réfuter la présomption selon laquelle ils pouvaient se réclamer de la protection étatique était élevée étant donné que le Mexique était un pays où la démocratie fonctionnait normalement. De plus, la CISR a conclu que même si la police était impliquée dans les enlèvements, il existait d'autres organismes d'État efficaces à qui les demandeurs pouvaient demander la protection. La CISR a tiré des conclusions défavorables de l'omission de M. Ortiz Juarez de se réclamer de la protection de l'État et du fait que Mme Ortiz Juarez ait attendu six mois avant de signaler l'enlèvement.

II.          Analyse

[4]                Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions de la CISR concernant la crédibilité ou la protection de l'État est la norme de la décision manifestement déraisonnable. (Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); (1993), 160 N.R. 315 et Alizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.) (QL).)

[5]                Les demandeurs ont tenté de rejeter la responsabilité des différentes omissions dans le FRP de Mme Ortiz Juarez sur leur ancien avocat. Ils font essentiellement valoir que la preuve déposée par l'avocat était clairement erronée. Leur nouvel avocat soutient que les erreurs étaient tellement flagrantes que la CISR aurait dû s'en apercevoir et en tenir compte.

[6]                Je suis d'avis que l'on ne peut reprocher à la CISR de s'être basée sur la preuve qui lui a été présentée et d'avoir tiré des conclusions défavorables à cause d'omissions importantes. Je me pencherai plus loin sur la question des prétendues omissions de l'avocat.

[7]                Les demandeurs soutiennent que la CISR n'avait pas le droit d'exiger des éléments de preuve corroborants étant donné que leur récit bénéficie d'une présomption de véracité. Cet argument est tout simplement surprenant. L'exigence de la corroboration relève du bon sens. La question est succinctement exposée à la page 973 de l'ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant intitulé The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1999 :

[traduction] La règle générale veut que le témoignage d'un seul témoin soit suffisant, dans la mesure où le degré de certitude requis est atteint, pour qu'une déclaration de culpabilité ou un jugement en matière civile puisse être prononcé. Comme il peut exister des doutes quant à la fiabilité du témoignage d'un témoin - le témoin pourrait avoir un intérêt financier dans l'issue de l'instance ou être un complice - le juge des faits peut chercher des éléments de preuve à l'appui afin de corroborer le témoignage du témoin en question. Cette recherche de la preuve corroborante relève du bon sens.

[8]                Les demandeurs font valoir qu'il leur était impossible de fournir des preuves du virement de fonds parce que les relevés ont été égarés lors de la réorganisation de la banque. Aucun élément de preuve démontrant que les relevés bancaires ont été perdus ou que les demandeurs ont fait des démarches pour les obtenir n'a été fourni.

[9]                Les relevés bancaires, ou à tout le moins les tentatives de les obtenir, constituaient des éléments de preuve importants, et il était raisonnable de s'attendre à ce qu'ils puissent être fournis. Il était tout à fait raisonnable de la part de la CISR de vouloir obtenir de tels éléments de preuve et de tirer des conclusions défavorables de l'omission des demandeurs de les lui fournir.

[10]            Pour ce qui est de la protection de l'État, le Mexique est un État démocratique qui possède un service de police opérationnel. Même si le service de police ou quelques uns de ses membres étaient des agents de persécution, aucun élément de preuve n'indique qu'il y ait un ébranlement généralisé des institutions démocratiques. De plus, la preuve révèle qu'il est possible d'obtenir de l'aide et une protection auprès d'organismes indépendants de la police gérés par les différents États mexicains. Il était donc loisible à la CISR de tirer une conclusion défavorable de l'omission des demandeurs de demander la protection.

[11]            En dernier lieu, la présente affaire a pris une tournure fâcheuse. Le nouvel avocat des demandeurs a essayé de rejeter sur l'ancien avocat la responsabilité des erreurs et des omissions relevées dans la preuve des demandeurs. Il n'existe pas l'ombre d'un élément de preuve convaincant à l'appui de cette allégation, qui équivaut à une allégation de négligence ou de comportement irresponsable dans l'exercice de la profession.

[12]            L'ancien avocat n'a pas été avisé que cette allégation allait être soulevée, et aucune plainte n'a été déposée auprès du barreau ou des assureurs du régime d'assurance responsabilité professionnelle. Il est selon moi tout à fait inacceptable de la part du nouvel avocat, qui est un officier de justice, d'attaquer la réputation professionnelle d'un membre du barreau en l'absence de toute preuve à l'appui et sans lui donner de préavis ou lui permettre de réfuter les allégations dont il fait l'objet d'une autre façon.

[13]            Il n'existe aucun motif justifiant que la Cour fasse droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n'est certifiée.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2410-05

INTITULÉ :                                        JOSE DE JESUS ORTIZ JUAREZ

                                                            XOCHITL ARIZMENDI ARENAS

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 2 MARS 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 6 MARS 2006

COMPARUTIONS:

Boniface Ahunwan

POUR LES DEMANDEURS

Kevin Lunney

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Boniface Ahunwan

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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