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Date : 19980827

Dossier : IMM-4310-97

Ottawa (Ontario), le lundi 31 août 1998

DEVANT : Monsieur le juge Gibson

ENTRE

NAGESU KANDIAH et

AMBIGANITHI NAGESU,

demandeurs,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision ici en cause de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience et réexamen par une formation composée de membres différents.

                         Frederick E. Gibson                     

Juge                                  

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19980831

Dossier : IMM-4310-97

ENTRE

NAGESU KANDIAH et

AMBIGANITHI NAGESU,

demandeurs,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]    Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention au sens attribué à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision de la SSR est datée du 23 septembre 1997.


[2]    Les demandeurs sont des citoyens tamouls de Sri Lanka, qui viennent de la région de Jaffna. Il s'agit d'un mari et de sa conjointe. Les demandeurs se sont rencontrés à Colombo en 1947 et ont vécu à cet endroit pendant quelque temps à la fin des années 1940, mais par la suite ils ont vécu dans le nord de Sri Lanka. De 1947 ou 1948 jusqu'en 1991, ils ont vécu et élevé deux fils à Pungudutiya, où ils exploitaient une ferme. Par la suite, à cause du harcèlement et de l'extorsion dont ils étaient victimes de la part des LTTE, ils ont vécu ailleurs, dans la région de Jaffna. En octobre 1995, les LTTE les ont contraints à s'installer à Kilinochchi. Ils ont continué à être victimes d'extorsion. Enfin, en mai 1996, lorsque les actes d'extorsion sont devenus trop abusifs, ils ont acheté des laissez-passer pour se rendre à Colombo et ils ont remis aux LTTE les titres relatifs aux propriétés qu'ils possédaient dans la région de Jaffna, pour garantir le paiement des montants qu'ils avaient promis de verser.

[3]    Comme de nombreux Tamouls venant du nord qui arrivent à Colombo, les demandeurs ont eu des difficultés avec la police. Ils se sont donc procurés une grosse somme d'argent en vue de payer les services d'un agent, qui a pris des dispositions destinées à leur permettre de venir rejoindre leurs deux fils au Canada.

[4]    La SSR a conclu que certains éléments du témoignage du demandeur étaient invraisemblables, mais elle n'a pas tiré de conclusion générale au sujet de la crédibilité. Elle n'a pas non plus expressément conclu que les demandeurs avaient raison de craindre d'être persécutés dans le nord de Sri Lanka. Toutefois, il est possible de déduire que cette conclusion a été tirée du fait que la SSR a uniquement fondé sa décision, à savoir que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, sur la conclusion selon laquelle il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable, à Colombo.

[5]    Dans la décision Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2], Monsieur le juge Mahoney a dit ceci, à la page 711 :

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

Il est donc maintenant établi que, pour conclure à l'existence d'une PRI, un critère à deux volets doit être satisfait. Compte tenu des faits de l'espèce, je ne puis constater l'existence d'aucune erreur susceptible de révision de la part de la SSR lorsqu'elle a conclu qu'elle était convaincue :

[TRADUCTION]

[...] selon la prépondérance des probabilités, que les [demandeurs] ne risquaient pas sérieusement d'être persécutés à Colombo [...]

[6]         J'arrive à une conclusion différente en ce qui concerne la conclusion de la SSR selon laquelle :

[TRADUCTION]

[...] compte tenu de toutes les circonstances dont celle leur étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour les [demandeurs] d'y chercher refuge.

[7]         Dans la décision Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3], Monsieur le juge Linden a fait les remarques suivantes au sujet du second volet du critère relatif à la PRI :

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter.

[8]         Voici ce que la SSR a dit en l'espèce :

[TRADUCTION]

La formation a examiné les circonstances qui étaient particulières au demandeur, à savoir qu'il a 69 ans. Selon les documents mis à notre disposition, les personnes âgées comme les demandeurs pourraient se réinstaller à Colombo et auraient certainement droit à une pension et à d'autres avantages dans la capitale. Deux formes d'aide sociale sont offertes aux personnes âgées, à Colombo. Sarbothaya est une organisation, à Colombo, qui aide tous les groupes à faible revenu, et notamment les personnes âgées dans le besoin, en leur fournissant des aliments, un logement et de petites sommes d'argent sur une base irrégulière. Cette organisation dispose également d'installations résidentielles. De son côté, le gouvernement sri-lankais a mis en oeuvre un programme dans le cadre duquel des allocations sont versées à certaines fins et d'autres allocations sont versées aux personnes indigentes, c'est-à-dire qu'il verse une allocation pécuniaire aux personnes âgées en fonction de leur revenu personnel et de leurs épargnes.

Selon son propre témoignage, le demandeur a démontré que sa femme et lui ne sont pas sans le sou à Colombo. Il a témoigné avoir été en mesure de se procurer 800 000 roupies en vue de payer l'agent pour le voyage entre Colombo et le Canada. Lorsqu'on lui a demandé comment il avait réussi à se procurer une somme aussi élevée, le demandeur a répondu qu'à part l'argent qu'il avait apporté du nord, il avait pu emprunter à des amis la majeure partie du montant en question. De l'avis de la formation, il ne serait pas trop dur de s'attendre à ce que les demandeurs se réinstallent à Colombo, qui, selon la formation, constitue une option réaliste et abordable.

Compte tenu de la preuve documentaire susmentionnée concernant les Tamouls à Colombo, de l'existence d'un système social qui peut aider les demandeurs à se réinstaller à Colombo, du fait que pendant qu'il était à Colombo le demandeur a réussi à se procurer une grosse somme d'argent en peu de temps en demandant de l'argent à des amis qui vivaient à cet endroit, des profils des demandeurs, c'est-à-dire un Tamoul de 69 ans et une Tamoule de 64 ans, qui ne peuvent pas être recrutés par les LTTE à cause de leur âge et qui sont même considérés par les LTTE comme trop vieux et trop malades pour la guerre qui est faite en vue d'obtenir l'indépendance, et qui n'ont même pas été arrêtés par la police de Colombo lorsqu'une descente a été faite au local, la formation ne croit pas à l'existence d'une possibilité raisonnable de persécution qui empêcherait les demandeurs de retourner à Colombo. La formation ne croit pas qu'il soit déraisonnable de s'attendre à ce que les demandeurs essaient tout au moins de se réétablir à Colombo, qui, selon la formation, constitue dans leur cas une PRI viable.

[9]         Devant moi, l'avocat du défendeur a reconnu que la conclusion de la SSR selon laquelle, pendant qu'il était à Colombo le demandeur avait réussi à se procurer une grosse somme en peu de temps en demandant de l'argent à des amis qui vivaient à cet endroit, ne correspondait tout simplement pas à la preuve. Les demandeurs sont essentiellement sans le sou. Ils n'ont pas de famille et d'amis à Colombo. Il y a bien des années qu'ils ne vivent plus à cet endroit. Il n'existe tout simplement aucun élément de preuve tendant à montrer qu'ils réussiraient à se procurer des fonds pour subvenir à leurs besoins à Colombo. L'analyse de la SSR, en ce qui concerne le second volet du critère relatif à la PRI, doit donc être maintenue ou rejetée compte tenu de la conclusion qui a été tirée au sujet de l'existence de services sociaux ou d'un « système social » universel.

[10]       Quels que soient leurs mérites, les services sociaux à Colombo ne seraient offerts qu'aux personnes qui sont autorisées à vivre à cet endroit et à se prévaloir de ces services. L'analyse de la SSR est tout simplement incomplète. La SSR ne conclut pas que, s'ils quittaient le Canada pour retourner à Sri Lanka, les demandeurs, dont l'expérience et le patrimoine sont rattachés au nord de Sri Lanka, seraient autorisés à rester à Colombo, où la preuve établit clairement qu'un régime de permis est en place pour les Tamouls venant du nord. La SSR ne conclut pas que cette destination en tant que PRI est « réalistement accessible » aux demandeurs, pour reprendre l'expression utilisée par Monsieur le juge Linden dans la décision Thirunavukkarasu, si ce n'est comme point de transit.

[11]       Je reviens au passage précité de la décision Thirunavukkarasu : « La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. » Compte tenu des faits de l'espèce, Colombo doit donc être « réalistement accessible » aux demandeurs. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre eux et cette autre partie de leur pays, les demandeurs devraient raisonnablement pouvoir les surmonter. Compte tenu du système de laissez-passer qui existe, je conclus que l'analyse de la SSR est incorrecte. Elle ne démontre tout simplement pas que la PRI qu'elle a identifiée dans le cas des demandeurs constitue plus qu'une possibilité supposée ou théorique. Cela ne veut pas dire que la conclusion à laquelle est arrivée la SSR n'aurait pas pu être tirée compte tenu de la totalité de la preuve dont celle-ci disposait. Cependant, l'analyse ne démontre tout simplement pas que le critère relatif à une PRI a été satisfait.

[12]       Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR ici en cause est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audience et réexamen par une formation composée de membres différents.

[13]       Ni l'un ni l'autre avocat n'ont recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

                         Frederick E. Gibson                     

Juge                                  

Ottawa (Ontario)

Le 31 août 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :IMM-4310-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :Nagesu Kandiah et al. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :le 27 août 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON en date du 31 août 1998.

ONT COMPARU :

John W. Grice pour les demandeurs

Kevin Lunney                            pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John W. Grice pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenbergpour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



           [1]L.R.C. (1985), ch. I-2.

     [1992] 1 C.F. p. 706 (C.A.).

     [1994] 1 C.F. p. 589 (C.A.).

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