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Date : 20020213

Dossier : IMM-5925-00

Référence neutre : 2002 CFPI 162

Ottawa (Ontario), le 13 février 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                               HABIB RASHAD ABOUBACAR

                                                                                                                                         demandeur

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 M. Aboubacar prétend être un citoyen du Niger âgé de 32 ans qui craint avec raison d'être persécuté dans ce pays à cause de ses opinions politiques. Sa demande de contrôle judiciaire vise la décision du 23 octobre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a statué qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, et que sa revendication n'avait pas un minimum de fondement.


[2]                 M. Aboubacar a indiqué dans son témoignage qu'il jouait un rôle politique actif et qu'il avait été le chef adjoint d'un complot visant à renverser le gouvernement nigérien. Il a déclaré que les autorités avaient eu vent de ce projet et que plusieurs des conspirateurs avaient été arrêtés. Il a ajouté qu'il s'était enfui du Niger pour sauver sa vie et qu'il était venu chercher refuge au Canada.

LA DÉCISION DE LA SSR

[3]                 La SSR a exprimé d'importantes réserves relativement à l'identité prétendue de M. Aboubacar. Elle a conclu que, en l'absence de toute pièce d'identité digne de foi et compte tenu du manque de crédibilité de M. Aboubacar, il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour conclure que M. Aboubacar est la personne qu'il prétend être, ou même qu'il est bien originaire du Niger.


[4]                 M. Aboubacar a fourni une carte d'identité du Niger à Citoyenneté et Immigration Canada, qui l'a transmise à la GRC pour expertise judiciaire. Selon le rapport de la GRC, les résultats de l'analyse n'étaient pas concluants en ce qui concerne l'authenticité et l'altération de la carte d'identité, mais la carte avait les caractéristiques d'un document contrefait. S'appuyant sur ce rapport, la SSR a conclu que la carte d'identité de M. Aboubacar était fausse et elle ne lui a accordé aucune valeur probante. La SSR a statué que M. Aboubacar avait gravement miné sa crédibilité en fournissant ce document, tant en ce qui concerne son identité que de manière générale.

[5]                 Six jours avant l'audience, l'avocate de M. Aboubacar a déposé un certificat de naissance intitulé « Extrait du registre des jugements supplétifs d'acte de naissance » . La SSR a conclu qu'étaient très douteuses les explications données par M. Aboubacar sur la façon dont il avait obtenu ce document. Le dépôt du document seulement quelques jours avant l'audience avait également conduit la SSR à tirer une conclusion défavorable. Pour ce motif et comme elle avait conclu précédemment que la carte d'identité fournie par M. Aboubacar était fausse, la SSR n'a accordé aucune valeur probante à ce second document.

[6]                 La SSR a décelé des contradictions dans diverses réponses données par M. Aboubacar au sujet de ses frères et soeurs. Tandis qu'à d'autres égards le témoignage oral de M. Aboubacar au sujet de son identité était largement compatible avec la teneur de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), ces contradictions relativement aux frères et soeurs faisaient douter encore davantage de l'identité de M. Aboubacar, la SSR a-t-elle déclaré.


[7]                 La SSR n'a pas jugé crédibles les allégations de M. Aboubacar au sujet d'un complot visant à renverser le gouvernement nigérien parce qu'il n'a pas été en mesure, sauf à la fin de son témoignage et après des questions répétées à ce sujet et une pause, de donner des détails sur le mode d'exécution de ce projet. La SSR a également exprimé de sérieux doutes, en raison de l'absence de précisions et comme le scénario dans son ensemble « sonnait faux » , quant à l'existence de l'organisation révolutionnaire dont M. Aboubacar disait être membre.

[8]                 La SSR a conclu, par suite, qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour conclure que M. Aboubacar était un réfugié au sens de la Convention, et que sa revendication n'avait pas un minimum de fondement.

[9]                 La SSR a ensuite conclu que, même si elle devait croire que M. Aboubacar est un Haoussa et un citoyen nigérien, il n'y a pas de possibilité raisonnable de persécution de ce dernier en raison de son origine ethnique haoussa. La SSR a signalé que les Haoussas constituent le groupe ethnique majoritaire au Niger, et qu'aucun élément de preuve ne permettait de croire qu'ils y étaient victimes de discrimination officielle ou au sein de la société en tant que groupe dominant.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            On a fait valoir au nom de M. Aboubacar que la SSR avait commis les erreurs suivantes :


i)           elle a substitué son opinion à celle exprimée par le laboratoire judiciaire de la GRC, lorsqu'elle a conclu que la carte d'identité était fausse;

ii)          elle a tiré une conclusion défavorable de la production tardive du certificat de naissance, alors particulièrement qu'aucune objection n'avait été soulevée lorsque le document a été déposé comme pièce à l'audience et qu'on n'avait pas demandé d'explications à M. Aboubacar au sujet de sa production tardive;

iii)          elle s'est montrée « tatillonne » quant au reste de ses inquiétudes en matière de crédibilité;

iv)         elle a conclu que la revendication n'avait pas un minimum de fondement sans soulever cette question dans le formulaire d'examen initial ni à quelque moment que ce soit pendant l'audience.


ANALYSE

(i) Norme de contrôle judiciaire

[11]            La SSR est le juge des faits et elle a compétence pour statuer sur la crédibilité ainsi que la valeur probante de la preuve.

[12]            L'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 prévoit ce qui suit :


18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

...

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_:

...

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

...

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

...

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;


[13]            Cela correspond à une norme de décision manifestement déraisonnable en matière de contrôle judiciaire des conclusions de fait.


(ii) La carte d'identité

[14]            Selon le rapport judiciaire de la GRC, les résultats de l'analyse n'étaient pas concluants en ce qui concerne l'authenticité et l'altération de la carte d'identité nationale de M. Aboubacar. On peut toutefois lire ce qui suit à la rubrique « Remarques » du rapport :

     [TRADUCTION]AUTHENTICITÉ

1. La pièce Q-1 consiste en deux photocopies en couleur qu'on a collées ensemble recto-verso. Le carnet d'identité a été mal produit et assemblé et on y dénote des caractéristiques habituellement présentes dans les faux documents.

2. La pièce Q-1 a été produite au moyen d'un photocopieur Xerox. Xerox USA n'a pu communiquer à ce jour la date et le lieu où le photocopieur a été expédié.

ALTÉRATION

3. Il n'y a pas eu altération de la pièce Q-1.

4. Il y a certains indices de retouche du document original à partir duquel la pièce Q-1 a été produite. Des lignes résiduelles et des lignes brisées constituent des indices de retouche. (TABLEAU JOINT).

[15]            Dans le tableau joint au rapport judiciaire, des images agrandies confirmaient que le document était constitué de deux photocopies couleur portant le code de Xerox collées recto-verso, et qu'il restait dans les données des lignes résiduelles révélatrices de retouches à l'original.


[16]            L'avocate de M. Aboubacar a soutenu que la SSR avait commis une erreur en omettant de citer dans ses motifs la partie du rapport précisant que les résultats de l'analyse n'étaient pas concluants en ce qui concernait l'authenticité et l'altération du document, et en concluant qu'il y avait eu fraude alors que le laboratoire judiciaire de la GRC n'avait pas tiré une telle conclusion.

[17]            En ce qui concerne cette conclusion de fait, il importe de se rappeler que c'est uniquement lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera jugée manifestement déraisonnable. Se reporter à cet égard à Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, au paragraphe 85.

[18]            Selon le rapport judiciaire, il y avait certains indices de retouches apportées au document utilisé pour produire la carte d'identité, et on dénotait dans celle-ci des caractéristiques habituellement présentes dans les faux documents.

[19]            C'est à la SSR qu'il revient d'établir la valeur probante d'une preuve d'expert telle que le rapport judiciaire de la GRC. Compte tenu des extraits cités précédemment de ce rapport, on ne peut dire que la décision de la SSR de n'accorder aucune valeur à la pièce d'identité était si peu étayée par la preuve qu'elle était manifestement déraisonnable.


[20]            M. Aboubacar a invoqué la décision Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 10 (C.F. 1re inst.) portant que les documents d'identité délivrés par un État étranger étaient présumés être valides à moins qu'une preuve ne soit produite au contraire; or, le rapport judiciaire constituait une telle preuve contraire.

(iii) Le certificat de naissance

[21]            L'avocate de M. Aboubacar a remis ce document à la SSR avec une lettre d'accompagnement précisant ce qui suit :

     [TRADUCTION]En étudiant ce dossier aujourd'hui, je me suis rendue compte que j'avais omis par inadvertance d'envoyer ces documents auparavant. Veuillez m'excuser pour le retard.

[22]            M. Aboubacar a soutenu dans ces circonstances que la SSR avait fait erreur en tirant une conclusion défavorable de la production tardive du document, comme particulièrement elle n'a fait nulle mention de la lettre de l'avocate dans ses motifs, ne s'est pas objectée à la présentation du document comme pièce et n'a pas demandé à M. Aboubacar d'expliquer la production tardive du document.

[23]            À mon avis, la SSR n'aurait pas dû ignorer les explications données par l'avocate du demandeur relativement à la production tardive.


[24]            La SSR ne s'est toutefois pas fondée uniquement sur la production tardive pour décider de n'accorder aucun poids au certificat de naissance. Elle a aussi conclu que les explications données par M. Aboubacar quant à la façon dont il avait obtenu le document étaient très discutables, et tenu compte du fait que celui-ci avait fourni une autre pièce d'identité fausse.

[25]            Puisque la preuve permettait d'étayer ces deux dernières conclusions, je ne puis conclure que l'erreur commise par la SSR en ne mentionnant pas l'explication de l'avocate était susceptible de révision. Je suis persuadée que, même sans tenir compte de la production tardive du certificat de naissance, la SSR n'aurait accordé aucun poids à ce document, une décision que la preuve permettait d'étayer.

(iv) Les autres sujets d'inquiétude de la SSR en matière de crédibilité

[26]            Les autres conclusions de la SSR quant à la crédibilité ne découlaient pas toutes de ses doutes au sujet de l'authenticité de la carte d'identité. Elles se fondaient plutôt sur :

i)           des contradictions dans le témoignage de M. Aboubacar relativement à ses frères et soeurs;

ii)          l'absence de détails relativement au groupe révolutionnaire dont M. Aboubacar aurait été membre et de son projet de renversement du gouvernement.

[27]            M. Aboubacar a déclaré dans son FRP qu'il avait une soeur et pas de frère.


[28]            On a mentionné dans les notes prises au point d'entrée que M. Aboubacar avait indiqué le nom d'un frère et d'aucune soeur.

[29]            M. Aboubacar a déclaré à l'audience qu'il avait une soeur et, lorsqu'on lui a demandé de préciser s'il avait ou non un frère, il a dit que dans sa culture le mot frère pouvait désigner un cousin. M. Aboubacar a ainsi expliqué que lorsqu'on avait mentionné un frère dans les notes prises au point d'entrée c'était en fait d'un cousin qu'il s'agissait.

[30]            Cette explication ne justifie toutefois pas les réponses contradictoires données par M. Aboubacar quant à savoir s'il avait ou non une soeur.

[31]            Il n'était donc pas manifestement déraisonnable pour la SSR de conclure que ces contradictions rendaient encore plus sujette à caution l'identité de M. Aboubacar.

[32]            Pour ce qui est maintenant de la façon dont la SSR a qualifié le témoignage de M. Aboubacar au sujet du groupe révolutionnaire et de ses projets, voici un extrait de ce témoignage lors de l'interrogatoire :

      [TRADUCTION]Q:              Dans votre exposé circonstancié vous faites état d'une importante réunion. Quel était l'objet de cette réunion?

R:            C'était une réunion du dimanche. La dernière réunion - celle où il nous fallait décider ce que nous allions faire.

Q:            Quelle a été la décision prise?


R:            La décision a été que nous allions - que nous allions agir et renverser ce type.

Q:            Et comment projetiez-vous d'y arriver?

R:            Il ne nous aimait pas, nous les Haoussas, et parmi tous ses proches il ne se trouvait pas un seul Haoussa.

Q:            Non, ce que j'essaie d'apprendre de vous c'est comment votre groupe envisageait de se défaire du président. Comment alliez-vous vous en défaire?

R:            Nous ne voulions pas le tuer mais plutôt nous en emparer et le séquestrer quelque part. En plus de lui, nous voulions aussi arrêter et séquestrer d'autres membres de son entourage.

Q:            Comment alliez-vous y parvenir?

R:            Nous avions notre plan.

[33]            M. Aboubacar a répondu ce qui suit en réponse à certaines questions de la Commission :

      [TRADUCTION] Q:              Pourriez-vous m'en dire un peu plus sur ce qui s'est passé lors des réunions que vous avez tenues?

R:            Nous avons parlé de bien des événements survenant au pays.

Q:            De quoi par exemple?

R:            Nous avons parlé du peu de possibilités - comme lorsque les membres de cette tribu n'aiment pas ceux de telle ou telle autre, et les membres d'une tribu n'auront que très peu de bonnes occasions si on ne les aime pas. Il y a beaucoup de luttes, de luttes tribales.

Q:            Rien d'autre?

R:            Et personne ne semble heureux. Tout le monde a reçu une éducation.

Q:            Pourriez-vous donner des précisions sur les plans du groupe pour renverser le gouvernement. Comment alliez-vous vous y prendre?

R:            D'où je viens, voyez-vous, si vous projetez de faire quelque chose, que vous en avez l'intention, une fois que vous avez fait les premiers pas vous devez vous exécuter et aller jusqu'au bout.

Q:            Mais quels étaient vos plans ou vos intentions pour y parvenir?


R:            Nous connaissions, nous avions notre plan.

Q:            Eh bien, parlez-nous de ce plan.

R:            Nous avions projeté d'aller le surprendre un soir et de l'arrêter. Les chefs et les aînés de notre tribu nous appuyaient sans réserve et nous aidaient financièrement et autrement.

Q:            Le président disposait-il de ses propres gardes de sécurité?

R:            Oui, il avait ses propres gardes.

Q:            Comment projetiez-vous d'échapper à ces gens pour -

R:            Il y a beaucoup de méfiance et de sabotage là-bas. Il est très facile d'accomplir ce genre de choses. Le dernier qui a été renversé, par exemple, a été trahi par ses propres gens. Il est très facile en fait de s'infiltrer et d'aider des gens à trahir la personne qu'ils sont censés protéger.

Q:            Y a-t-il autre chose que vous aimeriez me dire au sujet de votre rôle au sein du Groupe des jeunes gens et que vous n'avez pas encore eu la chance de me dire?

R:            Je jouais un rôle essentiel dans ce groupe puisque c'était chez moi qu'avaient lieu toutes ces réunions et que c'était dans ma chambre que nous étions assis pour discuter de choses comme celles-là.

Q:            Y a-t-il autre chose que vous voudriez me dire?

R:            Nous tenons ces réunions chez moi, dans ma chambre, et nous prenons (inaudible) tout le monde doit garder cela aussi secret que possible. Alors tout le monde sait que je suis l'un des grands chefs, l'un de ceux qui ont tout planifié.

[34]            Après une pause, M. Aboubacar a déclaré ce qui suit lors de son réinterrogatoire :

      [TRADUCTION]Q:              Comment alliez-vous exécuter votre plan? Selon quelles modalités?

R:            Ceux qui s'occupaient de la sécurité du président nous fournissaient beaucoup d'information de l'intérieur. Nous avions beaucoup d'information et nous avions infiltré les rangs du service de sécurité; certains de ses membres travaillaient en fait pour nous, vous savez. Nous espérions donc qu'ils pourraient nous le faire savoir, de manière exacte. Nous avons donc pu nous infiltrer. Ils nous ont donné toute l'information concernant le chef de l'État : combien il y a de personnes auprès de lui la nuit, quand il va se coucher, quels sont les arrangements en matière de sécurité, etc. Nous savions donc très bien quoi faire. Nous avons donc prévu faire cela la nuit. Nous savions exactement ce à quoi nous serions confrontés pour l'atteindre.


                 Nous espérions ainsi les prendre pas surprise en disposant d'information de l'intérieur sur le réseau de sécurité autour de lui. Mais d'une façon ou d'une autre, il y a eu une fuite et nous n'avons pu mettre en oeuvre notre plan. Nous avons donc dû nous disperser et nous enfuir; ça s'est produit à l'improviste, puis tout le monde a dû partir, s'enfuir.

[35]            La conclusion de la SSR selon laquelle M. Aboubacar n'avait pu donner de précisions sur le complot visant à renverser le président de manière détaillée et spontanée est étayée par la preuve, tant de la manière reproduite ci-dessus que de façon générale. Il était raisonnable pour la SSR de conclure que le récit fait par M. Aboubacar du prétendu complot n'était pas crédible.

[36]            Après avoir examiné la transcription de la totalité du témoignage de M. Aboubacar, ainsi que son FRP, je suis également convaincue qu'était étayée par la preuve la conclusion de la SSR selon laquelle M. Aboubacar n'avait pu donner un témoignage détaillé sur le mode d'opération du groupe révolutionnaire.

(v) Le défaut de la SSR de soulever la question de l'absence de minimum de fondement


[37]            La question de l'absence d'un minimum de fondement de la revendication de M. Aboubacar n'a pas été soulevée par la SSR au cours de l'audience, non plus que pendant l'examen initial. M. Aboubacar a prétendu, par conséquent, qu'on ne lui avait pas donné l'occasion d'aborder cette question et de pouvoir démontrer en quoi était inappropriée la conclusion selon laquelle sa revendication n'avait pas un minimum de fondement. M. Aboubacar a soutenu que les principes de justice fondamentale requéraient qu'un avis lui soit donné, une fois la preuve close ou pendant les plaidoiries, une fois que la SSR a estimé qu'il pourrait y avoir une conclusion d'absence de minimum de fondement.

[38]            Je conclus que cette prétention n'est pas valable. Dans Mathiyabaranam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1676, la Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit (aux paragraphes 9 et 10) :La question qu'il faut donc trancher est celle de savoir s'il faut donner un avis précis au revendicateur avant que la Commission puisse conclure àl'absence d'un minimum de fondement àl'issue de l'audience visant àse prononcer sur le statut de réfugiéau sens de la Convention. Il n'est pas expressément prescrit dans la loi qu'un avis supplémentaire de cette question doit être donné. Toute exigence de cette nature doit donc être fondée que le droit de justice naturelle selon lequel une personne doit savoir ce contre quoi il doit se défendre dans une procédure administrative qui touche ses intérêts. Àmon avis, comme je l'expliquerai plus loin, il n'existe aucun droit de recevoir un avis supplémentaire au sujet de la possibilitéque l'on conclue àl'absence d'un minimum de fondement. C'est donc dire que, dans la présente situation, il n'y a pas eu de manquement àla justice naturelle.

N'importe quel revendicateur est « ou devrait être » conscient du risque que l'on conclue àune absence de minimum de fondement, même s'il n'y a pas d'autre avis donnésur cette issue éventuelle. Le revendicateur du statut de réfugiédoit être conscient qu'il lui faut établir, dans le cadre de sa revendication, un minimum de fondement pour cette dernière. On ne peut établir une revendication du statut de réfugiésans établir d'abord, pour cette dernière, un minimum de fondement; l'une est tout àfait subordonnée àl'autre, et incluse en elle. Je ne puis imaginer ce qu'un revendicateur, àqui l'on a donnéun avis spécial, pourrait bien ajouter àsa cause. Tous les éléments de preuve disponibles devraient déjàavoir étésoumis àla Commission dans le cadre de la revendication du statut de réfugié.


[39]            M. Aboubacar a soutenu que la décision Mathiyabaranam avait été rendue avant la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 de la Cour suprême du Canada, et que l'issue en aurait été différente si elle avait été postérieure, particulièrement en raison du fait que la Cour suprême du Canada a insisté sur la question de l'importance qu'une décision peut avoir pour un demandeur.

[40]            Dans Baker, toutefois, la Cour suprême du Canada a signalé que l'obligation d'agir équitablement s'inscrit dans un contexte et que ce qu'il faut fondamentalement se demander, compte tenu de toutes les circonstances, c'est si l'on a donné à l'intéressé une occasion valable de présenter sa cause de manière équitable et exhaustive.

[41]            C'est là justement la question que la Cour d'appel s'est assignée à trancher dans Mathiyabaranam et, selon moi, rien dans l'arrêt Baker ne jette un doute sur l'analyse faite par la Cour d'appel. La définition même de réfugié au sens de la Convention, en vertu de laquelle un revendicateur doit démontrer au moyen d'une preuve crédible qu'il craint avec raison d'être persécuté, suppose qu'on décide si la revendication a ou non un minimum de fondement.

[42]            Le revendicateur n'a pas d'autre fardeau de présentation que l'obligation de démontrer, au moyen d'une preuve crédible, qu'il craint avec raison d'être persécuté.


[43]            M. Aboubacar a insisté sur l'importance capitale pour lui de la conclusion d'absence de minimum de fondement et sur l'accroissement qui en résultait de la portée de l'obligation d'agir équitablement. Je note à cet égard que, dans Mathiyabaranam, la Cour d'appel était très consciente de l'importance considérable pour un revendicateur d'une conclusion d'absence de minimum de fondement. La Cour en a traité spécifiquement au paragraphe 2 de ses motifs. Cette question a par conséquent été prise en compte.

[44]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[45]            L'avocate de M. Aboubacar a demandé que soit certifiée la question de savoir si, compte tenu de l'arrêt Baker, précité, de la Cour suprême, la SSR est tenue de solliciter la présentation d'arguments sur la question de l'absence d'un minimum de fondement, après avoir entendu la preuve mais avant de rendre une décision sur le sujet.

[46]            Compte tenu de l'analyse approfondie faite par la Cour d'appel fédérale dans Mathiyabaranam, précitée, je conclus que ce point est bien établi en droit et qu'aucune question grave n'est soulevée eu égard à l'importance de la décision Baker. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

[47]            LA COUR ORDONNE :

1.    La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.    Aucune question n'est certifiée.

  

« Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                             Juge                        

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5925-00

INTITULÉ :

HABIB RASHAD ABOUBACAR c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 29 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

Le juge Dawson

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :

Le 13 février 2002

COMPARUTIONS :

Mme Roxanne Hanniff-Darwent

                                     POUR LE DEMANDEUR

M. Brad W. Hardstaff

                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Roxanne Hanniff-Darwent

Avocate

                                     POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                                       POUR LE DÉFENDEUR

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