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Date : 20000405


Dossier : T-477-98



ENTRE :

    

     JOHN E. CANNING LTD.

     demanderesse

     - et -

     TRIPAP INC.

     défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION

[1]          La défenderesse, un fabricant de papier journal situé près de Trois-Rivières (Québec), présente une requête par écrit pour demander à la Cour de rendre un jugement sommaire rejetant l"action intentée par la demanderesse, une société par actions qui achète et vend du bois à pâte située à l"Île-du-Prince-Édouard. La requête de la défenderesse est fondée sur le défaut de compétence de la Cour pour connaître de l"action de la demanderesse en raison du fait que la demande de la demanderesse ne relève pas du droit maritime canadien au sens de l"article 2 de la Loi sur la Cour fédérale , selon l"interprétation que lui a donnée à plusieurs reprises la Cour suprême du Canada.

B.      LE CONTEXTE

[2]          En mars 1997, Tripap, en qualité d"acheteur, et John E. Canning Ltd. (Canning), en qualité de vendeur, ont conclu un contrat d"une durée de cinq ans par lequel Canning convenait de vendre à Tripap, au cours de chaque année se terminant le 31 décembre, un volume annuel minimum et maximum de bois, mesuré en mètres cubes de bois empilé. Le contrat stipulait aussi le prix, les modalités de paiement (pour chaque cargaison, 75 p. 100 à l"arrivée de la barge au quai de Tripap et le solde de 25 p. 100 après la livraison des biens), l"essence et la classe du bois, le lieu et les méthodes de mesure.

[3]          Canning a convenu de livrer tout le bois au quai de Tripap dans la province de Québec. Une stipulation traitait de la durée du déchargement et comportait la condition suivante : [Traduction] " Dans le cas où, pour quelque raison que ce soit, le déchargement serait interrompu ou retardé pour des raisons imputables à l"acheteur, l"acheteur convient de couvrir tous les coûts additionnels engagés par le vendeur qui résultent directement de cette interruption ou de ce retard. "

[4]          Canning a ensuite passé un contrat de cinq ans avec McKeil Marine Limited (McKeil) pour le transport du bois à pâte au quai de Tripap.

[5]          En juin 1997, Tripap a résilié son contrat avec Canning pour inexécution des obligations de Canning.

[6]          Le 23 janvier 1998, McKeil a intenté l"action T-110-98 devant la présente Cour et désigné Canning en qualité de défenderesse. L"action se fonde sur la rupture du contrat de transport conclu en avril 1997 et, plus précisément, sur la résiliation de ce contrat [Traduction] " sans motif valable, vers le 17 décembre 1997. " McKeil réclame sa perte de revenus et ses frais de surestarie impayés.

[7]          Le 23 mars 1998, Canning a intenté la présente action (T-477-98) contre Tripap. Canning plaide qu"elle a conclu un contrat d"approvisionnement en bois en mars 1997 et que Tripap a rompu ce contrat en le résiliant le 9 juin 1997, sans motif valable ni autre droit ou justification. Canning a réclamé des dommages-intérêts incluant notamment des dépenses relatives à une barge et à du matériel.

[8]          Le même jour, soit le 23 mars 1998, dans l"action de McKeil (T-110-98), Canning a présenté une défense et une demande reconventionnelle. Elle prétendait essentiellement que McKeil avait contrevenu à une clause essentielle du contrat de transport le 4 mai 1997, en omettant de entreprendre le travail prévu à l"horaire de travail préliminaire fourni par Canning à McKeil. Elle a soutenu que les manquements de la part de McKeil lui avaient causé des dommages, et lui avaient notamment fait perdre des ventes.

[9]          Toujours le même jour, soit le 23 mars 1998, Canning a envoyé un avis de mise en cause à Tripap dans l"action T-110-98, en faisant valoir que Canning avait conclu un contrat de transport avec McKeil [Traduction] " à la connaissance et avec l"assentiment de Tripap ", que Tripap avait rompu son contrat avec Canning en le résiliant illégalement, de sorte que Canning n"a pas pu s"acquitter de ses obligations envers McKeil, la demanderesse dans l"action. Canning affirme que Tripap est tenue d"indemniser Canning dans les circonstances.

C.      ANALYSE

[10]          La requête en jugement sommaire ne vise que la présente action (T-477-98) entre Canning et Tripap. Les présents motifs ne touchent pas l"action T-110-98 dans laquelle McKeil est demanderesse, Canning est défenderesse et demanderesse reconventionnelle et Tripap est défenderesse reconventionnelle.


     (a)      Principes

[11]          La requête doit être tranchée en conformité avec les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l"affaire Monk Corporation c. Island Fertilizers Limited, [1991] 1 R.C.S. 779.

[12]          Dans cette affaire, Monk, un courtier international en marchandises, avait conclu un contrat avec Island pour la fourniture d"urée produite en Russie qui devait être livrée dans trois ports de l"est du Canada. Monk a ensuite conclu une charte-partie avec les propriétaires du navire Super Spirit .

[13]          Monk a alors intenté une action devant la présente Cour pour réclamer le paiement de surestaries, le paiement de l'excédent de cargaison livré et le paiement du coût de location des grues de quai.

[14]          Le juge Iacobucci, s"exprimant au nom de la Cour, a élaboré la démarche qui convient dans les termes suivants, à la page 795:

     Lorsque l'on applique à l'espèce les principes et l'approche adoptés dans l'arrêt ITO, on doit tout d'abord se demander si les prétentions de Monk sont entièrement liées aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. Pour répondre à cette question, il importe premièrement de se pencher sur l'entente entre les parties afin de constater la nature et le contexte des demandes en cause, et deuxièmement, de s'assurer si ces dernières ont un caractère maritime conformément à l'analyse faite dans l'arrêt ITO..

[15]          Il a examiné l"accord et conclu qu"il comportait deux aspects : le premier lié à la vente de marchandises et le deuxième aux affaires maritimes. Le juge Iacobucci n"a pas considéré ces deux aspects comme des contrats distincts, mais plutôt comme " un seul et unique contrat, lequel comprend différents engagements et obligations ".

[16]          Il a conclu que le contrat comportait de nombreux aspects de nature maritime comme tous les engagements reliés à un contrat de transport par mer, y compris les obligations de Island de décharger les marchandises au moment de leur livraison selon une cadence de déchargement spécifiée..

[17]          Il a ajouté " Cependant, [...] il ne suffit pas de démontrer l'existence d'engagements de caractère maritime, encore faut-il prouver que les revendications elles-mêmes sont entièrement liées aux affaires maritimes " (p. 797) car, autrement, elles ne relèvent pas de la compétence de la Cour.

[18]          Après avoir examiné attentivement chaque demande, le juge Iacobucci a conclu que " [t]outes les demandes de Monk procèdent de l'obligation de Island de décharger la cargaison, [...] laquelle est normalement associée à un contrat de transport maritime " (p. 798); en d"autres termes, " ... l'activité sous-jacente visée par les demandes de Monk est le déchargement de la cargaison, dont Island était responsable en raison des aspects de l'entente entre les parties propres au contrat de transport et possédant un caractère maritime " (p. 799).

     (b)      Application aux faits de l"espèce

[19]          Compte tenu de l"approche et des principes établis dans l"arrêt Monk , précité, je suis d"avis que Tripap doit avoir gain de cause et que la Cour n"a pas compétence pour trancher la demande de Canning.

[20]          En tenant pour avérées les allégations contenues dans la déclaration de Canning, comme je dois le faire dans le cadre d"une requête de ce type, et en qualifiant le contrat conclu en mars 1997 entre les parties comme comportant plusieurs engagements, dont certains sont de nature maritime (l"obligation de Canning de livrer du bois à pâte par mer à Tripap), l"action intentée par Canning, telle qu"elle est structurée, ne relève pas de la compétence de la Cour parce que la demande formulée par Canning n"est pas de nature maritime au sens de l"arrêt Monk , précité. L"unique demande formulée consiste en la résiliation d"un contrat d"achat et de vente et aucun montant n"a été réclamé au titre des dommages-intérêts pour un manquement de la part de Tripap qui serait relié aux aspects maritimes du contrat, c"est-à-dire au déchargement ou, en particulier, à des problèmes survenus au cours du déchargement comme dans l"affaire Monk , précitée.


D.      CONCLUSION

[21]          Pour tous ces motifs, le jugement sommaire est accordé avec dépens et l"action est rejetée pour défaut de compétence de la Cour.

     " François Lemieux "

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

5 avril 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          T-477-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JOHN E. CANNING LTD. c. TRIPAP INC.
LIEU DE L"AUDIENCE :          REQUÊTE TRANCHÉE SUR LA BASE DES PRÉTENTIONS ÉCRITES DES PARTIES, SANS COMPARUTION

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :              5 AVRIL 2000

PRÉTENTIONS ÉCRITES SOUMISES PAR :

Me R. WAYNE MYLES          POUR LA DEMANDERESSE
Me PATRICE BOUDREAU      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BENSON-MYLES

BUREAU 900, ATLANTIC PLACE

C.P. 1538, SUCCURSALE C

ST. JOHN"S (T.-N.)

A1C 5N8                  POUR LA DEMANDERESSE

JOLICOEUR, LACASSE, LEMIEUX

SIMARD, ST-PIERRE

1500, RUE ROYALE

BUREAU 450, C.P. 1179

TROIS-RIVIÈRES (QUÉBEC)

G9A 5K8                  POUR LA DÉFENDERESSE
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