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Date : 20051201

Dossier : IMM-9245-04

Référence : 2005 CF 1632

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

MUJAHID HAMID

ALI HAMID

BILAL HAMID

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         M. Mujahid Hamid, désirant immigrer au Canada avec sa famille, a présenté sa demande de résidence permanente le 25 février 2002 en qualité de membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés. Il a inclu des demandes pour son épouse et trois fils, Ali, Bilal et As'ad. Lorsque la demande a été présentée, Ali avait 23 ans, Bilal 22 ans, et As'ad 20 ans; de plus, Ali et Bilal étudiaient à temps plein dans des universités américaines. Ali a obtenu son diplôme en juin 2002, et Bilal en mai 2003.

[2]         Dans la décision du 28 septembre 2004, un agent d'immigration (l'agent des visas) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé M. Hamid que Ali et Bilal seraient retirés de la demande [TRADUCTION] « parce qu'ils ne peuvent être considérés comme vos dépendants » . L'agent des visas a invoqué les motifs suivants :

[TRADUCTION] Vos fils, Ali et Bilal avaient plus de 22 ans lorsque votre demande a été reçue par notre bureau; par conséquent, ils doivent répondre aux critères du sous-alinéa 2b)(ii) ou du sous-alinéa 2b)(iii) du [Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement)] [...] J'ai conclu qu'ils ne répondent à la définition de l'expression « enfant à charge » du [Règlement]. Si l'enfant de plus de 22 ans est considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande aux termes du sous alinéa 2b)(ii) ou du sous-alinéa 2b)(iii) du Règlement - dépendant du soutien financier du parent parce qu'il est étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental - cela doit toujours être le cas au moment de la délivrance du visa pour qu'il soit inclus dans la demande du parent.

Les demandeurs, M. Hamid, ainsi que ses fils Ali et Bilal, demandent le contrôle judiciaire de cette décision.

Les questions en litige

[3]         La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question d'interprétation des lois. Plus précisément :

1.                   L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que Ali et Bilal devaient répondre à la définition d' « enfant à charge » du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-22 (le Règlement) au moment de la délivrance du visa?

La norme de contrôle

[4]         En l'espèce, les faits ne sont pas matière à controverse. C'est une question d'interprétation des lois dont je suis saisie : aux termes du Règlement, faut-il déterminer l'état d'enfant à charge uniquement au moment où la demande est faite, ou aussi au moment ou le visa est délivré? La réponse à cette question de droit constitue un préalable à l'exercice par l'agent de son pouvoir discrétionnaire. Lorsque l'agent des visas décide, en fin de compte, d'exclure des personnes en exerçant son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle de cette décision est plus élevée (Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 312, au paragraphe 12); cependant, en l'espèce, la norme est la suivante : l'agente a-t-elle correctement interprété le Règlement applicable?

Le cadre réglementaire pertinent

[5]         M. Hamid a demandé la résidence permanente pour lui-même et sa famille à titre de membre de la « catégorie fédérale des travailleurs qualifiés » visée par l'article 75, à la partie 1 du Règlement. Les articles 75 et 76 du Règlement énoncent les exigences précises que l'étranger doit remplir lorsqu'il veut être accepté au Canada en qualité de « travailleur qualifié » , ce qui est le cas de M. Hamid en l'espèce. En outre, l'article 77 est particulièrement pertinent; il se lit comme suit :

77. Application -- Pour l'application de la partie 5, les exigences et critères prévus aux articles 75 et 76 doivent être remplis au moment où la demande de visa de résident permanent est faite et au moment où le visa est délivré.

77. Conformity - applicable times - For the purposes of Part 5, the requirements and criteria set out in sections 75 and 76 must be met at the time the visa is issued.

[6]         Les exigences relatives aux membres de la famille de la personne qui a fait sa demande de résidence à titre de travailleur qualifié sont énoncées aux articles 84 et 85 :

Membres de la famille

Family members

84. L'exigence applicable à l'égard des membres de la famille du travailleur qualifié qui présente une demande de visa de résident permanent en vertu de la section 6 de la partie 5 est que l'intéressé doit, dans les faits, être un membre de la famille du travailleur qualifié.

84. The requirement with respect to a person who is a family member of a skilled worker who makes an application under Division 6 of Part 5 for a permanent resident visa is that the person is, in fact, a family member of the skilled worker.

Statut de résident permanent

Permanent resident status

85. L'étranger qui est membre de la famille de la personne qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) devient résident permanent s'il est établi, à l'issue d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire.

85. A foreign national who is a family member of a person who makes an application for a permanent resident visa as a member of the federal skilled worker class shall become a permanent resident if, following an examination, it is established that the family member is not inadmissible.

[7]         La définition de l'expression « membre de la famille » dans le paragraphe 1(3) englobe celle d' « enfant à charge » , et celle-ci est définie ainsi à l'article 2 de la manière suivante :

« enfant à charge » L'enfant qui :

"dependent child", in respect of a parent, means a child who

a) d'une part, par rapport à l'un ou l'autre de ses parents :

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

(i) soit en est l'enfant biologique et n'a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

(ii) soit en est l'enfant adoptif;

(ii) is the adopted child of the parent; and

b) d'autre part, remplit l'une des conditions suivantes :

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n'est pas un époux ou conjoint de fait,

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common-law partner,

(ii) il est un étudiant âgé qui n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 -- or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner -- and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

(A) n'a pas cessé d'être inscrit à un établissement d'enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis, or

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n'a pas cessé de dépendre, pour l'essentiel, du soutien financier de l'un ou l'autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l'âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

La pratique de CIC

[8]         La pratique de CIC consistant à prendre en compte la dépendance financière au moment de la délivrance du visa se démarque de celle qui consiste à considérer comme déterminante la date de présentation de la demande pour ce qui est de l'âge, peu importe l'âge de l'enfant au moment de la délivrance du visa. Dans la note interne de CIC du 13 septembre 2004, rédigée au sujet de la demande de M. Hamid, un employé de CIC a formulé cette pratique de la manière suivante :

[TRADUCTION] La date déterminante (pour ce qui est de l'âge) est celle de la présentation de la demande; cependant, ce n'est pas le cas pour la dépendance. Si l'enfant a moins de 22 ans au jour de la demande, mais 23 ans lorsque le visa est délivré, il peut encore figurer dans la demande du parent à titre de dépendant qui l'accompagne. Si l'enfant de plus de 22 ans est considéré comme dépendant le jour de la présentation de la demande aux termes du sous-alinéa 2b)(ii) ou (iii) du Règlement - dépendant du soutien financier du parent parce qu'il est étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental - cela doit toujours être le cas au moment de la délivrance du visa pour qu'il soit inclus dans la demande du parent.

[9]         Cette notion de gel, selon laquelle la date de présentation de la demande constitue la date déterminante (pour ce qui est de l'âge) fait aussi l'objet d'observationsdans le paragraphe 5.19 de OP 1 Procédures de CIC, où sont énoncées les lignes directrices suivantes au sujet du gel (on y parle de « date limite » ) :

La date limite est un point de repère pour la détermination de certains facteurs qui interviennent dans le traitement d'une demande. Ni la Loi ni le Règlement ne définissent la date limite. Celle-ci est sans effet sur les exigences de la Loi et du Règlement auxquelles un demandeur doit se soumettre lorsqu'un agent lui accorde une autorisation de séjour.

The lock-in date is a reference point used to freeze certain factors for the purpose of processing applications. Neither the Act nor Regulations define it. It does not overcome any requirements of the Act and Regulations demandeurs must satisfy when an officer admits them.

...

. . .

Catégories des réfugiés et de l'immigration économique : La date limite (pour ce qui est de l'âge) est la date où un bureau des visas a accepté une présentation comme une demande. ...

Refugee and Economic class: Lock-in (of age) occurs when a visa officer has accepted a submission as an application. . . .

[10]       Je ne suis pas directement appelée à me prononcer sur la question de savoir si la date déterminante pour ce qui est de l'âge est la date de présentation de la demande; cependant, il m'est impossible d'examiner les dispositions pertinentes sans remarquer l'apparente anomalie consistant à traiter les enfants différemment selon l'âge ou la dépendance financière.

Analyse

[11]       Une question d'interprétation des lois est au coeur du présent différend. A plusieurs reprises, la Cour suprême du Canada a donné des indications sur l'approche à suivre en la matière. Dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, le juge Iacobucci, exprimant l'avis unanime de la Cour, a avalisé le passage suivant de Driedger,Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. (Toronto: Butterworths, 1993) :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[12]       Je signale aussi l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C 1985, ch. I-21, qui se lit comme suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

Every enactment is deemed remedial, and shall be given such fair, large and liberal construction and interpretation as best ensures the attainment of its objects.

[13]       Guidée par ce cadre, ma tâche ne peut pas se limiter à tenter de comprendre les termes ou les expressions en les isolant du reste de la disposition dans laquelle ils figurent. Je dois aussi tenir compte de leur contexte et de l'objet de la Loi. Je vais donc effectuer l'analyse suivante :

  • Je commencerai par examiner le texte des articles 84 et 85 du Règlement, les définitions des expressions « membre de la famille » et « enfant à charge » et la jurisprudence pertinente. Le texte même des dispositions pertinentes ou la jurisprudence qui s'y rapporte portent-ils sur cette question? Y a-t-il une présomption qui oriente l'interprétation de ces dispositions?

  • Pour me guider, je me pencherai ensuite sur les dispositions voisines de la section 1, partie 6, du Règlement qui ont trait aux travailleurs qualifiés, parce que la question dont je suis saisie se pose à l'égard d'une demande d'admission au Canada en qualité de travailleur qualifié et, pour élargir mes horizons, je me pencherai sur les dispositions du Règlement qui portent aussi sur l'admission au Canada des membres de la famille, plus précisément celles qui ont trait à la catégorie du regroupement familial et qui figurent dans la partie 7, section 1 du Règlement. Le régime de la LIPR et du Règlement confirme-t-il ou réfute-t-il une interprétation donnée?

  • Enfin, j'examinerai l'objet général de la Loi et apprécierai l'intention du législateur fédéral. Y a-t-il un objet ou intention expresse ou implicite qui confirme ou réfute une interprétation donnée?

Que disent les dispositions directement applicables sur cette question?

[14]       Aux termes de la définition d' « enfant à charge » , il doit remplir l'une des trois conditions suivantes énoncées à l'alinéa b). En général, l'enfant :

  • est âgé de moins de vingt-deux ans;
  • est un étudiant qui dépend du soutien financier du parent;
  • ne peut pas subvenir à ses besoins.

[15]       On parle de gel lorsque la demande doit évaluée à la date où elle a été présentée plutôt qu'à celle de la délivrance du visa; c'est la première qui est déterminante. Comme il faut parfois des années après la présentation de la demande de résidence pour achever ce traitement, l'idée de gel prend toute son importance en matière d'immigration.

[16]       En ce qui a trait aux enfants à charge, le Règlement régissant la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés ne précise pas que l'âge (définition, sous-alinéa b)(i)) ou la dépendance financière (définition, sous-alinéas b)(ii) et (iii)) sont appréciés à la date où la demande est présentée. Rien dans la définition ou dans les articles 84 et 85 du Règlement ne porte directement sur la question du gel.

[17]       Le défendeur signale que, aux termes de la définition, l'enfant ne doit pas avoir « cessé d'être inscrit » à un établissement d'enseignement et qu'il doit suivre « activement » des cours et il soutient qu'il s'agit là d'une exigence continue qui ne saurait souffrir d'interruptions. Si je me penche d'abord sur l'expression « suit activement » , celle-ci n'indique de nulle manière le cadre temporel que l'agent doit respecter. Elle n'indique pas plus une obligation continue que l'exigence d'âge; cette exigence peut être comparée à une photographie prise à la date pertinente. En ce qui concerne un enfant à charge, cette photographie doit montrer un enfant qui, au jour en question, suit activement ses cours.

[18]       Cependant, l'expression « n'a pas cessé » connote une continuité dans le temps. On ne peut pas dire que l'intéressé n'a pas cessé de se livrer à une activité à une date précise; il faut examiner ce qui s'est produit avant et après cette date pour déterminer si l'activité n'a pas cessé. Voilà qui va dans le sens de la thèse du défendeur, qui a soutenu que le statut scolaire de l'enfant doit être maintenu tout au long du processus de traitement de la demande. Par contre, on pourrait aussi soutenir que cette disposition veut dire que l'étudiant ne doit pas avoir cessé d'être inscrit préalablement au jour de la présentation de la demande. Par exemple, il est possible que l'enfant qui a interrompu ses études pendant deux ans pour voyager en Europe avec son sac à dos ne respecterait pas cette exigence, contrairement à celui qui a poursuivi ses études sans interruption jusqu'à ce jour. Selon cette interprétation, le Règlement est muet sur la question de savoir si l'enfant doit maintenir son statut scolaire pendant la période allant du jour de la présentation de la demande à celui de la délivrance du visa. Vu le flou de l'expression « n'a pas cessé d'être inscrit » , je ne suis pas disposée à avaliser l'argument du défendeur et à m'appuyer sur lui pour tirer une conclusion définitive sur la question de l'application du gel.

Comme le Règlement applicable ne prévoit pas directement de gel, y a-t-il une présomption qu'il y en a un?

[19]       Les demandeurs soutiennent que, en l'absence de dispositions expresses dans le Règlement, il faut présumer que le demandeur de résidence a le droit de voir sa demande traitée en fonction du moment où elle a été reçue par CIC. Ils affirment que ce mode de traitement des demandes est équitable, vu les longs délais entre le dépôt de la demande et l'aboutissement de celle-ci, dont le demandeur n'est pas responsable. Les demandeurs citent toute une jurisprudence à l'appui de cette thèse : Mou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 108 (1re inst.) (gel pour ce qui est de l'âge); Choi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 763 (C.A.F.) (gel pour ce qui est des exigences d'évaluation professionnelle); Yeung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 307 (1re inst.) (gel pour ce qui est des exigences d'évaluation professionnelle); Wong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 129 (C.A.F.) (gel pour ce qui est de l'âge).

[20]       Cette jurisprudence a bien fixé le droit : la date déterminante pour ce qui est de l'âge et des exigences d'évaluation professionnelle est le jour de la présentation de la demande (sauf si cette présomption est modifiée par des dispositions légales explicites). À mon avis, le principe sur lequel ces décisions reposent est simple : on ne doit pas pénaliser le demandeur qui remplit par ailleurs les critères de sélection des immigrants au Canada pour des considérations qu'il ne contrôle pas. Dans une affaire concernant un enfant qui a son 23e anniversaire au moment où le parent attend toujours l'achèvement du traitement de la demande, il a été statué que la famille ne doit pas subir une séparation en raison du caractère arbitraire du calendrier de traitement de la demande. « La date de la présentation de la demande est la seule date qui dépend de la volonté du demandeur et elle est par conséquent la seule date qui peut être établie de façon non arbitraire » (Choi, précité, au paragraphe 8).

[21]       Si j'applique ce principe en l'espèce, cela m'amène à conclure que je dois apprécier la situation d'Ali et de Bilal à la date où la demande a été présentée. Nul doute que la famille n'a aucun contrôle sur le calendrier du traitement de la demande. La demande d'origine a été présentée le 25 février 2002. La première indication qu'elle était en cours de traitement a été donnée le 1er mai 2003 - quelque 15 mois après qu'eut été présentée la demande. Si la demande de M. Hamid avait été étudiée avant juin 2002, lorsque Ali a obtenu son diplôme, lui et Ali et Bilal auraient été inclus à titre de membres de la famille. Si le traitement de la demande avait été achevé avant mai 2003, lorsque Bilal a obtenu son diplôme, Bilal - mais non pas Ali - aurait été inclus. Après mai 2003, les deux fils sont rejetés. On évite des résultats arbitraires tout simplement en interprétant le Règlement de telle manière qu'il impose comme date déterminante celle de la présentation de la demande pour ce qui est de la dépendance financière. Par conséquent, je conclus que si l'on applique la notion de gel à l'âge, il doit logiquement en aller de même pour la dépendance financière.

[22]       Le défendeur invoque la jurisprudence qui semble établir que cette notion ne s'applique pas forcément à telle ou telle demande, et que l'agent des visas doit apprécier les circonstances au moment où il prend sa décision (Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 81 (1re inst.), aux paragraphes 9 à 13; Shabashkevish c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 510 (1re inst.) aux paragraphes 17 à 18); Belousyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 899 (C.F.), aux paragraphes 18-19)). L'examen de cette jurisprudence révèle qu'il faut faire des distinctions importantes.

[23]       Dans l'affaire Lau, précitée, l'agent des visas avait des réserves quant à la capacité du demandeur de réussir son installation au Canada. L'alinéa 11(3)b) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (qui a été remplacé par le Règlement actuel) prévoyait que l'agent des visas pouvait refuser un visa d'immigrant à un immigrant s'il était d'avis « qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier [...] de réussir [son] installation au Canada » . Selon cette disposition, l'agent avait très précisément l'obligation de déterminer si le demandeur en question pourrait réussir son installation à son arrivée au Canada et non pas seulement au jour de la présentation de la demande. Il devait donc forcément examiner la situation du demandeur au moment de décider s'il devait délivrer le visa et, le cas échéant, les circonstances ayant changé. Dans l'affaire Lau, les offres d'emploi sur lesquelles s'était appuyé le demandeur avaient été retirées au moment de la délivrance du visa, ce qui a amené l'agent à conclure que le demandeur ne pourrait sans doute pas réussir son installation au Canada. Je suis d'avis que cette décision n'établit pas pour principe que l'appréciation de tous les facteurs doit être faite à la date de la délivrance du visa.

[24]       Dans la décision Shabashkevish, précitée, le demandeur avait fait une demande d'immigration au Canada à titre d'entrepreneur et il était tout autant visé par l'alinéa 11(3)b), qui confère un pouvoir discrétionnaire à l'agent des visas, que celui dans l'affaire Lau, précitée. La Cour a expressément suivi la décision Lau.

[25]       Dans la décision Belousyuk, la juge Gauthier a déclaré au paragraphe 19 que « l'agent des visas doit évaluer la demande de résidence permanente en se fondant sur les faits tels qu'ils existent au moment de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire » . On ne peut pas isoler ces observations de leur contexte. L'agent des visas avait rejeté la demande au motif que le demandeur avait donné une fausse indication sur un fait important, contrairement au paragraphe 9(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 (abrogée depuis), et qu'il ne s'était pas conformé à la demande de l'agente des visas de fournir des documents supplémentaires (paragraphe 9(4)). La juge Gauthier a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif que l'agente des visas avait correctement conclu que le demandeur n'avait pas respecté le paragraphe 9(3) et que ce seul motif justifiait le rejet de sa demande. Les observations de la cour au sujet de la notion de date déterminante avaient un caractère incident. Quoiqu'il en soit, elles ne visaient que des faits semblables à ceux qui étaient en cause dans les affaires Lau et Shabashkevish. Là encore, la décision Belousyuk ne conforte pas la thèse du défendeur.

[26]       Pour résumer sur ce point, le principe sous-jacent à la notion de gel qui a été appliquée à l'exigence d'âge des enfants à charge est tout aussi pertinent quant à l'exigence de dépendance financière. Par conséquent, je suis d'avis qu'il y a une présomption de gel, sauf lorsque la disposition légale applicable exige que l'appréciation se fasse à un autre moment.

Cette interprétation concorde-t-elle avec le régime légal?

[27]       En principe donc, la dépendance financière doit être déterminée à la date de la présentation de la demande; je dois maintenant examiner le contexte de la disposition afin de décider s'il en ressort une intention contraire. Je commence avec la section 1 de la partie 6 du Règlement qui donne le cadre d'évaluation des demandes d'immigration au Canada à titre de travailleur qualifié. M. Hamid a fait sa demande en vertu de ces dispositions.

[28]       Les articles 75 et 76 du Règlement définissent les membres de cette catégorie et les critères de sélection servant à l'évaluation de leur demande, et ils renvoient aux facteurs d'évaluation énoncés dans les articles 78, 79, 80, 81, 82 et 83. Toutes ces dispositions sont muettes quant aux membres de la famille; elles portent exclusivement sur les demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. L'article 77 du Règlement revêt une importance particulière; il se lit comme suit :

Pour l'application de la partie 5, les exigences et critères prévus aux articles 75 et 76 doivent être remplis au moment où la demande de visa de résident permanent est faite et au moment où le visa est délivré.

For the purposes of Part 5 [issuance of a permanent resident card], the requirements and criteria set out in sections 75 and 76 must be met at the time an application for a permanent resident is made as well as at the time the visa is issued.

[29]       L'article 77 est clair : M. Hamid doit remplir les critères prévus par les articles 75, 76 et 78 à 83 qui le concernent à la fois au moment de la présentation de la demande et au moment où le visa lui est délivré. Cependant, cette exigence n'englobe pas expressément les membres de la famille qui sont inclus dans sa demande en vertu des articles 84 et 85 du Règlement. Le silence de l'article 77 du Règlement concernant les membres de la famille constitue une nette indication que l'âge et la dépendance doivent être déterminés à la date de présentation de la demande. Cette omission est éloquente.

[30]       Je peux aussi faire une comparaison entre l'article 84 du Règlement, qui s'applique aux enfants à charge des demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés, et l'article 121, qui s'applique aux enfants à charge des demandeurs appartenant à la catégorie du regroupement familial.

121. Les exigences applicables à l'égard de la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou des membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 sont les suivantes :

121. The requirements with respect to a person who is a member of the family class or a family member of a member of the family class who makes an application under Division 6 of Part 5 are the following:

a) l'intéressé doit être un membre de la famille du demandeur ou du répondant au moment où la demande est faite et, qu'il ait atteint l'âge de vingt-deux ans ou non, au moment où il est statué sur la demande. DORS/2004-167, art. 42.

(a) the person is a family member of the applicant or of the sponsor both at the time the application is made and, without taking into account whether the person has attained 22 years of age, at the time of the determination of the application. SOR/2004-167, s. 42.

b) [Abrogé, DORS/2004-167, art. 42]

(b) [Repealed, SOR/2004-167, s. 42]

[31]       Il y a une différence évidente entre ces deux dispositions et il faut en tenir compte pour interpréter la loi dans son ensemble. L'alinéa 121a) va même plus loin : il retient comme date déterminante pour ce qui est de l'âge de l'enfant à charge celle de présentation de la demande et prévoit précisément qu'il n'en va pas de même pour certains autres facteurs. Par contre, l'article 84 est muet en ce qui concerne la date déterminante.

[32]       Je suis d'avis qu'une seule interprétation découle logiquement de cette omission. Si une disposition ne prévoit pas une exigence donnée et qu'une disposition comparable la prévoit, on doit admettre que cette exigence n'est pas applicable lorsque la première est en jeu. Si l'on devait admettre que, d'un tel silence, il faut inférer que la date déterminante n'est pas celle de la présentation de la demande, comme il a été statué dans la décision Lau, précitée, et dans les autres décisions, l'alinéa 121a) serait redondant et ne voudrait plus rien dire.

[33]       Le principe d'interprétation des lois connu sous le brocard expressio unius est exclusio alterius n'est jamais concluant; cependant, il aide l'interprète en l'espèce. En effet, si le législateur a expressément prévu des cas où la notion de gel n'est pas applicable, on peut en inférer que son intention était de la rendre applicable dans d'autres cas qui n'ont pas été précisés (Loi sur l'Office national de l'énergie (Can.) (Re) [1986] 3 C.F. 275 (C.A.F.), au paragraphe 16).

[34]       Le défendeur soutient que le Règlement encadrant les demandeurs de la catégorie de la famille n'a aucune pertinence quant au droit applicable aux demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. Les deux régimes sont très différents; en qui concerne le premier, le parent qui fait le parrainage se trouve déjà au Canada, et dans le deuxième, le parent immigre au Canada avec les enfants.

[35]       En ce qui concerne ce point, je ne trouve pas les arguments du défendeur convaincants. Je conviens que la loi traite différemment les deux catégories d'immigrants à bien des égards; cependant, si je me penche sur les demandeurs de la catégorie du regroupement familial, mon seul but est de voir ce que dit le Règlement sur le calendrier de traitement de la demande. Sous cet angle, l'article 121 est utile parce qu'il permet de démontrer, là encore, que le Règlement aurait pu comprendre une disposition prévoyant le « blocage » de la situation des membres de la famille de la catégorie des travailleurs qualifiés, ce qui n'est pas le cas. En doit en inférer logiquement que, pour ces personnes, c'est la date de la présentation de la demande qui est déterminante.

Cette interprétation concorde-t-elle avec l'objet de la LIPR et avec l'intention du législateur?

[36]       L'étape finale de mon analyse consiste à déterminer si la notion de gel relative à la dépendance financière est conforme à l'objet de la LIPR et à l'intention du législateur.

[37]       Le législateur dit explicitement que la LIPR a notamment pour objet « de veiller à la réunification des familles au Canada » (alinéa 3(1)d)). Si la dépendance financière des fils de M. Hamid était appréciée à la date de la présentation de la demande, cela permettrait à la famille de M. Hamid de rester ensemble, ce qui correspond à cet objet. Cependant, j'hésite à accorder beaucoup d'importance à ce facteur. Les demandeurs ont eux-même signalé que, aux termes de l'article 121 du Règlement, les enfants à charge des demandeurs de la catégorie du regroupement familial sont tenus de maintenir leur statut de dépendants tout au long du processus d'obtention du visa. Si le Règlement peut imposer cette restriction tout en respectant l'intention du législateur, et je suppose que c'est le cas, les mêmes restrictions pourraient alors s'appliquer aux enfants à charge des demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés sans non plus porter à atteinte à cette intention. En outre, je remarque aussi que la LIPR vise aussi, aux termes de l'alinéa 3(1)f), à permettre au législateur de promouvoir ses objectifs en matière d'immigration par le truchement de la LIPR, qui pourraient éventuellement se traduire par l'exclusion des enfants à charge qui ne sont plus dépendants au moment de la délivrance du visa. Cet aspect particulier de la Loi n'aide donc pas beaucoup l'interprète; tout ce que l'on peut dire est que la détermination de la dépendance financière à la date de la présentation de la demande n'est pas, de prime abord, contraire à l'objet de la LIPR et que le principe directeur de la réunification des familles va dans ce sens.

[38]       Les dispositions visées par la présente demande de contrôle judiciaire figurent dans le Règlement. Le législateur fédéral a conféré au pouvoir exécutif un très large pouvoir réglementaire (articles 5 et 14 de la LIPR). Le Règlement est très précis et sa formulation soignée. Il ne fait pas état d'un objet distinct; cependant, son objet doit être celui de la loi habilitante. Ce Règlement prévoit des cas où est expressément exclue la présomption selon laquelle la date déterminante pour ce qui est de certains faits est celle de la présentation de la demande; plus précisément, il s'agit des articles 77 et 121. Le Règlement aurait pu prévoir des exceptions semblables concernant la dépendance financière d'enfants de demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. Ce n'est pas le cas. Je pense donc qu'il est manifeste que le Règlement vise à restreindre l'appréciation de certains facteurs à la date de délivrance du visa aux cas prévus par les articles 77 et 121. En ce qui a trait à Ali et à Bilal, leur dépendance aurait dû être appréciée à la date de la présentation de la demande.

Conclusion

[39]       En résumé, si on lit les dispositions pertinentes du Règlement dans leur sens ordinaire, au regard de leur contexte, de l'objet de ce texte et du régime général instauré par lui et la LIPR et de l'intention du législateur, la date déterminante, aux fins des articles 84 et 85 du Règlement, pour tous les facteurs (notamment la dépendance financière) énoncés dans la définition de l'expression « enfant à charge » est celle de la présentation de la demande.

[40]       Cependant, une mise en garde s'impose. Lorsque je parle de la date de la présentation de la demande, je parle de la date où le demandeur a déposé un dossier complet, conformément aux exigences du Règlement. En l'espèce, je ne me prononce pas sur la question de savoir si la demande était complète au 25 février 2002. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, j'ai tenu pour acquis que tel était le cas.

[41]       Je conclus donc que l'agent des visas a commis une erreur et que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

Question certifiée

[42]       À la conclusion de l'audience, j'ai invité les parties à envisager de demander que soit certifiée une question. Le défendeur demande que soit certifiée la question suivante :

Si l'enfant de plus de 22 ans qui était considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande puisqu'il dépendait du soutien financier du parent parce qu'il était étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental ne remplit plus les critères de dépendance prévus par l'article 2 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés,DORS/2002-22, au moment de la délivrance du visa, doit-il être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent?

[43]       Le demandeur soutient que, outre la question proposée par le défendeur, il faut d'abord poser la question suivante :

Le principe du gel consacré par la jurisprudence s'applique-t-il à la définition de membres de la famille dans le cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs?

[44]       Je suis d'avis que ces deux questions ont une portée générale et qu'elles doivent être certifiées. Les tribunaux ne se sont pas penchés sur la question de la date déterminante pour ce qui est de la dépendance financière. Les réponses à ces questions sont au coeur de ma décision. De plus, vu le nombre d'immigrants qui font une demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, il me semble que les observations d'un tribunal plus élevé seraient utiles à tous.

ORDONNANCE

LA Cour ordONNE :

  1. La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour réexamen;

  2. Les questions de portée générale suivantes sont certifiées :

(a)             Le principe de la date déterminante consacré par la jurisprudence s'applique-t-il à la définition de membres de la famille dans la cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs?

(b)            Si l'enfant de plus de 22 ans qui était considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande puisqu'il dépendait du soutien financier du parent parce qu'il était étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental ne remplit plus les critères de dépendance prévus par l'article2 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-22, au moment de la délivrance du visa, doit-il être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent?

Judith A. Snider

                      Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9245-04

INTITULÉ:                                         MUJAHID HAMID et al.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 17 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 1ER DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty

                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

                           POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                            POUR LE DÉFENDEUR

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