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Date : 20060504

Dossier : IMM-4575-05

Référence : 2006 CF 561

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 MAI 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

 

ENTRE :

DANNY KASSAP TSHIDIND

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision, datée du 14 juillet 2005, par laquelle une agente d’immigration a refusé de permettre au demandeur de présenter, au Canada, une demande de résidence permanente pour motif d’ordre humanitaire, comme l’autorise le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo. Il s’agit d’un athlète de talent, un coureur de fond accompli. Il a été choisi par le Congo pour faire partie de l’équipe d’athlétisme que ce pays a envoyée aux Jeux de la Francophonie, tenus à Ottawa au cours de l’été de 2001. Il n’est pas rentré au Congo avec son équipe, mais a plutôt demandé d’être admis au Canada. Il a sollicité le statut de réfugié, mais sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés le 10 février 2003, et la Cour fédérale, en juin 2003, lui a refusé l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Citoyenneté et Immigration Canada a suspendu en 1997 les renvois vers la République démocratique du Congo à cause du conflit civil dans ce pays. Le demandeur ne peut donc pas y être renvoyé à l’heure actuelle. Dans le cadre de la présente demande, ainsi que dans des observations écrites ultérieures présentées le 7 juin 2005, soit après que l’agente d’immigration eut interrogé le demandeur et son avocat, de même qu’à la suggestion de l’agente d’immigration, des renseignements ont été fournis pour indiquer que le demandeur avait un emploi au Canada (avec une lettre d’éloges de son employeur) et qu’il participait activement à un club d’athlétisme et à des compétitions de course de fond avec beaucoup de succès. Il gagnait un peu d’argent grâce à ces activités. Il avait acquis une bonne connaissance de l’anglais. Sa demande de traitement favorable en vertu du paragraphe 25(1) était fondée en partie sur les difficultés qu’il rencontrerait s’il fallait qu’il retourne au Congo et qu’il quitte la vie pleine de succès qu’il menait au Canada. La demande de traitement pour motif d’ordre humanitaire a également été fondée en partie sur un passage extrait du Guide IP 5, 5.21, tel qu’il était à l’époque, où l’on peut lire ce qui suit :

 

Une étude favorable pourrait être justifiée si le demandeur est au Canada depuis assez longtemps en raison de circonstances échappant à son contrôle.

 

[…]

 

Si la période d’incapacité à partir en raison de circonstances échappant au contrôle du demandeur est de longue durée et lorsqu’il y a preuve d’un degré appréciable d’établissement au Canada, ces facteurs peuvent se conjuguer pour justifier une décision CH favorable.

 

 

[4]               L’agente d’immigration a rejeté la demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) au motif qu’il n’y avait pas lieu d’accorder un traitement fondé sur un motif d’ordre humanitaire en fonction des aptitudes sportives du sujet, et que la preuve ne montrait pas de façon convaincante que le demandeur subirait des difficultés excessives s’il retournait au Congo.

 

[5]               Un aspect plus important est toutefois la décision prise par l’agente d’immigration au sujet de la demande de traitement favorable du demandeur au sens du paragraphe 5.21 du Guide IP 5, c’est-à-dire une demande fondée sur un séjour prolongé au Canada en raison de circonstances échappant au contrôle de ce dernier et ayant permis au demandeur d’acquérir un « degré appréciable d’établissement ». L’agente d’immigration a indiqué ce qui suit :

 

De plus, j’ai examiné la situation présente du requérant selon l’alinéa IP 5 5.21 : séjour prolongé au Canada aboutissant à l’établissement. Je ne suis pas convaincue que les quatre ans passés par le requérant au Canada constituent une période d’incapacité comme le définit l’alinéa susmentionné. De plus le requérant n’a pas su démontrer qu’il avait établi pendant ses quatre ans un degré d’établissement au Canada pour justifier une décision favorable.

 

Depuis mars, 2003 le requérant travaille au Len Duckworths Fish and Chips. L’employeur a soumis une lettre confirmant que le demandeur travaille en effet pour lui. De plus, l’employeur déclare que le requérant est un bon employé. En sus de son travail, le demandeur s’entraîne pour les marathons. Selon l’avocat, le requérant a suivi des cours d’anglais et il est maintenant bilingue. Selon, le formulaire IMM 5001 que le requérant a rempli en français, il a indiqué qu’il pouvait parler, lire et écrire en anglais. Il est à noter que lors de l’entrevue que j’ai menée avec le requérant le 2 juin 2005, j’ai commencé à parler en anglais avec l’avocat, le requérant m’a alors demandé de traduire en français ce que j’avais dit en anglais à l’avocat. Suite à la demande du requérant de traduire mes propos, je ne suis pas satisfaite de la preuve de son bilinguisme.

 

Analyse

 

[6]               Les avocats conviennent que la norme de contrôle d’une telle décision discrétionnaire rendue sous le régime du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est celle de la décision raisonnable. La nature de ces décisions a été analysée à plusieurs reprises, et cela a mené à la conclusion que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable; je souscris à ce raisonnement.

 

[7]               Le demandeur a fait état d’un certain nombre de plaintes contre la décision de l’agente. Il n’est pas nécessaire, selon moi, de toutes les examiner car un grand nombre d’entre elles comportent des conclusions qui n’ont pas beaucoup d’incidence sur l’issue ou que l’on ne pourrait pas qualifier de déraisonnables.

 

[8]               Je crois que la question cruciale à examiner est celle de savoir si l’agente a appliqué de façon déraisonnable le paragraphe 5.21 du Guide et, dans l’affirmative, si cela porterait un coup fatal à la décision.

 

[9]               Examinons tout d’abord la seconde question. Il est bien établi que des lignes directrices qui ne revêtent pas la forme d’une législation déléguée ne peuvent entraver le pouvoir discrétionnaire de la personne qui exerce un pouvoir semblable à celui qui figure au paragraphe 25(1) : voir, par exemple, Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1990] C.F. 722; Vidal c. Canada [1991] A.C.F. no 63; Klais c. Canada [2004] A.C.F. no 965, au par. 9; et Thamotharem c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al. [2006] C.F. 16, aux par. 107 à 111. C’est donc dire que même si l’on pouvait considérer la décision dont il est question en l’espèce comme une application déraisonnable du libellé du paragraphe 5.21 du Guide, cela n’invaliderait pas cette décision, à la condition qu’elle paraisse constituer une application raisonnable du libellé plus général du paragraphe 25(1) de la Loi, qui est la source ultime du pouvoir juridique de rendre de telles décisions.

 

[10]           S’agissant de savoir si la décision constituait ou non une application raisonnable des dispositions du Guide, le demandeur soulève un certain nombre de points valables pour montrer que l’agente, au vu des faits qui lui ont été soumis, aurait pu rendre une décision favorable au demandeur en appliquant le paragraphe 5.21. Le demandeur se trouvait au Canada depuis quatre ans, dans des circonstances où il était impossible de le renvoyer au Congo à cause d’une politique du gouvernement canadien, une politique adoptée en 1997, donc avant l’arrivée du demandeur au Canada. L’agente d’immigration n’a pas considéré qu’une période de quatre ans était « de longue durée », comme le prescrit le paragraphe 5.21. Cette conclusion n’était nullement inévitable compte tenu du libellé de ce paragraphe, mais il m’est impossible de dire qu’elle était à première vue déraisonnable. Par ailleurs, l’agente d’immigration a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de « degré appréciable d’établissement au Canada ». Elle avait en main une preuve que le demandeur gagnait sa vie au Canada, que son employeur était satisfait de son travail, qu’il participait avec succès, au sein d’équipes d’athlétisme, à des compétitions d’envergure (et, de plus, que ses chances de concourir à l’échelon international pour le Canada et de recevoir des fonds de parrainage seraient nettement meilleures s’il avait la possibilité d’obtenir le statut de résident permanent et, potentiellement, la citoyenneté canadienne). Je serais d’accord pour dire qu’à partir de ces faits, un agent aurait fort bien pu conclure à un degré appréciable d’établissement, ainsi qu’à des difficultés imposées au demandeur en raison de l’état d’incertitude dans laquelle il se trouve. Néanmoins, il m’est impossible de dire que la conclusion défavorable de l’agente au sujet du « degré appréciable d’établissement » était déraisonnable.

 

[11]           Il y a un autre facteur qu’il convient de souligner. Dans les observations qu’il a faites à l’agente d’immigration, le demandeur a indiqué que, depuis son arrivée au Canada, il a appris l’anglais. Cependant, dans sa décision, l’agente (citée plus tôt) a déclaré qu’à l’occasion d’une entrevue avec le demandeur tenue le 2 juin 2005, elle avait parlé à l’avocat avec lui en anglais et que le demandeur lui avait demandé de traduire ce qu’elle disait à cet avocat. L’agente d’immigration a donc conclu que le demandeur ne parlait pas couramment l’anglais. Dans la présente instance, l’avocat du demandeur a déposé deux affidavits pour montrer que cet incident n’avait jamais eu lieu. L’un provenait de la personne que l’agente d’immigration appelait l’« avocat », qui avait accompagné le demandeur à l’entrevue en tant qu’ami, et non en tant qu’avocat (même s’il l’est effectivement). Le demandeur et lui ont catégoriquement nié dans leurs affidavits que cet échange avait eu lieu, et je prends note de cette preuve comme je le ferais pour d’autres affidavits produits après une audience pour montrer de quelle façon cette dernière a été menée, si cela s’avère important. L’avocat du demandeur considère qu’il s’agit là d’une erreur de mémoire de l’agente, ce qui semble être le cas; l’erreur est importante en ce sens qu’elle a une incidence sur la façon dont l’agente évaluerait le « degré d’établissement » du demandeur au Canada. Il n’y a pas grand-chose dans la décision qui dénote que l’agente pensait qu’il s’agissait là d’un facteur important pour prouver l’établissement, pas plus que je ne crois qu’il faudrait le présumer : dans un pays officiellement bilingue où la majorité des Canadiens de naissance ne parlent que l’une des deux langues officielles, le fait qu’un nouvel arrivant ne parle que l’une de ces langues et a pu ou non avoir appris à bien s’exprimer dans l’autre ne devrait pas être un facteur important dans son « établissement ». S’il y a eu effectivement une erreur de fait au sujet de cette question, je ne crois pas qu’elle ait joué un rôle déterminant dans l’issue.

 

Conclusion

[12]           L’agente d’immigration avait certainement en main assez de preuves pour conclure que le demandeur satisfaisait aux exigences du paragraphe 5.21 du Guide, relativement aux facteurs de la « longue durée » et du « degré appréciable d’établissement », mais il m’est impossible de dire que sa décision était déraisonnable à la lumière du paragraphe 5.21 ou du pouvoir discrétionnaire général que confère le paragraphe 25(1) de la Loi. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.

 

 


 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La Cour statue que la demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 14 juillet 2005 est rejetée.

 

 

 

 

 « B.L. Strayer »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

 

DOSSIER :                                        IMM-4575-05

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            DANNY KASSAP TSHIDIND c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 avril 2006

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Strayer

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mai 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Vanita Goela

Toronto (Ontario)                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

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