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Date : 20040204

Dossier : IMM-3617-03

Référence : 2004 CF 148

OTTAWA (Ontario), le 4 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                DAYMOND WALJI LALJI MURJI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 25 avril 2003, dans laquelle la Commission a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.


FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen de Tanzanie de 53 ans qui prétend craindre d'être persécuté du fait de son origine sud-asiatique et de son appartenance à la communauté religieuse musulmane ismaïlienne. Le demandeur allègue que les membres de la communauté ismaïlienne sont victimes de harcèlement, de discrimination et de préjudices corporels de la part des Africains en Tanzanie. Le demandeur soutient que des actes de discrimination et de harcèlement ont été perpétrés contre lui et contre d'autres membres de la communauté sud-asiatique et indienne par des Chrétiens africains.


[3]                Dans son témoignage, le demandeur a décrit un incident en particulier qui s'est produit en juin 1999, alors que des agresseurs sont entrés dans sa résidence. Ils l'ont tellement battu qu'il a dû être hospitalisé. Il a également décrit des incidents d'extorsion de la part de vendeurs de porcs africains qui exercent leurs activités à l'extérieur des cimetières ismaïliens et qui affichent un mépris à l'égard des traditions ismaïliennes en matière de sépulture. Le demandeur prétend que la protection de l'État n'est pas disponible puisque, en Tanzanie, tous les hommes d'affaires d'Asie du Sud ou de l'Inde sont victimes d'extorsion aux mains des policiers tanzaniens. Le demandeur est entré au Canada grâce à un visa de visiteur en mai 2000 et ce n'est que le 8 novembre 2001 qu'il a présenté une demande d'asile. Il a déclaré qu'à son avis, il n'était pas obligé de demander l'asile puisque son visa de visiteur n'expirait que le 19 avril 2003. Il a également mentionné, dans son témoignage, qu'après le décès de sa mère, il avait souffert d'une dépression et du syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

[4]                La Commission n'a pas jugé que la demande d'asile du demandeur était crédible pour plusieurs raisons. La Commission a conclu que la preuve contenait plusieurs contradictions et incohérences. En particulier, le demandeur avait dit qu'il n'avait pas été en mesure de travailler après avoir été battu, mais des lettres écrites pour l'appuyer indiquaient qu'il avait bien travaillé pendant sa période de soi-disant convalescence. Le demandeur n'a pas pu expliquer les incohérences sauf pour dire que les lettres n'étaient pas exactes ou qu'elles avaient été écrites dans le but de dénaturer son statut d'emploi de manière à ce qu'il puisse obtenir un visa lui permettant de se rendre au Canada. À la page 5 de ses motifs, la Commission a dit :

Toutefois, le demandeur a produit la lettre en preuve pour appuyer sa demande d'asile, et compte tenu des autres contradictions et incohérences dans son témoignage qu'il n'a pas expliquées d'une façon crédible ou convaincante, le tribunal tire comme inférence défavorable que le demandeur dénature les incidents qui, selon son témoignage, l'ont amené à décider de quitter la Tanzanie. Compte tenu de ses conclusions quant à la crédibilité, le tribunal rejette la totalité [c'est nous qui soulignons] des incidents de persécution, d'intimidation et de harcèlement qui, aux dires du demandeur, se sont produits en Tanzanie et ont été à l'origine de sa décision de quitter son pays de citoyenneté.

[5]                Il y avait également des incohérences dans le témoignage du demandeur concernant le traitement médical qu'il avait reçu après l'attaque de juin 1999. Aux pages 5 et 6, la Commission a affirmé :


À l'appui de ses conclusions, le tribunal remarque que le demandeur a déclaré dans le FRP qu'il avait reçu des soins médicaux à l'hôpital après l'agression de juin 1999, au cours d'un séjour d'une nuit. Lors de l'audition de sa demande d'asile, le demandeur a cependant affirmé qu'il était demeuré à l'hôpital pendant deux jours et trois nuits en juin 1999. [...] À la question de savoir s'il pouvait produire des preuves corroborantes sous forme d'un rapport médical ou d'un rapport de police de Dar es Salaam pour appuyer ses allégations, le demandeur a répondu n'avoir jamais obtenu ces documents pour confirmer l'incident.

[6]                Encore une fois, le demandeur a dit qu'il avait fait une erreur dans le FRP. La Commission a également rejeté l'explication offerte par le demandeur pour avoir attendu près d'un an avant de présenter sa demande d'asile. À la fin de la page 6 et par la suite, la Commission dit :

L'existence d'un visa de visiteur en cours de validité pour une période quelconque n'écarte pas l'obligation de déposer une demande d'asile en temps opportun et avec célérité.

[...]

Dans l'arrêt Heer, la Cour d'appel fédérale a reconnu qu'un retard à revendiquer le statut de réfugié « est un important facteur dont elle (la Commission) peut tenir compte lorsqu'elle examine une revendication du statut de réfugié » . La jurisprudence indique qu'un retard peut démontrer l'absence de crainte subjective quant aux risques de persécution, car une personne qui craindrait vraiment d'être persécutée s'empresserait de revendiquer le statut de réfugiée à la première occasion.

[7]                La Commission a étudié le rapport psychologique relatif au demandeur mais elle a conclu que le rapport ne modifiait pas ses conclusions concernant la crédibilité du demandeur. Aux pages 8 et 9, la Commission dit ceci :

En ce qui concerne le rapport psychologique de Mme Judith Pilowsky, le tribunal ne conteste pas son diagnostic selon lequel le demandeur souffre d'anxiété, du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et de dépression [...] Cependant, comme il est mentionné dans le jugement Rokni, un rapport médical ou psychiatrique produit en preuve « ne saurait constituer une panacée pour pallier toutes les faiblesses dans le témoignage du requérant » . La Cour a réitéré sa position dans l'arrêt Danailov où, relativement à l'appréciation du témoignage d'un médecin et à la question de l'évaluation de la crédibilité, elle a déclaré qu'un « témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais » .

[8]                La Commission a également dit que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l'État. Elle a dit, à la page 9 :

Lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection [...]

Et, aux pages 12 et 13 :

La preuve documentaire indique que les Asiatiques du Sud en Tanzanie bénéficient du même niveau de protection de l'État que celui qui est assuré à la population en général car, comme il y est mentionné : [traduction] « il n'y a aucune loi ni politique officielle qui soit discriminatoire à l'endroit des Asiatiques » Le tribunal note qu'aucun gouvernement ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Le demandeur a affirmé qu'il ne s'était pas prévalu de la protection de la police lorsque des Africains l'ont harcelé et lui ont extorqué de l'argent ni, a-t-il témoigné, avait-il fait des efforts pour se plaindre auprès des autorités centrales de la police [...] Il a aussi témoigné qu'il ne s'était pas plaint au président de la Commission Aga Khan, le représentant de sa communauté, de ses difficultés avec les autorités policières qui extorquaient des pots-de-vin [...] [L]e tribunal note qu'il incombe au demandeur de prouver qu'il a pris toutes les mesures possibles pour obtenir la protection de l'État, ce qu'il n'a pas fait dans son témoignage car il n'a pas mentionné d'efforts de ce genre.

ANALYSE

a)          Arguments du demandeur

[9]                Le demandeur fait valoir que la Commission a manqué à l'obligation d'équité en soulevant la question de la protection de l'État sans lui permettre de présenter ses


observations à cet égard. Le demandeur prétend également que quand la Commission rejette toute la preuve, il s'agit d'une décision trop sévère qui ne saurait découler d'une interprétation raisonnable de la preuve. Enfin, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte du rapport psychologique qui appuyait sa preuve de mauvais traitements et en ne tenant pas compte de ses explications relatives à la présentation tardive de sa demande.

b)          Arguments du défendeur

[10]            Le défendeur prétend que la Commission peut tirer des conclusions négatives en matière de crédibilité en se fondant sur des contradictions et des incohérences. Le défendeur affirme que la Commission a expliqué, en détail, les motifs pour lesquels elle avait conclu que le témoignage du demandeur n'était pas plausible sur certains points fondamentaux. Le défendeur prétend qu'aucun des motifs invoqués par la Commission n'est à ce point déraisonnable qu'il faille intervenir. Il fait valoir que le demandeur n'a pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État en présentant une « preuve claire et convaincante » de l'incapacité de l'État de protéger ses citoyens. Selon le défendeur, la preuve documentaire indique que le gouvernement de la Tanzanie met en oeuvre des politiques favorables à la communauté asiatique et que les Musulmans et les ressortissants de l'Inde ne sont pas persécutés en Tanzanie et n'ont pas besoin d'être protégés. Enfin, le défendeur prétend que la Commission a tenu compte du rapport psychologique et qu'elle a bien cerné ses limites.


Norme de contrôle

[11]            La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la Commission et à l'évaluation de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Et dans l'ensemble, la Cour ne remplacera pas la décision de la Commission par la sienne, sauf si la décision de la Commission est manifestement erronée. Voir Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.). La norme de contrôle applicable lorsqu'un déni de justice naturelle est allégué est celle de la décision correcte.

Appréciation de la crédibilité

[12]            Le demandeur prétend que la Commission a été trop sévère lorsqu'elle a décidé que l'ensemble de sa preuve n'était pas digne de foi et qu'elle n'a donc pas agi d'une manière raisonnable. Je ne saurais accepter cet argument puisque la Commission a compétence absolue lorsqu'il s'agit d'apprécier la vraisemblance d'un témoignage et c'est elle qui est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un demandeur, voir Aguebor, précité. Compte tenu des incohérences et des contradictions soulevées par la Commission, de même que des faibles explications données par le demandeur, je suis convaincu que la décision de la Commission en matière de crédibilité n'est pas manifestement déraisonnable.


Protection de l'État et justice naturelle

[13]            Le demandeur soutient, à juste titre, que la Commission ne lui a pas donné l'occasion de présenter ses observations sur la protection de l'État. La présomption relative à la protection de l'État est un principe bien établi dans la jurisprudence de la Cour, voir les arrêts Villafranca (1992), 150 N.R. 232 (C.A.F.), et Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. L'avocat n'a soumis aucune observation sur cette question parce que la Commission a dit qu'elle ne voulait d'observations et de preuve que sur deux questions, savoir la crédibilité et le dépôt tardif de la demande.

[14]            Après avoir mentionné qu'il s'agissait des deux seules questions sur lesquelles elle voulait entendre des observations, la Commission s'est prononcée en se fondant sur la question de la protection de l'État. Ce faisant, la Commission s'est dédite. Il s'agit là, comme le juge Mahoney l'a affirmé dans l'arrêt Navaaneethakrishnan (Navaneetharrishnana) Velauthar et al. c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 141 N.R. 239 (C.A.F.), d'un « grave déni de justice naturelle » . À la page 2 de la décision, il a dit :

Il y a eu un grave déni de justice naturelle en l'espèce. Le tribunal avait pris acte du fait que les appelants craignaient d'être persécutés et, selon lui, la seule question était de savoir si cette persécution était visée par la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Pour des motifs de crédibilité, le tribunal s'est dédit. À cause d'une décision délibérée du président de l'audience, à laquelle son collègue a acquiescé, les appelants ont été privés de l'occasion de connaître les arguments qu'on allait faire valoir contre eux et d'y répondre.


En l'espèce, le demandeur a été privé de l'occasion de connaître les arguments qu'on allait faire valoir contre lui et d'y répondre à cause d'une décision délibérée du président de l'audience tenue devant la Commission. Toutefois, un déni de justice naturelle ne justifie pas l'annulation de la décision si le fait de corriger l'erreur n'influe pas sur la décision prise. Voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

[15]            Quelle que soit sa décision en matière de crédibilité, la Commission doit se demander si le demandeur est une personne à protéger en vertu de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Toutefois, la violation des règles de justice naturelle, par la Commission, a empêché le demandeur de savoir que cette question devait faire l'objet d'un examen. La preuve documentaire révèle que cinquante pour cent des ressortissants de l'Inde en Tanzanie ont quitté le pays (ou se sont enfuis) au cours de la dernière décennie. Le demandeur aurait pu juger approprié de soumettre d'autres éléments de preuve en ce sens afin de démontrer que l'État n'offrait pas sa protection, peu importe les préoccupations de la Commission au sujet de sa crédibilité. Par voie de conséquence, je ne peux conclure que ce déni de justice naturelle n'influerait pas sur la décision finale.

Preuve psychologique


[16]            Contrairement aux affirmations du demandeur, la Commission a bien examiné le rapport psychologique. Toutefois, elle n'a pas accepté les conclusions du rapport en matière de crédibilité puisque les faits qui les sous-tendaient étaient en cause. À cet égard, je fais mien le raisonnement de la juge Reed (alors juge à la Section de première instance) au paragraphe 2 de la décision Danailov c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 1019 :

Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.

[17]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[18]            Les avocats n'ont pas recommandé la certification d'une question. Aucune question n'est certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par un autre membre ou un tribunal différemment constitué.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »              

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3617-03

INTITULÉ :                                                    DAYMOND WALJI LALJI MURJI

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 4 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine                                       POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                          Date : 20040204

                                               Dossier : IMM-3617-03

ENTRE :

DAYMOND WALJI LALJI MURJI

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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