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Date : 20000825

Dossier : IMM-5806-99

ENTRE :

                       JOSE RAMON ALVARADO PENA

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                                     

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1] Jose Ramon Alvarado Pena, citoyen du Honduras, a demandé d'être reconnu au Canada comme réfugié au sens de la Convention pour le motif qu'il craignait avec raison d'être persécuté en tant que membre d'un groupe social.

[2] Il a allégué en particulier que, pendant qu'ils étaient encore au Honduras, lui et son épouse, Mme Ordonez, avaient été l'objet de menaces de mort et d'autres actes criminels violents de la part de M. Arnulfo, l'ancien ami de Mme Ordonez et membre violent d'un gang criminel notoire.


[3] Mme Ordonez avait obtenu le statut de réfugié au Canada en 1998 en tant que membre d'un groupe social : les femmes qui sont victimes de violence pour des motifs liés au sexe et que l'État ne peut pas ou ne veut pas protéger. La revendication de Mme Ordonez était fondée sur la violence familiale qu'elle avait subie de la part de M. Arnulfo.

[4] La revendication de M. Alvarado a été rejetée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans une brève décision rendue le 2 novembre 1999. Sans contester la véracité de la déposition du demandeur au sujet des actes de violence qu'il avait décrits, la Commission a conclu qu'il n'y avait aucun lien entre sa crainte de les voir se répéter s'il retournait au Honduras et le motif de persécution figurant dans la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Ainsi, la Commission a déclaré (à la page 4 de ses motifs) :

[traduction] La revendication de M. Alvarado est fondée sur une vendetta exercée contre lui par M. Arnulfo. Elle n'a pas d'autre composante. Il n'y a aucun lien, selon les faits présentés, avec la définition de réfugié au sens de la Convention. (italiques ajoutés)

[5] L'avocat du demandeur a soutenu que, en arrivant à cette conclusion, la Commission a commis une erreur de droit parce qu'elle n'avait pas évalué le fondement de la revendication, à savoir que M. Alvarado craignait d'être persécuté parce que'il faisait partie de la famille d'une personne qui avait elle-même été persécutée pour un motif prévu par la Convention.


[6]         Subsidiairement, il a soutenu que, si la Commission avait fondé sa décision sur une conclusion de fait selon laquelle la violence dirigée contre M. Alvarado était motivée uniquement par une vendetta exercée contre lui et ne faisait pas partie de la campagne de violence menée contre Mme Ordonez, qui était la raison pour laquelle elle avait été reconnue comme réfugiée, la décision risquait d'être annulée en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1995) ch. F-7, car elle était fondée sur une conclusion de fait erronée, qui avait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[7]         Bien que l'analyse de la Commission soit très brève, je ne suis pas disposé à en déduire que le président ne s'est pas rendu compte de l'argument avancé au nom de M. Alvarado. En effet, il appert de la transcription de l'audience, à laquelle l'avocat m'a renvoyé, que le président avait compris le point essentiel qui était présenté. Ainsi, il a dit (à la page 3 des motifs de la décision) :

[traduction] Durant nos discussions lors de la conférence préparatoire de ce matin, j'ai indiqué aux avocats qu'il semble que nous ayons affaire en l'espèce à un groupe social, c'est-à-dire un membre de la famille d'une personne victime de violence conjugale. Essentiellement, un groupe social superposant un groupe social.

[8]         Il appert également de l'échange entre les avocats et le président vers la fin de l'audience que la question qui le troublait était [traduction] « une question de faiblesse du lien causal » (page 10 de la transcription). Autrement dit, quoique le demandeur ait bien pu faire partie d'un groupe social selon la définition de réfugié au sens de la Convention, la question était de savoir si c'était le motif de la persécution dont il était l'objet plutôt que le désir de vengeance de M. Arnulfo de faire du tort à l'homme pour lequel Mme Ordonez l'avait laissé.

[9]         L'obligation d'établir l'existence d'un lien causal entre la violence exercée envers M. Alvarado et la persécution dont fut victime Mme Ordonez pour un motif prévu par la Convention était reconnue au paragraphe 20 de l'exposé du droit et des faits présenté au nom du demandeur :

[traduction]    Il est soumis en outre que, sauf pour la violence dirigée contre l'épouse du demandeur pour des motifs liés au sexe, ce dernier n'aurait pas de même été victime de violence. C'est-à-dire que les actes de violence contre le demandeur ne peuvent pas légitimement se réduire à un simple geste criminel ou à une simple vendetta, puisqu'ils découlent essentiellement de la violence dirigée contre l'épouse du demandeur pour des motifs liés au sexe. (italiques ajoutés)


[10]       Autrement dit, pour que le demandeur obtienne gain de cause, il doit établir non seulement qu'il a été agressé parce qu'il était l'époux, ou l'équivalent de l'époux, d'une femme qui est une réfugiée en vertu d'une persécution pour des motifs liés au sexe, mais également que l'agression dont il a été victime avait un lien causal avec la violence ou, pour utiliser le texte même de la loi, « du fait de » de la violence qu'elle avait endurée. Ainsi, si le demandeur avait prouvé que M. Arnulfo l'avait menacé de violence afin d'alimenter sa vendetta contre Mme Ordonez, il aurait établi l'existence nécessaire d'un lien causal entre les menaces qui lui avaient été faites et la persécution de Mme Ordonez pour des motifs liés au sexe.

[11]       Je présume aux fins de la présente affaire, mais sans me prononcer sur ce point, qu'un homme qui est l'époux ou l'équivalent de l'époux d'une femme qui a été victime de violence pour des motifs liés au sexe est membre d'un groupe social selon la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Cependant, c'est grandement une question de fait de savoir si le demandeur a établi selon la preuve l'existence d'un lien causal entre la violence dirigée contre lui par M. Arnulfo et son appartenance personnelle au groupe social des amis ou des maris de femmes qui ont été victimes de violence conjugale pour des motifs liés au sexe.


[12]       Notre Cour est très réticente à rejeter les conclusions de fait tirées par la Commission, notamment, comme en l'espèce, sur une question relevant de l'expertise de la Commission. C'est un lieu commun d'attirer l'attention sur le fait que l'existence d'éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission qui auraient étayé une conclusion différente n'est pas le critère. Plus précisément, aux fins de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la question est de savoir si, compte tenu de l'ensemble de la preuve, la Cour est convaincue que la Commission a tiré sa conclusion de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[13]       À mon avis, la Commission disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir fonder rationnellement sa conclusion selon laquelle la violence exercée contre M. Alvarado résultait d'une vendetta exercée contre lui et motivée par la jalousie de M. Arnulfo. Ainsi, lorsque l'avocat de M. Alvarado a demandé à celui-ci pourquoi il pensait que M. Arnulfo lui créait de tels problèmes ainsi qu'à Mme Ordonez, M. Alvarado a répondu (à la page 6 de la transcription) :

[traduction] Juste par vengeance, un désir de revanche parce que [Mme Ordonez] était mon amie et ne voulait plus sortir avec lui.

Plus tard, le demandeur a dit (à la page 12 de la transcription) que la raison pour laquelle M. Arnulfo l'aurait blessé s'il lui avait dit que Mme Ordonez avait quitté le Honduras, c'était :

[traduction] Parce qu'il l'aimait et -----mais il prenait aussi de la drogue et elle ne voulait rien avoir à faire avec lui et il présumait que je l'éloignais de lui.

[14]       La transcription ne mène pas inéluctablement à la conclusion selon laquelle, pour utiliser les termes de l'avocat du demandeur, [traduction] « sauf pour la violence dirigée contre l'épouse du demandeur pour des motifs liés au sexe, le demandeur n'aurait pas de même été victime de violence » . Il est probable que M. Arnulfo aurait réagi de la même manière envers M. Alvarado s'il n'avait pas également été violent envers Mme Ordonez.


[15]       Le fait que M. Arnulfo avait de fait cherché également à se venger contre Mme Ordonez de façon violente n'est pas incompatible avec le fait qu'il ait poursuivi une vendetta séparée contre M. Alvarado, bien que son hostilité à l'égard des deux découlait de faits connexes, à savoir le repoussement de M. Arnulfo par Mme Ordonez et la liaison subséquente entre Mme Ordonez et M. Alvarado. Le droit pertinent a été résumé brièvement par le juge Nadon dans la décision Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F.190 (C.F. 1re inst.), où il a dit (à la page 204) :

Ainsi nul ne sera considéré comme un réfugié au sens de la Convention pour le simple motif qu'un membre de sa famille se fait persécuter. Il doit y avoir un lien bien défini entre la persécution dirigée contre l'un des membres de la famille et celle dont les autres membres de cette même famille sont victimes... La famille peut être considérée comme un groupe social seulement à compter du moment où il y a certains éléments de preuve quant au fait que la persécution dont elle souffre la vise en tant que groupe social. Par exemple, il est possible qu'un demandeur se fasse persécuter à cause de ses idées politiques, et non à cause de celles de ses parents, qui peuvent néanmoins aussi être des dissidents. (italiques ajoutés)

[16]       L'avocat du demandeur a fait remarquer que, en plus de la déposition verbale de M. Alvarado, la Commission disposait de la déclaration annexée au Formulaire de renseignements personnels, dans laquelle M. Alvarado a mentionné que, à plus d'une occasion, M. Arnulfo avait menacé de le tuer ainsi que Mme Ordonez et leur fille. Il a soutenu que la Commission aurait dû tenir compte du fait que M. Alvarado était visé également par les menaces de violence proférées à l'endroit de Mme Ordonez, sur lesquelles son statut de réfugiée était fondé. Dans ces circonstances, a allégué l'avocat, il n'était pas réaliste de considérer Mme Ordonez comme la victime de violence pour des motifs liés au sexe, sans également admettre que les menaces proférées envers M. Alvarado étaient inextricablement liées à celles proférées à l'endroit de Mme Ordonez.

[17]       À mon avis, toutefois, la Commission pouvait raisonnablement conclure, en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait, que la cause de la violence envers M. Alvarado était la jalousie d'un rival pour l'affection de Mme Ordonez, et non pas le fait que M. Alvarado faisait partie de la famille d'une personne que lui, M Arnulfo, avait soumise à de la violence pour des motifs liés au sexe, en contravention de la Convention. C'est une déduction que l'on peut raisonnablement tirer de la déposition de M. Alvarado.


[18]       En outre, comme l'a signalé l'avocate du défendeur, la fille de M. Alvarado et de Mme Ordonez qui se trouve encore au Honduras est restée indemne depuis leur départ. Cela vient étayer la conclusion de la Commission selon laquelle la violence exercée envers M. Alvarado n'avait pas de lien causal avec le fait que, comme victime de violence conjugale, son épouse fait partie d'un groupe social.

[19]       La déposition selon laquelle, lorsqu'ils étaient encore au Honduras, M. Arnulfo a menacé à une occasion de tuer toute la famille, y compris la fille, vient en quelque sorte étayer la prétention du demandeur. Cependant, elle ne vient pas miner la force de l'autre déposition au point de justifier la conclusion selon laquelle la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée au sujet du motif de la violence faite à M. Alvarado selon laquelle elle a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[20]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour ces motifs.

« John M. Evans »

Juge

Le 25 août 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5806-99

INTITULÉ :                                        Jose Ramon Alvarado Pena

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE                  le 23 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EVANS        

DATE DES MOTIFS :                       le 25 août 2000

ONT COMPARU :

Peter P. Dimitrov                                   Pour le demandeur

Mandana Namazi                                  Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter P. Dimitrov

Avocat

Delta (C.-B.)                                         Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur

général du Canada                                 Pour le défendeur

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