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Date : 19990416


Dossier : IMM-5704-98

OTTAWA (ONTARIO), 16 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :

     TITISOR ION,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.



     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             Danièle Tremblay-Lamer                                          Juge


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, LL.B.


Date : 19990416


Dossier : IMM-5704-98


ENTRE :

     TITISOR ION,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de l'avis du représentant du ministre selon lequel Titisor Ion (également connu sous le nom de Fane Spoitoru, ci-après le requérant) constitue un danger pour le public au Canada, conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l'immigration1 (la Loi).

[2]      Le requérant est un citoyen de la Roumanie. Il est arrivé au Canada muni d'un faux passeport hongrois le 24 avril 1996 et, la semaine suivante, a déclaré qu'il était un réfugié. Il a remis le faux passeport à la date à laquelle il a présenté sa demande de statut de réfugié.

[3]      Le requérant a été reconnu coupable, en Roumanie, de vol à main armée en 1988, de vol à main armée et complot pour commettre un vol à main armée en 1996 ainsi que de tentative de meurtre en 1997. La déclaration de culpabilité prononcée en 1996 a été infirmée en appel en raison d'un vice de procédure et un nouveau procès a été ordonné à son égard, tandis que la déclaration de culpabilité prononcée en 1997 au sujet de l'accusation de tentative de meurtre est actuellement en appel.

[4]      Comme l'indiquent les jugements des tribunaux roumains, deux de ces crimes, soit le vol à main armée commis en 1988 et la tentative de meurtre commise en 1997, renfermaient des éléments de violence qui ont causé de graves blessures aux victimes2.

[5]      Lorsqu'il a reconnu le requérant coupable de tentative de meurtre, le tribunal de Roumanie a jugé que la gravité de l'infraction et le danger social qu'il représentait étaient extrêmement élevés, notamment en raison du fait qu'il était récidiviste :

     ... Le tribunal considérera d'une part le danger social en concret de l'infraction commise par l'accusé - extrêmement élevé, les circomstances [sic] de temps et lieux de l'accomplissement de l'infraction, et d'autre part les dates qui circonstancie la personne de l'accusé, qui a nié l'accomplissement du crime avec intention, et de l'examen du casier judiciaire trouvée dans le dossier la cause, résulte qu'il est récidiviste3.

[6]      Par ailleurs, en plus des trois crimes susmentionnés, le requérant a commis 13 autres crimes entre 1986 et 19874.

[7]      En mai 1996, une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle a été prise et, en septembre 1996, une enquête en matière d'immigration a été instituée, mais interrompue le 1er octobre 1996, car le ministre examinait alors une demande d'extradition du gouvernement roumain. Selon le requérant, aucune procédure d'extradition n'a été engagée jusqu'à maintenant.

[8]      Le 3 avril 1998, le ministre l'a avisé qu'il songeait à délivrer contre lui un avis selon lequel il constituait un danger; le requérant a alors obtenu des copies de tous les documents dont le ministre avait été saisi.

[9]      Le 21 mai 1998, le représentant du ministre a délivré un avis portant que le requérant constituait un danger.

[10]      La preuve documentaire comprenait environ trois cents articles de journaux; dans bon nombre de ces articles, le requérant était identifié comme un membre important de la mafia en Roumanie.

[11]      Depuis son arrivée au Canada, le requérant a été reconnu coupable, sur déclaration sommaire de culpabilité, d'avoir conduit un véhicule alors que son taux d'alcoolémie dépassait 0,08, mais aucune autre condamnation n'a été prononcée contre lui en matière pénale.

[12]      Le requérant soutient que le représentant du ministre n'a pas respecté les principes de justice fondamentale et a tenu compte d'éléments de preuve non pertinents.

[13]      Plus précisément, l'avocat du requérant conteste le fait que l'annulation de la déclaration de culpabilité de 1996 ne figurait pas dans les notes remises au représentant du ministre. Toutefois, comme je l'indique ci-après, même en l'absence de cette déclaration de culpabilité, l'avis portant que le requérant constituait un danger reposait sur une preuve abondante. De plus, une copie du jugement d'appel se trouvait dans le dossier dont le représentant du ministre avait été saisi5.

[14]      Par ailleurs, l'avocat du requérant soutient que les nombreuses coupures de journaux portées à l'attention du représentant du ministre étaient sensationnalistes, n'étaient pas pertinentes et n'auraient pas dû être prises en compte. Cependant, à mon sens, les coupures de journaux qui concernent le passé du requérant sont effectivement pertinentes. Il appartient au ministre ou à son représentant de déterminer le poids à accorder à cette preuve6.

[15]      La jurisprudence concernant l'avis du ministre est très claire. Dans l'affaire Williams7, qui portait sur un résident permanent considéré comme un danger pour le public au Canada en application du paragraphe 70(5), la Cour d'appel a statué que, lorsqu'il donne un avis portant qu'une personne constitue un danger, le ministre n'est pas tenu d'indiquer les motifs de cet avis et les exigences relatives à l'équité procédurale sont minimes.

[16]      De plus, la C.A.F. a défini dans cet arrêt la portée restreinte de l'intervention qu'elle peut faire lorsqu'elle examine un avis de cette nature; plus précisément, le juge Strayer, qui s'exprimait au nom de la Cour, a souligné que celle-ci ne peut, en appel, remettre en question des conclusions de fait :

     J'ai fait état plus haut de la portée limitée du contrôle judiciaire de telles décisions. La Cour n'est pas invitée à siéger en appel et à statuer à nouveau sur des conclusions de fait. Ce n'est pas l'avis du juge qui est requis sur la question de savoir si un non-citoyen constitue un danger pour le public8.

[17]      À la page 677, il ajoute les commentaires suivants à ce sujet :

     Peut-être qu'un juge des requêtes ayant pris connaissance de ces documents serait personnellement d'avis que la preuve selon laquelle M. Williams ne constitue pas un danger était plus convaincante que la preuve contraire, mais, selon moi, là n'est pas la question. Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier9.

[18]      À l'instar de ma collègue, Madame le juge Reed, qui a accepté l'argument dans l'arrêt Chu c. Canada (M.C.I.)10, je conviens que, lorsque la preuve va dans les deux sens, dans la mesure où une partie de cette preuve permet de conclure que la personne en question constitue un danger pour le public au Canada, le critère énoncé dans l'arrêt Williams aura été établi :

     Cela veut dire que puisque la décision quant au danger pour le public est une décision qui nécessite un avis de la part du ministre, l'examen par les tribunaux du dossier devrait viser uniquement à se demander s'il existe au dossier des éléments de preuve qui puissent étayer cette décision. L'avocate de l'intimé note que, en l'espèce, il existe des éléments de preuve qui vont dans les deux sens mais que, certains de ces éléments de preuve pouvant étayer la conclusion que le requérant constitue un danger pour le public au Canada, le critère énoncé dans l'arrêt Williams a été respecté. Je souscris à cet argument11.

[19]      Dans la présente affaire, le représentant du ministre a été saisi de plusieurs documents convaincants indiquant que le requérant avait été reconnu coupable de crimes graves et est considéré comme un récidiviste par les tribunaux roumains. Les infractions dont il a été reconnu coupable comportent des éléments de violence grave. Même si le requérant soutient qu'il n'a été qu'un complice lors du vol à main armée de 1988, le tribunal de première instance du 2e district de Roumanie a jugé qu'il avait activement participé à une introduction par effraction au cours de laquelle une dame âgée a été gravement blessée lorsqu'elle a reçu un coup de tournevis sur la tête12.

[20]      Des copies de tous les documents portés à l'attention du représentant du ministre ont été remises au requérant avant que le ministre fasse parvenir son avis et le requérant a eu toute la latitude voulue pour y répondre.

[21]      À mon avis, la preuve dont le représentant du ministre a été saisi était amplement suffisante aux fins d'une conclusion portant que le requérant constituait un danger pour le public au Canada.

[22]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le requérant a demandé que la question suivante soit certifiée :

         [TRADUCTION]
         Il semble que certains juges de la Section de première instance refusent d'annuler des avis portant qu'une personne constitue un danger en raison de l'existence de certains éléments de preuve permettant de conclure en ce sens, tandis que d'autres juges décident à la lumière des faits que certains avis de cette nature sont invalides parce qu'ils ne sont pas raisonnables. Ce sont là des normes différentes. Laquelle est la bonne?

[23]      La norme qu'il convient d'appliquer dans un cas de cette nature a été expliquée de façon détaillée dans l'arrêt Williams. La présente affaire porte uniquement sur une application de ces principes. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


                             Danièle Tremblay-Lamer

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 16 avril 1999







Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  IMM-5704-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          TITISOR ION c. LE MINISTRE DE LA
                         CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :          14 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :                  16 AVRIL 1999


ONT COMPARU :


Me WILLIAM SLOAN                  POUR LE REQUÉRANT

Me MARTINE VALOIS                  POUR L'INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Me WILLIAM SLOAN                  POUR LE REQUÉRANT

MONTRÉAL (QUÉBEC)


Me MORRIS ROSENBERG                  POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      Décision du tribunal de première instance du deuxième district, Bucarest (24 octobre 1988) (5949/1988), dossier du Tribunal , p. 22-28; décision du tribunal de Bucarest, section de première instance en matière pénale (2 octobre 1997) (3181/1992), dossier du Tribunal, p. 86-97.

     3      Supra note 2, p. 92.

     4      Supra note 2, p. 26.

     5      Dossier du Tribunal, p. 435.

     6      Voir, p. ex., Ngo c. M.C.I. (17 juin 1997), IMM-2257-96 (C.F. 1re inst.).

     7      Williams c. Canada (M.C.I.), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.).

     8      Ibid, p. 676.

     9      Ibid, p. 677.

     10      (1997), 135 F.T.R. 206 (C.F. 1re inst.).

     11      Ibid, p. 209.

     12      Supra note 2, p. 25-26.

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