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     Date : 19990120

     Dossier : IMM-1377-98

ENTRE :

     JIANMIN HE,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale vise la décision en date du 22 avril 1998 par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Celui-ci cherche à obtenir une ordonnance de certiorari tendant à l'annulation de la décision de l'agente des visas, une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de traiter sa demande de résidence permanente à titre d'investisseur en conformité avec les dispositions de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application qui étaient en vigueur lorsqu'il a présenté sa demande de résidence permanente, et une ordonnance déclarant que la décision de l'agente des visas est erronée.

LES FAITS

[2]      Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre d'investisseur le 6 janvier 1997 ou vers cette date. Par voie de lettre en date du 3 décembre 1997, il a été prié d'apporter à l'entrevue plusieurs documents, notamment les états financiers vérifiés des trois dernières années et les cotisations d'impôt sur les bénéfices correspondantes. Le 24 février 1998, le demandeur s'est présenté à l'entrevue avec trente-quatre états financiers mensuels de son entreprise, Golden State Industrial Co. Ltd., des reçus mensuels officiels correspondants délivrés par des autorités municipales pour des impôts payés en fonction de ces états financiers et un rapport de vérification préparé par les experts-comptables agréés Sui Dong. L'entrevue s'est déroulée dans la langue du demandeur, le cantonais, étant donné que celui-ci ne parle pas l'anglais. Le 25 février 1998, l'agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur.

La décision

[3]      L'agente des visas a conclu que le demandeur ne correspondait pas à la définition d'un investisseur contenue dans le Règlement sur l'immigration pour les motifs suivants :

     [traduction] Durant l'entrevue que vous avez subie le 24 février 1998 au consulat, nous avons discuté de votre entreprise, Golden State Industrial Co. Ltd., qui a été mise sur pied en Chine en juillet 1993. Vous avez affirmé que vous aviez investi 400 000 yuan comme capital de démarrage et que vous étiez devenu un actionnaire majoritaire de cette entreprise. Vous avez en outre déclaré qu'en juin 1997 un changement avait été apporté au capital-actions et que vous étiez devenu l'actionnaire de 33,33 p. 100 des actions de l'entreprise. À l'entrevue, vous n'avez pas fourni suffisamment de documents commerciaux ou financiers au sujet de Golden State Industrial Co. Ltd. Vous avez en outre affirmé que vous aviez exploité, entre 1989 et 1993, une autre entreprise, Guangzhou Da Feng Trading Co., qui vous avait permis de réaliser des bénéfices appréciables. Vous n'avez toutefois fourni aucune preuve au soutien de cette assertion.         
     Par ailleurs, vous n'avez pas fourni de preuves satisfaisantes que vous avez accumulé votre valeur nette par vos propres efforts. Vous avez déclaré que c'est grâce aux bénéfices réalisés par votre entreprise entre 1989 et 1993 que vous avez pu investir un important capital de démarrage dans Golden State Industrial Co. Ltd. et faire des investissements immobiliers en 1994 et 1995. Compte tenu des facteurs qui précèdent, et en l'absence de toute preuve documentaire vérifiable de votre participation financière et du rendement commercial de votre entreprise actuelle ou de votre entreprise précédente, je ne suis pas convaincu que vous avez exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise et que vous avez accumulé la valeur personnelle nette que vous affirmez représenter par vos propres efforts ou ceux de votre entreprise, ainsi que l'exige la définition d'investisseur.         

              (Non souligné dans l'original.)         

LES THÈSES DES PARTIES

[4]      Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis les erreurs révisables suivantes. Premièrement, elle n'a pas respecté l'équité procédurale puisqu'elle n'a pas avisé le demandeur qu'il devait apporter à l'entrevue les documents financiers et commerciaux se rapportant à son entreprise précédente, Guangzhou Da Feng Trading Co., et elle n'a pas donné au demandeur la possibilité de produire des éléments de preuve importants indiquant qu'il a accumulé sa valeur nette par ses propres efforts. Deuxièmement, l'agente des visas a commis une erreur en concluant que le demandeur n'a pas fourni la preuve que la rentabilité de l'entreprise et sa valeur nette étaient le résultat de ses propres efforts ou de ceux de son entreprise au motif que le rapport de vérification préparé par les experts-comptables agréés Sui Dong, qui comprenait une évaluation d'entreprise, était inacceptable parce que les évaluations ne constituaient pas des [traduction] " documents fiables et vérifiables pour confirmer ce montant ". Il n'existe aucune prescription voulant que des états financiers soient vérifiés par une firme comptable internationale.

[5]      L'agente des visas a également commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité d'obtenir une évaluation du rendement de son entreprise qui confirmerait ses affirmations qu'il exploitait une entreprise avec succès, puisqu'elle a déclaré qu'elle avait déjà permis à d'autres requérants ayant affirmé la même chose de le faire.

[6]      Le ministre a répondu à ces prétentions en affirmant que l'agente des visas n'a pas tiré une conclusion erronée. Elle n'a pas omis de renseigner le demandeur ou de lui donner la possibilité de présenter des documents commerciaux concernant son entreprise précédente. Quand on a demandé au demandeur d'où provenait le capital de démarrage qu'il avait investi dans Golden State Industrial Co. Ltd. en 1993, celui-ci a expliqué que ces fonds provenaient en partie des bénéfices réalisés par son entreprise précédente, Da Feng, entre 1989 et 1993, et qu'il n'était pas en mesure de fournir des preuves au sujet de cette entreprise parce qu'elle avait cessé ses activités en 1993 et qu'il n'avait pas conservé de documents. L'agente a conclu que le demandeur était incapable de prouver qu'il avait accumulé la valeur nette qu'il prétendait représenter par ses propres efforts. De plus, il a répondu par la négative quand on lui a demandé de fournir la preuve que l'exploitation de Da Feng avait été rentable. S'il avait répondu par l'affirmative, l'intimé lui aurait accordé un délai supplémentaire pour produire une telle preuve.

[7]      Durant l'entrevue, l'agente des visas a également demandé au demandeur s'il désirait fournir des renseignements supplémentaires, notamment des preuves concernant son entreprise précédente, Da Feng. Comme le demandeur ne possédait aucun autre renseignement capable de prouver le fait qu'il avait accumulé la valeur nette qu'il disait représenter par ses propres efforts, l'agente a conclu qu'il était inutile de lui demander de présenter une évaluation du rendement de son entreprise actuelle faite par une source vérifiable parce qu'il était incapable de démontrer qu'il avait accumulé sa valeur nette par ses propres efforts.

[8]      En ce qui concerne la fiabilité des documents que le demandeur a lui-mêmes créés, il est affirmé que le demandeur a été informé, au moyen de la liste de contrôle concernant les documents commerciaux supplémentaires contenue dans la trousse de demande qui lui a été remise, qu'il était recommandé d'obtenir une évaluation objective et indépendante du rendement de son entreprise faite par une firme comptable internationale; les noms de six firmes étaient fournis dans ce document. De plus, il est allégué que l'appréciation de la preuve documentaire est une question de fait relevant de la compétence de l'agent. En l'espèce, l'agente des visas a évalué et examiné tous les documents que le demandeur lui a soumis, elle lui a fait part de ses doutes au sujet de la fiabilité des documents et elle a conclu qu'il était inutile de demander une évaluation de Golden State Industrial Co. Ltd.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]      Le demandeur soulève les questions suivantes :

     1) l'autocréation de documents financiers est-elle un motif justifiant le rejet de ces documents, étant donné que tous les documents financiers sont autocréés?         
     2) Quand le demandeur n'est qu'un actionnaire minoritaire au sein de sa propre entreprise, ne devrait-on pas, à des fins d'immigration, accorder une valeur probante à des documents signés et approuvés par tous les actionnaires, dont un seul cherche à immigrer?         
     3) Si des documents sont admissibles en tant que pièces commerciales en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, un agent des visas devrait-il leur donner du poids, surtout quand rien n'indique que les déclarations sont fausses?         
     4) Les déclarations faites par l'agente quant au caractère peu fiable de la preuve émanant des comptables agréés chinois ou à l'absence de normes internationales sont-elles absurdes?         

ANALYSE

[10]      Dans le cadre de la présente demande de résidence permanente, le demandeur devait convaincre l'agente des visas qu'il était admissible comme investisseur en vertu de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application. La définition d'investisseur figure au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration. En voici le libellé :

     "investisseur" Immigrant qui satisfait aux critères suivants :
     a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;         
     b) il a fait un placement minimal depuis la date de sa demande de visa d'immigrant à titre d'investisseur;         
     c) il a accumulé par ses propres efforts :         
         (i) un avoir net d'au moins 500 000 $ [...]         

[11]      L'agente des visas a conclu que le demandeur n'a pas démontré qu'il avait exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise, ni qu'il avait accumulé par ses propres efforts un avoir net d'au moins 500 000 $.

[12]      Les arguments du demandeur se rapportaient à la décision de l'agente des visas de refuser les états financiers que le demandeur lui a présentés parce qu'ils n'étaient pas fiables et qu'ils n'avaient pas fait l'objet d'une vérification. Bref, ces arguments se rapportaient au poids et à la valeur probante de documents financiers internes n'ayant pas été vérifiés par une firme comptable internationale.

[13]      Premièrement, le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur en refusant d'accepter ces documents au motif qu'il s'agissait de documents financiers qu'il avait lui-même créés. Il est allégué que des règles et des règlements internes précisant ce qu'est et ce que n'est pas une preuve acceptable ne sont rien de plus que des directives qui n'ont pas force de loi. Il est également allégué que l'agente des visas devrait donner du poids aux documents qui sont admissibles en tant que pièces commerciales en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, surtout quand rien n'indique qu'il s'agit de faux documents. Le demandeur soutient en outre qu'il n'est pas du ressort de l'agente des visas d'affirmer que le fisc local a agi frauduleusement ou sans compétence en l'absence d'éléments de preuve précis; la maxime omnia praesumuntur rite acte esse s'applique : lorsque des actes revêtent un caractère officiel ou exigent l'approbation de personnes qui exercent des fonctions officielles, il existe une présomption que ces actes ont été dûment exécutés (Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105). De plus, le demandeur soutient que le refus de l'agente des visas d'admettre des éléments de preuve au motif qu'ils ont été produits par un comptable agréé chinois ou qu'ils ne respectaient pas les normes internationales est abusive.

[14]      À mon avis, il ne s'agit pas de savoir si la preuve documentaire est ou non admissible, mais de savoir quel poids il convient de donner à de tels documents. Une distinction doit être faite entre une instance devant un tribunal administratif et une procédure judiciaire régie par la Loi sur la preuve au Canada. Ainsi que l'a affirmé le ministre intimé, la Loi sur la preuve au Canada s'applique strictement aux procédures judiciaires, et non aux tribunaux administratifs. L'appréciation de la preuve documentaire, y compris son poids et sa valeur probante, relève de la compétence de l'agent des visas. Quand la conclusion de fait de l'agent des visas repose sur tous les documents qui lui ont été soumis et n'a pas été tirée de façon abusive, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée. De plus, bien qu'il soit vrai que des directives ne sont pas des dispositions législatives et n'ont pas force de loi, ces directives devraient être suivies quand elles ne sont pas incompatibles avec des dispositions législatives en vigueur. Je suis convaincu que la décision de l'agente des visas de ne donner " aucun poids " aux documents en question (les états financiers et les reçus) constitue une erreur de droit. À moins d'avoir en main des éléments de preuve indiquant que les documents en question étaient frauduleux ou faux, et aucune preuve semblable n'existe, l'agente des visas devait donner du poids aux documents dans le cadre de son examen. Je suis convaincu que l'agente des visas a rejeté ces documents d'emblée et pour la seule raison qu'ils n'avaient pas été certifiés ni vérifiés par l'une des six firmes comptables recommandées au demandeur lorsqu'il a présenté sa demande de résidence permanente.

[15]      Le demandeur soutient en outre que la définition d'investisseur prévue au paragraphe 2(1)c) du Règlement sur l'immigration n'exige pas que [traduction] " le tout premier dollar ayant servi à créer la valeur nette actuelle du demandeur ait été obtenu par les propres efforts de ce dernier ".

[16]      Il est allégué que l'entreprise Golden State Industrial a été mise sur pied au moyen d'un capital de démarrage de 400 000 yuan et que, le 12 juin 1997, la valeur des actions du demandeur par rapport à l'avoir des propriétaires s'élevait à 4 767 515,79 yuan, ainsi que l'ont vérifié les experts-comptables agréés Sui Dong. La différence entre le capital de démarrage et l'avoir du demandeur a été accumulée par les propres efforts du demandeur et cette somme représente plus de 500 000 dollars canadiens.

[17]      À mon avis, cette interprétation est incompatible avec une interprétation franche de la disposition, et cet argument est mal fondé. De plus, l'argument du demandeur que l'agente des visas a commis une erreur en ne lui donnant pas la possibilité de produire des éléments de preuve concernant son entreprise précédente, Da Feng, est également mal fondé. Il ressort de la preuve qui a été soumise par voie d'affidavit que le demandeur a eu la possibilité de produire des éléments de preuve concernant son entreprise antérieure et a affirmé tout au long de son entrevue que ces documents n'existaient pas.

[18]      Le demandeur a également soutenu que l'agente des visas ne lui avait pas donné la possibilité d'obtenir une évaluation du rendement de son entreprise. Le ministre intimé a indiqué que puisque le demandeur avait affirmé et répété à l'entrevue que les documents attestant qu'il avait accumulé sa valeur nette par ses propres efforts n'existaient plus, il était inutile de lui demander d'obtenir une telle évaluation. Le demandeur a également été avisé des doutes de l'agente des visas au sujet de la valeur probante des états financiers.

CONCLUSION

[19]      Le demandeur a été avisé par lettre et au moyen de la trousse de demande des renseignements qu'il devait apporter à l'entrevue, et il a été informé des doutes de l'agente des visas concernant la preuve produite à l'entrevue. De plus, le demandeur a eu la possibilité de présenter des états concernant son entreprise précédente, Da Feng. Toutefois, le demandeur a été incapable de convaincre l'agente des visas qu'il correspondait à la définition d'un investisseur contenue dans le Règlement sur l'immigration. Plus précisément, le demandeur n'a pas fourni de preuves au soutien de sa prétention qu'il avait accumulé sa valeur nette par ses propres efforts.

[20]      Malgré tout, je suis convaincu que les motifs fournis par l'agente des visas pour ne pas donner de poids aux trente-quatre états financiers mensuels et aux reçus aux fins de l'impôt, parce qu'ils n'avaient pas été vérifiés par une firme comptable jugée acceptable par l'agente des visas, représentent une erreur grave.

[21]      À moins de posséder des éléments de preuve indiquant que la vérification faite par la firme comptable chinoise à laquelle le demandeur s'est adressé ne devrait pas être acceptée, l'agente des visas devait, j'en suis convaincu, accepter la vérification et donner aux documents le poids qu'elle estimait opportun dans le cadre de l'exercice normal de son pouvoir discrétionnaire.


[22]      Compte tenu de cette erreur, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l'affaire à un autre agent des visas pour qu'il procède à une nouvelle évaluation de la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.

                                 " Max M. Teitelbaum "

                                         Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 20 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-1377-98

INTITULÉ :                          JIANMIN HE

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MARDI 19 JANVIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                      MERCREDI 20 JANVIER 1999

COMPARUTIONS :                  Cecil L. Rotenberg, c.r.

                                 Pour le demandeur
1                              Stephen H. Gold
                                 Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Cecil L. Rotenberg, c.r.

                             Avocat
                             255 Duncan Mill Road
                             Bureau 808
                             Don Mills (Ontario)
                             M3B 3H9
                                 Pour le demandeur
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                                 Pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990120

     Dossier : IMM-1377-98

Entre :

JIANMIN HE,

     demandeur,

     - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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