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Date : 20021107

Dossier : IMM-4927-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1155

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 7 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                KIN CHING LO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BEAUDRY

[1]                Il s'agit d'une demande fondée sur l'art. 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ), visant le contrôle judiciaire prévu à l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, de la décision du 14 novembre 2001 rendue par Patricia Nicoll, une agente des visas affectée au bureau canadien des visas à Hong Kong qui a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.


QUESTIONS EN LITIGE

1.          L'agent des visas Donald Barr était-il dessaisi du dossier lorsqu'il a infirmé la décision prise par son prédécesseur, l'agent des visas George Menard?

2.         La conclusion relative à l'équivalence des infractions entre l'art. 33, ch. 245, de la Hong Kong Public Order Ordinance (port d'une arme offensive dans un lieu public) et l'art. 88 du Code criminel du Canada (port d'arme dans un dessein dangereux pour la paix publique - PADDPP) est-elle correcte?

[2]                La réponse à la première question est négative.

[3]                La réponse à la seconde question est affirmative.

LES FAITS


[4]                Kin Ching Lo a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour la première fois en juillet 1994. Il avait alors soumis sa demande à titre d'entrepreneur immigrant. Il a rencontré un agent des visas en entrevue le 24 août 1994. Après avoir discuté avec l'agent des visas des différences entre les statuts d'entrepreneur et d'investisseur aux fins d'émigration, M. Lo a choisi de modifier sa demande en optant plutôt pour la qualité d'investisseur immigrant (dossier du demandeur, page 33).

[5]                Au cours de son entrevue, M. Lo a informé l'agent des visas qu'il avait été arrêté en 1981, à l'âge de dix-huit ans, pour avoir porté une arme offensive dans un lieu public. M. Lo a raconté qu'il travaillait au restaurant de son père lorsque deux amis sont venus lui rendre visite. Les trois ont décidé d'aller casser la croûte dans un autre restaurant. Alors qu'ils mangeaient, un groupe de six ou sept personnes ont fait leur entrée dans le restaurant. Un des amis de M. Lo lui a dit qu'il s'était disputé avec un membre de ce groupe. L'ami de M. Lo s'inquiétait qu'une bagarre puisse éclater. Le groupe de M. Lo a donc demandé l'addition et quitté le restaurant. Tout juste avant de monter en taxi, l'ami de M. Lo qui s'était disputé avec le groupe qui venait d'arriver a saisi trois couteaux à fruits et en a distribué une à M. Lo et une au troisième ami. Les couteaux avaient été pris par mesure de protection. Le taxi a été intercepté par les policiers à un barrage routier. On a surpris M. Lo et ses deux amis avec les couteaux. M. Lo a été accusé, déclaré coupable et condamné à une peine de six mois à purger dans un centre de détention pour avoir eu en sa possession une arme offensive dans un lieu public. Les coaccusés se sont vu imposer respectivement une peine de neuf mois et de trois ans. M. Lo ne les a jamais revus par la suite (dossier du demandeur, page 33).


[6]                Au cours de sa première entrevue, M. Lo a été mis au courant du processus de réadaptation. Cependant, comme M. Lo avait modifié sa demande pour opter pour la qualité d'investisseur plutôt que celle d'entrepreneur et comme l'agent des visas chargé de l'entrevue a été transféré, deux ans se sont écoulés avant qu'une mesure soit prise relativement à son dossier.

[7]                Les notes du STIDI du 24 février 1997 révèlent qu'on a décidé de permettre à M. Lo de présenter une demande relative à la réadaptation. Le dossier a été revu de nouveau le 8 mai 1997, alors que l'agent des visas a jugé que l'infraction de port d'une arme offensive dans un lieu public correspondait à l'infraction, prévue dans le Code criminel canadien, de port d'arme dans un dessein dangereux pour la paix publique ( « PADDPP » ), art. 88, L.R.C. (1985), ch. C-46 (dossier du demandeur, pages 34-35). Il s'agit d'une infraction hybride. À l'heure actuelle, si le ministère public procède par voie de mise en accusation, l'accusé risque une peine d'emprisonnement maximale de dix ans. En 1981, le PADDPP constituait purement et simplement un acte criminel.

[8]                L'agent des visas a également noté que M. Lo avait été accusé de port d'arme non pas aux termes de la Summary Offences Ordinance, mais bien en application de la Public Order Ordinance, qui est plus lourde de conséquences.


[9]                L'agent de réexamen a jugé bon de convoquer de nouveau M. Lo et son épouse en entrevue. Cette deuxième entrevue a eu lieu le 10 juin 1997. L'agent des visas Menard a été impressionné par le savoir qu'ont démontré le demandeur et son épouse quant à leurs entreprises respectives. Il ne s'est pas soucié de la provenance des deux millions de dollars que le demandeur et son épouse avaient accumulés au cours des dix dernières années.

[10]            L'infraction pour laquelle M. Lo a été déclaré coupable a également été portée à la connaissance de l'agent des visas Menard. Celui-ci a estimé qu'il n'existait pas d'infraction similaire au Canada. En outre, l'agent des visas savait que les policiers interceptaient régulièrement des véhicules à la recherche d'immigrants illégaux. Se fiant à son appréciation du comportement et de la crédibilité du demandeur, l'agent des visas Menard a conclu à l'admissibilité de M. Lo à la réadaptation et était disposé à émettre une recommandation positive à cet égard au ministre (dossier du demandeur, pages 35-37).

[11]            Le dossier a été revu de nouveau par l'agent des visas Menard le 14 juillet 1997. Il s'est dit d'avis que le PADDPP n'équivalait pas au port d'une arme offensive dans un lieu public et que M. Lo n'était pas non admissible sur le fondement de la déclaration de culpabilité antérieure. M. Lo a été informé de cette décision par lettre manuscrite, et il appert que c'est à ce moment-là qu'il a entrepris des démarches pour le transfert de ses capitaux de placement vers le fonds de placement Aurora II, dans les Territoires du Nord-Ouest, afin de compléter sa demande de résidence permanente (dossier du demandeur, page 37).


[12]            Le dossier de M. Lo a une fois de plus fait l'objet d'un réexamen le 23 juin 1998 à l'occasion du transfert de l'agent des visas Menard. Le nouvel agent, Donald Barr, a estimé que la déclaration de culpabilité de M. Lo pour port d'arme équivalait en fait au PADDPP, que M. Lo n'était pas admissible et qu'il devrait soumettre une demande relative à la réadaptation (dossier du demandeur, pages 37-38). Une lettre à cet effet a été envoyée le 27 juillet 1998 (dossier du demandeur, page 47).

[13]            Le 27 juillet 1998, une note inscrite par Donald Barr apparaît au STIDI - [TRADUCTION] Je suis d'accord avec l'agent à l'entrevue qu'il n'est pas réadapté - (dossier du demandeur, page 40). Le 27 mai 2000, M. Barr a envoyé au ministre une recommandation modifiée quant à la demande relative à la réadaptation du demandeur en se prononçant à l'encontre d'une conclusion favorable à la réadaptation (dossier du défendeur, page 198). M. Barr a affirmé :

[TRADUCTION] Ces peines sont de longue durée et incompatibles avec l'incident inoffensif que nous décrit M. Lo dans ses observations. En conséquence, il est possible que M. Lo n'ait pas été tout à fait franc et direct lorsqu'il a relaté toutes les circonstances de l'incident et l'ampleur de l'infraction qu'il a commise. M. Lo a fourni une déclaration solennelle à l'appui de son observation qu'il mérite de bénéficier d'un recours exceptionnel afin de surmonter sa non-admissibilité pour des raisons d'ordre criminel. En fait, M. Lo a été la source exclusive d'information sur sa participation à la perpétration du crime. Il n'existe donc aucune preuve corroborante pour donner du poids à sa version ou pour ajouter une certaine objectivité à ses prétentions. Par conséquent, il est inévitable qu'on ne sache pas de façon certaine quels gestes ont précisément été commis par M. Lo dans la perpétration de son crime.

(Dossier du demandeur, page 54)


[14]            M. Lo a effectivement tenté de fournir à l'agent des visas une transcription de son plaidoyer et de la détermination de la peine. Cependant, en raison du temps écoulé depuis la déclaration de culpabilité et du fait que cette condamnation a été considérée comme purgée au regard du par. 2(1) de la Rehabilitation of Offenders Ordinance de Hong Kong, tous les dossiers de la cour ont été détruits à l'exception du certificat du procès (pages 50-51 du dossier de demande du demandeur).

[15]            En août 2000, M. Barr a quitté le bureau, et c'est l'agente des visas Patricia Nicoll qui a hérité de tous ses dossiers encore ouverts. Elle a eu connaissance pour la première fois du dossier Lo en octobre 2000. Elle a examiné le dossier et n'a pas été en désaccord avec les conclusions tirées par M. Barr.

[16]            Le 20 juin 2001, le ministre a avisé l'agente des visas Nicoll que la demande relative à la réadaptation de M. Lo avait été refusée. Aucun motif n'a été fourni à l'appui de ce refus. Parce que le ministre avait refusé la demande de M. Lo relative à la réadaptation, celui-ci est demeuré une personne non admissible. L'agente des visas Patricia Nicoll a donc refusé de faire droit à sa demande de résidence permanente au Canada.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les prétentions du demandeur


[17]            Lorsque l'agent des visas Donald Barr a hérité du dossier du demandeur de l'agent des visas Georges Menard, il n'y avait aucune autre démarche à effectuer relativement au dossier. Le dossier était [TRADUCTION] « prêt pour un visa » . Aucune nouvelle donnée n'a été révélée après que l'agent des visas Barr eut hérité du dossier. Dans les circonstances, l'agent des visas Barr a agi sans droit lorsqu'il a infirméla décision de son prédécesseur.

[18]            Subsidiairement, l'agent des visas Barr n'a pas respecté les attentes légitimes du demandeur Lo ni les préceptes de la justice naturelle en ne lui donnant pas l'occasion de présenter des observations sur l'équivalence des infractions, conformément à l'arrêt Sadeghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 337 (C.A.F.). Dans cet arrêt, l'agente des visas avait refusé de délivrer un visa à un immigrant qui avait obtenu 72 points en raison de sa connaissance limitée du Canada (en ce qui concerne en particulier les conditions d'emploi au Canada), de son expérience professionnelle limitée, du manque de contact professionnel au Canada et du manque de préparation en vue de s'y rendre. La Cour a conclu :

L'alinéa 11(3)b) confère un pouvoir extraordinaire s'appliquant aux cas exceptionnels et n'accorde pas aux agents des visas un pouvoir discrétionnaire général leur permettant de réviser l'appréciation qu'ils ont faite selon les critères de sélection particuliers prévus qui visent à garantir une certaine objectivité et une certaine uniformité dans le processus décisionnel des agents des visas.

[19]            En outre, l'agent des visas Barr a commis une erreur lorsqu'il a décidé que l'infraction de port d'armes à Hong Kong équivalait à l'infraction de port d'armes au Canada. Au Canada, l'art. 88 du Code criminel constitue une infraction de mens rea proprement dite, qui requiert l'intention d'utiliser une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. En revanche, l'infraction de port d'arme à Hong Kong est établie dès qu'on prouve la possession.

[20]            À titre de troisième argument subsidiaire, l'agent des visas Barr n'a pas fait correspondre l'infraction de port d'arme à Hong Kong à l'infraction qui s'impose au Canada. Le demandeur prétend que l'infraction équivalente correcte à l'infraction de port d'arme à Hong Kong est celle du port d'une arme dissimulée, conformément à l'art. 90 du Code criminel, étant donné qu'elle n'exige pas que le port soit dans un dessein dangereux pour la paix publique.

[21]            Compte tenu de ce qui précède, le demandeur demande à la Cour de statuer que les infractions de port d'armes au Canada et à Hong Kong ne s'équivalent pas.

Les prétentions du défendeur

[22]            Le défendeur soutient qu'il appartient à l'agente des visas Patricia Nicoll de décider en l'espèce, et non au ministre. Elle a effectivement motivé son rejet de la demande du demandeur dans sa lettre du 1er novembre 2001. Elle a pris sa décision à la lumière de tout le dossier du tribunal dont elle disposait.


[23]            Un agent des visas n'est pas dessaisi d'un dossier aux fins de changer un motif de non-admissibilité préalablement à la délivrance d'un visa, comme l'établit l'arrêt Park c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2001 CAF 165. Dans cet arrêt, l'agent des visas s'est ravisé six mois après avoir informé M. Park qu'un visa lui serait délivré. La décision a été infirmée car M. Park n'avait pas informé l'agent des visas de sa déclaration de culpabilité pour conduite avec facultés affaiblies. La Cour a conclu que l'agent des visas n'était pas dessaisi, étant donné que la loi ne lui conférait pas le pouvoir explicite de décider de délivrer un visa.

[24]            En ce qui a trait à l'équivalence des infractions, le défendeur convient que le critère approprié est énoncé dans l'arrêt Hill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.).

[25]            Dans l'arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 1 C.F. 235, le juge Strayer a affirmé au par. 13 que le critère fondamental de l'équivalence des infractions consistait à savoir « si les actes commis à l'étranger et pour lesquels l'intéressé y a été condamné seraient punissables chez nous » .

[26]            L'agente des visas Nicholl a examiné chacun des trois moyens par lesquels on compare les lois étrangères aux lois canadiennes, ainsi que les circonstances de l'infraction relatées par M. Lo. Le défendeur prétend que les deux infractions s'équivalent sous chacune des trois méthodes d'équivalence.


ANALYSE

La norme de contrôle

[27]            Le juge McKeown a analysé la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à la réadaptation en matière criminelle dans l'affaire Thamber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 332. Il s'exprimait ainsi au par. 9 :

À la lumière de la décision qu'a prononcée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. M.C.I., [1999] 2 R.C.S. 817 (C.S.C.), je suis convaincu que la norme de contrôle applicable àla décision d'un agent d'immigration en matière de réadaptation est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le processus décisionnel contesté est semblable à celui des demandes fondées sur des motifs humanitaires présentées aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi.

Le dessaisissement

[28]            Le demandeur soutient que les agents des visas Donald Barr et Patricia Nicoll ne pouvaient infirmer la décision rendue par l'agent des visas Georges Menard en ce qui concerne la délivrance d'un visa à son endroit. Le demandeur se fonde sur l'arrêt Sadeghi. Je dois me ranger du point de vue du défendeur sur cette question, qui a établi une distinction d'avec cet arrêt car il s'agissait d'une agente des visas qui avait abusé de son pouvoir d'exclure un immigrant aux termes de l'art. 113 bien que celui-ci avait satisfait à tous les autres critères prévus par la Loi. En l'espèce, les agents des visas ont estimé que le demandeur n'était pas admissible en raison de ses antécédents criminels et l'ont exclu sous le régime de l'art. 19 de la Loi. Dès qu'il conclut à la non-admissibilité d'un demandeur pour des raisons d'ordre criminel, l'agent des visas n'a pas le pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa.


[29]            Dans l'arrêt Park, précité, la Cour a déclaré au par. 7 :

Nous sommes tous d'avis que la théorie du dessaisissement ne s'applique pas à la lettre écrite le 20 décembre 1995. Nous acceptons que cette lettre signifie que l'agent des visas croyait que M. Park remplissait les conditions requises pour obtenir un visa et que des visas seraient délivrés aux membres de la famille sur réception des passeports. Toutefois, le pouvoir que la loi confère à l'agent des visas est celui de délivrer ou de refuser de délivrer un visa. Or, aucun visa n'a jamais été délivré à M. Park, bien qu'il semble que des visas ont été imprimés. Bien qu'on puisse présumer que ce pouvoir est normalement exercésur le fondement d'une décision antérieure, comme la Loi ne confère pas expressément le pouvoir de prendre la décision de délivrer un visa, il n'y a pas eu exercice d'un pouvoir conférépar la loi auquel la théorie du dessaisissement pourrait s'appliquer.

[Non souligné dans l'original]

[30]            Il s'agit de savoir si la théorie du dessaisissement s'appliquera si un agent des visas subséquent refuse de délivrer un visa en raison de ce qu'il perçoit être une erreur de la part de l'agent des visas qui a acquiescé à la demande de visa.

[31]            Le Jowitt's Dictionary of English Law (2e éd., 1977) définit le dessaisissement comme le fait [TRADUCTION] « de s'être acquitté de sa fonction; cette expression s'applique à un juge, magistrat ou arbitre qui a rendu une décision ou prononcé une ordonnance et a ainsi épuisé sa compétence » . Le juge Sopinka a traité de la question du dessaisissement dans le contexte des tribunaux administratifs dans l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, s'exprimant en ces termes :


En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

[32]       Compte tenu des principes énoncés par la Cour suprême du Canada et des conclusions tirées par la Cour d'appel fédérale sur les pouvoirs que détiennent les agents des visas, je suis d'avis que la théorie du dessaisissement ne s'applique pas en l'espèce. Dans les faits, les transferts sont chose courante pour les agents des visas. Conclure à l'application de la théorie du dessaisissement signifierait que l'agent des visas qui hérite des dossiers de son prédécesseur ne pourrait réexaminer ou modifier les décisions, même si aucun visa n'a encore été délivré. En l'occurrence, l'agent des visas Menard n'avait pas encore délivré de visa. Si on concluait à l'application de la théorie du dessaisissement, les agents des visas Barr et Nicoll ne serviraient qu'à entériner d'office la décision de l'agent des visas Menard, et ce, même si le pouvoir de délivrer le visa leur appartenait en réalité.

[33]            Qui plus est, plusieurs raisons de principe importantes militent en faveur du courant qui consiste à permettre aux agents des visas de réexaminer et de corriger les décisions d'autres agents des visas. Dans le présent cas, les agents de réexamen ont estimé que leur prédécesseur avait commis une erreur qui aurait permis à un criminel d'entrer au Canada. À mon avis, les agents des visas doivent conserver leur pouvoir discrétionnaire d'examiner les décisions antérieures afin de s'assurer qu'on ne permette pas à des immigrants d'entrer illégalement au Canada.


[34]            En ce qui a trait à l'observation selon laquelle M. Lo avait le droit d'être entendu sur l'équivalence des infractions après que les agents des visas eurent changé d'avis et conclu à sa non-admissibilité en application de l'art. 19 de la Loi, il m'apparaît que M. Lo n'avait d'autre renseignement factuel à ajouter.

[35]            Je suis d'avis que l'agent des visas n'était pas tenu de donner à M. Lo l'occasion de se faire entendre sur l'équivalence des infractions, pas plus que les agents des visas subséquents n'étaient dessaisis du dossier parce que l'agent des visas Menard a décidé de délivrer un visa.

L'équivalence des infractions

[36]            Selon le demandeur, l'infraction à Hong Kong de port d'une arme offensive dans un lieu public n'équivaut pas à l'infraction, au Canada, de port d'arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. Tel qu'il a été mentionné précédemment, le juge Urie a décrit dans l'arrêt Hill, précité, les trois méthodes d'équivalence à la page 9 :

... l'équivalence peut être établie de trois manières: tout d'abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s'il s'en trouve de disponible, par le témoignage d'un expert ou d'experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l'examen de la preuve présentée devant l'arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d'établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l'infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d'instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d'une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.


[37]            Dans l'arrêt Li c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, précité, le juge Strayer a reproduit l'extrait cité précédemment de l'arrêt Hill, puis a formulé les commentaires suivants à la page 249 :

Cette méthodologie a été adoptée par la Cour dans des causes subséquentes [Steward c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1988] 3 C.F. 487, à la p. 493 (C.A.F.), Moore c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, non publié, A-501-88, à la p. 4, 31 janvier 1989 (C.A.F.)]. Il ressort de la jurisprudence que la deuxième méthode dtablissement de lquivalence, telle que l'a définie le juge d'appel Urie, est particulièrement utile quand il n'y a pas suffisamment de preuves sur la qualification juridique de l'infraction punissable dans le pays étranger ou quand il appert que l'infraction punissable au Canada est plus étroitement définie. Dans pareil cas, il est loisible à l'arbitre de prendre en compte les preuves relatives aux actes qu'avait effectivement commis l'intéressé et pour lesquels il avait été condamné à ltranger. Cette deuxième méthode approuvée fait également ressortir le critère fondamental de lquivalence, savoir si les actes commis à ltranger et pour lesquels l'intéressé y a été condamné seraient punissables chez nous.

[38]            L'agente des visas Nicoll a appliqué les trois méthodes d'équivalence avant de conclure à l'équivalence des infractions et que le demandeur appartenait donc à une catégorie de personnes visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) de l'ancienne Loi sur l'immigration.

[39]            L'agente des visas Nicoll a comparé les éléments essentiels de l'art. 33(1), ch. 245, de la Hong Kong Public Ordinance et de l'art. 88 équivalent du Code criminel. Elle a comparé côte à côte les lois, puis en a dégagé les éléments essentiels et examiné la définition d'[TRADUCTION] « arme offensive » contenue dans l'ordonnance de Hong Kong.

[40]            Elle a souscrit au raisonnement de l'ancien agent des visas Barr et a conclu que le demandeur portait effectivement le couteau à fruits non pas en guise de légitime défense, mais bien dans un dessein dangereux pour la paix publique.

[41]            Appliquant la seconde méthode du critère de l'arrêt Hill, précité, l'agente des visas Nicholl s'est penchée sur la preuve du demandeur quant aux gestes qu'il a effectivement posés et pour lesquels il a été déclaré coupable à Hong Kong, puis s'est interrogée quant à savoir « si les actes commis à l'étranger et pour lesquels l'intéressé y a été condamné seraient punissables chez nous » .

[42]            L'agente des visas Nicholl est arrivée à la conclusion que, s'ils avaient été commis au Canada, les gestes posés à Hong Kong correspondraient à l'infraction visée à l'art. 88 du Code criminel, soit le « port d'arme dans un dessein dangereux pour la paix publique » , et a expliqué sa conclusion en contre-interrogatoire.

[43]            J'estime que les conclusions tirées par l'agente des visas Nicholl ne comportent pas d'erreur susceptible de révision en ce qui a trait à la méthode d'équivalence des infractions. Elle a appliqué chacune de ces trois méthodes et a conclu à l'équivalence des infractions sous chacune d'elles.

[44]            Je partage l'avis de l'agente des visas Nicholl que le demandeur appartenait à la catégorie des personnes non admissibles visées au sous-alinéa 19(1)c)(i) de l'ancienne Loi sur l'immigration.

[45]            La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

                                   O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-4927-01

INTITULÉ :               KIN CHING LO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 6 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   Le 7 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Ron Pederson                                                    pour le demandeur

Lawrence Wong

Esta Resnick                                                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong & Associates                                       pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


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