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Date : 20190613


Dossier : IMM-4980-18

Référence : 2019 CF 811

Montréal (Québec), le 13 juin 2019

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

EULALIA ALEGRIA MONROY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 12 septembre 2018 par un agent des visas de la Section de l’immigration de l’Ambassade du Canada [agent], à Mexico au Mexique, dans laquelle il refusait l’octroi d’une autorisation de retour au Canada [ARC].

II.  Faits

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Mexique âgée de 61 ans qui désire venir au Canada visiter sa fille, qui est résidente permanente du Canada.

[3]  En 2005, la demanderesse est arrivée au Canada et a fait une demande d’asile qui lui a été refusée le 5 juillet 2006. Elle affirme que son conseiller a omis de l’informer des conséquences de ne pas quitter le Canada après que sa demande d’asile ait été refusée. Son défaut d’avoir quitté lorsque requis par la loi s’est traduit par une mesure d’expulsion qui affecte maintenant son droit de visiter sa fille au Canada.

[4]  La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre cette décision et sa demande a été refusée le 2 novembre 2006. Elle est restée au Canada et s’est prévalue d’un examen des risques avant renvoi [ERAR], qui a aussi été refusé. Ce refus s’est traduit par une mesure d’expulsion effective le 11 juillet 2007. La demanderesse a quitté le Canada le 11 juillet tel que prévu.

[5]  En mai 2017, la demanderesse a demandé une autorisation de voyage électronique afin de pouvoir visiter sa fille au Canada. C’est lors de la réception du refus de cette demande que la demanderesse a appris les conséquences de son omission d’avoir quitté le Canada après avoir été informée que sa demande d’asile avait été refusée, plus particulièrement qu’elle ne pourrait revenir au Canada que si elle obtenait une ARC.

[6]  En mai 2018, la demanderesse a donc soumis une demande d’ARC, laquelle a été refusée le 12 septembre 2018 et fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  Décision de l’agent des visas

[7]  L’agent des visas a conclu que l’infraction de la demanderesse à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] prévalait sur son souhait de venir visiter sa fille. Plus précisément, l’agent s’est exprimé ainsi : « Je ne suis pas satisfait que les raisons que vous invoquez pour revenir au Canada l’emportent sur les circonstances qui ont nécessité la délivrance des ordonnances de renvoi ». L’agent convient qu’il ne serait pas possible pour la fille de la demanderesse de se rendre au Mexique pour y rencontrer sa mère, mais ajoute qu’il existe d’autres pays où une telle rencontre pourrait avoir lieu.

IV.  Question en litige

[8]  Ce contrôle judiciaire soulève une seule question, à savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[9]  La norme de contrôle applicable à une décision hautement discrétionnaire d’un agent de visa est celle de la raisonnabilité. La Cour ne sera autorisée à intervenir que si le processus décisionnel manque de justification, de transparence et d’intelligibilité et que la décision de l’agent n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 et Lilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 568 au para 27).

V.  Dispositions pertinentes

[10]  Les dispositions suivantes de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, sont pertinentes :

Cas du demandeur d’asile

In force — claimants

49 (2) Toutefois, celle visant le demandeur d’asile est conditionnelle et prend effet :

49 (2) Despite subsection (1), a removal order made with respect to a refugee protection claimant is conditional and comes into force on the latest of the following dates:

a) sur constat d’irrecevabilité au seul titre de l’alinéa 101(1)e);

(a) the day the claim is determined to be ineligible only under paragraph 101(1)(e);

b) sept jours après le constat, dans les autres cas d’irrecevabilité prévus au paragraphe 101(1);

(b) in a case other than that set out in paragraph (a), seven days after the claim is determined to be ineligible;

c) en cas de rejet de sa demande par la Section de la protection des réfugiés, à l’expiration du délai visé au paragraphe 110(2.1) ou, en cas d’appel, quinze jours après la notification du rejet de sa demande par la Section d’appel des réfugiés;

(c) if the claim is rejected by the Refugee Protection Division, on the expiry of the time limit referred to in subsection 110(2.1) or, if an appeal is made, 15 days after notification by the Refugee Appeal Division that the claim is rejected;

d) quinze jours après la notification de la décision prononçant le désistement ou le retrait de sa demande;

(d) 15 days after notification that the claim is declared withdrawn or abandoned; and

e) quinze jours après le classement de l’affaire au titre de l’avis visé aux alinéas 104(1)c) ou d).

(e) 15 days after proceedings are terminated as a result of notice under paragraph 104(1)(c) or (d).

Interdiction de retour

No return without prescribed authorization

52 (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

52 (1) If a removal order has been enforced, the foreign national shall not return to Canada, unless authorized by an officer or in other prescribed circumstances.

[EN BLANC]

[BLANK]

Mesure d’interdiction de séjour

Departure order

224 (1) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, l’exécution d’une mesure d’interdiction de séjour à l’égard d’un étranger constitue un cas dans lequel l’étranger est dispensé de l’obligation d’obtenir l’autorisation pour revenir au Canada.

224 (1) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, an enforced departure order is a circumstance in which the foreign national is exempt from the requirement to obtain an authorization in order to return to Canada.

Exigence

Requirement

(2) L’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit satisfaire aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) au plus tard trente jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

(2) A foreign national who is issued a departure order must meet the requirements set out in paragraphs 240(1)(a) to (c) within 30 days after the order becomes enforceable, failing which the departure order becomes a deportation order.

Exception : sursis ou détention

Exception — stay of removal and detention

(3) Si l’étranger est détenu au cours de la période de trente jours ou s’il est sursis à la mesure de renvoi prise à son égard, la période de trente jours est suspendue jusqu’à sa mise en liberté ou jusqu’au moment où la mesure redevient exécutoire.

(3) If the foreign national is detained within the 30-day period or the removal order against them is stayed, the 30-day period is suspended until the foreign national’s release or the removal order becomes enforceable.

Application de l’alinéa 42(1)b) de la Loi

Application of par. 42(1)(b) of the Act

226 (2) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, le fait que l’étranger soit visé par une mesure d’expulsion en raison de son interdiction de territoire au titre de l’alinéa 42(1)b) de la Loi constitue un cas dans lequel l’étranger est dispensé de l’obligation d’obtenir une autorisation pour revenir au Canada.

226 (2) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, the making of a deportation order against a foreign national on the basis of inadmissibility under paragraph 42(1)(b) of the Act is a circumstance in which the foreign national is exempt from the requirement to obtain an authorization in order to return to Canada.

VI.  Position des parties

A.  La demanderesse

[11]  La demanderesse soulève sept points problématiques concernant la décision de l’agent, qu’elle considère arbitraire.

[12]  Le premier point réfère à la contradiction que l’on retrouve dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], où on peut lire « There is indication of criminal inadmissibility », alors qu’à la page 5 de ces mêmes notes il est écrit : « Finally, PA does not pose a risk to Canada’s security; she has no criminal background ».

[13]  Ensuite, la demanderesse est en désaccord avec l’agent lorsqu’il conclut qu’il n’existe pas de circonstances convaincantes et exceptionnelles pour motiver le retour de la demanderesse au Canada. Celle-ci considère au contraire que le besoin de venir visiter sa fille après plus de 10 années de séparation constitue une telle circonstance.

[14]  En lien avec ce même point, la demanderesse avance que l’agent était tenu d’appliquer les critères qui se trouvent dans le guide opérationnel d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada OP1, Procédures (Guide OP) et qui fournit une liste de motifs à prendre en compte lors de l’étude de la demande de revenir au Canada. Un de ces motifs est formulé comme suit : « Existe-t-il des facteurs qui font en sorte que la présence du demandeur au Canada est impérieuse (p.ex. liens familiaux, qualifications professionnelles, apport économique, présence temporaire à un événement)? » (souligné dans le mémoire de la demanderesse). Ainsi, selon la demanderesse, l’agent aurait dû prendre en compte les liens familiaux qui l’unissent à sa fille qui vit au Canada.

[15]  Comme les notes dans le SMGC sont favorables à la demanderesse, hormis le fait que le Gouvernement du Canada a dû l’expulser du Canada en 2007, la demanderesse soutient que l’agent devait justifier pourquoi il accordait plus de poids au fait qu’elle avait agi en contravention avec la LIPR qu’aux autres critères.

[16]  La demanderesse considère que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a écrit « I note over 10 years have passed since the execution of removal. However, eligibility to apply is not the only consideration », puisqu’il n’y a pas de délai pour faire une demande d’ARC.

[17]  Enfin, la demanderesse souligne que l’agent n’a pas analysé les bénéfices tangibles ou intangibles pour la demanderesse si la demande était accordée. Il s’agirait, selon la demanderesse, d’une autre erreur.

B.  Le défendeur

[18]  Le défendeur rappelle d’abord la nature discrétionnaire d’une ARC et que le législateur a choisi de traiter différemment les personnes visées par une mesure d’interdiction de séjour de celles qui font face à une mesure d’expulsion, ces dernières n’étant autorisées à revenir au Canada que sur autorisation d’un agent.

[19]  Le défendeur, citant les paragraphes 51 à 53 de la décision Quintero Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347, affirme que l’agent n’a pas à exposer formellement ses motifs. Cela dit, le défendeur soutient que l’agent a considéré toute la preuve au dossier et qu’il a pris en considération tous les facteurs pertinents à la prise de décision.

[20]  Concernant la prétention de la demanderesse voulant qu’elle ne connaissait pas les conséquences de ne pas quitter le Canada une fois sa demande d’asile rejetée, le défendeur se fonde sur la jurisprudence pour affirmer que « L’ignorance de l’obligation de se conformer à la [mesure d’interdiction de séjour] ne justifie pas l’omission de s’y conformer » (Chazaro c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 966 aux para 22 et 24; Parra Andujo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 731 au para 27 [Parra Andujo]).

[21]  Le défendeur se fonde sur la jurisprudence pour affirmer que la demanderesse croit à tort que l’agent devait suivre les lignes directrices du Guide OP à la lettre (voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 32 [Kanthasamy]). Il souligne à cet effet que les directives en question n’ont pas force de loi et qu’elles ne sont pas contraignantes. Il n’en découlerait ainsi aucun droit et le Guide OP ne saurait servir d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent.

VII.  Analyse

[22]  La demanderesse signale que dans les notes consignées au SMGC, on peut lire « There is indication of criminal inadmissibility ». Tout comme la demanderesse, la Cour est d’avis qu’il s’agit là d’une erreur (probablement l’omission du mot « no ») puisque l’évaluation semble indiquer  le contraire. En effet, on peut aussi lire dans le SMGC : « Finally, PA does not pose a risk to Canada’s security; she has no criminal background ». Toutefois, à la lumière de la conclusion de l’agent, il ne semble pas que celui-ci se soit fondé sur cette erreur dans la pondération des facteurs l’ayant mené à sa décision négative.

[23]  Contrairement aux prétentions de la demanderesse, l’agent n’a pas à suivre le Guide OP, puisque celui-ci n’a pas force de loi (Kanthasamy, ci-dessus, au para 32). La jurisprudence reconnait au contraire que l’agent possède un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’il statue sur une demande d’ARC (Parra Andujo, ci-dessus, au para 22).

[24]  En ce qui a trait à ce qui est attendu d’un agent en termes de motifs pour justifier une décision d’ARC, la jurisprudence est à l’effet que très peu est requis.  Cela dit « ces décisions ne peuvent pas être arbitraires et, lorsque des motifs sont fournis, ceux-ci doivent avoir un sens et appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Umlani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1373 au para 61).

[25]  Dans le cas qui nous occupe, l’agent a précisé que la visite d’un membre de sa famille ne constituait pas un motif impérieux qui pourrait justifier l’octroi d’une ARC. Pour conclure ainsi, l’agent écrit que la demanderesse et sa fille pourraient se rencontrer dans un pays autre que le Canada et le Mexique. Cependant, pour les raisons qui suivent, la Cour considère cette décision déraisonnable.

[26]  D’abord, le Canada est reconnu pour ses décisions raisonnables, et la raisonnabilité requiert que l’on garde toujours en vue une dimension humanitaire – qui ne doit pas être confondue avec une analyse pour considérations d’ordre humanitaire – plus particulièrement ici, l’importance des liens familiaux. En l’espèce, il s’agissait de considérer la situation familiale de la demanderesse qui, rappelons-le, est âgée de 61 ans et n’a pas vu sa fille depuis 10 ans. Les circonstances associées à d’autres cas pourraient rapidement mettre un frein à une telle analyse. Toutefois, selon les dires de l’agent, la demanderesse n’est pas un risque pour le Canada, elle a quitté le Canada à ses frais dès qu’elle a reçu le rejet de sa demande d’ERAR et sa fille a démontré pouvoir subvenir à ses besoins pour la durée d’un court séjour. De plus, même si rien dans la preuve de démontre une situation urgente, il s’agit tout de même d’une personne dans la soixantaine. Enfin, la demanderesse n’a jamais tenté de venir au Canada de façon illégale.

[27]  Il faudrait éviter que le Canada devienne un fort clôturé où l’on empêche de façon permanente la réunion des familles qui ne posent aucun risque à la sécurité du Canada et dont la réunion n’aurait aucune répercussion financière sur le Canada, surtout lorsque d’autres options ne sont pas réalistes. Toute visite – en espérant que la demanderesse et sa fille auront plusieurs opportunités de se voir dans le futur – devrait être assortie d’une preuve que la demanderesse possède un billet de retour dont la date se situe à l’intérieur de la période durant laquelle sa fille est en mesure de subvenir à ses besoins.

[28]  En conclusion, bien qu’il soit vrai que l’agent possède un vaste pouvoir discrétionnaire dans l’octroi d’une ARC, il n’en demeure pas moins que lorsque l’agent fournit des motifs, ceux-ci doivent être raisonnables au regard des faits présentés. Cette Cour considère que la décision et ses motifs n’étaient pas raisonnables.

VIII.  Conclusion

[29]  Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est accordée.


JUGEMENT au dossier IMM-4980-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée, la décision soit annulée et le dossier soit renvoyé à un autre agent pour un nouvel examen. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4980-18

 

INTITULÉ :

EULALIA ALEGRIA MONROY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 mai 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juin 2019

 

COMPARUTIONS :

Teodora Manova

 

Pour la demanderesse

 

Pavol Janura

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nexus Services Juridiques

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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