Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051012

Dossier : IMM-452-05

Référence : 2005 CF 1388

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

MADAME REHANA IQBAL,

MUHAMMAD ABDULLAM ZAFAR,

TAYYABA ZAFAR,

RIMAL CHAUDHARY ZAFAR et

FATIMA ZAFAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision défavorable de l'agent d'évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

[2]                Les demandeurs ont soulevé au cours de l'audience plusieurs questions qui ne peuvent pas toutes être évaluées correctement, parce que quelques-unes d'entre elles m'obligent à examiner des éléments de preuve dont le décideur n'a pas pris connaissance avant de rendre sa décision. Ces éléments de preuve volumineux étaient joints à l'affidavit de Mme Rehana Iqbal, même si les demandeurs n'ont pas demandé à la Cour l'autorisation de les produire. Je reviendrai sur cette question plus loin après avoir commenté le bien-fondé de la présente demande, étant donné que le défendeur sollicite des dépens spéciaux de l'avocat des demandeurs lui-même et que de longues observations supplémentaires ont été déposées après l'audience à ce sujet.

[3]                Étant donné que je suis arrivée à la conclusion que l'agent ERAR a commis un manquement à l'obligation d'équité qui lui incombait, il n'est pas nécessaire que j'examine ou que je commente les autres questions que les demandeurs ont soulevées.

[4]                Les faits pertinents sont simples. Mme Rehama Iqbal et ses quatre enfants mineurs sont des citoyens du Pakistan. Le 15 août 2003, la Section de la protection des réfugiés a conclu qu'ils n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger. Se fondant sur des contradictions et incohérences que comportait la preuve, la SPR a conclu que les demandeurs n'avaient pas réussi à établir le bien-fondé de leur revendication au moyen d'une preuve crédible; plus précisément, la crédibilité de Mme Iqbal a été mise en doute. La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire relative à cette décision a été rejetée le 18 décembre 2003.

[5]                Le 7 octobre 2004, les demandeurs ont fait parvenir leur demande ERAR par télécopieur ainsi que leurs observations écrites et une liste de pièces. Sur la première page de cet envoi, l'avocat des demandeurs précise qu'une copie des pièces énumérées à l'annexe et mentionnées dans les observations sera jointe à la copie supplémentaire des observations qui sera envoyée par la poste.

[6]                Pour une raison inconnue, il semble que cette copie des pièces ne soit jamais parvenue à l'établissement de CIC, même si elle était adressée au bureau de CIC à Montréal.

[7]                Le 25 novembre 2004, l'agent ERAR a examiné le dossier, qui ne renfermait aucune des pièces, et a conclu, sur la foi de la preuve dont il était saisi, y compris la copie des observations et la liste de pièces envoyées par télécopieur, qu'il n'existait qu'une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés.

[8]                En ce qui a trait à l'absence de nouveaux éléments de preuve, l'agent formule les commentaires suivants :

[TRADUCTION]

J'ai pris connaissance de l'ensemble de la documentation dont j'ai été saisi et je fais observer que le demandeur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve fiables ou dignes de confiance pour éliminer les préoccupations soulevées par la CISR ou y répondre. Je ne suis pas convaincu que j'en arriverai à une conclusion différente à la lumière de la preuve présentée en l'espèce.

[...]

Dans les observations qu'il a envoyées par télécopieur le 7 octobre 2004, l'avocat a mentionné qu'il faisait parvenir la réponse des demandeurs à la question 37 du FRP ainsi que les pièces dont la SPR avait été saisie. Étant donné que la SPR était déjà saisie du FRP et de ces pièces, je suis d'avis qu'ils ne respectent pas les exigences de l'alinéa 113a). Aucun élément de preuve nouveau n'a été reçu à des fins d'examen. [Non souligné dans l'original.]

[9]                Les demandeurs soutiennent que, compte tenu des circonstances spéciales de la présente affaire, soit le fait que l'agent ERAR savait qu'ils avaient l'intention d'invoquer les pièces énumérées sur cette liste envoyée par télécopieur et qu'ils les avaient effectivement mentionnées de façon précise dans les observations dont il était saisi, l'agent avait l'obligation de les prévenir que les pièces en question n'avaient pas été reçues. Les demandeurs invoquent plusieurs décisions de la Cour : Caceres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1037 (1re inst.) (QL), Nagulesan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1690 (1re inst.) (QL), Matondo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 509 (1re inst.) (QL), Anandarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1997 A.C.F. no 934 (1re inst.) (QL), Vairavanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1025 (1re inst.) (QL).

[10]            Le défendeur fait valoir que, dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 158 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale a confirmé qu'un agent qui révise une demande de dispense fondée sur des motifs humanitaires n'était pas tenu de prévenir un demandeur des lacunes de sa demande. De l'avis du défendeur, ce principe devrait également s'appliquer aux agents ERAR et il n'y a aucune raison de ne pas l'appliquer en l'espèce.

[11]            Il est bien reconnu en droit que les normes de contrôle ne sont pas pertinentes lorsque la Cour doit décider s'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle (Canada (P.G.) c. Fetherston, [2005] A.C.F. no 544 (QL), au paragraphe 16).

[12]            Je conviens avec le défendeur qu'il n'y a aucune différence pertinente entre les deux types de demandes (demande CH par opposition à demande ERAR) qui justifierait la Cour de ne pas appliquer le principe énoncé dans Owusu, précité, dans le contexte d'une demande ERAR.

[13]            Cela dit, cette admission n'est pas utile dans la présente affaire, car le problème en l'espèce n'est pas le fait que l'agent avait relevé des lacunes dans la preuve présentée, mais plutôt le fait qu'il avait indéniablement été informé de l'intention des demandeurs de se fonder sur ces pièces. L'agent devait rejeter explicitement les extraits des observations qui renvoient à cette preuve pour en arriver à sa conclusion. Il ne pouvait y avoir aucun doute dans son esprit quant à l'intention des demandeurs de se fonder sur cette preuve. Malgré tout, l'agent n'a fait aucun effort pour trouver les pièces ou pour informer les demandeurs que celles-ci n'avaient pas été reçues.

[14]            De toute évidence, il aurait été souhaitable que l'avocat des demandeurs fasse un suivi de l'affaire pour s'assurer qu'aucune erreur administrative indue n'avait été commise lors de l'envoi des documents en question au décideur. À l'avenir, lorsque des documents sont envoyés, il serait également souhaitable que les avocats s'assurent que le nombre de pages comprises dans l'envoi d'un demandeur donné figure sur le reçu de livraison.

[15]            Cependant, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, comme je l'ai mentionné dans Nagulesan, précité, l'omission de le faire ne peut toucher de façon importante les droits des demandeurs.

[16]            Comme l'a dit le juge Harrington dans Matondo, précité, je suis d'avis que si une conclusion différente était tirée, le droit des demandeurs en l'espèce à un examen équitable de leurs observations ne serait respecté qu'en apparence.

[17]            Je suis arrivée à cette conclusion en raison du fait que la simple communication d'un avertissement n'imposerait pas une tâche trop lourde à l'agent, puisque ces situations devraient se produire très rarement en pratique. Bien entendu, si elles devaient se produire régulièrement ou qu'un avocat devait être aux prises plusieurs fois avec ce genre de problème, la bonne foi pourrait être en cause.

[18]            Il est permis de fermer les yeux sur un manquement à un principe d'équité procédurale uniquement lorsqu'il est indéniable que le manquement n'a eu aucun effet important sur la décision. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

[19]            Je précise toutefois que ma décision ne devrait pas être interprétée comme une reconnaissance du bien-fondé de la demande des demandeurs. Leur demande sera réexaminée par un agent différent, qui devra manifestement se demander, dans un premier temps, si les pièces en question constituent une nouvelle preuve au sens de l'article 113.

[20]            Aucune question n'a été proposée à des fins de certification, parce qu'il est évident qu'il s'agit ici d'un cas d'espèce.

LES DÉPENS

[21]            Comme je l'ai mentionné plus haut, le défendeur sollicite des dépens spéciaux de l'avocat des demandeurs lui-même. Le défendeur soutient qu'il existe des raisons spéciales de déroger à la règle générale énoncée à l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, sous sa version modifiée.

[22]            Le défendeur soutient que, malgré l'avertissement que la Cour a donné dans Pakawet Akouete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-4152-03, l'avocat des demandeurs a à nouveau déposé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire de nouveaux éléments de preuve substantiels dont le décideur n'avait pas été saisi sans avoir préalablement sollicité l'autorisation de le faire.

[23]            Selon le défendeur, il ne s'agit pas d'un incident isolé. L'avocat des demandeurs a utilisé cette tactique à plusieurs reprises pour influencer indûment la Cour. Le défendeur doit donc commenter la question de façon détaillée dans ses propres observations écrites, ce qui occasionne chaque fois d'autres frais pour la défense.

[24]            L'avocat des demandeurs répond qu'aucun élément de preuve nouveau n'a été déposé en l'espèce, parce qu'il n'a jamais été informé que le défendeur n'avait pas reçu les pièces.

[25]            L'avocat soutient aussi que la règle selon laquelle aucun élément de preuve nouveau ne peut être examiné dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, sauf dans les cas exceptionnels où une erreur de nature procédurale ou un manquement à la justice naturelle a été commis, ne devrait pas être appliquée de façon aussi rigoureuse lorsque la décision sous examen porte sur une demande ERAR. Étant donné qu'il s'agit du tout dernier recours dont dispose le demandeur d'asile débouté, la Cour devrait accepter tout élément de preuve dont l'examen permettrait peut-être d'éviter la violation de la Charte ou des règles de droit international. Selon l'avocat, la Cour fédérale devrait suivre l'exemple de la Cour européenne des droits de l'homme, qui prend connaissance de tous les éléments de preuve disponibles jusqu'à ce qu'elle rende sa décision.

[26]            Enfin, l'avocat des demandeurs passe en revue chacun des cas où, selon le défendeur, il aurait déposé de nouveaux éléments de preuve et explique pourquoi il était justifié de présenter cette preuve dans chaque cas. Il précise qu'en fait, ce n'est que dans quatre cas qu'il a déposé des documents après avoir reçu l'avertissement que la Cour a donné dans Akouete, précité. Il soutient que, étant donné qu'aucune erreur flagrante n'a été commise, aucuns dépens ne devraient être adjugés contre lui.

[27]            Le 26 juillet 2004, dans Akouete, précité, le défendeur avait présenté une demande similaire à la Cour. À cette occasion, une discussion claire avait eu lieu avec l'avocat au sujet des règles de droit applicables au dépôt d'éléments de preuve nouveaux dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire.

[28]            Malgré le fait que l'avocat avait manifestement omis de demander l'autorisation de déposer les nouveaux éléments de preuve dans Akouete, précité, j'ai mentionné que je n'étais pas disposée à adjuger des dépens contre lui, parce qu'il n'avait pas été informé que ces dépens seraient sollicités s'il continuait à déposer de nouveaux éléments de preuve de cette nature dans les cas où il devait indéniablement obtenir l'autorisation de la Cour à cette fin. J'ai mentionné expressément dans mon ordonnance que celle-ci constituerait un avertissement en soi et que le défendeur pourrait présenter une nouvelle demande de dépens spéciaux à l'avenir si l'incident se reproduisait.

[29]            Il est évident que de nouveaux éléments de preuve substantiels ont été déposés en l'espèce. Dans sa décision, l'agent ERAR mentionne également en toutes lettres qu'aucun élément de preuve nouveau n'a été reçu à des fins d'examen. Il était donc évident que les pièces en question, que CIC les ait effectivement reçues ou non, ne se trouvaient pas entre les mains du décideur. Dans les circonstances, la Cour ne peut tout simplement pas accepter les arguments de l'avocat selon lesquels il ignorait que le décideur n'avait pas ces documents en main jusqu'à ce qu'il prenne connaissance de l'affidavit de l'agent ERAR que le défendeur a déposé.

[30]            Bien entendu, étant donné que la présente affaire concerne une question de justice naturelle, les demandeurs avaient le droit de déposer de nouveaux éléments de preuve pour démontrer quand et comment ils avaient produit leurs observations et leurs pièces. Cependant, cela ne leur donnait pas le droit de déposer ces pièces pour soutenir que la décision était viciée quant au fond. Comme je l'ai mentionné, la Cour ne pouvait examiner ces arguments, parce que la preuve n'avait pas été portée à la connaissance de l'agent et qu'il n'était donc pas possible de l'utiliser pour contester l'évaluation des risques que celui-ci avait faite.

[31]            Cette conduite a forcé le défendeur, encore une fois, non seulement à commenter la question du dépôt d'éléments de preuve nouveaux sans autorisation, mais également à examiner le bien-fondé des arguments invoqués par l'avocat des demandeurs.

[32]            Je suis convaincue que cette démarche a entraîné des frais supplémentaires pour le défendeur et une perte de temps pour la Cour.

[33]            L'avocat aurait pu soulever ses nouveaux arguments au sujet des raisons pour lesquelles la règle de droit devrait être changée dans le contexte d'une requête visant à déposer de nouveaux éléments de preuve en l'espèce ou dans toute affaire ultérieure où il y a lieu de le faire. Il ne convient pas de le faire dans le cadre d'une réponse à une demande de dépens et je souligne que l'avocat n'a certainement pas invoqué cette question dans Akouete, précité.

[34]            Le fonctionnaire de la Cour doit tenir compte des règles de celle-ci ainsi que des règles de droit applicables, qu'il soit d'accord ou non avec elles. Fermer les yeux sur la conduite de l'avocat des demandeurs en l'espèce serait injuste non seulement pour le défendeur, mais également pour tous les avocats qui respectent ces règles, même s'ils défendent tout aussi farouchement les droits de leurs clients.

[35]            Après avoir examiné l'ensemble des observations des parties, je suis arrivée à la conclusion qu'il convient en l'espèce que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire de façon à adjuger des dépens spéciaux contre l'avocat des demandeurs lui-même. Je fixe le montant des dépens en question à 500 $.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.         La demande est accueillie.

2.         La demande ERAR des demandeurs est renvoyée à un agent différent pour nouvel examen.

3.                   Des dépens de 500 $ sont adjugés au défendeur contre l'avocat des demandeurs lui-même.

« Johanne Gauthier »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-452-05

INTITULÉ :                                        MADAME REHANA IQBAL,

                                                            MUHAMMAD ABDULLAM ZAFAR,

TAYYABA ZAFAR,

RIMAL CHAUDHARY ZAFAR et

FATIMA ZAFAR

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 13 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 12 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS:

Stewart Istvanffy                                                POUR LES DEMANDEURS

Michèle Joubert                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Stewart Istvanffy                                                POUR LES DEMANDEURS

1061, rue St-Alexandre, bureau 300

Montréal (Québec) H2Z 1P5

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.