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Date : 20040820

Dossier : IMM-3993-03

Référence : 2004 CF 1158

ENTRE :

                                                           EVER VARGAS MORA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 12 mai 2003 (la décision) dans laquelle E.S. Schlanger, commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur est un citoyen du Costa Rica âgé de 28 ans. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté par la police parce qu'il est homosexuel.

[3]                À la fin de juillet 2000, le demandeur et un ami ont quitté un bar appelé « Azteca » , qui se trouve à Buenos Aires, une petite ville située dans le sud du Costa Rica. Ils ont été arrêtés par deux policiers, qui les ont insultés et qui se sont mis à battre l'ami du demandeur. Lorsque le demandeur est intervenu, ils ont tous deux été battus et emmenés au poste de police. Au poste, deux policiers ont continué de les battre et de les insulter. Ils ont tous deux été violés. Ils ont été libérés le lendemain matin, après que la police eut menacé de les tuer s'ils disaient quoi que ce soit. Ils se sont rendus à l'hôpital et ont dit à un médecin ce qui leur était arrivé. Un policier est arrivé et a dressé un rapport sur la base du récit de l'incident que lui a fait une infirmière. Le demandeur n'a pas parlé au policier et n'a pas fait de suivi relativement au rapport.

[4]                Le 18 août 2000, deux policiers ont sorti le demandeur d'un bar appelé « Cherries » et l'ont sauvagement battu dans la rue devant le bar. Par la suite, ils l'ont emmené au poste de police. Au poste, quatre policiers ont continué de le battre et lui ont dit qu'ils lui donnaient deux semaines pour retirer les accusations qu'il avait déposées contre la police.

[5]                Le 16 septembre 2000, alors qu'il se trouvait au bar « El Trebol » , le demandeur a encore une fois été détenu et battu, puis il a été emmené au parc Poli Deportivo. Rendu à cet endroit, il a été violé par deux policiers pendant que deux autres le tenaient. Ils l'ont menacé, lui disant que s'ils ne retiraient pas ses accusations, ils feraient quelque chose qu'il n'oublierait pas. Le 17 septembre 2000, il est allé à l'hôpital et a raconté à un médecin ce qui lui était arrivé.

[6]                Le 22 septembre 2000, la police l'a encore une fois emmené alors qu'il était dans un bar. Cette fois-là, il a réussi à s'échapper en repoussant l'un des policiers et en se réfugiant chez l'un de ses amis.

[7]                Après avoir subi des actes aussi graves de violence en un si court laps de temps, le demandeur a décidé de quitter le Costa Rica. Il s'est rendu à San José, où il est resté chez des parents, puis il est entré au Canada le 15 octobre 2000. Onze jours plus tard, il a déposé une demande d'asile, alléguant craindre d'être persécuté par la police partout au Costa Rica, étant donné que celle-ci avait menacé de s'en prendre à sa famille (il est séparé de son épouse et de son enfant) et de le retrouver partout où il irait au Costa Rica.

[8]                Dans ce contexte, la question est de savoir si le demandeur s'est acquitté du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption suivant laquelle il pouvait se réclamer de la protection de l'État au Costa Rica.


[9]                Sur le vu des faits de l'espèce, la demande du demandeur doit être rejetée. Après la première agression en juillet 2000, le demandeur ne s'est pas adressé directement à la police. C'est une infirmière qui a fourni à la police la version des faits du demandeur. Bien qu'il semble qu'il ait demandé que des accusations soient portées, parce que ces accusations sont devenues la raison d'être des menaces policières subséquentes, il n'a pas fait de suivi auprès de la police relativement à ces accusations dans la période de deux semaines qui a précédé la deuxième agression. Il était raisonnable de s'attendre à ce qu'il fasse un suivi parce que la documentation montre que les plaintes faites contre la police ont diminué depuis la mise en oeuvre du code policier de 1994.

[10]            Après les agressions vicieuses dont il aurait été victime le 18 août et le 16 septembre 2000, le demandeur ne s'est pas adressé à la police d'une autre ville afin de déposer une plainte relativement à ces agressions.

[11]            La CISR a conclu :

Il déclare qu'il avait peur de se plaindre à la police ou de signaler les incidents au ministère de la Sécurité, au Protecteur des citoyens ou à la Cour constitutionnelle car leurs procédures prennent beaucoup de temps. Il craint que, même si ses attaquants étaient emprisonnés, ils le pourchasseraient ensuite après leur libération. Compte tenu des recours qui s'offrent au demandeur pour obtenir une protection, le tribunal conclut que le demandeur n'a pas fait d'efforts raisonnables pour obtenir la protection de l'État. On aurait pu s'attendre à ce que le demandeur ne se contente pas de laisser une infirmière donner à la police des renseignements en son nom. De plus, il aurait dû signaler les brutalités commises par la police au Protecteur des citoyens, au ministère de la Sécurité ou à la Cour constitutionnelle.

[12]            Sur le vu de la preuve, il était, à mon avis, loisible à la CISR de conclure que, comme le demandeur ne s'était pas adressé à la police, dans sa ville initialement ou ailleurs après la deuxième agression, celui-ci n'avait pas fait suffisamment d'efforts pour obtenir la protection de l'État. Pour ce motif, la demande sera rejetée.

[13]            Cependant, je me dois de faire remarquer que je ne suis pas convaincue que la CISR avait suffisamment de renseignements devant elle pour conclure que des institutions autres que la police offraient une protection valable dans la situation dans laquelle se trouvait le demandeur. Dans la situation du demandeur, la protection étatique devait être accessible, abordable et susceptible d'avoir un effet correctif immédiat sur le comportement de la police à Buenos Aires.

[14]            En examinant cette question, la CISR s'est fondée sur les renseignements suivants relatifs au Bureau du protecteur des citoyens (le Bureau) :

-            le mandat du Bureau inclut les personnes qui présentent [traduction] « une préférence sexuelle distincte » en tant que groupe vulnérable

-            le Bureau a une direction de la protection spéciale dotée d'une équipe de huit avocats chargés d'aider les groupes vulnérables

-            dans le cas d'une plainte reçue contre la police, le Bureau a présenté une recommandation au ministère public lui demandant de prendre des mesures disciplinaires contre la police

-            le Bureau a le pouvoir de faire des recommandations non contraignantes au gouvernement

-            le Bureau jouit d'une très grande crédibilité auprès des Costaricains et s'attaque volontiers à des questions difficiles. Il a recommandé que le président du pays cesse de faire des remarques homophobes


          -            le protecteur des citoyens est élu par l'assemblée législative pour un mandat renouvelable de quatre ans

-            le Bureau est indépendant

[15]            Toutefois, les questions suivantes n'ont pas reçu de réponse :

-            Le Bureau a-t-il le pouvoir de poursuivre un policier pour le compte d'une personne qui a déposé une plainte d'abus de pouvoir contre ce policier?

-            Où sont situés ses bureaux? A-t-il un bureau à Buenos Aires ou près de cette ville?

-            Quel est le processus applicable pour le dépôt d'une plainte dans le cas d'un abus de pouvoir des policiers? Est-il simple ou complexe?

-            Combien de temps durent les enquêtes?

-            Y a-t-il des mesures utiles et rapides que le Bureau peut prendre pour protéger le plaignant contre d'autres abus de pouvoir des policiers?

-            Le Bureau a-t-il les moyens d'assurer une protection et a-t-il fait ses preuves à cet égard?


[16]            À mon avis, la CISR ne pouvait, sans répondre à ces questions, exiger du demandeur qu'il dépose une plainte auprès du protecteur des citoyens avant de demander l'asile. La preuve montrait que le protecteur des citoyens aurait très bien pu fournir une mesure de redressement en temps voulu, mais rien ne prouvait qu'il aurait pu offrir au demandeur une protection rapide et efficace contre le service de police de Buenos Aires. De plus, rien ne prouvait que la Cour constitutionnelle ou le ministère de la Sécurité pouvait offrir une telle protection.

Certification

[17]            Aucune question n'a été soulevée aux fins de certification.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3993-03

INTITULÉ :                                                    MORA

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Joel Etienne                                                       POUR LE DEMANDEUR

Aviva Basman                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joel Etienne                                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Aviva Basman                                       POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


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