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Date : 20200131


Dossier : T-732-19

Référence : 2020 CF 831

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

CADOSTIN, MACKENZY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Vue d’ensemble

[1]  Le demandeur, M. Mackenzy Cadostin, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision [la décision en cause] par laquelle la Commission de la fonction publique [la Commission] a conclu, en avril 2019, qu’il avait commis une fraude dans le cadre d’un processus de nomination au sein de la fonction publique fédérale. À l’issue d’une enquête approfondie menée en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 [la LEFP], la Commission a déterminé que M. Cadostin avait sciemment fourni de fausses références et présenté de faux renseignements portant sur son superviseur d’alors au cours d’un processus de nomination pour un poste de CO‑1 [le processus de nomination CO‑1]. C’était d’ailleurs la deuxième fois en quelque sept mois que la Commission concluait que M. Cadostin avait commis une fraude afin d’obtenir un poste dans la fonction publique.

[2]  M. Cadostin soutient que le processus d’enquête de la Commission était vicié, qu’il ne respectait pas les principes d’équité procédurale ni les droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte], et que tant la décision en cause que les mesures correctives ordonnées contre lui étaient déraisonnables. Il demande à la Cour d’ordonner : que toutes les décisions et la mesure de révocation de son poste de CO‑1 soient annulées ; qu’il soit réintégré dans son poste, avec les mêmes avantages et le même traitement dont il bénéficiait à la date de la révocation ; que la Commission rétablisse son nom et sa réputation auprès de [TRADUCTION] « toutes les personnes à qui elle a envoyé ses rapports » ; et que des dommages‑intérêts et les dépens lui soient accordés.

[3]  Le procureur général du Canada [le PGC], qui est défendeur dans l’affaire, répond que la demande de M. Cadostin devrait être rejetée, parce que les conclusions de fraude et les mesures correctives ordonnées par la Commission étaient raisonnables et que le processus suivi était équitable sur le plan procédural, relevait de sa compétence et respectait entièrement la Charte.

[4]  La Cour est appelée à trancher quatre questions dans le contexte du présent contrôle judiciaire : 1) la décision de la Commission relevait-elle de sa compétence ; 2) la décision et les mesures correctives s’y rattachant étaient-elles raisonnables ; 3) la Commission a-t-elle suivi un processus équitable sur le plan procédural ; 4) la décision de la Commission porte-t-elle atteinte aux droits garantis à M. Cadostin par la Charte.

[5]  Pour les motifs exposés ci‑après, je rejetterai la demande de M. Cadostin. Selon moi, il ne fait pas de doute que la Commission a agi dans les limites de sa compétence en procédant à une enquête sur le processus de nomination CO‑1. Je suis également convaincu que la décision en cause et les mesures correctives imposées par la Commission sont justifiées et intelligibles et que, compte tenu de la preuve réunie par l’enquêteuse et présentée à la Commission, la conclusion de fraude tirée par cette dernière est raisonnable. Les motifs détaillés qui accompagnent la décision en cause et le rapport d’enquête sous‑jacent montrent que cette décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la Commission est assujettie. De plus, je conclus que le processus d’enquête et de décision suivi par la Commission respectait l’équité procédurale et qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits invoqués par M. Cadostin en vertu de la Charte. Par conséquent, aucun motif ne justifie une intervention de la Cour.

II.  Contexte

A.  Le contexte factuel

[6]  En janvier 2017, M. Cadostin a présenté sa candidature à un poste de niveau CO‑1 auprès du ministère portant désormais le nom de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada [RCAANC]. À l’époque, il travaillait pour un autre ministère fédéral, Agriculture et Agroalimentaire Canada, où il occupait un poste de niveau PM‑1.

[7]  M. Cadostin a réussi l’examen écrit et l’entretien d’embauche pour le poste qu’il convoitait. En juin 2017, RCAANC lui a demandé de fournir les noms de trois personnes pouvant donner des références, dont celui de son superviseur du moment. M. Cadostin a donc présenté les noms de quatre personnes, en omettant d’inclure celui de M. Mark De Luca, qui était son superviseur à l’époque, sans informer RNAANC de cette omission. Par la suite, il expliquera avoir fait ce choix parce qu’il subissait alors du harcèlement de la part de M. De Luca. Trois des personnes désignées par M. Cadostin lui avaient déjà servi de références en février 2017, lorsqu’il avait posé sa candidature, dans le cadre d’un processus de nomination différent, à un poste de niveau AS‑4 [le processus de nomination AS‑4] à Services publics et Approvisionnement Canada [SPAC].

[8]  En août 2017, RCAANC a envoyé des formules de recommandation à trois des personnes désignées comme références par M. Cadostin en les priant de les compléter [les formules]. L’exercice visait à vérifier si le candidat possédait certaines qualités essentielles exigées pour le poste de CO‑1, à savoir l’aptitude au travail en équipe, les compétences interpersonnelles et la fiabilité. Les trois personnes sollicitées ont donné aux questions de vérification des réponses qui étaient toutes positives. M. Cadostin a donc été ajouté à un bassin de candidats qualifiés et, en mars 2018, il a obtenu le poste de CO‑1.

[9]  Au moment de la nomination de M. Cadostin au poste de CO‑1, la Commission avait déjà commencé à enquêter sur le processus de nomination AS‑4 [la première enquête], au cours duquel M. Cadostin avait utilisé les mêmes références que celles présentées dans le cadre du processus de nomination CO‑1. En effet, pour les besoins du processus de nomination AS‑4, SPAC avait effectué des vérifications qui l’avaient amené à douter de l’authenticité des références données alors par M. Cadostin; le ministère avait donc soumis le dossier de ce dernier à la Commission. La Commission avait amorcé la première enquête en novembre 2017. Or, puisqu’une première enquête était en cours, la Commission a décidé, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 69 de la LEFP, d’ouvrir une deuxième enquête concernant la possibilité que M. Cadostin ait également fourni de fausses références dans le cadre du processus de nomination CO‑1 [la deuxième enquête]. En mai 2018, alors que M. Cadostin avait obtenu depuis peu le poste de CO‑1, la Commission l’a informé par lettre de l’ouverture d’une deuxième enquête, portant cette fois sur le processus de nomination CO‑1, en vue d’établir s’il avait commis une fraude dans le cadre de ce processus d’embauche.

[10]  À l’issue de la première enquête, la Commission a conclu qu’en septembre 2018, M. Cadostin avait commis une fraude dans le cadre du processus de nomination AS‑4 en fournissant sciemment de faux renseignements concernant ses références. M. Cadostin s’est alors adressé à la Cour pour obtenir le contrôle judiciaire de cette décision, mais sa demande a été rejetée par la juge Walker dans un jugement daté du 23 septembre 2019 (Cadostin c Canada (Procureur général), 2019 CF 1198 [Cadostin, ou l’autre décision Cadostin]). M. Cadostin fait actuellement appel de ce jugement devant la Cour d’appel fédérale.

B.  L’enquête

[11]  L’enquête sur le processus de nomination CO‑1 a été effectuée par Mme Stéphanie Poitras [l’enquêteuse], qui avait également été chargée de la première enquête relative au processus de nomination AS‑4. Dans le cadre de son enquête, l’enquêteuse a présumé de la pertinence de certains faits révélés par la première enquête, notamment par les témoins, pour les besoins de son examen du processus de nomination CO‑1. Au cours de ces deux enquêtes, elle a donc examiné la preuve documentaire se rapportant aux références fournies par M. Cadostin et elle a rencontré ce dernier à deux occasions distinctes. Elle a aussi rencontré M. De Luca lors de la première enquête et, lors de la deuxième enquête, deux responsables de RCAANC ayant pris part au processus de nomination CO‑1 [les gestionnaires de RCAANC].

[12]  En octobre 2018, l’enquêteuse a remis à M. Cadostin un rapport factuel résumant les faits pertinents révélés par l’enquête [le rapport factuel], en l’invitant à lui faire part de ses commentaires et observations quant aux faits et aux questions qui y étaient présentés. Vers la fin de novembre 2018, M. Cadostin lui a fait parvenir des commentaires détaillés. L’enquêteuse a pris connaissance de ces commentaires et, en janvier 2019, elle a rédigé son rapport d’enquête [le rapport d’enquête]. Une version modifiée du rapport d’enquête a été produite en février 2019.

C.  Le rapport d’enquête

[13]  On peut résumer comme suit les principales conclusions du rapport d’enquête :

[14]  Premièrement, en ce qui concerne les références de M. Cadostin, l’enquêteuse a relevé les points qui suivent.

  • 1) Les formules complétées par les trois personnes contactées par RCAANC en août 2017 présentaient de nombreuses similitudes, elles omettaient des renseignements cruciaux sur les antécédents professionnels de M. Cadostin (p. ex. les dates et la durée de l’emploi) et aucune des personnes n’y donnait ses coordonnées (numéro de téléphone ou adresse).

  • 2) L’enquêteuse a transmis un document Word à M. Cadostin en vue d’obtenir plus de renseignements sur ses références; sur le document que M. Cadostin lui a renvoyé, elle a constaté que la dernière modification au document avait été effectuée par l’auteur « Proprio », qui était aussi l’auteur des dernières modifications apportées aux formules présentées par les trois personnes ayant servi de références.

  • 3) Lors de la première enquête, à sa première rencontre avec l’enquêteuse tenue à la fin de janvier 2018, M. Cadostin a déclaré n’avoir plus jamais pris contact avec les personnes qui lui avaient servi de références après leur avoir demandé de compléter les formules. Puis, ayant reçu de l’enquêteuse le rapport factuel issu de la première enquête, M. Cadostin a produit de nombreux courriels échangés avec ces personnes, lesquels montraient qu’il avait lui-même complété les formules, apparemment à la demande de ces personnes. M. Cadostin a donc reconnu avoir complété lui-même les formules. En revanche, il n’a pas été en mesure de produire les originaux de ces courriels qui remontaient à juin, juillet et août 2017, et ce sont donc des versions réacheminées des messages que l’enquêteuse a reçues. Par conséquent, elle n’a pas pu confirmer l’authenticité de ces courriels.

  • 4) Les quatre personnes qui ont servi de références à M. Cadostin dans le cadre du processus de nomination CO‑1 ont donné des adresses électroniques personnelles associées à des fournisseurs de services de messagerie électronique gratuits, dont « mail.com ». Une recherche effectuée dans l’historique de navigation de l’ordinateur personnel de M. Cadostin a révélé qu’il s’était branché à « mail.com » le 12 juillet 2017, soit le jour même où l’une de ces personnes avait envoyé la formule complétée depuis son compte « mail.com ».

  • 5) Au cours de l’été 2018, l’enquêteuse a tenté de communiquer avec les personnes ayant servi de références afin de confirmer leur identité, mais aucune n’a coopéré ou n’était disposée à l’aider. Elles ont soit signifié leur refus succinctement par courriel, soit ignoré la demande de l’enquêteuse. Aucune n’a accepté de parler à l’enquêteuse au téléphone.

  • 6) Malgré ses recherches indépendances en ce sens, l’enquêteuse n’a pas réussi à relier les personnes ayant servi de références à leur entreprise ou employeur allégué.

[15]  L’enquêteuse a donc conclu qu’il était improbable que des personnes ayant donné des références authentiques dans le cadre d’une demande d’emploi négligent toutes de fournir des renseignements essentiels telles leurs coordonnées ou les dates et la durée d’emploi d’un candidat, et que toutes refusent de parler à un enquêteur. Elle a estimé que le témoignage de M. Cadostin manquait de crédibilité et de cohérence et qu’il contenait des contradictions, et elle a donc rejeté ses explications concernant les références. L’enquêteuse a jugé que l’explication la plus vraisemblable était, selon la prépondérance des probabilités, que M. Cadostin avait lui-même complété les formules et écrit tous les courriels provenant des adresses électroniques de ses prétendues références. Elle est donc arrivée à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de l’ensemble de la preuve, les références fournies par M. Cadostin étaient fausses.

[16]  Deuxièmement, l’enquêteuse s’est interrogée sur l’omission de M. Cadostin de donner le nom de son superviseur à titre de référence, malgré une demande expresse en ce sens. À l’issue de son examen de la preuve, l’enquêteuse a conclu que M. Cadostin avait délibérément exclu M. De Luca afin d’éviter de recevoir des commentaires défavorables. Selon le rapport lors de la première enquête, M. De Luca avait déclaré qu’il aurait refusé de donner des références positives si M. Cadostin le lui avait demandé. L’enquêteuse a donc conclu que M. Cadostin avait fourni de faux renseignements dans le cadre du processus de nomination en omettant d’inclure le nom de son superviseur de l’époque dans la liste de ses références.

[17]  Compte tenu de ce qui précède, l’enquêteuse est arrivée à la conclusion que M. Cadostin avait commis une fraude au sens de l’article 69 de la LEFP. À cet égard, elle a adopté la définition de la fraude que la Cour d’appel fédérale avait formulée dans l’arrêt Seck c Canada (Procureur général), 2012 CAF 314 [Seck]. Cette définition comporte deux éléments essentiels : 1) la malhonnêteté, qui peut comprendre la non-divulgation de faits importants ; 2) la privation ou le risque de privation. L’enquêteuse a ainsi jugé que M. Cadostin avait fait preuve de malhonnêteté concernant à la fois ses références et M. De Luca, et que sa conduite avait compromis l’intégrité du processus de nomination CO‑1, car RCAANC s’était fiée à ces fausses recommandations pour ajouter M. Cadostin au bassin de candidats qualifiés et choisir ensuite de lui offrir le poste de CO‑1.

D.  La décision de la Commission

[18]  En février 2019, le rapport d’enquête a été présenté à la Commission afin que celle-ci donne l’autorisation de consulter M. Cadostin au sujet du rapport et des mesures correctives proposées. La Commission ayant donné cette autorisation, le rapport d’enquête et les mesures correctives ont été communiqués à M. Cadostin afin qu’il puisse formuler ses commentaires. M. Cadostin a été informé que ses commentaires seraient transmis à la Commission, qui les examinerait avant de rendre une décision définitive. Comme pour le rapport factuel, M. Cadostin a réagi au rapport d’enquête en rédigeant de longs commentaires.

[19]  Le 16 avril 2019, après avoir évalué les observations de M. Cadostin au sujet du rapport d’enquête, la Commission a accepté le rapport et rendu la décision en cause. Selon ce qu’elle avait constaté, l’enquête avait permis d’aboutir à la conclusion que M. Cadostin avait commis une fraude dans le cadre du processus externe non annoncé de nomination au poste de CO‑1 en fournissant sciemment de faux renseignements lors de la vérification des références. Ayant pris connaissance de tous les commentaires reçus, la Commission a déclaré que ceux-ci ne contenaient aucune information nouvelle justifiant d’apporter des modifications au rapport d’enquête ou aux mesures correctives proposées au stade de la consultation. Elle a donc ordonné la prise des mesures correctives suivantes : 1) la révocation de la nomination de M. Cadostin au poste de CO‑1 à RCAANC, à la suite de quoi il perdrait sa qualité de fonctionnaire fédéral; 2) l’obligation pour M. Cadostin, pendant une période de trois ans à compter de la signature de la décision en cause, d’obtenir l’autorisation écrite de la Commission avant de postuler pour un emploi dans la fonction publique fédérale; 3) pendant une période de trois ans, à compter de la signature de la décision en cause, une lettre serait envoyée à l’administrateur général de l’employeur en cause pour l’informer de la fraude commise par M. Cadostin, si ce dernier devait obtenir du travail à titre occasionnel au sein de la fonction publique fédérale sans en aviser d’abord la Commission.

[20]  C’est cette décision que conteste M. Cadostin dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

E.  Le cadre législatif applicable

[21]  La Commission est chargée de protéger l’intégrité du processus de nomination et de veiller au respect du principe du mérite au sein de la fonction publique fédérale, conformément au préambule et au paragraphe 30(1) de la LEFP. En particulier, l’article 69 de la LEFP permet à la Commission de mener une enquête sur une fraude qui pourrait avoir été commise dans un processus de nomination, et de révoquer une nomination et prendre des mesures correctives appropriées si elle est convaincue de l’existence de la fraude. L’article 69 est libellé comme suit :

Fraude

Fraud

69. La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut :

69. If it has reason to believe that fraud may have occurred in an appointment process, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that fraud has occurred, the Commission may:

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

F.  La norme de contrôle

[22]  La Cour a déclaré à maintes occasions que, s’agissant de la question de savoir si une fraude a été commise selon l’article 69 de la LEFP, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car cette question est au cœur de la mission de la Commission, qui consiste à préserver l’intégrité du processus de nomination dans la fonction publique fédérale, et que l’application et l’interprétation de cette disposition relèvent de son expertise particulière (Dayfallah c Canada (Procureur général), 2018 CF 1120 [Dayfallah], au par. 34 ; MacAdam c Canada (Procureur général), 2014 CF 443, aux par. 49 et 50). La juge Walker a d’ailleurs réaffirmé cette position dans la décision qu’elle a rendue au sujet du processus de nomination AS‑4 (Cadostin, au par. 20).

[23]  Que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable a récemment été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], où les juges majoritaires de la Cour suprême ont présenté un cadre d’analyse révisé pour déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative (Vavilov, au par. 10). La nouvelle approche définie par les juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov repose sur la présomption voulant que la norme de contrôle à appliquer aux décisions administratives soit celle de la décision raisonnable, sauf si l’intention du législateur ou la primauté du droit commande le recours à une autre norme (Vavilov, aux par. 10 et 17). Je suis convaincu qu’aucune de ces deux exceptions ne s’applique en l’espèce et que rien ne justifie de déroger à la présomption selon laquelle la norme applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable.

[24]  Les principes mis en exergue dans l’arrêt Vavilov sont en grande partie tirés de la jurisprudence, notamment de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] et des décisions rendues dans son sillage. Bien que la présente demande ait été plaidée avant que ne soit rendu l’arrêt Vavilov, l’angle que les parties ont adopté pour débattre du caractère raisonnable de la décision de la Commission s’accorde avec le cadre d’analyse défini dans cet arrêt. Dans les présents motifs, c’est ce cadre d’analyse que j’ai suivi pour conclure que la décision de la Commission est raisonnable ; cela dit, le cadre d’analyse de l’arrêt Dunsmuir aurait mené au même résultat.

[25]  Pour être raisonnable, une décision « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85 ; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], aux par. 2 et 31). Le cadre d’analyse révisé établi dans l’arrêt Vavilov exige que la cour de révision adopte une approche du contrôle judiciaire qui « s’intéresse avant tout aux motifs » de la décision (Société canadienne des postes, au par. 26). Si le décideur a motivé sa décision, la cour de révision doit amorcer son analyse du caractère raisonnable de la décision en « examin[ant] les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et [en] cherch[ant] à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov, au par. 84). Les motifs d’une décision doivent être interprétés à la lumière de l’ensemble du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils sont fournis (Vavilov aux par. 91 à 94). Toutefois, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable. [...] le décideur doit également [...] justifier sa décision » (Vavilov, au par. 86).

[26]  Avant de pouvoir infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

[27]  L’appréciation du caractère raisonnable d’une décision doit être rigoureuse, tout en étant sensible et respectueuse du rôle du décideur administratif (Vavilov, aux par. 12 et 13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à faire en sorte que la cour de révision intervienne dans une affaire administrative uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au par. 13). Il a comme point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct et de l’expertise des décideurs administratifs (Vavilov, aux par. 13, 75 et 93). Autrement dit, la cour de révision doit continuer d’appliquer une approche fondée sur la déférence, surtout eu égard aux conclusions de fait et à l’appréciation de la preuve. Ainsi, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne modifiera pas les conclusions de fait du décideur administratif (Vavilov, au par. 125).

[28]  En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, Vavilov n’a eu aucune incidence sur la démarche à adopter (Vavilov, au par. 23). En règle générale, il a été décidé que la norme de la décision correcte devait s’appliquer au contrôle de la question de savoir si un décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale et les principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79 ; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43).

[29]  Toutefois, comme l’a fait remarquer à juste titre l’avocat du PGC, la Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que les questions d’équité procédurale ne sont pas vraiment tranchées selon une norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique qui se pose à la cour de révision, et celle-ci doit être convaincue que l’équité procédurale a été respectée. Lorsque l’obligation du décideur administratif d’agir équitablement est en cause ou qu’une violation des principes de justice fondamentale est invoquée, la cour de révision doit vérifier si la procédure était équitable au vu de l’ensemble des circonstances (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, au par. 14 ; Canadian Airport Workers Union c International Association of Machinists and Aerospace Workers, 2019 CAF 263, aux par. 24 et 25 ; Perez c Hull, 2019 CAF 238, au par. 18 ; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP], au par. 54). Son examen doit notamment tenir compte des cinq facteurs contextuels composant la liste non exhaustive tirée de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Vavilov, au par. 77). C’est à la cour de révision qu’il appartient de prendre cette décision et, lorsqu’elle se livre à cet exercice, elle est appelée à se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CFCP, au par. 54).

[30]  Il est bien établi que les exigences de l’obligation d’équité procédurale sont « éminemment variables », intrinsèquement souples et tributaires du contexte (Vavilov, au par. 77; Dunsmuir, au par. 79) et qu’elles « ne réside[nt] pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, au par. 53). La nature et la portée de l’obligation varieront en fonction des situations factuelles variées dont sera saisi le décideur administratif et de la nature des litiges qu’il sera appelé à résoudre (Baker, aux par. 23 à 27 ; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au par. 115). Comme l’a éloquemment exprimé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CFCP, « [p]eu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre » (CFCP, au par. 56).

[31]  Par conséquent, lorsque l’équité procédurale est en jeu et que des atteintes à la justice fondamentale sont alléguées dans une demande de contrôle judiciaire, la véritable question est de savoir si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances en cause, le processus suivi par le décideur était équitable et s’il a accordé aux parties touchées le droit d’être entendues et la possibilité de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, aux par. 51 à 54).

III.  Analyse

[32]  Comme fut le cas dans le dossier du processus de nomination AS‑4, M. Cadostin est intimement convaincu qu’il n’a commis aucun acte répréhensible relativement à la présentation de ses références pour le processus de nomination CO-1. Ses observations laissent paraître le mécontentement viscéral que suscitent chez lui la décision en cause et tout le processus d’enquête. Il croit fermement que l’enquêteuse, la Commission et tous ceux qui ont pris part aux première et deuxième enquêtes ont menti, qu’ils ont cherché à l’intimider, ont ignoré son témoignage, ont déformé ses propos et ont délibérément présenté sa conduite sous un jour défavorable. En somme, il prétend être victime de représailles injustifiées et d’un vaste complot visant à l’évincer de la fonction publique fédérale. Les longues observations écrites et orales qu’il a présentées à la Cour consistent en une salve d’accusations véhémentes formulées sur le ton du reproche et ponctuées de mots tels [TRADUCTION] « mensonges », [TRADUCTION] « déclarations trompeuses », [TRADUCTION] « conjectures », [TRADUCTION] « dissimulations » et [TRADUCTION] « fabrications », des mots censés décrire ce que lui ont fait subir, selon lui, l’enquêteuse et la Commission.

[33]  Les diverses questions soulevées par le présent contrôle judiciaire s’enchevêtrent dans les observations de M. Cadostin, qui s’avèrent par moments difficiles à décoder. En bref, d’après ce que j’en comprends, les arguments de M. Cadostin sont essentiellement les suivants : 1) la Commission n’avait pas compétence pour mener la deuxième enquête et rendre la décision en cause ; 2) cette décision était déraisonnable à tous égards ; 3) la Commission a suivi, du début à la fin, un processus d’enquête qui ne respectait pas l’équité procédurale ; 4) l’enquête et la décision de la Commission portent atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte et ont créé une situation de double incrimination. J’examinerai ces divers arguments à tour de rôle.

A.  Les questions préliminaires

[34]  Avant de procéder à l’examen des quatre principales questions soulevées par la demande de M. Cadostin, il me faut aborder quelques points préliminaires. Comme dans l’autre décision Cadostin, l’admissibilité de la preuve présentée par M. Cadostin à l’appui de ses arguments a été l’objet de la discussion au début de l’instruction de sa demande.

[35]  D’abord, selon le PGC, l’affidavit de M. Cadostin comporte de nombreux paragraphes inadmissibles, parce qu’ils renferment des opinions et des arguments de droit, ce qui est contraire au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, lequel prévoit que les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Le PGC estime que ces paragraphes devraient être radiés ou, subsidiairement, que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en ne leur accordant aucun poids ni aucune valeur probante (Abi‑Mansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882, aux par. 30 et 31).

[36]  Il est bien établi que la Cour peut radier tout ou une partie d’un affidavit qui est abusif, qui n’a clairement aucune pertinence ou qui renferme une opinion, des arguments ou des conclusions de droit (Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, au par. 18). La juge Walker a confirmé qu’elle disposait de ce pouvoir dans le contexte du processus de nomination AS‑4 (Cadostin, au par. 26). Je conviens que, comme dans cette précédente affaire, les paragraphes relevés par le PGC renferment les opinions, arguments et conclusions de droit de M. Cadostin sur les questions dont la Cour est saisie et ils n’ont donc pas leur place dans son affidavit. Par souci d’efficacité, j’ai choisi d’exercer mon pouvoir discrétionnaire en ne leur accordant pas de poids ou de valeur probante. Toutefois, j’aimerais marquer une pause et faire observer que ce qui valait dans l’autre décision Cadostin vaut également en l’espèce – puisqu’en définitive, M. Cadostin a repris les mêmes arguments et opinions juridiques dans ses observations orales et écrites – et donc, que sa position sur les diverses questions en litige a été présentée en entier à la Cour, qui en a tenu compte dans les présents motifs.

[37]  Le PGC soutient aussi que plusieurs des pièces jointes à l’affidavit de M. Cadostin sont inadmissibles ou ne sont pas pertinentes. Il relève expressément les pièces 1, 3, 5 à 10, 12 à 14, 16, 17, 21 à 23, 26, 27, 30, 31, 34, 35A, 35B, 36, 37, 47, 48, 48B, 55 à 58, 62C, 66, 66B et 67 à 82. Essentiellement, le PGC prétend que ces pièces soit n’ont aucune pertinence, puisqu’elles se rapportent au processus de nomination AS‑4, soit sont inadmissibles, car la Commission ne les avait pas à sa disposition lorsqu’elle a rendu la décision en cause portant sur le processus de nomination CO‑1. Le PGC rappelle que, dans le cadre de toute demande de contrôle judiciaire, la règle générale veut que la cour de révision ne puisse examiner que les documents dont disposait le décideur, à quelques exceptions près (Gittens c Canada (Procureur général), 2019 CAF 256, au par. 14 ; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [AUCC], aux par. 19 et 20). Ces exceptions s’appliquent notamment aux documents suivants : 1) ceux qui contiennent des informations générales susceptibles d’aider à comprendre les questions en litige ; 2) ceux qui font état de vices de procédure ou de manquements à l’équité procédurale ; ou 3) ceux qui font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur (AUCC, aux par. 19 et 20; Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211, aux par. 16 à 18). Le PGC prétend que les pièces qu’il mentionne ne sont visées par aucune de ces exceptions.

[38]  Je m’arrête pour signaler que, contrairement à la situation qui prévalait dans l’autre décision Cadostin, celle dont la juge Walker était saisie, le PGC ne demande pas que certaines des pièces sur lesquelles s’appuie M. Cadostin soient exclues au motif qu’elles n’ont pas été déposées à la Cour au moyen d’un affidavit, car M. Cadostin a bel et bien joint ces pièces à son affidavit et que le pouvoir du PGC de procéder à un contre-interrogatoire n’a pas été entravé en l’espèce (Cadostin, au par. 32).

[39]  Je souscris en partie aux observations formulées par le PGC au sujet des pièces déposées par M. Cadostin. Personne ne conteste que la preuve figurant dans certaines de ces pièces – preuve valablement présentée à la Cour en tant qu’élément constitutif du dossier certifié du tribunal [DCT] préparé par la Commission – est admissible et que la Cour peut en tenir compte dans ses motifs. Je conviens également que les pièces qui n’ont pas été portées à l’attention de la Cour et ne faisaient pas partie du DCT sont inadmissibles et que la Cour ne peut en tenir compte pour évaluer la légalité de la décision en cause dans le présent contrôle, si elles ne sont pas visées par l’une ou l’autre des exceptions limitées relevées dans l’arrêt AUCC.

[40]  Cela dit, si M. Cadostin parvient à démontrer qu’il peut se prévaloir de l’une des exceptions mentionnées dans l’arrêt AUCC, la Cour peut alors prendre en considération les pièces présentées même si la Commission n’en disposait pas et qu’elles n’ont pas été incluses dans le DCT. En l’occurrence, la seule de ces exceptions qui puisse s’appliquer est celle concernant les documents susceptibles d’apporter des preuves sur des vices de procédure ou des manquements à l’équité procédurale. Dans ses observations orales et écrites, M. Cadostin a soulevé constamment des questions liées à l’équité procédurale dans la conduite et la gestion du processus de nomination CO‑1, et je reconnais que certaines des pièces en question pourraient venir en aide à la Cour dans la mesure où elles se rapportent à l’équité du processus d’enquête. Je suis convaincu que l’avantage que la Cour pourra tirer de l’admission de ces pièces, quoique faible, a préséance sur le préjudice causé au défendeur et le fait que la Commission ne disposait pas de cette preuve.

[41]  Je me permets une dernière remarque sur un point bien précis, à savoir la bande sonore contenant les enregistrements que l’enquêteuse a réalisés de ses entretiens avec M. Cadostin dans le cadre des enquêtes sur les processus de nomination AS‑4 et CO‑1. Ces enregistrements audio accompagnaient l’affidavit de M. Cadostin ; le PGC a joint ces mêmes enregistrements à l’affidavit de Mme Marie LaTerreur, qu’il a déposé avec sa réponse. M. Cadostin s’est largement appuyé sur les enregistrements dans ses observations écrites ainsi qu’à l’audience, et il a même prié la Cour d’en écouter de nombreux extraits pendant sa plaidoirie. Il est admis que la Commission ne disposait pas de la bande sonore à proprement parler et que cette dernière ne fait pas partie du DCT. Toutefois, dans la mesure où M. Cadostin s’est servi des enregistrements audio de ses entretiens pour étayer ses allégations de manquement à l’équité procédurale, la Cour en a tenu compte dans les présents motifs.

[42]  M. Cadostin se plaint également du fait que la bande sonore ne lui a été envoyée qu’après la conclusion de l’enquête. Je reviendrai sur ce point au moment d’examiner les allégations de M. Cadostin concernant les manquements à l’équité procédurale survenus au cours du processus de nomination CO‑1, mais à ce stade, j’aimerais préciser que, comme dans l’autre décision Cadostin, M. Cadostin a pu se servir de la bande sonore et se remémorer ainsi les entretiens afin de préparer ses observations pour la Cour, notamment sur la question des déclarations qu’il avait faites lors de ces entretiens et qui auraient été déformées par l’enquêteuse.

[43]  J’ajouterais que M. Cadostin s’est aussi appuyé, dans ses observations, sur les enregistrements audio des entretiens que l’enquêteuse avait eus avec chacun des gestionnaires de RCAANC. La Commission ne disposait pas de ces enregistrements, qui ont cependant été joints à l’affidavit de Mme LaTerreur. Une fois de plus, dans la mesure où M. Cadostin s’est servi de ces enregistrements pour prouver qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans le cadre du processus d’enquête ayant abouti à la décision en cause, la Cour en a tenu compte dans les présents motifs.

B.  La décision en cause relevait de la compétence de la Commission

[44]  Comme premier argument de fond à l’encontre de la décision en cause, M. Cadostin soutient que la Commission devait recevoir une plainte ou une demande de l’employeur responsable du processus de nomination (c’est‑à‑dire, RCAANC) avant de pouvoir lancer une enquête. Il prétend donc que la Commission n’avait pas la compétence pour mener la deuxième enquête sur le processus de nomination CO‑1, puisque RCAANC n’en avait jamais fait la demande.

[45]  En tout respect, cet argument est sans fondement.

[46]  L’article 69 de la LEFP confère expressément à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire d’enquêter « [s]i elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination ». Il n’y a aucune autre condition à remplir. En effet, la LEFP ne dit nulle part, que ce soit dans cette disposition ou ailleurs, qu’une plainte doit être déposée pour que la Commission puisse entreprendre une enquête sur une fraude, ou encore que l’employeur concerné doit présenter, sous une forme ou une autre, une demande d’enquête. En réalité, M. Cadostin a été incapable de citer une seule décision jurisprudentielle à l’appui de sa position.

[47]  Dans l’arrêt Seck, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’article 69 de la LEFP est rédigé en termes généraux, parce qu’il vise à assurer la probité du processus de nomination. Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’une nomination découle des actes frauduleux allégués pour qu’il y ait fraude au sens de l’article 69 de la LEFP (Seck, aux par. 42 et 43). Par ailleurs, comme l’a rappelé la juge Walker dans l’autre décision Cadostin, l’article 69 se distingue du reste des dispositions de la LEFP, comme les articles 66, 67 et 68, qui exigent une nomination – réelle ou proposée – pour que des mesures correctives puissent être prises (Cadostin, aux par. 44 et 45, citant Seck, aux par. 45 et 46).

[48]  L’article 69 de la LEFP confère de vastes pouvoirs et rien dans ses termes n’empêche la Commission de faire enquête en l’absence d’une demande ou d’une plainte en ce sens. En fait, selon les lignes directrices de la Commission en matière de motifs d’enquête, lesquelles sont accessibles au public et figurent en annexe de l’affidavit de Mme LaTerreur, la Commission doit prendre en compte « les renseignements obtenus par n’importe quel moyen, y compris, sans s’y limiter, les constatations des vérifications, les préoccupations soulevées par des personnes, l’information interne et les informations diffusées par les médias ». En d’autres termes, l’enquête visée par l’article 69 de la LEFP peut être motivée par de nombreux événements ou avoir de nombreuses sources, du moment que ceux-ci incitent la Commission à avoir des « motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude ». Il était donc, en l’espèce, du ressort de la Commission et tout à fait justifié de sa part de lancer une enquête en l’absence d’une plainte ou d’une demande en ce sens, étant donné que l’information provenant de RCAANC et de la première enquête soulevait des préoccupations légitimes concernant la façon d’agir de M. Cadostin dans le cadre du processus de nomination CO‑1 et une éventuelle récurrence de références frauduleuses.

C.  La décision en cause et les mesures prises par la Commission sont raisonnables

[49]  Comme deuxième argument principal à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Cadostin prétend que la décision de la Commission d’accepter le rapport d’enquête et d’ordonner des mesures correctives était déraisonnable. M. Cadostin, qui n’était pas représenté par un avocat, a déposé de longues observations écrites comportant un vaste éventail d’allégations liées à la première enquête comme à la deuxième. Essentiellement, il fait valoir que l’enquêteuse et la Commission ont ignoré les éléments de preuve démontrant que ses références n’étaient pas frauduleuses et ceux témoignant du fait qu’il avait été un bon employé tout au long de sa carrière. M. Cadostin affirme aussi que la décision en cause ne tenait pas compte de la preuve établissant qu’il avait été victime d’harcèlement de la part de son ancien superviseur, de discrimination raciale et enfin, d’abus de pouvoir tout au long du processus d’enquête. Il prétend par ailleurs que l’enquêteuse a menti et qu’elle a délibérément dissimulé des faits prouvant son innocence. De plus, la décision en cause aurait fait abstraction de sa demande de correction des faux renseignements contenus dans le rapport d’enquête et n’aurait pas traité des observations détaillées qu’il a présentées en mars 2019 après avoir reçu la version provisoire du rapport.

[50]  Je ne partage pas l’avis de M. Cadostin et j’estime au contraire que la décision est raisonnable.

[51]  À l’issue d’une enquête approfondie et de deux entretiens menés avec M. Cadostin, l’enquêteuse a préparé un rapport d’enquête détaillé faisant état des motifs et de la preuve à l’origine de ses constats défavorables concernant la crédibilité de M. Cadostin et de ses conclusions de fait quant à la conduite frauduleuse de ce dernier lors de la vérification de ses références.

[52]  En particulier, l’enquêteuse a correctement apprécié ses conclusions à l’encontre du critère à deux volets permettant d’établir s’il y a eu fraude au sens de l’article 69 de la LEFP, critère que la Cour d’appel fédérale a défini dans l’arrêt Seck. La Cour d’appel y a adopté la définition de fraude issue du droit criminel, tout en précisant que la norme de preuve de la prépondérance des probabilités était celle qui devait s’appliquer dans le contexte de l’article 69 (Seck, au par. 38; Lemelin, au par. 51). Aux fins de l’article 69 de la LEFP, la fraude comporte deux éléments essentiels : la malhonnêteté et la privation (Seck, au par. 39). Il y a malhonnêteté lorsque sont « sciemment employé[s] la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif dans le cadre d’une procédure de nomination » (Seck, au par. 40), ce qui peut également s’entendre de la non‑divulgation ou de la dissimulation de faits importants. Quant à la privation, elle est établie lorsque le processus de nomination aurait pu être compromis (Seck, au par. 41). Cela dit, la Commission n’a pas à prouver que le processus a réellement été compromis ou que l’on y a porté atteinte.

[53]  Le rapport d’enquête et les commentaires de M. Cadostin ont ensuite été présentés à la Commission. La Commission a accepté le rapport sans modifications, ayant jugé que les commentaires reçus n’avaient pas fait ressortir la nécessité d’y apporter des changements, et elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Cadostin avait commis une fraude au sens de l’article 69 dans le cadre du processus de nomination CO-1. Puis, conformément à ce qui est expressément prévu à l’article 69 de la LEFP, la Commission a ordonné la révocation de la nomination de M. Cadostin et la prise d’autres mesures correctives jugées indiquées dans les circonstances.

[54]  J’ai examiné le DCT, le rapport d’enquête et la décision en cause et j’ai écouté attentivement les enregistrements audio des entretiens réalisés avec M. Cadostin et avec les gestionnaires de RCAANC, et je suis convaincu que les conclusions auxquelles l’enquêteuse est arrivée sur les questions de malhonnêteté et de privation sont fondées et que les mesures correctives arrêtées par la Commission pouvaient se justifier, et qu’elles l’ont été dans ses motifs. Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle ni aucune lacune décisive dans le rapport d’enquête et dans la décision en cause. À mon humble avis, l’enquêteuse et la Commission ont donné des motifs détaillés qui démontrent que la décision de la Commission était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur la Commission et sur la question en litige (Société canadienne des postes, au par. 30; Vavilov, aux par. 105 à 107).

[55]  Aux termes de l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par le décideur sont le point de départ de l’analyse. En effet, ils constituent le principal outil dont disposent les décideurs administratifs pour « montrer aux parties concernées que leurs arguments ont été pris en compte et démontre[r] que la décision a été rendue de manière équitable et licite » (Vavilov, au par. 79). Les motifs servent à expliquer le processus décisionnel et la raison d’être d’une décision ainsi qu’à démontrer qu’elle est justifiée, transparente et intelligible. Dans le cas de M. Cadostin, on trouve ces motifs à la fois dans la décision de la Commission et dans le rapport d’enquête que cette dernière a accepté. Je suis convaincu que le rapport d’enquête et la décision en cause expliquent les conclusions tirées par la Commission de manière transparente et intelligible (Vavilov, aux par. 81 et 136; Société canadienne des postes, aux par. 28 et 29; Dunsmuir, au par. 48) et que les motifs me permettent de comprendre le fondement de cette décision. Cela vaut pour les conclusions de malhonnêteté et de privation comme pour les mesures correctives imposées par la Commission.

(1)  La malhonnêteté

[56]  En ce qui concerne la question de la malhonnêteté, l’enquêteuse a conclu, compte tenu de l’ensemble de la preuve réunie lors des deux enquêtes, que M. Cadostin n’était pas crédible et qu’il avait dissimulé des faits importants dans le cadre de sa demande d’emploi, tant au sujet de ses références que de son superviseur.

[57]  Sur la question des références, l’enquêteuse a tiré un certain nombre de conclusions de fait remettant en question l’authenticité des lettres de recommandation présentées par M. Cadostin. L’enquêteuse a relevé que lors du premier entretien, M. Cadostin avait prétendu ne pas avoir été mêlé à l’été 2017, au remplissage des formules des références. Or, M. Cadostin a modifié sa version des faits lorsqu’il a été révélé dans le rapport factuel relatif à la première enquête que les formules avaient été remplies sur un même ordinateur. En fait, M. Cadostin a reconnu avoir lui‑même fourni les réponses aux questions de vérification adressées aux personnes qui lui servaient de références. L’enquêteuse a pris en considération l’explication de M. Cadostin selon laquelle ces personnes lui avaient demandé de remplir les formules en leur nom, mais elle ne l’a pas retenue. Elle a également constaté que toutes les formules présentaient les mêmes omissions notoires dans leurs coordonnées et dans l’information relative à l’expérience professionnelle de M. Cadostin ; toutes avaient en outre été remplies par un même auteur, « Proprio », qui avait pu être relié à l’ordinateur personnel de M. Cadostin. Qui plus est, les références avaient toutes refusé de parler à l’enquêteuse pour confirmer leur identité ou les dates et la durée d’emploi de M. Cadostin ; par ailleurs, les recherches indépendantes effectuées par l’enquêteuse ne lui ont pas permis de relier ces personnes à leur entreprise respective alléguée. Enfin, bien que M. Cadostin ait produit des copies des courriels de confirmation, datés de juin, juillet et août 2017, que les personnes lui ayant servi de références auraient envoyés pour confirmer qu’elles avaient approuvé les formules de recommandation, il n’a pas été en mesure de fournir à l’enquêteuse les courriels originaux.

[58]  Compte tenu du témoignage incohérent donné par M. Cadostin quant à sa participation à la rédaction des formulaires et de la preuve documentaire donnant à penser qu’il était l’auteur des lettres de recommandation présentées, la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle M. Cadostin avait agi de façon malhonnête dans le cadre de la vérification de ses références pour les besoins du processus de nomination CO-1 était justifiable et justifiée. Je suis également convaincu qu’il n’était pas déraisonnable que l’enquêteuse et la Commission jugent que la conduite des auteurs des lettres de recommandation était incompatible avec celle de personnes ayant accepté de se prêter à l’exercice.

[59]  En ce qui concerne M. De Luca, le témoignage de M. Cadostin a changé au cours de l’enquête. L’enquêteuse a examiné les allégations de harcèlement de M. Cadostin, mais elle n’a pas trouvé crédible la nouvelle explication de sa décision d’exclure M. De Luca de sa liste de références. Comme cela avait été le cas pour le processus de nomination AS-4 examiné dans l’autre décision Cadostin, l’enquêteuse a conclu que le refus de M. Cadostin d’inclure M. De Luca parmi ses références était en réalité motivé par la crainte de recevoir des commentaires défavorables. La conclusion voulant que M. Cadostin ait donné de faux renseignements en omettant d’inclure son superviseur du moment lors du processus de vérification des références est étayée par la preuve.

[60]  M. Cadostin affirme que les courriels de confirmation qu’il a reçus de ses références et présentés à l’enquêteuse prouvaient son innocence et que l’enquêteuse et la Commission n’en ont pas tenu compte. Je suis d’avis que cette allégation n’est pas compatible avec le rapport d’enquête et la preuve au dossier. L’enquêteuse et la Commission ont eu accès aux courriels des personnes ayant servi de références ainsi qu’aux observations de M. Cadostin quant à leur importance. Dans son rapport d’enquête, l’enquêteuse a fait référence à ces courriels, notamment à ceux qui ont été envoyés à M. Cadostin à l’été 2017 au sujet des formules (qui figurent aux annexes 4, 5 et 6 du rapport) et à ceux envoyés plus tard, entre février 2018 et janvier 2019, à la suite des vérifications qu’elle a effectuées (paragraphes 70 à 77 du rapport). De la même façon, dans la décision en cause, la Commission a évoqué les observations reçues de M. Cadostin. Toutefois, comme les documents produits au sujet des formules envoyées à l’été 2017 n’étaient pas les courriels originaux, l’enquêteuse ne pouvait pas s’appuyer sur eux pour établir l’authenticité des recommandations. De plus, puisque l’enquêteuse entretenait un doute quant à l’exactitude de ces recommandations, il lui était permis de conclure dans son rapport que les courriels reçus de leurs auteurs par la suite, soit entre février 2018 et janvier 2019, ne justifiaient pas qu’elle modifie ses conclusions, à savoir que, selon la prépondérance des probabilités, les références fournies par M. Cadostin lors du processus de vérification étaient fausses. Aux paragraphes 96 à 112 du rapport d’enquête, l’enquêteuse expose en détail l’appréciation de la preuve à laquelle elle s’est livrée, et j’estime qu’il était raisonnable de conclure comme elle l’a fait que, selon la prépondérance des probabilités, les personnes censées servir de références n’avaient pas approuvé les formules.

[61]  M. Cadostin prétend que la Commission a omis de tenir compte des nombreux commentaires qu’il avait formulés suivant l’examen du rapport d’enquête, commentaires qui auraient pu le disculper. Là encore, l’affirmation est inexacte. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’enquêteuse a évoqué les éléments de preuve reçus de M. Cadostin et les a explicitement examinés dans son rapport. Dans la décision en cause, la Commission a également déclaré avoir tenu compte de l’ensemble des commentaires reçus, puis conclu que les nouveaux renseignements ne justifiaient pas de modifier le rapport d’enquête. Ainsi, l’enquêteuse et la Commission n’ont pas fait fi de la preuve venant des références : elles ont simplement décidé de ne pas y prêter foi. Le fait que M. Cadostin désapprouve la façon dont l’enquêteuse et la Commission ont traité ses éléments de preuve ne signifie pas que la Commission ait fait abstraction de ses commentaires. Le décideur disposait de toute l’information pertinente, mais il n’a tout simplement pas jugé convaincantes les observations de M. Cadostin.

[62]  Au vu de ces constatations factuelles et du fait que l’enquêteuse n’a pas jugé M. Cadostin crédible, je ne puis me convaincre qu’il était déraisonnable que cette dernière en arrive à conclure que, selon l’explication la plus probable, M. Cadostin avait fabriqué les lettres de recommandation et délibérément omis d’inclure M. De Luca pour éviter de recevoir des commentaires défavorables. Il suffit de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que de fausses recommandations ont été fournies ou que des faits pertinents ont été dissimulés pour établir la malhonnêteté et ainsi satisfaire au premier volet du critère de la fraude (Seck, au par. 42; Nur c Canada (Procureur général), 2013 CF 978, au par. 29, conf. par 2015 CAF 69).

(2)  La privation

[63]  Pour ce qui est du second volet du critère de la fraude, à savoir la privation ou le risque de privation, la preuve est claire. Par ses actes, M. Cadostin a compromis le processus de nomination CO-1, puisqu’il a effectivement été nommé au poste de CO-1 sur la foi de fausses références. Je suis donc convaincu que la conclusion tirée par l’enquêteuse sur la question de la privation était raisonnable, car pour satisfaire à l’exigence de l’article 69 de la LEFP, il suffit de montrer que le processus de nomination aurait pu être compromis.

(3)  Les mesures correctives

[64]  En ce qui concerne les mesures correctives imposées à M. Cadostin par la Commission, je ne suis pas non plus persuadé qu’elles soient déraisonnables. Dans l’arrêt Seck, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les mesures correctives sont des mesures administratives destinées à assurer l’intégrité du processus de nomination, et non des mesures disciplinaires (Seck, aux par. 48 à 51). La révocation d’une nomination est une mesure explicitement prévue à l’alinéa 69a) de la LEFP. Ce n’est pas une mesure disciplinaire, parce qu’en cas de fraude, la nomination est nulle et non avenue. Par ailleurs, en vertu de l’alinéa 69b), la Commission peut prendre toute autre mesure corrective qu’elle juge indiquée. Dans la présente affaire, le fait d’exiger que M. Cadostin avise la Commission avant d’accepter un autre emploi dans la fonction publique fédérale constitue une mesure raisonnable qui cadre avec la mission générale de la Commission, laquelle consiste à assurer la crédibilité et la transparence du processus de nomination dans la fonction publique (Cadostin, au par. 80; Dayfallah, aux par. 101 à 105). Les choix de mesures correctives arrêtés par la Commission commandent une retenue considérable (Dayfallah, au par. 108).

[65]  Bref, je ne vois, dans l’ensemble des conclusions tirées par la Commission et l’enquêteuse, rien qui puisse justifier une intervention de la Cour.

[66]  La norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision porte une « attention respectueuse à l’expertise établie du décideur » et à ses connaissances spécialisées, telles qu’elles ressortent de ses motifs (Vavilov, au par. 93). Cette norme a pour point de départ la retenue judiciaire. La cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur, car la norme de la décision raisonnable « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, au par. 33; Dunsmuir, aux par. 48 et 49). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, lorsqu’une question mixte de faits et de droit s’inscrit parfaitement dans le domaine d’expertise d’un décideur, le rôle de la cour de révision n’est pas d’imposer l’approche de son choix (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au par. 57). Naturellement, la cour de révision doit s’assurer que la décision à l’examen est justifiée par rapport aux faits qui sont pertinents, mais la déférence qui est due aux décideurs signifie plus précisément de s’en remettre à leurs conclusions de fait et à leur appréciation de la preuve. Ainsi, une cour de révision devrait éviter « de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Société canadienne des postes, au par. 61; Vavilov, au par. 125).

[67]  Il est bien établi que le décideur est présumé avoir soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on démontre le contraire (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au par. 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au par. 1). Le fait de ne pas mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en considération (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au par. 16 et le décideur n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui sous‑tend ses conclusions.

[68]  En réalité, dans la présente affaire, la preuve dont M. Cadostin prétend que l’enquêteuse et la Commission ont omis de tenir compte a bel et bien été considérée, mais celles-ci ne l’ont pas acceptée et ne l’ont pas retenue à l’issue de leur examen. En fin de compte, dans les arguments qu’il avance, M. Cadostin exprime simplement son désaccord avec l’appréciation que la Commission fait de la preuve. Essentiellement, il demande à la Cour de reprendre l’examen du dossier, d’analyser à nouveau la preuve qu’il a présentée et de tirer ses propres conclusions quant aux faits et à la question de la crédibilité. Or, ce n’est pas là le rôle que la Cour est appelée à jouer lorsqu’elle procède au contrôle de conclusions de fait au regard de la norme de la décision raisonnable, et elle n’est pas non plus appelée à apprécier à nouveau l’importance relative que le décideur a accordée à un facteur ou un élément de preuve particulier. (Seck, au par. 66). Qu’il s’agisse d’arrêter des conclusions de fait, d’apprécier la crédibilité d’un témoin ou de tirer des inférences raisonnables de la conduite de personnes qui ont fourni des références, toutes ces fonctions se situent au cœur de l’expertise et des connaissances particulières que possèdent la Commission et l’enquêteuse en matière d’enquêtes pour fraude menées sous le régime de la LEFP. Cette expertise commande déférence et retenue de la part de la cour de révision.

[69]  M. Cadostin n’a pas réussi à me convaincre que les conclusions de l’enquêteuse et de la Commission ne reposaient pas sur la preuve dont celles-ci disposaient réellement (Vavilov, au par. 126). Je ne pense pas non plus qu’il s’agisse d’une situation où l’enquêteuse ou la Commission se sont fondamentalement méprises sur la preuve qui leur a été soumise ou n’en ont pas tenu compte. Je reconnais qu’il aurait été préférable d’avoir plus de précisions sur la manière avec laquelle l’enquêteuse a procédé à l’appréciation et à l’analyse des éléments de preuve qui ont été obtenus en 2018 auprès des personnes ayant fourni des références et qui sont mentionnés aux paragraphes 70 à 77 du rapport d’enquête. Je suis toutefois convaincu que l’enquêteuse a traité valablement des questions importantes et des arguments centraux soulevés par M. Cadostin et qu’elle s’est montrée attentive et sensible à la preuve qui lui a été soumise.

[70]  J’ajoute que les motifs écrits que fournit un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au par. 91). Il n’est pas nécessaire que ces motifs soient exhaustifs ou parfaits. Il suffit qu’ils soient compréhensibles et justifiés. Les motifs doivent être lus dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Vavilov, au par. 85 ; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 53 ; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au par. 3). Lors d’un contrôle judiciaire, la cour de révision doit éviter de se lancer dans une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »; elle doit plutôt aborder les motifs et le résultat de la décision du tribunal comme un « tout » (Vavilov, au par. 102 ; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au par. 138 ; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Irving Pulp & Paper, Ltd, 2013 CSC 34, au par. 54). Ainsi, la Cour doit se pencher sur les motifs en vue de les « comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, au par. 15). Si je considère la décision de la Commission et le rapport d’enquête comme un tout, en évitant toute vision fragmentaire, j’ai la conviction que l’enquêteuse et la Commission se sont livrées à une appréciation approfondie et détaillée de la preuve, et je ne vois aucune raison d’intervenir.

[71]  Par ailleurs, je ne crois pas inutile de répéter que, lors d’un contrôle judiciaire, la question qui se pose n’est pas de savoir si la Cour en serait arrivée à la même conclusion que la Commission, ni même si la conclusion est correcte (Vavilov, aux par. 24 et 25). En fait, l’exercice de la retenue judiciaire suppose d’accorder à la Commission la latitude de prendre des décisions dans son domaine d’expertise lorsque ses motifs sont compréhensibles et rationnels et qu’ils aboutissent à une issue légitimement envisageable au regard des faits et du droit applicables. Lors d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable, dès lors que le processus et l’issue possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et que la décision du tribunal inférieur est appuyée par des éléments de preuve acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la cour siégeant en révision doit se garder de substituer ses propres opinions à celles du tribunal inférieur quant au résultat approprié (Newfoundland Nurses, aux par. 16 et 17).

(4)  L’allégation de traitement malveillant

[72]  L’un des thèmes centraux développés par M. Cadostin dans ses observations est que l’enquêteuse a menti, l’a intimidé et a délibérément fait abstraction de ses éléments de preuve. Je ne suis pas d’accord et ne constate aucun signe d’intimidation, de malveillance ou de dissimulation de faits de la part de cette dernière, que ce soit dans le rapport d’enquête ou dans les documents se rapportant au processus d’enquête suivi par la Commission. J’ai écouté attentivement les enregistrements audio des entretiens réalisés avec M. Cadostin et je note une divergence appréciable entre, d’une part, leur contenu véritable et, d’autre part, le récit et l’interprétation faits par M. Cadostin de ce qui a été dit et accompli par l’enquêteuse. Je ne suis pas d’avis que l’enquêteuse a adopté un ton accusateur ou manqué de respect envers ce dernier lors de ces entretiens. Les enregistrements révèlent tout le contraire : l’enquêteuse a écouté avec ouverture le témoignage de M. Cadostin, mais celui‑ci s’est montré incapable de donner des explications convaincantes. En particulier, la thèse de M. Cadostin voulant que l’enquêteuse ait eu pour objectif d’obtenir sa révocation est erronée, puisque cette dernière l’a simplement informé du fait que la révocation était l’une des conséquences possibles de l’enquête.

[73]  En outre, je ne peux souscrire à l’affirmation selon laquelle les enregistrements audio permettent de mettre en lumière les mensonges que recèlerait le rapport de l’enquêteuse ou disculpent M. Cadostin de toute conduite fautive pendant le processus de nomination. En réalité, lorsqu’il qualifie de mensonges, de faussetés ou de suppositions les propos de l’enquêteuse, M. Cadostin exprime indirectement son désaccord avec les constatations de fait et les conclusions de cette dernière.

[74]  En outre, je suis d’avis que les passages des enregistrements audio que M. Cadostin relève explicitement dans ses documents et que l’on a fait jouer pendant l’instance, confirment l’exactitude du rapport d’enquête. Contrairement à ce qu’affirme M. Cadostin, les passages relatifs à Téléglobe/BCE, les références au compte « Proprio » et à l’utilisation de son ordinateur personnel, ou encore à M. De Luca, ne dénotent aucune intention malveillante ou déformation des faits de la part de l’enquêteuse. Par exemple, lorsqu’elle évoque de bons rapports avec M. De Luca, elle reprend simplement les mots que M. Cadostin a lui-même employés. Selon moi, loin de contredire les observations de l’enquêteuse, les extraits sonores que M. Cadostin a choisis confirment la justesse de ses constatations de fait, lesquelles l’autorisaient raisonnablement à conclure au caractère frauduleux de la conduite adoptée par M. Cadostin dans le cadre du processus de vérification.

(5)  Conclusion

[75]  La cour siégeant en révision d’une décision doit être convaincue que la lacune ou la déficience invoquée par la partie contestant cette décision est suffisamment capitale ou grave pour rendre cette décision déraisonnable (Vavilov, aux par. 96, 97 et 100). Ces lacunes fondamentales peuvent prendre la forme d’un manque de logique interne du raisonnement ou d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. En l’espèce, je ne suis pas convaincu que nous ayons affaire à une situation où le processus logique par lequel les faits ont été déduits de la preuve aurait été vicié, où la Commission se serait fondamentalement méprise sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en aurait pas tenu compte, ou encore où elle aurait tiré une conclusion qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve (Vavilov, au par. 126; Dunsmuir, au par. 47). L’enquêteuse et la Commission connaissaient tous les faits et ont tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents. Autrement dit, les erreurs alléguées par M. Cadostin ne révèlent aucune faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique globale et ne m’incitent pas à douter du résultat auquel est arrivée la Commission (Vavilov, au par. 122; Société canadienne des postes, aux par. 52 et 53).

[76]  Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Je suis convaincu que c’est le cas en l’espèce, et M. Cadostin ne m’a pas persuadé que la décision de la Commission ou le rapport d’enquête qui lui sert d’appui souffrent de lacunes graves au point qu’il soit permis d’affirmer que cette décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

D.  Le processus suivi par la Commission était équitable sur le plan procédural

[77]  M. Cadostin prétend également que la Cour devrait annuler la décision de la Commission car il a été victime de nombreuses violations de son droit à l’équité procédurale du fait de l’enquête sur le processus de nomination CO-1 réalisée par la Commission. À cet égard, il reprend bon nombre des déclarations qu’il avait faites au sujet du processus de nomination AS-4 et qui ont été examinées et rejetées dans l’autre décision Cadostin.

[78]  M. Cadostin allègue globalement que l’enquêteuse avait un parti pris pour l’employeur, qu’elle a menti à maintes reprises dans son rapport d’enquête, qu’elle ne lui a témoigné ni respect ni égard et que le processus d’enquête était entièrement injuste et extrêmement mal géré. Il se plaint aussi plus particulièrement du fait que l’enquêteuse et la Commission ont toutes deux refusé de lui communiquer des renseignements sur l’enquête, qu’elles ont notamment retenu les enregistrements audio de ses entretiens jusqu’à la conclusion de l’enquête, qu’elles ont délibérément dissimulé des faits et qu’elles l’ont faussement accusé.

[79]  Je ne trouve pas convaincantes les observations de M. Cadostin ; au contraire, je trouve qu’à chaque étape de l’enquête, l’enquêteuse et la Commission ont suivi un processus entièrement conforme aux principes d’équité procédurale.

[80]  L’évaluation du caractère équitable d’une décision sur le plan procédural doit se faire cas par cas, et les exigences de l’obligation d’équité procédurale sont éminemment variables. La nature et la portée de l’obligation varieront en fonction du contexte précis, des situations factuelles variées dont sera saisi le décideur administratif ainsi que de la nature des différends qu’il sera appelé à résoudre. De façon plus générale, le processus suivi par le décideur sera considéré comme équitable lorsqu’il accorde aux parties touchées le droit de se faire entendre et l’entière possibilité de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre. Il est important de souligner que, quelle que soit la situation, la notion d’équité procédurale renvoie au processus suivi par le décideur (Baker, au par. 26) ; elle ne crée aucun droit formel et ne garantit aucune issue particulière. En d’autres termes, l’obligation d’agir équitablement n’a rien à voir avec le fondement ou le contenu d’une décision, ni avec un résultat particulier dans le traitement d’une question; M. Cadostin ne peut donc pas prétendre à quelque droit qui obligerait la Commission ou l’enquêteuse à se ranger à son propre avis.

[81]  Je reconnais que le degré d’équité procédurale requis est particulièrement élevé lorsqu’une personne est visée par une enquête pour fraude sous le régime de la LEFP, étant donné que son droit au maintien de son emploi est en jeu (Seck, au par. 57; Lemelin c Canada (Procureur général), 2018 CF 286 [Lemelin], au par. 43). Par conséquent, l’allégation de fraude formulée dans le contexte d’un processus de nomination comme celui en l’espèce exige un niveau plutôt élevé d’équité procédurale (Lemelin, au par. 44, citant Samatar c Canada (Procureur général), 2012 CF 1263 [Samatar], aux par. 124 et 125). Cela dit, pour trancher la question de savoir si le processus suivi par la Commission était équitable sur le plan procédural, la Cour doit simplement être convaincue que M. Cadostin a été informé du « fond de l’affaire » et des éléments essentiels de la preuve réunie par l’enquêteuse (Lemelin, au par. 49; Dayfallah, au par. 48).

[82]  Dans les circonstances, je ne décèle aucun manquement aux principes d’équité procédurale dans la manière dont le processus d’enquête ayant abouti à la décision en cause a été géré et suivi par la Commission et l’enquêteuse. Bien au contraire. Je suis convaincu que M. Cadostin était bien au fait de ce qui lui était reproché en substance et qu’il a eu de multiples occasions de répondre aux éléments essentiels de la preuve recueillie par l’enquêteuse et de comprendre les arguments qu’il devait réfuter. L’affirmation de M. Cadostin selon laquelle on ne lui a pas donné une possibilité acceptable de se faire entendre et de répondre aux arguments formulés contre lui ne tient pas compte du contenu véritable de la décision en cause ni des faits entourant le traitement de cette enquête. En réalité, le processus suivi par l’enquêteuse et la Commission s’est révélé conforme, à toutes les étapes, aux exigences procédurales établies par la Cour d’appel fédérale et par la Cour pour les enquêtes relatives à de possibles fraudes visées à l’article 69 de la LEFP.

[83]  Dans une lettre datée du 10 mai 2018, M. Cadostin a été informé qu’une enquête serait menée sur sa conduite lors du processus de nomination au poste CO-1, car il était soupçonné d’avoir fourni de fausses lettres de recommandation. Il était en possession des éléments de preuve pertinents dès le début, puisqu’au cours de l’enquête, il a admis avoir rempli lui-même les formules au nom des trois personnes désignées comme références et, d’après ses dires, avec leur consentement. La lettre de la Commission précisait que l’enquête serait fondée sur l’article 69 de la LEFP, que l’enquêteuse communiquerait avec lui et qu’il avait le droit d’être accompagné par une personne de son choix tout au long de l’enquête. Ainsi, dès le départ, M. Cadostin connaissait parfaitement les raisons de l’enquête.

[84]  De plus, M. Cadostin a été interrogé deux fois : une première fois le 31 janvier 2018, à l’ouverture de la première enquête, et une seconde fois le 20 août 2018, après avoir formulé des commentaires au sujet du rapport relatif à la première enquête. M. Cadostin a également eu l’occasion de présenter des observations sur le rapport factuel et sur le rapport d’enquête. L’enquêteuse a présenté son rapport factuel le 17 octobre 2018 et M. Cadostin y a répondu par des observations longues et approfondies le 29 novembre 2018. Puis, le 19 février 2019, M. Cadostin s’est vu remettre la version provisoire du rapport d’enquête, accompagnée d’une lettre qui référait au rapport et exposait les mesures correctives proposées. Une fois de plus, M. Cadostin s’est prévalu de la possibilité de formuler des commentaires. Le 15 mars 2019, il a déposé, sous la forme d’un document de plus de 110 pages, des observations détaillées qui répondent pratiquement à chaque paragraphe du rapport d’enquête provisoire. La Commission a examiné ses observations et les a prises en compte, comme elle l’a expressément déclaré dans la décision en cause. Un délégué syndical a assuré la représentation de M. Cadostin tout au long du processus.

[85]  Ce processus, qui a été suivi par l’enquêteuse et la Commission, était en tous points conforme à celui qui a été décrit par la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 60 à 62 de l’arrêt Seck et repris par la juge Walker au paragraphe 51 de la décision rendue dans l’autre décision Cadostin :

– La personne doit être informée dès le début de la tenue de l’enquête et des raisons de l’enquête. Si elle n’est pas en possession des éléments de preuve à l’origine de l’enquête, la Commission doit les lui fournir.

– La personne doit avoir l’occasion de présenter sa version des événements dans le cadre de l’enquête.

– La personne doit recevoir le rapport factuel provisoire et avoir la possibilité de le commenter, tout comme elle doit ensuite recevoir une copie du rapport d’enquête final et avoir la possibilité de le commenter et de commenter les mesures correctives proposées.

[86]  En somme, la démarche suivie dans le dossier de M. Cadostin par l’enquêteuse et par la Commission reprend étape par étape un processus que les tribunaux ont constamment jugé conforme à l’équité procédurale dans les enquêtes sur des fraudes menées en vertu de la LEFP. M. Cadostin a été bien informé de la teneur de la preuve recueillie par l’enquêteuse et produite devant la Commission et il a eu de multiples occasions de répondre à cette preuve et de formuler toutes les observations pertinentes relativement à celle‑ci (Dayfallah, au par. 45). Je peux conclure sans aucune hésitation que, compte tenu de la preuve susmentionnée, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

[87]  Dans la partie de ses observations où il invoque l’équité procédurale, M. Cadostin s’insurge tout particulièrement contre le fait que l’enquêteuse aurait supposément tardé à lui remettre une copie des enregistrements audio de ses entrevues. Selon lui, il s’agit d’une violation des obligations qui incombent à la Couronne en matière de communication de la preuve dans les affaires criminelles, obligations qui ont été définies par la Cour suprême dans l’arrêt R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326. Je ne suis pas d’accord avec M. Cadostin et j’estime que ses récriminations à ce chapitre sont infondées. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que M. Cadostin a reçu l’enregistrement audio de son premier entretien le 17 octobre 2018, à la conclusion de la première enquête. Le 25 avril 2019, après le prononcé de la décision en cause, il s’est vu remettre les enregistrements audio de ses deux entretiens.

[88]  La preuve dont dispose la Cour démontre qu’en retardant la remise des enregistrements audio des entretiens de M. Cadostin jusqu’à la clôture des enquêtes, l’enquêteuse n’a fait que suivre la procédure normale de la Commission. Si la Commission ne fournit pas les enregistrements d’entretiens pendant qu’une enquête a cours, c’est pour empêcher que leur contenu ne parvienne aux témoins qui n’ont pas encore été interrogés et ainsi préserver l’intégrité du processus d’enquête. J’estime, à l’instar du PGC, que cette façon de procéder est raisonnable. Et de fait, la Cour a déclaré qu’un enquêteur n’est pas tenu de fournir à la personne visée par une enquête le compte rendu des témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête, et ce, même si la personne le lui demande (Lemelin, au par. 46).

[89]  En outre, M. Cadostin voulait obtenir le compte rendu de son propre témoignage. Or, il était présent lors des deux entretiens et était naturellement bien au fait de ce qu’il avait déclaré à l’enquêteuse. Comme le fait remarquer la juge Walker dans l’autre décision Cadostin, le simple fait que M. Cadostin aurait pu se servir des enregistrements pour se remémorer leur contenu ne suffit pas pour établir l’existence d’un manquement à l’équité procédurale (Cadostin, au par. 55). J’ajouterais que, dans les longues observations qu’il a présentées au sujet du rapport d’enquête en mars 2019, avant le prononcé de la décision en cause, M. Cadostin a pu s’aider des enregistrements audio et il a fait mention de nombreux passages de ces bandes pour appuyer ses allégations, à savoir que l’enquêteuse avait menti ou qu’elle avait présenté de manière inexacte les déclarations ou le témoignage de M. Cadostin. Comme je l’ai déclaré plus haut lors de l’analyse du caractère raisonnable de la décision en cause, je suis convaincu que les enregistrements audio confirment l’exactitude du rapport d’enquête.

[90]  En somme, ni la façon dont les enregistrements audio ont été mis à disposition ni le contenu de ces enregistrements ne témoignent d’un manquement à l’équité procédurale.

[91]  Devant la Cour, lorsqu’il a présenté ses arguments sur l’équité procédurale, M. Cadostin a également affirmé à maintes reprises que l’enquêteuse mentait dans son rapport d’enquête lorsqu’elle déclarait n’avoir jamais reçu les « courriels originaux » venant des personnes lui ayant servi de références. Il prétend que c’est faux, car au moins une de ces personnes a écrit directement à l’enquêteuse par courriel.

[92]  À mon avis, M. Cadostin confond deux questions. Certes, quelques courriels ont été envoyés directement par les auteurs des lettres de recommandation pour donner suite aux démarches de vérification que l’enquêteuse avait entreprises. En fait, dans son rapport d’enquête, l’enquêteuse fait explicitement référence à quelques-unes des communications échangées directement avec ces personnes et aux réponses reçues de ces dernières en février, août et septembre 2018 ainsi qu’en janvier 2019. Cependant, elle n’a pas trouvé ces éléments de preuve convaincants, car elle ne les a pas retenus dans son analyse. Cela dit, les [TRADUCTION] « courriels originaux » auxquels elle renvoie sont ceux qui ont été envoyés entre juin et août 2017, lorsque les formules ont été fournies et utilisées aux fins du processus de nomination, et qui ont incité RCAANC à embaucher M. Cadostin au poste de CO-1. Afin de vérifier l’authenticité des courriels reçus des personnes ayant servi de références à l’époque, l’enquêteuse a tenté d’obtenir les courriels originaux qu’elles étaient censées avoir envoyés avec les formules, mais elle n’a pu se les procurer. En annexe du rapport d’enquête se trouvent les messages de ces personnes que M. Cadostin a fait suivre à l’enquêteuse et qui montrent ses échanges avec elles lorsque les formules ont été remplies. L’enquêteuse a souligné qu’elle n’avait pu confirmer l’authenticité de ces courriels, car M. Cadostin n’était pas en mesure d’en présenter les originaux.

[93]  Selon M. Cadostin, l’enquêteuse a écrit dans son rapport n’avoir jamais reçu de communication originale provenant de ses références. Cette affirmation est inexacte : le rapport d’enquête et ses annexes renvoient expressément aux échanges de courriels entre M. Cadostin et les auteurs supposés des lettres de recommandation, de même qu’entre ces derniers et l’enquêteuse. En réalité, l’enquêteuse a dressé une liste exhaustive de toute la preuve dont elle disposait et après l’avoir considérée, elle a conclu qu’il était impossible de confirmer l’identité des auteurs des lettres de recommandation, estimant plus probable que M. Cadostin ait lui-même rédigé les courriels afférents aux formules. Ayant relevé des contradictions dans ces courriels, elle a offert à M. Cadostin la possibilité de fournir des explications, ce qu’il a échoué à faire de façon satisfaisante. M. Cadostin peut certes se dire en désaccord avec ces conclusions, mais cela n’a pas pour effet de les invalider ou de lever le voile sur un manquement à l’équité procédurale.

[94]  Je mentionnerai un dernier point. Dans ses observations relatives à l’équité procédurale, M. Cadostin s’est référé abondamment à la décision rendue par la Cour dans l’affaire Samatar. Invoquant plus particulièrement les passages où le juge Martineau insiste sur la gravité des violations au demeurant flagrantes des principes d’équité procédurale dans ce dossier (Samatar, aux par. 179 et 194 à 196), M. Cadostin s’est appuyé sur cette décision pour condamner le processus d’enquête suivi par la Commission dans l’affaire Samatar et faire valoir que l’enquête sur le processus de nomination au poste de CO‑1 avait elle aussi pris une tournure qui la faisait ressembler, « sous le couvert de la légalité », à une sorte de « chasse aux sorcières » (Samatar, au par. 195). Il avait d’ailleurs présenté des arguments du même ordre devant la juge Walker concernant le processus de nomination au poste AS‑4.

[95]  À mon avis, l’affaire Samatar n’est guère utile à la cause de M. Cadostin, car elle fait intervenir des faits très différents de sa propre situation. Je ne crois pas me tromper en affirmant que plus les faits d’une affaire s’éloignent du cadre factuel d’un précédent, plus ce dernier perd de sa pertinence; or, c’est précisément le cas ici. Mme Samatar n’a jamais pris part à aucun concours; elle a fourni des références pour une candidate, Mme Seck, dont il a été confirmé qu’elle avait commis une fraude et qui est en fait l’appelante dans l’arrêt Seck, précité, de la Cour d’appel fédérale. Même si son rôle s’était limité à donner des références, Mme Samatar avait elle-même été accusée de fraude et soumise à une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP. La Commission a conclu qu’elle s’était elle aussi rendue coupable de fraude, alors qu’elle n’avait fait qu’affirmer avoir supervisé la candidate, sans préciser que ce n’était pas comme « superviseure » en titre. Mme Samatar n’a jamais menti sur son titre et n’a jamais déclaré avoir été la superviseure de la candidate. C’est plutôt la candidate, Mme Seck, qui, à l’insu de Mme Samatar, l’avait présentée comme étant sa « superviseure » lorsqu’elle avait remis sa liste de références à l’employeur éventuel.

[96]  Quoi qu’il en soit, la Commission a imposé à Mme Samatar les mêmes sanctions qu’à la candidate, soit l’obligation d’obtenir la permission écrite de la Commission avant de pouvoir accepter un poste au sein de la fonction publique fédérale, et ce, pour une durée de trois ans. Par ailleurs, il importe de signaler que Mme Samatar avait reçu l’avis d’enquête uniquement après son entrevue et que, comme le note le juge Martineau, cet avis ne mentionnait pas qu’elle était elle-même passible de sanctions (Samatar, au par. 139). Le juge Martineau a conclu que la façon dont la Commission avait mené l’enquête avait entraîné de graves violations des droits de Mme Samatar en matière d’équité procédurale. Il a souligné que Mme Samatar n’avait pas été informée dès le début de l’enquête de la nature des allégations ou de la preuve qui pesaient contre elle personnellement. Avant l’entretien, elle s’était seulement fait dire que celui-ci allait porter sur la candidature de Mme Seck. De plus, Mme Samatar n’a pas eu la possibilité de formuler des commentaires sur les nouveaux éléments de preuve présentés tardivement pendant l’enquête ni sur le rapport final adressé à la Commission.

[97]  Cette situation est bien loin de celle de M. Cadostin. Dans le cas présent, on ne saurait prétendre que M. Cadostin n’a jamais été régulièrement avisé de la tenue d’une enquête ou qu’il a été privé de la possibilité de présenter des commentaires au sujet du rapport d’enquête. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où l’on peut affirmer que les actes reprochés à M. Cadostin sont si anodins ou secondaires pour le processus de nomination qu’ils ne sauraient raisonnablement être considérés comme une fraude. Au contraire, les actes qu’il a commis ont joué un rôle central dans le processus de nomination au poste de CO-1. Bien que la décision Samatar confirme l’importance de l’équité procédurale dans les enquêtes pour fraude menées par la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP, elle n’en illustre pas moins de façon éloquente que le traitement accordé à M. Cadostin n’a aucun des attributs de la procédure inique subie par Mme Samatar. Dit autrement, le processus suivi par la Commission dans le dossier de M. Cadostin n’a pas été compromis par de graves lacunes procédurales de l’ordre de celles relevées par le juge Martineau dans la décision Samatar. Par conséquent, pour reprendre les propos de la juge Walker dans la décision Cadostin, l’issue qu’a connue ce précédent ne modifie pas la conclusion à laquelle je suis arrivé, à savoir que ni l’enquêteuse ni la Commission n’ont porté atteinte au droit de M. Cadostin à une enquête conforme à l’équité procédurale dans le cadre du processus de nomination CO‑1 (Cadostin, au par. 59).

E.  Le processus d’enquête et la décision de la Commission n’ont pas porté atteinte aux droits garantis par la Charte à M. Cadostin

[98]  En dernier lieu, M. Cadostin soutient qu’il y a eu atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte dans le cadre du processus de nomination au poste de CO‑1. Il invoque à cet effet l’alinéa 11h) et les articles 7, 12 et 15 de la Charte, de même que la protection contre la double incrimination appliquée à l’arbitrage en droit du travail. Il prétend, en particulier, qu’il n’aurait pas dû faire l’objet d’une enquête et de sanctions disciplinaires à deux reprises pour une même conduite.

[99]  Je ne suis pas de cet avis et j’estime qu’aucun des arguments de M. Cadostin relatifs à la Charte n’est fondé.

[100]  Le libellé de l’article 7 de la Charte se lit comme suit : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. » Quant à l’article 12, il est libellé ainsi : « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. » Il est bien établi que ces deux articles ne visent pas à protéger les droits de nature purement économique ou la possibilité d’exercer une profession donnée (Mussani c College of Physicians and Surgeons of Ontario, 248 DLR (4th) 632, 74 OR (3d) 1 (CA ON), aux par. 39 à 43). Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il n’existait aucun droit à une nomination au sein de la fonction publique fédérale (Seck, au par. 54). Malgré les nombreux renvois que fait M. Cadostin à ces deux dispositions dans ses observations, il se trouve qu’elles ne s’appliquent tout simplement pas à sa situation.

[101]  En ce qui concerne l’article 15 et du principe de l’égalité de tous devant la loi, j’observerais que M. Cadostin n’a pas cité de motif de discrimination particulier dans ses observations, bien qu’il prétende avoir été victime de racisme dans les divers documents qu’il a déposés. M. Cadostin n’a présenté aucune preuve étayant ses allégations de discrimination raciale et je conviens, à l’instar du PGC, qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’il y avait eu violation de l’article 15. Il n’a produit aucune preuve propre à démontrer en quoi la décision de la Commission établissait une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue ou comment une telle distinction le désavantageait par la perpétuation d’un préjugé ou l’application d’un stéréotype (R c Kapp, 2008 CSC 41, au par. l7). Il n’y a donc aucun fondement à son allégation d’atteinte aux droits qui lui sont garantis par l’article 15 de la Charte.

[102]   Enfin, M. Cadostin a invoqué à maintes reprises la protection contre la double incrimination. Sur le fondement de l’alinéa 11h) de la Charte et de cette protection appliquée à l’arbitrage en droit du travail, il affirme que, comme il a déjà été soumis à une enquête et à des mesures disciplinaires dans le cadre du processus de nomination au poste de AS‑4 pour avoir fourni de fausses références, ces dernières ne peuvent servir à le sanctionner une deuxième fois relativement au processus de nomination au poste de CO-1. Je conclus que cet argument est totalement dénué de fondement. D’abord, aux termes de l’alinéa 11h), « [t]out inculpé a le droit [...] d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni ». Cette disposition vise à offrir une protection contre la double incrimination en contexte pénal et à empêcher l’imposition d’une double peine pour les mêmes actes. Il est tout à fait évident que cette disposition de la Charte n’a aucun rôle à jouer dans le cas de M. Cadostin, car son application est expressément limitée aux affaires criminelles (R c Wigglesworth, [1987] 2 RCS 541, au par. 11). L’article 69 de la LEFP ne relève pas du droit criminel et M. Cadostin n’a pas fait l’objet d’une inculpation dans le contexte de la décision en cause.

[103]  Du reste, que ce soit dans le cadre d’une affaire criminelle ou d’un arbitrage en droit du travail, ce principe n’est d’aucun secours pour M. Cadostin, car sa situation n’a rien à voir avec un cas de double incrimination. Il a été jugé que M. Cadostin avait commis une fraude à l’occasion de deux processus de nomination distincts visant des postes différents et menés par des ministères différents, et le fait qu’il ait employé dans les deux cas les mêmes références falsifiées et le même stratagème ne signifie pas qu’il doive répondre de ses actes dans un seul de ces cas et échapper à toute responsabilité dans l’autre.

[104]  C’est faire insulte au bon sens et à la raison d’être de la protection contre la double incrimination que de prétendre que M. Cadostin s’expose à une double peine. Les efforts de M. Cadostin visent à transformer cette protection en une forme d’immunité pour les auteurs d’une double violation ou d’une double faute. Cela est absurde. S’il est établi qu’une personne a dépassé la limite de vitesse permise sur une autoroute alors qu’elle était au volant d’un véhicule et que cette infraction lui attire des sanctions, il est certain qu’elle ne sera pas pour autant à l’abri de nouvelles sanctions dans le cas où elle ferait pareil à bord du même véhicule, mais sur une route de campagne ou une autre autoroute. Accepter la conception élargie et inconsidérée de la double incrimination que propose M. Cadostin reviendrait à introduire à même la Charte ou le principe de la primauté du droit une mesure de protection pour les récidivistes. Or, à ma connaissance, il n’existe pas de principe ou de règle de droit qui permette de défendre cette idée.

IV.  Conclusion

[105]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de M. Cadostin est rejetée. Lorsque la Cour est saisie d’une demande comme celle dont il est question ici, son rôle consiste à contrôler la légalité de la décision en cause ainsi qu’à trancher la question de savoir si cette décision a été rendue à l’issue d’une procédure équitable et si elle est raisonnable. Après avoir examiné le rapport d’enquête et la décision en cause, je suis convaincu que les conclusions de la Commission reposent sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elles sont justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la Commission est assujettie. La décision en cause possède les attributs d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et je n’y ai relevé aucune lacune grave m’incitant à douter du résultat auquel est arrivée la Commission. De plus, considérant les circonstances et le contexte particuliers de cette enquête pour fraude, je suis d’avis que l’enquêteuse et la Commission ont suivi un processus équitable offrant à M. Cadostin le droit de se faire entendre et l’entière possibilité de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre. Il n’y a eu aucun manquement à un principe d’équité procédurale ni aucune atteinte aux droits garantis par la Charte à M. Cadostin.

[106]  Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire et de la situation des parties, et à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑732‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mars 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-732-19

 

INTITULÉ :

CADOSTIN, MACKENZY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Mackenzy Cadostin

Pour le DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Fraser Harland

Pour le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

 

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