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     Date : 19971222

     Dossier : IMM-5294-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MULDOON

ENTRE:


TEJINDER PAL SINGH,

requérant,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

intimé.


ORDONNANCE

     VU la requête du requérant visant à obtenir une ordonnance cassant ou annulant l"opinion du ministre en date du 8 décembre 1997, donnée conformément au sous-alinéa 46.01(1) e)(ii) de la Loi sur l"immigration, et par conséquent à surseoir à l"exécution de la mesure d"expulsion prononcée contre le requérant; et


     APRÈS avoir entendu par téléphone les avocats de chacune des parties le 20 décembre 1997,

     LA COUR rejette la requête du requérant.


F.C. Muldoon

__________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     Date : 19971222

     Dossier : IMM-5294-97

ENTRE:


TEJINDER PAL SINGH,

requérant,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

intimé.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1] Le Canada n"est pas un refuge pour les terroristes. Le Canada est un refuge pour les réfugiés, pour autant que leur nombre reste dans les limites du raisonnable. Cependant, un réfugié, par définition, n"est pas un terroriste. La Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, définit ainsi l"expression "réfugié au sens de la Convention1":

         Toute personne:                 
         a) qui, craignant avec raison d"être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:                 
             (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ...                 
         b) n"a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).                 
         Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l"application de la Convention par les sections E ou F de l"article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l"annexe de la présente loi.                 

***

[2] Le paragraphe (2) ne présente pas d"intérêt ici, mais l"annexe, dans laquelle figurent les sections E et F de l"article premier de la Convention des Nations Unies, renferme ce qui suit:

     E. ...         
     F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuse de penser:         
     a) qu"elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l"humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;         
     b)         
     c) qu"elles se sont rendues coupables d"agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.         


[3] Le requérant, Tejinder Pal Singh, était et est encore un membre et un partisan du Dal Khalsa, un groupe politique sikh dont l"objectif est d"établir en Inde, par la violence, un Khalistan séparé et indépendant. Le 29 septembre 1981, lors d"une tentative aussi dangereuse que brutale et aussi stupide qu"égocentrique faite pour promouvoir l"établissement de cette patrie sikh, le requérant, M. Singh, et quatre complices, ont commis un acte de terrorisme en détournant un avion indien, qu"ils firent dévier de sa route régulière pour le diriger vers l"aéroport de Lahore, au Pakistan. Des commandos pakistanais parvinrent à soumettre les pirates de l"air du Dal Khalsa et les arrêtèrent, heureusement sans effusion de sang, semble-t-il, encore qu"à un certain moment, l"un des complices du requérant ait placé son kirpan (un poignard) sur la gorge du pilote ou du copilote.

[4] Le requérant fut plus tard jugé au Pakistan et déclaré coupable de détournement (l"acte de terrorisme avait commencé en Inde) par la Cour spéciale pour la répression du terrorisme (pas précisément une juridiction qui s'en tient au principe de la primauté du droit énoncé par Dicey, mais l"on ne sait pas jusqu"à quel point). Tejinder Pal Singh fut condamné à l"emprisonnement à perpétuité pour son acte politique terroriste, tel qu"il appert de l"affidavit produit par Murray Wilkinson (pièce B) et tel que l"a reconnu l"avocat de Singh.

[5] Le requérant est-il un terroriste consommé? Dès sa remise en liberté, lorsque fut commuée en 1994 sa peine d"emprisonnement, le requérant chantait victoire à un reporteur de The News International (19 octobre 1994); voici l"article:


     [TRADUCTION]         
     Pendant ce temps, s"adressant au journaliste à Gurdwara Dera Sahib, Tajinder [sic] a juré de continuer le combat pour le Khalistan.         
         À une question qui lui était posée, il a répondu: "L"objectif du détournement était de faire connaître notre plaidoyer pour l"indépendance. L"Inde doit se rappeler que nous sommes nés militants et que nous userons de représailles contre ceux qui nous refuseront le droit à notre patrie (le Khalistan)."         
         Interrogé sur les raisons pour lesquelles l"avion avait été détourné vers le Pakistan, il a répondu: "Je voudrais donner ici un exemple. Une personne à qui l"on demandait la définition de l"amitié a répondu: deux personnes qui ont le même ennemi. Cela devrait répondre à votre question."         

(Affidavit de M. Wilkinson, pièce C)

     Ailleurs dans le même article, le requérant est appelé Taljinderpal Singh.         

[6] Tejinder Pal Singh est arrivé à Toronto le 13 mai 1995, sous une fausse identité, Gurmeet Singh, et muni d"un faux passeport. La Cour en infère qu"il savait que, s"il n"essayait pas de duper le Canada de cette façon, il serait contraint de faire demi-tour et serait renvoyé, sans même être sorti de l"aéroport.

[7] La pièce A de l"affidavit de M. Wilkinson est la déclaration solennelle d"un agent d"immigration qui, le 22 septembre 1995, en compagnie de Mme L et de M. D, deux agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), a fait passer une entrevue au requérant, lequel renonça aux services d"un avocat. Les passages pertinents relatent l"aveu du requérant en ce qui concerne sa participation à la tentative manquée de détournement et mentionnent:

         -      qu"il a été déclaré coupable au Pakistan et a passé les 13 dernières années dans une prison de ce pays...                 
         -      que le nom de son groupe est "Dal Khalsa";...                 
         -      qu"il sera tué par le gouvernement indien s"il est renvoyé en Inde;                 
         -      que lui et quatre autres membres du groupe Dal Khalsa ont détourné en 1981 vers le Pakistan un avion des lignes intérieures de la compagnie Indian Airlines transportant des passagers, afin de sensibiliser l"opinion internationale à leur cause;                 
         -      qu"il est arrivé au Canada depuis le Pakistan sur un vol des Pakistani Airlines, muni d"un passeport pakistanais qui lui a été remis au Pakistan, et qu"il est arrivé à Toronto le 13 mai 1995;...                 
         -      qu"il est venu au Canada pour sauver sa vie et qu"il a utilisé le nom de Gurmeet Singh lorsqu"il est arrivé à Toronto;                 
         -      qu"il serait resté au Canada sous le nom de Gurmeet Singh étant donné qu"il a fait une revendication du statut de réfugié sous ce nom, pour pouvoir travailler ici et poursuivre sa lutte à l"aide de moyens pacifiques;                 

[8] Dans la pièce J de l"affidavit, le même agent d"immigration récapitule, en juin 1996, sa conversation de septembre 1995 avec le requérant. Voici quelques passages:

                 [TRADUCTION]
                 M. Singh m"a informé que, en 1981, il était un membre actif d"une organisation politique appelée le Dal Khalsa. Je sais que ce groupe est un groupe terroriste extrémiste qui cherche à établir en Inde, par des moyens violents, un État séparé appelé Khalistan.                
                 M. Singh m"a ensuite informé que lui-même et quatre autres membres du Dal Khalsa ont participé au détournement d"un avion des lignes intérieures de la compagnie Indian Airlines. Avant l"embarquement, M. Singh et ses complices avaient obtenu des billets d"avion et des directives sur la manière de procéder au détournement. M. Singh a mentionné que son rôle était de surveiller la cabine centrale des passagers durant le vol pendant que les autres membres de son équipe entreraient dans le poste de pilotage pour détourner l"avion vers le Pakistan.                
                 ...                
                 À sa libération, M. Singh s"est fait remettre un faux passeport pakistanais par un certain Gurvinder Singh, qui, selon M. Singh, était le chef du Dal Khalsa. Gurvinder Singh lui a ensuite ordonné de se rendre au Canada, où il devait poursuivre les activités du Dal Khalsa.                
                 Depuis son arrivée au Canada, M. Singh a maintenu le contact et a eu plusieurs échanges avec Gurvinder Singh.                
                 Tejinder Pal Singh m"a informé qu"il reste un partisan des buts du Dal Khalsa et aussi qu"il est un membre actif du Dal Khalsa.                
                 M. Singh a déclaré que le faux passeport qu"il a utilisé pour entrer au Canada était sous le nom de Gurmeet Singh. Il avait l"intention de demeurer au Canada sous ce nom. Il n"a jamais eu l"intention de divulguer sa véritable identité aux autorités canadiennes.                
                 Vers la fin de l"entrevue, M. Singh a demandé qu"on lui rende ses bracelets, ses sous-vêtements et son kirpan. On lui a dit qu"il était improbable que la prison lui retourne les articles en question, en particulier le kirpan, et cela pour des raisons de sécurité. M. Singh a répondu qu"il ne pouvait comprendre pourquoi cela posait un problème et a expliqué qu"il pouvait tuer quelqu"un en utilisant simplement son pouce.                
                 M. Singh a été prié de dire où il avait appris à faire cela et, au lieu de répondre, il s"est limité à sourire en haussant les épaules.                
[9] Il ne fait aucun doute que Tejinder Pal Singh a été déclaré coupable de détournement d"un aéronef civil, et le dossier ne permet pas de douter qu"il a bien commis ce crime. Il était l"un de cinq pirates qui agissaient de concert. Le tribunal pakistanais a déclaré M. Singh et ses complices coupables de l"infraction mentionnée à l"article 402-A du Code pénal du Pakistan, une infraction punissable de la manière que prévoit l"article 402-B. L"article 402 est formulé ainsi (ce que ne conteste pas le requérant):
                 [TRADUCTION]
                 402-A      Commet un détournement quiconque illégalement, par violence ou menace de violence, quelle qu"en soit la forme, s"empare d"un aéronef ou exerce le contrôle d"un aéronef.                
                 402-B      Quiconque commet, complote de commettre, tente de commettre ou aide à commettre un détournement sera puni de mort ou d"un emprisonnement à perpétuité et sera passible également de confiscation de ses biens et d"une amende.                
[10] Selon l"article 34 de ce Code pénal, les conspirateurs et complices impliqués dans un acte criminel sont coupables au même titre que l"auteur principal parce qu"ils partageaient les mêmes desseins.
[11] Le crime dont le requérant a été déclaré coupable est-il assimilable à l"infraction prévue par l"article 76 du Code criminel du Canada? Voici l"article 76:
                 DÉTOURNEMENT.                 
                 76. Est coupable d"un acte criminel et passible de l"emprisonnement à perpétuité quiconque, illégalement, par violence ou menace de violence ou par tout autre mode d"intimidation, s"empare d"un aéronef ou en exerce le contrôle avec l"intention, selon le cas:                 
                      a)      de faire séquestrer ou emprisonner contre son gré toute personne se trouvant à bord de l"aéronef;                 
                      b)      de faire transporter contre son gré, en un lieu autre que le lieu fixé pour l"atterrissage suivant de l"aéronef, toute personne se trouvant à bord de l"aéronef;                 
                      c)      de détenir contre son gré toute personne se trouvant à bord de l"aéronef en vue de rançon ou de service;                 
                      d)      de faire dévier considérablement l"aéronef de son plan de vol.                 
[12] L"avocat de Tejinder Pal Singh n"a pas contesté l"équivalence des deux infractions mentionnées dans les lois pénales des deux pays, une équivalence constatée par l"arbitre P. Kyla dans son rapport du 30 mai 1997. Voici les propos de l"arbitre:
                 [TRADUCTION]
                 ... M. Singh est également un membre de la catégorie non admissible mentionnée au sous-alinéa 19(1) c.1)(i) de la Loi sur l"immigration. Comme il est au Canada une personne qui n"est pas un citoyen canadien ou un résident permanent, il est donc visé par l"alinéa 27(2) a), c"est-à-dire qu"il appartient aux catégories visées par les alinéas 19(1) c.1) et 19(1) f)(ii). Il est donc, en raison de sa revendication pendante de statut de réfugié, passible d"une mesure d"expulsion conditionnelle conformément au paragraphe 32.1(4) de la Loi.                 
                 (Affidavit de M. Wilkinson, pièce R, p. 10)                 
[13] Sont reproduites ci-après les dispositions de la Loi sur l"immigration, qui font ressortir la pertinence de la relation entre les dispositions du Code pénal du Pakistan et l"article 76 du Code criminel:
PARTIE III
EXCLUSION ET RENVOI
Catégories non admissibles
                 19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:                 
                 ...                 

                 c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu"elles ont, à l"étranger                 
                     (i) soit été déclarées coupables d"une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable , aux termes d'une loi fédérale, d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du gouverneur en conseil de leur réadaptation et du fait qu"au moins cinq ans se sont écoulés depuis l"expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l"infraction,                 
                     (ii) soit commis un fait -- acte ou omission -- qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s"il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d"une loi fédérale, d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans,                 
                     sauf si elles peuvent justifier auprès du gouverneur en conseil de leur réadaptation et du fait qu"au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;                 
                 ...                 
                 f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu"elles:                 
                      (i) soit se sont livrées à des actes d"espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s"entend au Canada,                 
                      (ii) soit se sont livrées à des actes de terrorisme;                 
                      (iii) soit sont ou ont été membres d"une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu"elle se livre ou s"est livrée:                 
                              (A) soit à des actes d"espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s"entend au Canada,                 
                              (B) soit à des actes de terrorisme,                 
                 le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l"intérêt national;                 
                 ...                 
                 27.(2) L"agent d"immigration ou l"agent de la paix doit, sauf si la personne en cause a été arrêtée en vertu du paragraphe 103(2), faire un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre de renseignements concernant une personne se trouvant au Canada autrement qu"à titre de citoyen canadien ou de résident permanent et indiquant que celle-ci, selon le cas:                 
                     a) appartient à une catégorie non admissible, autre que celles visées aux alinéas 19(1) h) ou 19(2) c); [non applicable]                 
                     ...                 
                     g) est entrée au Canada ou y demeure soit sur la foi d"un passeport, visa -- ou autre document relatif à son admission -- faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d"une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d"un tiers;                 
[14] Le requérant Tejinder Pal Singh est une personne visée par les dispositions ci-dessus de la Loi sur l"immigration, et les conclusions de l"arbitre sont justes. L"arbitre a donc le 29 février 1996 prononcé une mesure d"expulsion conditionnelle parce que le requérant avait, lui un terroriste, fait une revendication du statut de réfugié. Le persécuteur impitoyable de civils innocents affirme aujourd"hui qu"il est pourchassé (et pas seulement poursuivi). M. Singh connaissait parfaitement le "jeu" dangereux, et même mortel, auquel il se livrait. Tout pirate de l"air qui n"est pas un idiot -- et Tejinder Pal Singh n"a rien d"un idiot -- sait que les détournements d"aéronefs finissent toujours mal; les pirates de l"air n"atteignent pour ainsi dire jamais les objectifs dont ils font une idée fixe dans la préparation de leur forfait. Les pirates font toujours courir aux passagers innocents un risque de graves blessures ou de mort, parce qu"ils sont presque toujours abattus ou d"une autre manière neutralisés et cela devant les passagers innocents qu"ils détiennent par la terreur.
[15] La Cour n"a pas à prononcer sur la légitimité d"organisations telles que le Dal Khalsa ou l"I.R.A.; et elle admet que M. Singh et le Dal Khalsa, tout comme l"I.R.A., sont probablement tout à fait sincères lorsqu"ils affirment que leurs objectifs déclarés doivent être atteints. Cependant, la Cour ne peut que condamner les moyens sanglants et sauvages qu"ils emploient pour réaliser leurs desseins. Ils se mettent délibérément en guerre avec la société civilisée et doivent s"attendre à récolter la colère de cette société, selon sa loi -- à l"exception bien sûr de la torture. Ces terroristes ne sont pas et ne peuvent être des réfugiés au sens de la Convention, et, s"ils sont connus et démasqués à un point d"entrée, ils ne sont pas même admissibles au Canada.
[16] Que peut alors légitimement faire le ministre avec un terroriste qui a tenté de s"introduire au Canada? Le ministre a le pouvoir d"agir comme le prévoit l"article 46.01 de la Loi. Par une lettre en date du 6 juin 1996, le requérant a été informé que le ministre songeait à appliquer l"article 46.01. Puisqu"il ne souhaite pas être expulsé vers l"Inde, le pays dont il est ressortissant, il a certainement eu amplement le temps de voir si un autre pays de son choix serait disposé à le recevoir. Est-il confiné pour cette raison? Par ses actes de terrorisme, il a délibérément fait son propre lit. Le 5 juin 1997, l"avocat de M. Singh a été informé par lettre (pièce T de l"affidavit de M. Wilkinson) de l"intention d"obtenir du ministre, conformément au sous-alinéa 46.01(1) e) (ii) de la Loi, l"avis selon lequel il serait contraire à l"intérêt public de faire étudier sa revendication aux termes de la Loi sur l"immigration. Vu les faits, il est clair que Tejinder Pal Singh n"est pas un réfugié et ne peut prétendre à un tel statut.
[17] Les dispositions pertinentes de la Loi sont formulées ainsi:
     46.01(1) La revendication de statut n"est pas recevable par la section du statut si l"intéressé se trouve dans l"une ou l"autre des situations suivantes:         
     ...         
     e)      l"arbitre a décidé qu"il appartient à l"une des catégories visées:         
         (i) ...         
         (ii) aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l), et, selon le ministre, il serait contraire à l"intérêt public de faire étudier sa revendication aux termes de la présente loi.         
[18] Dans la lettre du 5 juin 1997, l"enquêteur mentionnait tout ce dont le ministre tiendrait compte, y compris chaque document, et il invitait l"avocat du requérant à lui soumettre ses observations écrites et ses conclusions, ainsi que toute pièce jugée pertinente. L"avocat n"a pas répondu à cette invitation. On notera que le requérant et son avocat ont été informés qu"il y aurait "évaluation de la menace que vous représentez pour le public au Canada, et du risque possible que vous courez et qui pourrait être précipité si vous étiez renvoyé dans le pays où vous étiez avant d"arriver au Canada, dans le pays où vous résidez en permanence, dans le pays dont vous êtes un ressortissant ou dans le pays où vous êtes né" (italique ajouté). M. Singh est arrivé du Pakistan muni d"un faux passeport pakistanais, mais, s"il est expulsé, il sera expulsé vers l"Inde, le pays où il est né et dont il est un ressortissant, puisqu"il n"a semble-t-il jamais indiqué un pays où il se sentirait plus en sécurité qu"en Inde.
[19] Le ministre avait devant lui tous les éléments de preuve et tous les renseignements que lui avait présentés un représentant du ministère, ainsi que le "nombre considérable de pièces" transmises par l"avocat du requérant. Le 8 décembre 1997, Mme Lucienne Robillard, ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, a, conformément au sous-alinéa 46.01(1) e)(ii) de la Loi sur l"immigration, signé un document affirmant que, selon elle, il serait contraire à l"intérêt public de faire étudier aux termes de la Loi la revendication de Tejinder [sic ] Pal Singh. L"avis du ministre constitue la pièce V de l"affidavit de M. Wilkinson.
[20] Le requérant conteste la validité de l"avis du ministre parce que, selon lui, il n"a pas tenu compte, par caprice, des mauvais traitements qu"il subira s"il est expulsé vers l"Inde. (Son avocat a admis qu"il a détourné l"avion d"Indian Airlines, avec ses passagers innocents à bord, mais autrement il n"a pas fait mention du grave préjudice que son client a fait subir à l"Inde ni de la manière dont il avait juré à des journalistes qu"il continuerait d"agresser l"Inde et son peuple, au lieu de chercher à les persuader de la prétendue légitimité de sa cause.)
[21] L"avocat a mentionné une récente décision de la SSR dans laquelle un revendicateur accusé de détournement a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention et a échappé à une expulsion vers l"Inde. C"était l"avis de cette formation particulière de la SSR. Selon l"avocat du requérant, il y a pour le requérant bien davantage lieu de craindre qu"il sera agressé et torturé lorsqu"il tombera sous les griffes de la police de l"Inde, en particulier au Punjab, s"il décide de se rendre dans cet État. L"Inde est un immense pays.
[22] Le Comité des Nations Unies sur la torture, à Genève, a été informé en septembre 1997 du triste sort du requérant et aujourd"hui, le 18 décembre 1997, le Comité a fait savoir aux avocats du requérant que:
     [TRADUCTION]         
     Conformément à la règle 108, paragraphe 1, des règles de procédure du Comité, un exemplaire de la communication [des avocats] a été envoyé à l"État partie [le Canada] aujourd"hui, avec mention que les informations ou observations portant sur la question de l"admissibilité devaient parvenir au Comité dans un délai de deux mois.         
     En conformité avec la règle 108, paragraphe 9, des règles de procédure du Comité, l"État partie a également été prié de ne pas expulser M. Tejinder [sic ] Pal Singh vers l"Inde, tant que sa communication [c"est-à-dire son allégation] est examinée par le Comité.         
[23] Les avocats du ministre affirment que, selon les règles des Nations Unies, cette correspondance ex parte doit être tenue confidentielle à ce stade et que l"observation des règles des Nations Unies l"ont empêché d"étudier cette affaire, étant donné que le Canada n"a pas même eu le temps d"engager les trois ministres (Affaires étrangères, Citoyenneté et Immigration et Justice) dans des consultations afin de formuler la réponse du Canada à cette demande ex parte . Quoi qu"il en soit, le gouvernement ne lui a pas demandé de retirer son opposition à la demande de M. Singh visant à faire surseoir à l"exécution de la mesure d"expulsion prononcée contre lui, mesure qui maintenant n"est plus conditionnelle.
[24] La Cour n"est pas convaincue que le requérant a prouvé les trois moyens énoncés dans l"affaire Toth. La Cour ne croit pas que l"examen, par le ministre, du danger couru par M. Singh (un danger auquel il s"est exposé lui-même par fanatisme) a été de quelque façon déficient, et encore moins capricieux. L"examen effectué est expliqué dans la pièce U de l"affidavit de M. Wilkinson, aux pages 5 à 7, sous la rubrique: Examen du risque entraîné par le renvoi. La Cour se satisferait d"un risque moindre si M. Singh était la victime malheureuse de persécutions pour des raisons ne dépendant pas de sa volonté, par exemple sa couleur, sa race, sa nationalité, et même sa religion ou encore l"exercice par lui de ses droits fondamentaux. Si M. Singh est en danger, c"est parce que ses actes de terrorisme, ceux qu"il a commis et ceux qu"il voudrait encore commettre, font de lui le persécuteur et parce qu"il s"est volontairement exposé au danger. D"ailleurs, il y a lieu de croire que la plus grande démocratie du monde n"a pas pour principe de pratiquer la brutalité policière ou de l"encourager, et le grand bruit fait autour du cas de M. Singh est probablement la meilleure protection de M. Singh contre toute éventuelle brutalité, puisque le gouvernement de l"Inde ne voudra pas s"exposer au discrédit pour avoir, plus ou moins secrètement, soumis à de mauvais traitements l"un de ses ressortissants renvoyé du Canada. Bien sûr, l"Inde pourrait encore traduire en justice M. Singh pour la partie de son forfait qu"il a commise en Inde, mais ce n"est là qu"un risque qu"il a décidé il y a longtemps de courir.
[25] Pour ces motifs, la Cour rejette la demande du requérant visant à faire annuler l"avis du ministre. L"irrégularité de cet avis selon la loi n"a pas été démontrée, et l"avis par conséquent demeure. Comme il est indiqué ci-dessus, puisqu"il ne peut y avoir de revendication du statut de réfugié, le requérant n"est pas un réfugié, et la mesure d"expulsion n"est plus conditionnelle. M. Singh se trouve illégalement au Canada, il est un terroriste et il est passible d"expulsion. Si la Cour arrive à ces conclusions, c"est parce que le ministre a valablement exprimé l"avis qu"il serait contraire à l"intérêt public d"admettre un terroriste, un non-réfugié, et d"engager la Section du statut de réfugié dans une revendication futile.
F.C. Muldoon
___________________________________
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 22 décembre 1997
Traduction certifiée conforme
C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-5294-97
INTITULÉ :                  TEJINDER PAL SINGH. c. M.C.I.
LIEU DE L"AUDIENCE :          OTTAWA ET VANCOUVER
DATE DE L"AUDIENCE :          le samedi 20 décembre 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE M. LE JUGE MULDOON

EN DATE DU              22 décembre 1997

ONT COMPARU

M. Paul Sandhu                          POUR LE REQUÉRANT
Mme Leigh Taylor et Mme Brenda Carbonell          POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

M. Paul Sandu                          POUR LE REQUÉRANT

North Delta (C.-B.)

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada                  POUR L"INTIMÉ
__________________

1      La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et le Protocole signé à New York le 31 janvier 1967.

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