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Date : 20190625


Dossiers : T-473-06

T-474-06

Référence : 2019 CF 853

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

Dossier : T‑473‑06

ENTRE :

ALLAN JAY GORDON

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

Dossier : T‑474‑06

ET ENTRE :

JAMES A. DEACUR AND ASSOCIATES LTD.

ET JAMES ALLAN DEACUR

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Contexte – Les allégations  3

II. Contexte – Le procès, les témoins et les éléments de preuve  7

III. La crédibilité de Mme Northey  10

IV. Contexte – L’enquête  13

V. Les méthodes de JAD – L’antidatage des documents de clients  14

VI. L’ARC a‑t‑elle validé les méthodes de JAD?  61

VII. La révélation des méthodes de JAD  73

VIII. Les allégations de négligence  87

IX. La norme de diligence – La négligence  88

X. L’importance du MOI II sur le plan juridique  101

XI. L’omission d’interroger MM. Deacur et Gordon  103

XII. L’omission d’établir de nouvelles cotisations  110

XIII. L’omission de transférer à la GRC l’enquête sur JAD  111

XIV. L’intimidation des témoins  112

XV. Le tempérament censément explosif de M. Deacur  114

XVI. La confusion alléguée entre la fonction de vérification et les Enquêtes spéciales de l’ARC  115

XVII. Le vol du véhicule et des dossiers d’enquête de Mme Northey  118

XVIII. Le défaut d’exercer une surveillance  118

XIX. L’article 239 de la LIR  132

XX. La réputation de « fauteur de troubles » de M. Deacur  133

XXI. La supposée omission d’utiliser le formulaire T‑134 en vue d’étayer le renvoi d’une vérification, par l’ARC, aux Enquêtes spéciales et les dossiers empruntés  134

XXII. Mme Northey était‑elle qualifiée pour diriger l’enquête sur JAD?  136

XXIII. M. Patrick Wong  141

XXIV. La norme de diligence ‑ La poursuite malveillante  142

XXV. L’ARC a‑t‑elle engagé la poursuite?  143

XXVI. La décision d’engager une poursuite contre les demandeurs a‑t‑elle été prise sans motif juridique et probable?  145

XXVII. L’enquête sur JAD a‑t‑elle été engagée dans une intention malveillante ou à une fin illégale?  147

XXVIII. Les allégations d’ingérence économique  148

XXIX. Les allégations de violation de la Charte  151

XXX. Conclusion  151

 


I.  Contexte – Les allégations

[1]  Dans la présente instance, Allan Jay Gordon, James A. Deacur and Associates Ltd. [JAD] et James Allan Deacur sollicitent des dommages-intérêts de la part du gouvernement du Canada sur le fondement d’allégations de conduite délictuelle qu’ils ont formulées, à la suite d’une enquête criminelle de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. Cette enquête a débuté à la fin de 1995 et s’est soldée par la mise en accusation de MM. Deacur et Gordon, et par une poursuite contre eux, relativement à cinq chefs de fraude, de tentative de fraude et de possession de produits de la criminalité. Les accusations portées contre eux avaient trait à l’établissement de 31 demandes de déduction de dépenses au titre de la recherche scientifique et du développement expérimental [les demandes de RS&DE] produites pour le compte d’un certain nombre de clients contribuables qui souhaitaient obtenir des crédits d’impôt importants [1] .

[2]  Après une longue enquête préliminaire, qui a duré de façon intermittente du 27 mai 1999 au 29 avril 2003, MM. Deacur et Gordon ont été cités à procès. Toutefois, le 24 septembre 2004, la poursuite a pris fin quand les avocats du ministère public ont inscrit un arrêt des procédures.

[3]  MM. Deacur et Gordon s’estiment lésés par la conduite des employés de l’ARC qui ont mené l’enquête en question [l’enquête sur JAD], et ils font valoir plusieurs causes d’action, dont les suivantes : enquête négligente, violation de droits garantis par la Charte, malfaisance dans l’exercice d’une charge publique, poursuite malveillante et atteinte intentionnelle aux rapports contractuels. Aucune allégation n’est formulée contre l’ARC pour le travail accompli par ses vérificateurs et, compte tenu du paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], la Cour n’est pas habilitée à entendre une contestation indirecte portant sur l’exactitude de toute cotisation de cette nature, même s’il est allégué que celle-ci est imputable à un abus de procédure : voir Canada c Roitman, 2006 CAF 266, aux par. 19, 20 et 25, [2006] ACF no 1177. Les allégations antérieures de poursuite malveillante de la part des procureurs du ministère public, de diffamation et de parjure ont été soit radiées des déclarations par une ordonnance datée du 26 octobre 2012 du protonotaire chargé de la gestion de l’instance, Kevin Aalto, soit abandonnées. Les demandeurs ont néanmoins argumenté pendant toute la durée du procès au sujet de la conduite des procureurs du ministère public, notamment sur le plan de la divulgation. Je n’ai pas tenu compte de ces assertions.

[4]  La présente instance s’est déroulée dans un climat extrêmement acrimonieux, tant avant que pendant le procès, et cette acrimonie découle dans une large mesure des opinions viscérales et méprisantes qu’ont MM. Deacur et Gordon au sujet des enquêteurs de l’ARC ainsi que de la qualité de leur travail. Ces opinions sont exprimées avec vigueur dans les actes de procédure. La déclaration de M. Deacur fait état d’allégations de conduite arbitraire et oppressive, de falsification de documents, de faussetés malveillantes, de saisie illicite de biens, d’aveuglement volontaire et d’incompétence visant de nombreux fonctionnaires de l’ARC. Celle de M. Gordon est d’un ton et d’une teneur semblables. Il allègue que les enquêteurs de l’ARC ont fait sciemment de fausses accusations et ont menti à propos de leur conduite. Au paragraphe 66, il affirme que l’enquêtrice principale, Patricia Northey, a formulé de [traduction« fausses allégations » dans le cadre d’un [traduction« stratagème frauduleux [...] visant à tirer profit de son comportement malhonnête ». De nombreuses autres allégations d’incompétence et de malhonnêteté sont énoncées un peu partout dans l’acte de procédure de M. Gordon et celui-ci les a fréquemment répétées pendant toute la durée du procès. Le mémoire après procès des demandeurs regorge de la même façon d’allégations de corruption et de malhonnêteté – qui visent principalement, mais pas exclusivement, Mme Northey.

[5]  Indépendamment de la manière largement péjorative dont les demandeurs décrivent l’enquête de l’ARC, les détails relatifs à l’« inconduite » et à la « négligence » dont ils font état sont raisonnablement précis. Ils se plaignent que les enquêteurs de l’ARC ont omis de suivre une procédure équitable, dont certains éléments étaient recommandés dans le Manuel des opérations de l’impôt [MOI] II de l’ARC ou dans la Déclaration des droits du contribuable de l’ARC [2] . Leurs doléances comprennent ce qui suit :

  • a) l’omission d’inviter MM. Deacur et Gordon à un entretien ou à formuler des observations potentiellement disculpatoires avant que l’on dépose des accusations;

  • b) l’omission d’informer M. Gordon 30 jours avant le dépôt des accusations qu’il était visé par l’enquête;

  • c) l’omission de confier l’enquête à la GRC une fois qu’il est devenu évident qu’il n’était pas justifié de déposer des accusations au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR];

  • d) l’emprunt de documents auprès de certains contribuables en vue d’étayer l’enquête;

  • e) l’intimidation de certains employés et de clients contribuables de JAD en vue d’obtenir des renseignements incriminants;

  • f) le fait de qualifier erronément M. Deacur de menace potentielle en vue d’obtenir l’appui de la GRC pour l’exécution de mandats de perquisition;

  • g) l’omission d’utiliser le formulaire T‑134 comme moyen reconnu d’orienter des dossiers suspects vers les Enquêtes spéciales;

  • h) le fait de confier l’enquête à Mme Northey, dont le degré d’expérience n’était pas à la hauteur de la complexité prévue de l’affaire;

  • i) l’omission de renvoyer les dossiers suspects en vue de l’établissement d’une nouvelle cotisation avant le dépôt des accusations;

  • j) la confusion alléguée entre la fonction de vérification de l’ARC et l’enquête;

  • k) le vol du véhicule de Mme Northey, qui contenait des dossiers d’enquête;

  • l) la supposée omission de l’ARC de superviser Mme Northey dans le cadre de l’enquête sur JAD;

  • m) l’inexactitude alléguée du témoignage fait par un employé de JAD, Patrick Wong, à des enquêteurs de l’ARC.

[6]  De façon plus générale, la théorie de la responsabilité qu’avancent MM. Gordon et Deacur repose sur des allégations selon lesquelles Mme Northey, ses collègues et ses supérieurs ne possédaient même pas une connaissance rudimentaire des règles et des pratiques relatives au programme de RS&DE et que ces personnes ont donc, fondamentalement, qualifié à tort leurs méthodes d’illégales. Selon ce point de vue, les enquêteurs de l’ARC n’ont pas compris la loi, dans la mesure où celle‑ci permettait de présenter une demande de RS&DE sur la foi d’une inscription, consignée rétrospectivement, d’un compte créditeur et/ou sur la base d’évaluations fondées sur la juste valeur marchande, plutôt que sur de simples salaires. Ce manque de connaissances de base, disent-ils, a amené les enquêteurs à se concentrer sur des aspects qui étaient parfaitement en accord avec la loi et qui, raisonnablement, n’auraient pas pu soulever de préoccupations sur le plan juridique ou sur celui de la conformité. Ils affirment également que leurs méthodes comptables contestées ont été validées par quelques vérificateurs de l’ARC et qu’elles ont été, en fin de compte, justifiées par trois appels de clients en matière de demandes de RS&DE, lesquels ont été accueillis après l’arrêt de l’instance criminelle.

[7]  Il va sans dire que les demandeurs ont le fardeau de prouver chacun des éléments des causes d’action alléguées.

II.  Contexte – Le procès, les témoins et les éléments de preuve

[8]  L’instruction des présentes actions a eu lieu à Toronto, entre le 15 octobre et le 20 décembre 2018. Vingt-trois personnes ont témoigné et 461 pièces ont été déposées. Les plaidoiries et quelques questions de preuve restantes ont été conclues pendant la semaine du 4 février 2019. Les parties ont fourni par la suite des observations écrites détaillées, et la Cour les a examinées avec soin. Les deux actions ont été instruites ensemble, et le présent exposé unique de motifs s’applique aux deux instances.

[9]  La Cour est saisie des présentes actions depuis mars 2006, et ces dernières, pour l’essentiel, ont trait à des questions qui remontent au début des années 1990. Vu la période de plus de 20 ans qui s’est écoulée depuis lors, la qualité des dépositions des témoins laissait beaucoup à désirer. Comme on pourrait s’y attendre, les souvenirs de la plupart des témoins s’étaient estompés ou étaient parfois inexistants. Heureusement, le dossier documentaire disponible est raisonnablement solide et permet à la Cour de comprendre une bonne part de ce qui a eu lieu, même pour les éléments que les témoins n’ont pas pu entièrement décrire de mémoire.

[10]  Dans la présente affaire, le dossier de preuve comporte également de nombreuses dépositions et déclarations solennelles que les enquêteurs de l’ARC avaient obtenues de personnes qui n’ont pas été appelées à témoigner. Ces éléments de preuve ne seraient pas admissibles en tant que ouï-dire s’ils avaient été recueillis comme preuve de la véracité de leur contenu. Il faut donc prendre bien garde à l’usage qu’il est possible d’en faire. Ils ne peuvent pas être pris en compte pour prouver la véracité de leur contenu, mais uniquement comme preuve de ce que les enquêteurs de l’ARC ont compris quant à l’opportunité que l’affaire suive son cours. La conduite et les motivations des enquêteurs, pour ce qui était de la poursuite de l’enquête et du fait de recommander que l’on dépose des accusations criminelles, peuvent être appréciées en fonction de ce qu’ils ont appris et enregistré auprès de ces sources. Dans le même ordre d’idées, le fait que des clients avaient exprimé des réserves à propos des méthodes de JAD sert uniquement à établir que ces préoccupations avaient été soulevées auprès de représentants de JAD. La question n’est pas de savoir si ces préoccupations étaient valables, mais uniquement si on avait dit à MM. Deacur et Gordon que quelques clients et employés de JAD étaient mal à l’aise avec leur manière d’aborder la présentation des demandes de RS&DE.

[11]  M. Gordon a souvent affirmé que de nombreuses dépositions de témoins avaient été obtenues sous la contrainte par les enquêteurs et qu’elles contenaient des erreurs, voire des faussetés. Il n’a toutefois produit aucune preuve à l’appui de ces allégations et il n’a établi aucune erreur importante dans ce que les enquêteurs avaient enregistré. Cela n’est pas tout à fait surprenant, car les dépositions de témoins suivent de près le dossier documentaire ainsi que les faits essentiels dont MM. Deacur et Gordon reconnaissent à contrecœur l’existence. Il était bien sûr loisible aux demandeurs d’appeler n’importe laquelle de ces personnes pour témoigner au sujet de l’exactitude de leurs dépositions enregistrées ou pour parler des méthodes d’enquête de l’ARC, mais, à l’exception de MM. Savelli et Durst, aucun client de JAD n’a témoigné. Et, dans le cas de ces témoins, aucune preuve d’intimidation ou d’inexactitude importante n’a été produite. De la même façon, les demandeurs n’ont appelé que deux employés de JAD : Ron Worthington et Kyle Bondergaard. M. Bondergaard a déclaré qu’il avait trouvé que c’était déconcertant et troublant de se voir lire ses droits lors de ses échanges avec des enquêteurs de l’ARC, mais il n’a pas par ailleurs mis en doute leur approche. M. Worthington s’est fait lire aussi une mise en garde relative à la Charte, mais il a reconnu que l’approche n’avait pas été [traduction« abusive ou quoi que ce soit d’autre » [p. 1292]. Plusieurs anciens employés de JAD qui avaient vraisemblablement une preuve pertinente à offrir – Patrick Wong, notamment – n’ont pas été appelés, et les dépositions qu’ils avaient faites à des enquêteurs de l’ARC n’ont donc pas été contestées.

[12]  Ce que la preuve des témoins a systématiquement indiqué aux enquêteurs de l’ARC, c’était que JAD avait souvent recours à une stratégie mettant en cause des documents antidatés dans le but de corroborer des opérations déclarées qui n’avaient pas eu lieu au moment pertinent et, ainsi, de maximiser la valeur des demandes de RS&DE produites pour le compte de certains de ses clients. Grâce à l’emploi de conventions d’honoraires conditionnels, cette démarche offrait également la possibilité de maximiser la rétribution de JAD. Les renseignements obtenus ont également indiqué aux enquêteurs de l’ARC que les clients de JAD ignoraient pour la plupart l’existence des méthodes employées ou, alors, qu’ils avaient reçu de représentants de JAD l’assurance que ces méthodes étaient acceptables et licites.

III.  La crédibilité de Mme Northey

[13]  Il est très évident que MM. Deacur et Gordon ont pour Mme Northey un profond mépris et qu’ils la tiennent en grande partie, sinon totalement, responsable de la poursuite criminelle. Tout au long de la présente instance, ils l’ont accusée d’incompétence, de malveillance, de malhonnêteté et de corruption. Les sentiments de M. Gordon à l’endroit de Mme Northey sont particulièrement viscéraux. Quand il l’a contre-interrogée, il l’a souvent accusée de malhonnêteté et, à une occasion, il lui a dit qu’elle était un [TRADUCTION« escroc ». Ce que ces allégations ont de particulièrement perturbant, c’est qu’elles sont dénuées de tout fondement. Il s’agit là d’opinions qui ne sont fondées que sur l’inimitié personnelle.

[14]  Mme Northey a systématiquement relaté les faits pertinents de manière fiable; son récit concorde avec le dossier documentaire. Elle n’a pas été encline à exagérer, à faire des conjectures ou à user d’hyperboles. Elle a témoigné avec franchise, en expliquant les gestes qu’elle avait posés et les décisions qu’elle avait prises au cours de l’enquête. Son témoignage concordait également, d’une manière appréciable, avec celui de plusieurs autres témoins de l’ARC ayant aussi pris part à l’enquête sur JAD.

[15]  Mme Northey m’a donné l’impression d’être une personne équitable, compétente, diligente et minutieuse. Son enquête a été menée de façon intelligente et consignée avec soin. Malgré le statut d’AU2 qu’elle avait en 1995, je suis convaincu qu’elle avait les compétences requises pour diriger l’enquête sur JAD et que la confiance qu’avait l’ARC en ses capacités n’était pas malencontreuse ou déplacée.

[16]  Je signale par ailleurs que les aptitudes considérables de Mme Northey ne sont pas passées inaperçues à l’ARC, comme en font foi sa rapide ascension dans la hiérarchie et les avis toujours favorables sur ses capacités, ainsi que l’ont relaté ses nombreux collègues qui ont témoigné.

[17]  Je rejette sans réserve la prétention des demandeurs selon laquelle l’enquête que Mme Northey a menée était irrégulièrement motivée, malhonnête ou incompétente. Au contraire, cette enquête a été menée de manière compétente et équitable. Mme Northey a établi qu’elle avait été en tout temps prudente et hautement professionnelle. Les souvenirs qu’elle avait de faits pertinents étaient nettement meilleurs que ceux de la plupart des autres témoins, ce qui n’est guère surprenant, vu le rôle central qu’elle a joué dans l’enquête sur JAD, l’habitude qu’elle a de consigner avec diligence son travail et le fait qu’elle a participé pendant plusieurs semaines à titre de témoin dans le cadre de l’enquête préliminaire criminelle. Dans les cas où le témoignage de Mme Northey entre en conflit avec celui d’un autre témoin, c’est le sien que je retiens. En fin de compte toutefois, rares ont été les conflits d’une importance quelconque sur le plan de la preuve. Ce qui s’est passé à cette époque est bien documenté et, pour l’essentiel, MM. Deacur et Gordon ne le contestent pas sérieusement. En l’espèce, là où il y a principalement désaccord, c’est sur la description de ce qui s’est passé.

[18]  J’ajouterais que l’allégation des demandeurs selon laquelle Mme Northey avait pour mission personnelle d’échafauder faussement et malicieusement une poursuite, en intimidant des employés et des clients de JAD, se trouve contredite par le grand nombre d’enquêteurs qui avaient été affectés aux interrogatoires des témoins ainsi que par les éléments de preuve qu’ils avaient recueillis. L’idée que Mme Northey était motivée par le fait qu’elle touchait une rémunération d’intérim modeste et qu’elle était parvenue à inciter ses nombreux collègues à intimider des témoins est à la fois manifestement invraisemblable et nullement prouvée. Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, le travail de Mme Northey a également été réalisé sous la supervision active de l’ARC, et ce, aux échelons les plus élevés. Cela réfute l’affirmation des demandeurs, à savoir qu’elle a inventé une théorie de la poursuite indéfendable, qui était manifestement incompatible avec les principes comptables et fiscaux établis.

[19]  L’idée précise qu’ont laissé entendre les demandeurs, à savoir que Mme Northey était motivée à prolonger son enquête à cause de la rémunération supplémentaire que lui rapportait son affectation intérimaire à un poste de niveau AU4 n’a aucun fondement probant. En fait, il ressort du dossier que l’affaire Deacur a été considérée comme prioritaire et que, malgré son ampleur, elle a progressé avec une célérité relative. C’est ce qui ressort de la pièce D‑53, où le chef des Enquêtes spéciales à Hamilton, Rick Michal, a dirigé une [traduction« campagne éclair » d’interrogatoires de manière à ce que l’enquête puisse avancer. Il a été possible d’atteindre cet objectif en affectant un plus grand nombre d’enquêteurs, qui étaient censés mettre en suspens une partie de leurs autres tâches. C’est peut-être le fait d’avoir pris conscience de l’absence de fondement de cette théorie de la motivation financière qui explique qu’il est maintenant allégué dans le mémoire après procès des demandeurs, au paragraphe 698, que le but malicieux de l’enquête était de faire obstacle aux demandes de RS&DE légitimes [3] .

IV.  Contexte – L’enquête

[20]  La préoccupation de l’ARC au sujet de la démarche que Deacur a suivie en lien avec les demandes de RS&DE a pris naissance à la suite de multiples vérifications routinières en matière de RS&DE qui ont été effectuées dans plusieurs bureaux de l’ARC situés dans la région du Grand Toronto et dans les environs. Ces vérifications ont mis au jour une forme de conduite suspecte qui, a‑t‑on pensé, valait la peine d’être examinée de plus près. Les sujets de préoccupation relevés comportaient des évaluations de main-d’œuvre élevées et injustifiées, de même que l’emploi de documents antidatés de contribuables. Ces premières préoccupations en matière de vérification ont été soulevées longtemps avant que Mme Northey prenne part à l’enquête et elles ont éclairé la décision, prise en consultation avec de nombreux fonctionnaires de l’ARC en novembre 1995, de lancer l’enquête sur les méthodes de JAD. Ce qui est également évident, c’est qu’à ce stade, toute l’ampleur de l’antidatage, par JAD, de documents de contribuables n’avait pas été mise au jour [p. ex., voir la pièce D‑383].

[21]  Mme Northey n’est pas intervenue au tout début de l’enquête. Après qu’elle eut été affectée à l’affaire à titre d’enquêtrice principale par M. Michal, de nombreux autres enquêteurs et superviseurs l’ont aidée activement. Pendant de nombreux mois au cours de l’enquête, Mme Northey a pris deux congés de maternité et n’a aucunement participé aux activités. De plus, il a été nécessaire de procéder à des examens et d’obtenir des approbations à de multiples échelons, à chaque point de décision important, dont la décision de lancer une enquête, l’approbation du rapport principal, les décisions de solliciter et de délivrer des mandats de perquisition (y compris l’autorisation judiciaire requise), l’approbation du rapport de poursuite et la décision, prise en consultation avec les procureurs du ministère public, de déposer des accusations criminelles. Une fois les accusations déposées, le pouvoir de continuer la poursuite a incombé aux avocats du procureur général et, en fin de compte, au juge qui a cité à procès MM. Deacur et Gordon.

V.  Les méthodes de JAD – L’antidatage des documents de clients

[22]  Pour apprécier le caractère raisonnable et la légalité de la conduite de l’ARC, il est nécessaire de comprendre ce que faisaient les demandeurs pour présenter les demandes de RS&DE de leurs clients à l’ARC ainsi que les raisons pour lesquelles, disent-ils, cela était justifié. Ce n’est qu’en appréciant les méthodes de JAD qu’il m’est possible de décider s’il y avait des motifs raisonnables et probables pour lancer et poursuivre l’enquête sur JAD jusqu’au point d’engager une poursuite.

[23]  Il ressort de la preuve que JAD se présentait comme un cabinet spécialisé en demandes de RS&DE. Il sollicitait activement du travail dans ce domaine et, en fin de compte, il a été chargé de produire plusieurs centaines de demandes pour le compte de nombreux clients contribuables. Un grand nombre de ces derniers avaient peu de connaissances, sinon aucune, du programme de RS&DE et n’avaient aucune raison de faire état du travail qu’ils accomplissaient ou d’en isoler les coûts.

[24]  Pour la plupart des dossiers qui ont fini par être visés par la poursuite, MM. Deacur et Gordon ont tenté de surmonter l’absence de documents en créant les éléments de preuve rétrospectivement. Pour certains clients, ils ont constitué des sociétés ayant avec eux un lien de dépendance dans le but de créer une apparence de relation de sous-traitance. Ces arrangements comportaient également la création de factures pour appuyer l’existence d’un contrat de sous-traitance apparent. Dans ces dossiers, jamais le client n’avait eu à cette époque l’intention réelle de confier les travaux de R&D à une tierce partie, pas plus qu’on ne s’attendait de manière réaliste à ce que les factures de sous-traitance soient un jour réglées.

[25]  Un certain nombre de vérificateurs qui travaillaient de manière indépendante dans des bureaux fiscaux différents ont considéré que les méthodes auxquelles JAD avait recours sur le plan de la RS&DE étaient problématiques. Plusieurs des premiers rapports de vérification concernant des clients de JAD font mention de l’emploi de documents antidatés, dont des historiques de société, le tout à l’appui de frais de gestion déclarés.

[26]  Mme Northey a déclaré que l’examen qu’elle a fait de ces premiers documents de vérification a permis de dresser un profil qui comportait des écritures et des documents fictifs à l’appui de nombreuses déclarations liées au programme de RS&DE, établies par JAD. C’est ce que confirment plusieurs rapports de vérification datant de 1995. Une note de service datée de décembre 1995, transmise à M. Michal par un vérificateur de Toronto-Ouest, énumère les problèmes suivants :

a)  faussetés;

b)  antidatage de documents;

c)  paiements jamais effectués;

d)  recours à des sociétés associées (peut-être fictives) pour légitimer des demandes de déduction;

e)  gonflement de dépenses;

f)  pas d’activités de RS&DE exécutées. [Pièce D‑383, à l’onglet 69]

[27]  On relève des mentions de demande de déduction gonflée, de manipulation fiscale et d’antidatage tout au long d’un condensé de premiers documents de vérification que contient la pièce D‑383, notamment aux onglets 6, 51, 55, 57, 68 et 72. Une lettre d’un client, Tim Curtis, décrit en ces termes la demande que JAD a établie :

[traduction]

Il était évident aux yeux de toutes les parties informées que la demande n’était pas légitime, et je n’y ai donc pas donné suite. Les dépenses déclarées n’avaient pas été engagées expressément pour des travaux de R&D; elles avaient plutôt trait à des travaux que j’avais réalisés dans le cadre normal de mes activités et qui m’avaient procuré des informations grandement nécessaires au développement de mes idées.

Je crois avoir confié de bonne foi à Deacur and Associates la responsabilité d’agir en mon nom. Si ce cabinet a tiré profit du système dans la mesure où je le suppose, je crois donc qu’il serait négligent de ma part de ne pas le dénoncer aux autorités. Cela donne mauvaise réputation à la profession comptable. [Pièce D‑383, onglet 70]

[28]  La pratique qu’avait JAD de fournir ou d’utiliser rétrospectivement des sociétés ainsi que des factures apparentes à l’appui de frais de gestion gonflés était, selon les interrogatoires de clients, généralisée. La pièce D‑418 contient 88 dépositions de témoins recueillies par des enquêteurs de l’ARC. Cette pratique a été décrite par de nombreux clients de JAD, comme on peut le voir aux onglets 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 32, 33, 34, 35, 38, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 55, 77, 78, 79, 80, 81 et 82.

[29]  Ce ne sont pas tous les clients de JAD qui semblent avoir été à l’aise avec ce qui se passait. Par exemple, l’aide-comptable d’un client de JAD, Bale‑Eze Inc., a déclaré à l’ARC que la méthode qu’employait JAD le préoccupait à un point tel qu’il avait démissionné de son poste de dirigeant auprès des deux sociétés en cause [pièce D‑418, à l’onglet 19]. Une inquiétude semblable, exprimée par le comptable de la société Martinville Hockey Sticks Inc., est signalée à l’onglet 36.

[30]  Plusieurs employés de JAD ont également exprimé des réserves quant à la manière dont ce cabinet établissait les demandes de RS&DE [pièce D‑418, onglets 84, 86 et 87]. Un employé de JAD, Patrick Wong, a dit aux enquêteurs de l’ARC que M. Deacur lui avait conseillé de créer une société de gestion en vue de justifier des frais de gestion intersociétés et de se servir de sociétés fictives que JAD détenait. La déposition qu’il a faite à l’ARC comprend ce qui suit :

[TRADUCTION]

4) C’est M. Allan Gordon, qui, je crois, est gestionnaire au sein du cabinet Jame A. Deacur & Associates LTD., qui m’a appris à établir les demandes de RS&DE. Allan Gordon est également comptable agréé et il travaille dans les bureaux de Langstaff;

5) Allan Gordon m’a fourni des bulletins d’interprétation, des circulaires d’information et une trousse de renseignements de Revenu Canada au sujet du programme de RS&DE. M. Gordon m’a dit de lire les informations et de lui poser des questions si j’en avais. Je lui ai demandé de me fournir le volet technique des demandes de RS&DE, et il m’a remis des exemples de rapports techniques;

[...]

10) La première demande que j’ai établie était celle de Martinville Hockey Stick Inc., à Summertown, en Ontario. Je n’avais pas vu le contrat signé entre Martinville et James A. Deacur & Associates, mais je savais que les honoraires comptables étaient de l’ordre de 30 p. 100 du remboursement de RS&DE que la cliente allait recevoir. Le dossier m’a été confié par James Deacur. J’ai rempli la demande T661 de 1991 et 1992 en me fondant sur la juste valeur marchande (JVM) et en déclarant des dépenses de RS&DE de 66 422 $, en 1991 et de 110 010 $, en 1992. Je n’ai pas rempli la demande T661 de 1993, datée du 30 mars 1994, puisque, à ce moment‑là, je n’étais plus à l’emploi de ce cabinet. Allan Gordon a passé en revue les demandes que j’avais établies. Il m’a dit d’utiliser plutôt la JVM pour la déclaration des salaires de RS&DE, puisque je les avais établis au début sous la forme de salaires réels. M. Gordon m’a dit aussi que, si j’établissais la demande en fonction des coûts réels, le client obtiendrait un remboursement moins élevé. Pour le dossier de Martinville, Allan Gordon et James Deacur m’ont tous deux donné instruction de me servir de la juste valeur marchande pour le calcul du coût des travaux réalisés, plutôt que de la rémunération réelle. James Deacur m’a dit qu’ils avaient établi des demandes de cette manière dans le passé et que Revenu Canada les avait approuvées. Après cette cliente-là, j’ai dit aussi la même chose à chacun des autres clients pour lesquels j’ai travaillé. Les formulaires T661 RS&DE concernant les années d’imposition 1991, 1992 et 1993 mentionnés ci‑dessus sont joints aux présentes en tant que pièce B;

11) En me fiant aux instructions de James Deacur et d’Allan Gordon, j’ai établi la facture datée du 15 décembre 1993 de 1017837 Ontario Limited à Martinville Hockey Sticks Inc [traduction] « pour services fournis au titre de la recherche et du développement, relativement aux traitements ou salaires en 1993 », pour un total de 154 960 $. La société à numéro de l’Ontario avait déjà été constituée par la fille de M. Deacur, et j’ai simplement dactylographié la facture comme on m’avait dit de le faire, sur l’ordinateur de bureau du cabinet. Je n’ai établi aucune écriture de journal ou aucun document de travail pour 1017837 Ontario Limited. Je ne crois pas que le client, Denis Flaro, chez Martinville Hockey Sticks, ait même souscrit à la déclaration de ces [traduction] « frais de gestion » de 154 000 $ à titre de dépenses de RS&DE. Je n’ai pas vu la lettre non datée qui a été envoyée à Dennis ou la lettre du 29 mars 1994 qui a été envoyée à Denis Flaro, toutes deux signées par James Deacur, au sujet de ces frais de gestion. Des copies de la facture datée du 15 décembre 1993 et des deux lettres envoyées à Dennis Flaro qui sont mentionnées ci‑dessus sont jointes aux présentes en tant que pièce C;

12) Allan Gordon m’a indiqué que la juste valeur marchande des salaires de RS&DE devait être déterminée en fonction du montant qui serait facturé au client s’il devait faire faire le travail en sous-traitance. Pour ce qui était des heures utilisées, on m’a donné instruction de dire aux clients qu’ils devaient consigner les heures chaque fois qu’ils effectuaient des activités de RS&DE et me fournir la liste des heures par projet. Je n’ai jamais examiné les T4 des clients sur lesquels je travaillais pour vérifier si les montants de frais de gestion avaient été déclarés ou payés;

13) James Deacur m’a dit que, si un client avait des dépenses élevées, il vaudrait la peine que je crée pour lui une société de gestion et que je facture des frais de gestion intersociétés entre les deux sociétés. Je lui ai posé une question au sujet du fait que la nouvelle société aurait à payer de l’impôt sur les frais de gestion qu’elle déclarait, et il ne m’a jamais répondu. Il m’a juste dit d’établir les factures justifiant les frais de gestion intersociétés. Je les ai établies sur l’ordinateur qui se trouvait dans les bureaux de Deacur, en WordPerfect;

14) James Deacur m’a dit qu’il avait en main environ trois à cinq sociétés fictives dans ses bureaux que l’on pouvait utiliser en tout temps. La fille de M. Deacur, Kelly‑Ann, était secrétaire juridique et avait fourni ces sociétés à James Deacur. Je n’ai jamais mis à jour le registre des procès-verbaux de ces sociétés; ce travail a été fait par Kelly‑Ann Deacur;

[...]

19) En ce qui concerne le dossier de Caber Mor Holdings, j’y ai consacré plus de 40 heures de travail, mais je n’ai pas rempli les demandes de RS&DE T661. C’est moi qui ai préparé les deux télécopies envoyées à Caber Mor le 21 décembre 1993 et le 2 février 1994 pour demander des renseignements, et j’ai rédigé les trois documents de travail comptables, sur lesquels étaient inscrits les heures liées aux frais de gestion et le tarif de 60 $ et de 65 $ l’heure. Je n’ai pas établi la facture envoyée par 1031783 Ontario Limited à Caber Mor, datée du 30 novembre 1993, pour des services de R&D totalisant 146 625 $. Je n’ai pas non plus rédigé le document de travail de deux pages intitulé « Pat Wong » et daté du 14 février 1994, qui faisait référence à des frais de gestion de 146 625 $. J’ai eu une réunion avec Maurizio Ulgiati, qui devait assumer la responsabilité de ce dossier quand je cesserais de travailler pour Deacur, afin de lui expliquer l’état du dossier. Des copies des deux télécopies et mes documents de travail mentionnés ci‑dessus sont joints aux présentes en tant que pièce G, et la facture datée du 30 novembre 1993 ainsi que les notes du 14 février 1994 qui sont mentionnées ci‑dessus sont jointes aux présentes en tant que pièce H;

20) Pour ce qui est du dossier de Signer Marketing Inc., j’ai établi les demandes de RS&DE T661 pour les années d’imposition 1992 et 1993, et ces demandes faisaient état de dépenses de 63 472 $ et de 102 661 $, respectivement. J’ignore si les demandes de RS&DE qui ont été fournies à Revenu Canada sont les mêmes que celles que j’ai établies, puisqu’elles sont datées du 8 juin 1994, soit après que j’ai quitté mon emploi chez Deacur. Les dépenses déclarées incluaient des salaires à un tarif de juste valeur marchande (JVM) de 75 $ l’heure. La JVM des frais de gestion est un sujet dont il a été question avec le propriétaire de Signet, John Savelli fils, à l’occasion d’une réunion que j’ai eue avec lui le 4 janvier 1994. J’ai des notes dans mon carnet de rendez-vous qui portent sur la période du 7 au 10 janvier 1994, au sujet des activités de R&D relatives à Signet. J’ai reçu des informations de Savelli, par des télécopies datées du 20 décembre 1993 et du 7 janvier 1994, en vue de la préparation des demandes de RS&DE; voir la pièce I ci‑jointe. J’ai établi les documents de travail comptables sur l’ordinateur pour les dépenses de RS&DE. Une copie des documents de travail intitulés [traduction] « Signet marketing – PW » et datés du 13 janvier 1994, du 14 janvier 1994 et du 31 janvier 1994, est jointe aux présentes en tant que pièce J. Les documents de travail comprennent un résumé des heures de travail effectuées par projet et par année, au tarif de 75 $ l’heure; ce qui totalise 225 000 $ pour les années 1991, 1992 et 1993. J’aurais établi une facture d’un montant de 225 000 $ pour les frais de gestion, de Signet Marketing à la société liée 755894 Ontario Limited. Est jointe aux présentes en tant que pièce K une copie d’une facture, de 755984 Ontario Limited à Signet Marketing, que j’ai établie; elle est datée du 11 janvier 1993 et s’élève à 95 349 $ pour les activités de R&D exécutées en 1993. J’ai également établi les états financiers révisés de Signet Marketing Inc. et de 755984 Ontario Limited; voir la copie d’une télécopie datée du 31 janvier 1994 que j’ai envoyée à notre bureau de Georgetown; elle est jointe aux présentes en tant que pièce L. Je ne suis pas sûr d’avoir rédigé les documents de travail comptables datés du 7 février 1994 et faisant état d’écritures de redressement; la présentation semble être la même que celle de mes documents de travail, sauf pour ce qui est de mes initiales « PW »; est jointe aux présentes en tant que pièce M une copie du document de travail;

21) Lors de l’une des réunions que j’ai eues avec John Savelli fils de Signet Marketing, M. Savelli m’a dit qu’il avait parlé à son comptable, Paul Yanover, qui lui avait dit que les frais de gestion déclarés au titre de la RS&DE n’étaient pas exacts. Savelli n’a pas voulu donner suite à la demande, car il pensait que celle‑ci était frauduleuse et que la société aurait à payer des impôts supplémentaires. Se fondant sur l’appel téléphonique, M. Savelli a eu une conversation téléphonique directe avec James Deacur. J’ai reçu de M. Savelli une lettre adressée à James A Deacur & Associates LTD., datée du 19 janvier 1994 et exposant ses inquiétudes. La lettre a été transmise à James Deacur. Ce dernier y a répondu par une lettre datée du 20 janvier 1994 qui dissipait les inquiétudes de M. Savelli, et j’ai ensuite poursuivi mon travail dans le dossier. Sont jointes aux présentes en tant que pièce N des copies des lettres datées du 19 et du 20 janvier 1994;

22) Après avoir travaillé pendant deux mois environ dans ces dossiers de RS&DE, je me suis mis à douter et j’ai téléphoné au bureau de Revenu Canada. J’ai appelé Kirby Wong, qui travaillait au Bureau des services fiscaux de North York, au sein de la section de RS&DE, pour confirmer ce que je faisais dans les dossiers, et j’ai découvert que le fait d’utiliser la juste valeur marchande des salaires pour la RS&DE était une erreur;

23) De plus, pendant que je travaillais dans le dossier de Signet Marketing, j’ai appelé un autre comptable agréé de ma connaissance, Randy McLockan, d’Ernst & Young. D’après les notes du 17 janvier 1994 qui sont inscrites dans mon carnet de rendez-vous, j’ai demandé à McLockan de l’aide pour confirmer si Signet était une demande légitime, et il m’a informé qu’il s’agissait probablement d’une fraude, sauf si la société de gestion payait de l’impôt sur les frais de gestion reçus de la société de R&D et qu’il fallait que les frais de gestion soient justifiés par les efforts déployés; [Note manuscrite inscrite dans le texte original avec initiales : Je n’ai pas mentionné précisément le nom de Signet à McLockan, mais je me suis servi de cette cliente comme exemple pour illustrer de quelle façon les frais de gestion fonctionnaient.]

24) Après ma discussion avec Randy McLockan, je me suis mis à la recherche d’un nouvel emploi. J’ai ensuite quitté mon emploi chez Deacur, le 16 février 1996. Je n’ai pas dit à James Deacur pourquoi je m’en allais, mais je lui ai juste dit que le travail de RS&DE n’était pas fait pour moi.

[Pièce D‑328] [Texte manuscrit et paraphé]

[31]  Plusieurs vérificateurs de l’ARC ont également témoigné au sujet de leurs observations et de leurs préoccupations quant aux méthodes de JAD, dont Michael Wilson. Ce dernier, un vérificateur de longue date de l’ARC, a témoigné pour le compte de la défenderesse. J’ai trouvé qu’il était un témoin digne de foi, si ce n’est qu’il y avait quelques lacunes compréhensibles dans le souvenir indépendant qu’il avait des faits pertinents.

[32]  Au milieu des années 1990, M. Wilson exerçait les fonctions de chef d’équipe du programme de RS&DE, au bureau de Belleville. À ce titre, il était chargé de la surveillance d’un certain nombre de demandes de RS&DE que JAD avait produites. Vu l’ampleur d’un grand nombre de ces demandes, celles‑ci étaient considérées comme présentant un risque élevé, et elles justifiaient qu’on les soumette à un examen approfondi. Plusieurs des demandes étaient également fondées sur des frais de gestion déclarés entre deux sociétés liées et elles comportaient des montants élevés qui étaient quelque peu en décalage par rapport à l’activité commerciale des contribuables et à la quantité des documents justificatifs [p. 3933, 3937 et 3941].

[33]  Dans certains cas, les demandes de RS&DE qui étaient fondées sur des frais de gestion ont été rejetées en raison des doutes que suscitait le caractère raisonnable ou légitime des montants déclarés. Dans le cas de Bale‑Eze Inc., M. Wilson a rejeté la demande de déduction de frais de gestion de 850 375 $ pour les raisons suivantes :

[traduction]

L’élément est également examiné au regard de l’alinéa 18(1)e), une disposition qui considère comme non déductibles les dépenses de nature éventuelle. Si, au moment de sa création, il existe des incertitudes quant à la question de savoir si le montant peut être payé ou au moment auquel le paiement sera fait, l’obligation, de par sa nature, dépend d’autres faits. Une obligation conditionnelle ne devient obligatoire que si ces conditions sont remplies. L’incapacité apparente de payer le montant, comme il a été signalé plus tôt, confirme la nature éventuelle de la charge à payer. De ce fait, l’élément est considéré comme une éventualité, et non une dépense déductible dans l’exercice 1993.

Au cours des années en question, la société de gestion n’a pas déclaré qu’elle possédait les employés pouvant fournir les services de gestion, pas plus qu’il ne semblait y avoir une structure organisationnelle de gestion quelconque qui lui aurait permis de fournir les services pour le compte de la société exploitant l’entreprise. La société de gestion n’a pas non plus déclaré avoir tiré les revenus de l’exécution de ces activités d’après la méthode de la comptabilité d’exercice pour les années 1990 à 1993. [Pièce D‑270]

[34]  Une demande de déduction de frais de gestion présentée par JAD pour le compte de Bubble Action Pumps Ltd., d’un montant de 450 000 $, a été rejetée par M. Wilson pour la même raison [pièce D‑278].

[35]  M. Wilson a décrit des demandes de RS&DE que JAD avait produites pour le compte de 687348 Ontario Limited et dans lesquelles des dépenses de sous-traitance d’un montant de 450 480 $, de 484 440 $ et de 371 040 $ avaient été déclarées pour trois années d’imposition [pièces D‑280, D‑281 et D‑282]. Chacune de ces demandes était étayée par des factures entre deux sociétés à numéro, relativement à des [traduction« services de R&D fournis » [pièces D‑284, D‑285 et D‑286]. Dans une autre série de demandes de RS&DE, des frais de gestion déclarés entre les deux sociétés à numéro ont été annulés pour une série tout à fait différente de projets de recherche [pièces D‑288, D‑289, D‑290, D‑291, D‑292, D‑293 et D‑294]. M. Wilson a décrit la situation comptable de la manière suivante :

[traduction]

Q.  Pouvez-vous juste nous expliquer comment cela fonctionnait? Il y a donc deux sociétés à numéro différentes, et les deux ont présenté des demandes pour trois années?

R.  Oui.

Q.  Est‑ce exact?

R.  Oui.

Q.  Et les deux sociétés se facturaient l’une l’autre?

R.  C’est exact.

Q.  Donc, quelle société était celle qui était censée faire le travail et laquelle était la société de gestion; ou le savez-vous?

R.  Si l’on se base sur le fait qu’aucune activité ou activité admissible n’était effectuée, il serait difficile de dire quelle société en était chargée.

À cet égard, si vous avez deux sociétés comptant peu d’actionnaires et si vous facturez des heures à chacune, il n’y a en réalité que M. Harcourt qui était le dirigeant en cause dans la société. Selon cette facturation croisée, il aurait consacré à la R&D 7 365 heures de travail pendant un an, s’il s’agissait de M. Harcourt lui-même, ce qui explique pourquoi il aurait été nécessaire de disposer d’autres renseignements pour pouvoir ventiler les heures et les coûts indiqués sur ces factures.

Rappelez-vous qu’une semaine de travail ordinaire donne 2 050 heures, ce qui, pour la plupart des gens, représente une semaine de travail de 40 heures. Si vous faites 60 heures de travail, cela représenterait là encore environ 6 000 heures. Il est donc assez inusité de voir que l’on a facturé 7 000 heures pour une année. [P. 3980 et 3981]

[36]  M. Wilson a eu suffisamment de doutes au sujet de la méthode de JAD pour qu’il écrive au gestionnaire du programme de vérification des demandes de RS&DE à Ottawa et qu’il décrive ses constatations [pièce D‑296].

[37]  Bonnie Jarrett a témoigné pour le compte de l’ARC, où elle travaille toujours. Elle détient le titre de comptable en management agréée. Cette témoin éloquente s’est exprimée d’une manière efficace et professionnelle. Elle est extrêmement minutieuse, compétente et bien informée.

[38]  Mme Jarrett a été chargée de la vérification financière d’une demande de RS&DE établie par JAD pour le compte de Clare Work Stations Inc./Jakry Industries. Quand elle a examiné la demande, elle a relevé un problème, à savoir que les deux sociétés avec lien de dépendance avaient produit des demandes de RS&DE sur la foi d’écritures comptables compensatoires sans aucune dépense réelle de fonds [p. 3856 et p. 3858]. La question l’a suffisamment inquiétée pour qu’elle écrive une note de service au bureau principal [pièce D‑248]. Voici ce qu’elle a déclaré sur le même point :

[traduction]

R.  Je voulais juste dire, sans documents justificatifs ou contrats ou sans validation des dépenses, il est possible de faire simplement des écritures comptables dans les deux sens s’il y a plus d’une société ainsi que des comptes créditeurs et fournisseurs qui se compensent les uns les autres, avec pour résultat qu’il n’y a aucun impôt à payer et qu’il y a d’importantes demandes de R&D qui n’ont jamais de dépenses en espèces, qui ne sont jamais payées, et ce n’était pas le but visé par la loi. Nous essayons d’aider les gens qui font des travaux de R&D et qui ont réellement consacré des fonds à de tels travaux. Il y a donc des gens qui obtenaient des CTI – des remboursements de crédit d’impôt à l’investissement avec – juste fondés sur des écritures comptables. Et ces écritures n’étaient pas limitées en dollars. Elles pouvaient être faites pour des centaines de milliers de dollars, parce qu’il n’existait aucun document qui prouvait le contraire.

Q.  Et donc, si des contribuables – ou lorsque des contribuables ne fournissent pas toujours des ventilations de coûts complètes pour des projets, quel serait un moyen raisonnable de calculer les salaires liés à la R&D?

R.  En se basant sur le T4.

Q.  D’accord.

R.  Mais il n’y avait aucun T4 dans ce dossier.

Q.  Et comment ferait‑on pour déterminer ce qui est un montant en dollars raisonnable quand on examine un projet dans le cadre duquel du travail est fait?

R.  On examine le nombre d’heures consacrées aux activités admissibles, on obtient un tarif horaire et on le multiplie par le nombre d’heures consacrées aux activités. On applique la notion de caractère raisonnable. [P. 3869]

[39]  Art Payne a travaillé pendant 33 ans pour l’ARC. Au milieu des années 1990, il exerçait les fonctions d’enquêteur principal et, à ce titre, il a contribué à l’enquête sur JAD. En particulier, il a été présent à de nombreux entretiens avec des clients de JAD et il était chargé de la préparation des déclarations sous serment obtenues d’un grand nombre de ces témoins. Une bonne part de son témoignage a porté sur les rapports qu’il a eus avec des témoins ainsi que sur les renseignements que ceux‑ci avaient fournis à propos des méthodes de JAD. Ce qu’il a appris a révélé l’existence d’un système d’antidatage de documents destinés à donner l’illusion qu’il existait des opérations intersociétés, le tout à l’appui d’évaluations de dépenses de RS&DE gonflées. Dans bien des cas, les représentants de clients de JAD ont confirmé que JAD avait fourni à des sociétés fictives des renseignements de propriété antidatés ainsi que des factures fictives pour de supposés frais de gestion.

[40]  Des questions ont été posées à M. Payne, lors de l’interrogatoire principal, sur ce qu’il pensait de l’enquête sur JAD et, en particulier, de la participation de Mme Northey. Il a répondu qu’il n’avait aucun doute au sujet de la conduite de Mme Northey et que, d’après les entretiens qu’il avait menés, il croyait qu’il existait des preuves à l’appui de l’enquête [p. 4326]. En contre‑interrogatoire, il a fourni la réponse suivante :

[traduction]

Q.  Bien, d’accord. Mais ce que je veux dire, pour vous, en tant qu’enquêteur, j’essaie de deviner à quel moment – en fait, par exemple, que vous pensez qu’une méthode de calcul particulière est bonne et que le spécialiste en déclarations de revenus pense qu’il pourrait utiliser une méthode différente. À quel stade est‑ce que vous commencez à vérifier si c’est vous qui avez raison ou le spécialiste en déclarations de revenus?

R.  Selon mon expérience, je me fie au nombre de déclarations solennelles que nous avons obtenues, aux récits que ces divers témoins nous ont faits. Si l’affaire me semble suspecte, surtout en tant qu’examinateur de fraude certifié, si je vois des factures suspectes, si je vois des sociétés qu’on a antidatées, c’est pour moi un signe de fraude. J’établis donc les renseignements de recherche, en me basant sur les documents saisis, c’est bien sûr le dossier de Patricia Northey, mais d’après ce qu’elle réunit, si elle tombe sur d’autres éléments de preuve dans ces documents saisis, cela montre que des entretiens ont eu lieu, qu’il y a des notes qui ont été prises, que des documents supplémentaires ont été fournis, ensuite elle tient compte de toutes ces informations avant de rédiger son rapport de poursuite. [P. 4346]

[41]  Lors de leur témoignage, tant M. Deacur que M. Gordon ont exprimé des avis plutôt conciliants quant aux méthodes qu’eux-mêmes et d’autres membres de JAD avaient employées pour documenter les demandes de RS&DE pour le compte de nombreux clients. Lors de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire, M. Deacur a expliqué que tant qu’un client avait réalisé des travaux de RS&DE, le fait de savoir comment la demande était représentée en comptabilité était essentiellement [traduction« non pertinent » [p. 2160, 2164 et 2187]. M. Gordon a exprimé pareillement l’avis qu’il était légalement admissible de présenter une demande de RS&DE sur la foi d’une présumée obligation contractuelle qui n’existait pas au moment où de l’exécution des travaux. Lui aussi a déclaré que la méthode employée pour enregistrer l’opération était [traduction« non pertinente » [p. 3065 et 3108]. Autrement dit, il était approprié de compenser un manque de documentation entre les mains d’un client en créant un historique comptable qui n’existait pas à l’époque où les travaux de RS&DE avaient été effectués. Dans bien des cas, cela a été fait en fournissant à un client une seconde société liée qui servait de point d’ancrage à une présumée opération de RS&DE. Cette opération était ensuite représentée par une facture ou une écriture comptable établie rétrospectivement qui comptabilisait une évaluation des dépenses de RS&DE – une évaluation habituellement plus élevée que celle qui était fondée sur les salaires payés à ceux qui faisaient le travail à l’époque. Selon M. Deacur, la demande pouvait être présentée sur la foi d’un [traduction« compte créditeur » comptabilisé, qu’il existait ou non une obligation légale de payer au moment où le travail de RS&DE avait été effectué. Ce point ressort clairement dans l’échange suivant, qui a eu lieu en contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.  M. Deacur, dans le témoignage que vous avez rendu jeudi, vous avez déclaré :

[traduction] « Nous utilisions des sociétés fictives ou de gestion pour faciliter essentiellement une demande de R&D après le fait, parce que, tant que le travail était fait et qu’il était payable, et c’était le cas, si les aspects scientifiques étaient admissibles et si la juste valeur marchande était une juste valeur marchande ou était raisonnable, nous déduisions alors le montant à titre de dépense de R&D. Il y aurait ensuite une seconde société recevant des fonds et, ensuite, nous aurions à nous occuper des impôts de la société. » [Tel que l’extrait a été lu.]

Cela se trouve à la page 117, aux lignes 16 à 25, de la transcription de la semaine dernière.

Niez-vous que l’obligation légale entre les deux sociétés devait être payable au moment où les travaux de R&D étaient faits?

R.  Il fallait qu’elle soit payable. Je ne sais pas pourquoi vous employez l’expression [traduction] « obligation légale ». Il fallait que ce soit payable. [P. 2177]

[42]  M. Deacur a fourni une réponse semblable lors d’un contre-interrogatoire ultérieur :

[traduction]

Q.  M. Deacur, quand vous dites [traduction] « payable », dans votre lexique, s’agit‑il d’une simple écriture de journal, d’une écriture comptable qui fait qu’une chose est payable?

R.  Eh bien, pour être payable, il faudrait qu’il survienne toute une série de circonstances. Il faudrait qu’il y ait une véritable tentative de réaliser un projet de R&D, c’est vrai. Il faudrait qu’il y ait réellement du temps qui y soit consacré et il faudrait que ce soit raisonnable. Il y aurait ensuite la question de déterminer ce qui constituerait un montant raisonnable pour – affecter à ces services les heures consacrées et il faudrait ensuite qu’elles soient accumulées et qu’elles deviennent payables à un certain moment.

Q.  Faut‑il donc quelque chose de plus, comme une obligation ou un mécanisme pour exécuter le paiement, tel qu’un contrat?

R.  Il faut que ce soit réel en ce sens qu’il faut savoir quel montant a été facturé sur une base raisonnable et pour un – projet raisonnable. Faire ensuite valoir – désolé, quelle était la question?

Q.  Faut‑il quelque chose de plus qu’une simple écriture de journal pour qu’une chose devienne payable, c’est‑à‑dire faut‑il une obligation ou un mécanisme d’exécution du paiement, comme un contrat?

R.  Je ne vois pas cela entre des sociétés, non.

Q.  Donc la société A peut consigner une écriture de journal dans son grand livre, disant qu’elle a payé 100 000 $ à la société B à titre de frais de gestion, mais la société A n’a jamais payé l’argent et n’a aucun contrat avec la société B, et la société B n’a rien tiré de cette opération. Cette somme de 100 000 $ est-elle un montant payable ou est-elle fictive?

R.  Eh bien, vous n’avez pas établi le fondement de la somme de 100 000 $. Y a‑t‑il un service qui a été fourni? En fait, nous parlons ici d’un véritable projet de R&D.

Q.  Il ne peut pas y avoir –

R.  Nous ne parlons pas de quelque chose d’imaginaire, de le faire simplement pour obtenir un crédit d’impôt pour de la R&D. Nous parlons d’une véritable tentative. Et c’est ce que votre – la question ne porte pas sur le fait de savoir à quoi s’applique ce montant.

Q.  La société secondaire n’existait pas à l’époque; est-ce exact? Dans l’année?

R.  Oui. [P. 2348 et 2349]

[43]  Ce qui échappe à M. Deacur dans les échanges qui précèdent, c’est qu’il ne pouvait jamais y avoir un « montant payable » valide sans une obligation légale de payer; et une obligation légale de payer ne pouvait pas être créée s’il n’y avait jamais eu d’intention de conclure un contrat ni aucun contrat.

[44]  L’explication qu’a donnée M. Deacur quant au fait d’utiliser des factures antidatées a été, de la même façon, peu convaincante. Dans l’échange suivant, il a minimisé le problème :

[traduction]

Q.  Donc, ce que vous dites c’est qu’il revenait au vérificateur de le trouver?

R.  Trouver quoi?

Q.  Trouver ce qui se passait réellement?

R.  Il incombait au vérificateur de trouver qu’il y avait des activités de R&D.

Q.  Et que les activités de R&D étaient une dépense courante, dans l’année où elle a été engagée?

R.  Il fallait qu’elle soit payable dans l’année où les travaux étaient faits et accumulés dans cette année. Les heures étaient raisonnables, les tarifs étaient raisonnables, les aspects scientifiques étaient compréhensibles et considérés comme des activités de R&D. Il ne s’agissait pas d’un jeu que l’on jouait en se basant sur des factures. La R&D est un processus concret.

Q.  Alors, dans ce cas, pourquoi a-t-on établi les factures?

R.  Je n’aurais pas établi de factures. Je ne suis pas un – je n’aime pas – mais s’ils veulent des factures pour justifier un – cela aide à – cela aide.

Q.  Cela aide à donner l’impression que ces opérations avaient eu lieu?

R.  Eh bien, c’est le cas, parce qu’il s’agissait de choses concrètes. Il ne s’agit pas des écritures, c’est ce qui s’est passé, et cela a été fait à la juste valeur marchande et cela a été accumulé. [P. 2188]

[45]  Quand on lui a demandé si une charge à payer à des fins de comptabilité exigeait qu’il existe une obligation légale, M. Deacur a admis qu’il n’était pas qualifié pour répondre [p. 2350].

[46]  M. Gordon a également reconnu que les demandes de RS&DE que JAD avait présentées à l’ARC comprenaient [traduction« de nombreux documents antidatés » [p. 3206]. À l’instar de M. Deacur, il a déclaré qu’un compte créditeur fictif entre deux parties pouvait étayer une évaluation des dépenses de RS&DE, qu’il y ait eu une opération réelle ou non au moment où les travaux étaient exécutés. M. Gordon était également au fait que JAD fournissait des sociétés à certains de ses clients en vue d’étayer des évaluations des dépenses de RS&DE d’un montant supérieur, qui étaient fondées sur des ententes contractuelles apparentes [p. 3184]. Cependant, quand on a insisté pour qu’il justifie ces méthodes, il a répondu évasivement, comme l’illustre le passage suivant :

[traduction]

Q.  Mais un compte créditeur, par définition, il faut qu’il y ait une obligation légale de payer dans un délai raisonnable?

R.  Eh bien, je ne suis pas un expert juridique pour ce qui est de la définition légale. Je connais beaucoup de – il y a eu beaucoup d’affaires judiciaires et c’est là l’argument; c’est conçu comme un compte créditeur, mais le moment où le montant sera payé n’a pas été convenu.

Donc, je veux dire, il faudrait parler de l’ensemble du droit relatif aux comptes créditeurs. Je suis certain que vous ne voulez pas que je vous parle maintenant, pendant une vingtaine de minutes, des comptes créditeurs. Donc, non, en fait, vos questions, encore une fois, vous êtes en train d’essayer de prendre une expression en particulier et de lui attribuer une définition précise. Ce n’est pas ainsi que le droit fonctionne. Je souhaiterais qu’il fonctionne comme ça, que l’on puisse ainsi élaborer quelque chose en 2 minutes et que tout le monde y souscrive. Ce serait bien si on pouvait faire cela en droit, mais ce n’est pas comme ça que le droit semble fonctionner. [P. 3167]

[47]  Dans leur témoignage, MM. Deacur et Gordon ont déclaré qu’il existait plusieurs raisons légitimes, sur le plan fiscal et sur celui de la planification successorale, pour recourir à plus d’une société. Ce mécanisme, dans certains cas, est un moyen licite de fractionner des revenus ou de protéger des biens. Ils ont également fait référence à un manuel sur lequel eux-mêmes et d’autres personnes au sein de leur cabinet s’étaient fondés pour mettre au point des stratégies de RS&DE [pièce P‑104] [4] . Ce manuel expliquait de la manière suivante pour quelles raisons il pouvait être utile de recourir à des sociétés distinctes en vue de présenter des demandes de RS&DE :

[traduction]

Une technique pour maximiser les encouragements fiscaux relatifs aux travaux de R&D, dans le cas d’un groupe de sociétés, est de constituer une société de recherche distincte qui se chargera d’exécuter tous les travaux de R&D pour le groupe. Cette société de R&D facturera à ses sociétés affiliées un prix sans lien de dépendance pour les services qu’elle fournira. Cette manière de procéder présente plusieurs avantages, dont les suivants :

1.  La société de recherche sera considérée comme admissible selon les règles d’exemption des dépenses prescrites, car la totalité de ses revenus, ou presque, sera tirée de la vente d’activités de recherche et de développement.

2.  Cela créerait un certain degré de simplicité administrative, en ce sens que tous les coûts relatifs aux activités de R&D s’accumuleraient à un seul endroit, plutôt que d’avoir à les répartir, comme il faudrait peut-être le faire si ces activités étaient réparties parmi tout le groupe de sociétés.

3.  Comme la société peut facturer un prix sans lien de dépendance pour ses travaux, le groupe bénéficiera d’encouragements fiscaux relatifs à la R&D accrus, dans la mesure où le prix sans lien de dépendance excède les coûts liés à l’exécution des travaux de R&D.

[Pièce P‑104]

[48]  Il n’y a absolument aucun doute dans mon esprit que le moyen, décrit ci-dessus, de rehausser la valeur d’une demande de RS&DE était – et il l’est peut-être encore – une stratégie comptable légitime. Le problème est que rien dans ce qui est indiqué dans l’extrait qui précède ne peut être raisonnablement considéré comme un moyen de justifier des relations et des opérations intersociétés qui, à l’époque en cause, n’existaient pas. En fait, cette distinction semble être bien comprise dans le monde fiscal. Selon un document de l’Association canadienne d’études fiscales daté de 1994 et intitulé Remedial Tax Planning - What are the Limits, il y a une distinction entre le fait de documenter une opération exécutoire antérieure et celui de créer une apparence d’opération ou de relation financière qui n’existait pas du tout. Les dangers que l’on associe à cette dernière approche sont décrits ainsi :

[traduction]

Une façon simple de résumer toutes les informations qui ont été analysées jusqu’ici est de dire que les dossiers, les documents juridiques et les renseignements qui sont produits avec la déclaration de revenus ne peuvent refléter que ce qui s’est passé et qu’aucune quantité de documents coûteux, établis par des conseillers professionnels, ne peut faire produire une chose qui ne l’a pas été, ou éliminer une chose qui l’a été. Les conseillers professionnels subissent néanmoins de constantes pressions de la part de leurs clients pour qu’ils accomplissent ce qui peut sembler être, à première vue, impossible.

Si, après une analyse minutieuse, il est évident qu’une disposition a eu lieu ou qu’aucune opération n’a été réalisée dans une période particulière, quelques conseillers peuvent être tentés d’aider leurs clients à créer des documents d’une validité douteuse qui atteindront l’objectif que ces clients visaient. Subsidiairement, il est possible qu’un client averti entre en contact avec un conseiller professionnel et demande à ce dernier de documenter des opérations que, soutient-il, ont eu lieu à un certain moment dans le passé. Si la validité douteuse de ces opérations est confirmée ou si l’on découvre leur inexactitude, il est à se demander si ce conseiller n’est pas responsable, du point de vue professionnel, civil et criminel, d’avoir créé des documents peut-être trompeurs.

Les comptables et les avocats sont tous régis par des organismes professionnels autonomes qui ont mis de l’avant des règles de conduite et des codes de déontologie professionnelle. D’autres analystes ont examiné ailleurs les règles particulières, de sorte que j’en résumerai simplement ici les plus pertinentes. Les mots employés sont différents, mais le principe est le même : il est interdit à un conseiller professionnel de contribuer ou de prendre part à toute conduite malhonnête ou frauduleuse, laquelle consiste, notamment, à établir des documents ou à prodiguer des conseils qui, ce conseiller professionnel le sait, ont pour but de tromper Revenu Canada au sujet de l’état véritable des affaires du client.

Toute violation des normes professionnelles peut amener l’organisme professionnel à imposer des sanctions pouvant aller jusqu’à interdire d’exercer sa profession. Quand vous vous approchez des limites, demandez-vous toujours si le problème (ou les frais) du client en question vaut votre réputation professionnelle si l’opération pour laquelle vous apportez votre aide ou si les conseils que vous prodiguez ont pour but de tromper Revenu Canada ou auront cet effet. [Notes de bas de page omises.] [Non souligné dans l’original.]

[49]  Le même point a été évoqué par le juge D.G.H. Bowman dans la décision Dale c R, [1994] 1 CTC 2303, 94 DTC 1100, une affaire dans laquelle il a fait une distinction entre une tentative visant à créer une situation qui, en fait, n’existait pas et la prise de mesures après le fait qui étaient nécessaires pour s’acquitter d’une obligation légale réelle ou exécutoire, ou pour la documenter. Seul le dernier cas est acceptable.

[50]  La question de l’antidatage de documents en vue d’étayer une déclaration de revenus a été examinée dans la décision R c Cancor Software Corp, 6 OR (3d) 577, 14 WCB 2d 562. Dans cette affaire, un contribuable a été déclaré coupable de fraude fiscale ainsi que d’avoir fait de faux énoncés dans une déclaration de revenus, à la suite de ce qui a été considéré comme une opération fictive. La Cour de l’Ontario a décrit en ces termes les conditions nécessaires pour pouvoir conclure à de la malhonnêteté :

[traduction]

224 Dans une affaire comme celle‑ci, un énoncé du droit applicable serait incomplet s’il n’y était pas fait référence à l’explication qu’a donnée le lord juge Diplock du mot « sham » [« trompe‑l’œil »] dans son jugement, dans l’affaire Snook v London & West Riding Investments Ltd, [1967] 1 All ER 518, à la p. 528 :

[traduction]

Je comprends que, s’il a un sens en droit, il s’entend d’actions faites ou des documents signés par les parties au « trompe‑l’œil » et destinés à créer l’impression, dans l’esprit des tiers ou du tribunal, de l’existence entre les parties de droits et d’obligations juridiques autres que ceux et celles (s’il en est) que les parties ont l’intention de créer.

[51]  La Cour de l’Ontario a aussi décrit un comportement du contribuable qui est fort semblable aux méthodes qu’ont employées en l’espèce MM. Deacur et Gordon :

[traduction]

216 Toutes ces « erreurs », quelle que soit leur explication, avaient assurément pour objet d’empêcher n’importe quel vérificateur ou autre enquêteur de savoir que ces parties n’avaient conclu aucune entente à l’une ou l’autre des deux dates indiquées (le 14 février 1984 dans le cas de C.C.C. et le 1er septembre 1984 dans le cas de C.R.I.) et, en fait, elles ne s’étaient même pas rencontrées. Sans les résultats qu’aurait pu donner un examen supplémentaire de la relation entre ces parties, un vérificateur de Revenu Canada n’aurait à sa disposition qu’une série de documents soulignant clairement que les sociétés Cancor avaient conclu des accords de collaboration avec une société canadienne appelée Compuvest, faisant affaire sous la dénomination sociale d’IBS (Can.), cette dernière étant une société qui participait activement à des activités de recherche scientifique au Canada, du moins entre le 14 février 1984 et le 31 août 1984 pour C.C.C. et, à compter du 1er septembre 1984 pour C.R.I., alors qu’il y avait – hors de vue – la participation d’I.B.S. Inc. (IBS (É.‑U.)), la véritable entreprise de recherche, qui n’avait aucune relation avec l’une ou l’autre des sociétés Cancor aux dates suggérées. Il ressort clairement de la preuve que, pendant toute cette période, IBS Inc. n’a pas détourné ses efforts de manière importante de son propre projet de recherche : Easytalk. Indépendamment de la question de savoir si la validité du stratagème aurait été rejetée ou pas, l’autorité taxatrice n’était‑elle pas en droit de connaître la réelle vérité : à partir d’où, à quel coût réel et à quel moment un supposé projet de recherche scientifique avait été réalisé, ce qui lui aurait permis d’accepter ou de rejeter la proposition et, dans ce dernier cas, de la rejeter ensuite comme étant fondée en fait sur des circonstances véridiques qu’elle pourrait peut-être ensuite déclarer comme incompatibles avec cette disposition législative « incitative »? Il ne fait aucun doute qu’il faut répondre par l’affirmative à cette question.

[52]  En contre‑interrogatoire, M. Deacur n’a pas pu expliquer de manière défendable les méthodes qui préoccupaient l’ARC. À son avis, tant qu’il y avait un argument soutenable à invoquer en faveur de la présentation d’une demande de RS&DE, les moyens employés pour la justifier étaient essentiellement non pertinents, à condition que ces moyens soient révélés aux vérificateurs du programme de RS&DE. On relève la même idée dans le mémoire après procès des demandeurs :

[traduction]

220. Notre position était simple, les dépenses de RS&DE avaient été engagées quand le travail avait été fait. Mme Northey a indiqué dans son témoignage qu’il n’était pas contesté que des travaux concrets avaient été effectués et que du temps y avait été consacré.

221. Ce ne sont pas les documents qui font que les dépenses de RS&DE ont été engagées ou pas. C’est le travail proprement dit qui a été fait.

222. Nous croyions que, si vous avez convenu avec une société qu’on vous paiera peut‑être un jour, cette possibilité d’être payé un jour était suffisante pour une demande de RS&DE admissible.

223. La loi de l’impôt sur le revenu, sous Paiements de sous‑traitance pour RS&DE, à l’article 127, indiquait que les montants étaient engagés même s’ils étaient impayés. Le fait qu’un compte créditeur était documenté suffisait pour qu’un montant soit considéré comme un paiement de sous‑traitance au titre de la RS&DE et comme étant engagé.

[...]

251. Une autre notion malhonnête de SMR est qu’il ne pouvait y avoir aucune réclamation exécutoire entre les deux sociétés. Cette notion est absurde.

252. Si vous avez deux sociétés qui appartiennent à 100 p. 100 à la même personne ou aux mêmes personnes, lorsque le propriétaire convient d’une entente avec lui‑même, cela devient un contrat exécutoire.

253. Le propriétaire indique par écrit qu’il a accepté le contrat (les écritures de journal, les états financiers et les déclarations de revenus). Le fait d’indiquer qu’il n’y a aucun doute raisonnable qu’il n’existe aucun contrat exécutoire est erroné en droit.

254. Dans Chiu c Lam, Cour suprême de la C.‑B., 26 février 2016 (dossier 15‑2923), il est fait référence à « Fridman The Law of contract in Canada » (4e éd.) aux p. 16, 17 et 20, ainsi :

[traduction]

« On trouve constamment dans les jugements l’idée que le critère d’une entente à des fins juridiques consiste à savoir si les parties ont fait part au monde extérieur, représenté par un spectateur objectif et raisonnable, de leur intention de conclure un contrat ainsi que des modalités de ce dernier. Le droit ne s’intéresse pas à l’intention de la partie, mais aux intentions qu’elle manifeste. Ce n’est pas ce qu’une partie croyait ou comprenait être le sens de ce que les autres parties avaient dit ou fait qui est le critère de l’entente; c’est si une personne raisonnable, se trouvant dans la situation de cette partie, avait cru et compris que l’autre partie consentait aux modalités identiques. »

255. Aucune loi n’empêche une personne de dire : j’ouvre une société dans deux ans et je conviens de payer à cette société, quand elle sera ouverte, une certaine somme d’argent, lorsque je la recevrai.

256. Quand la même personne se trouve des deux côtés de l’opération, il est clair que cette personne « consent à des modalités identiques », et il n’est simplement pas correct en droit de dire que ce ne peut être un contrat exécutoire.

257. De plus, si M. A a fait le travail et a inscrit l’obligation dans la société A afin d’être payé à une date ultérieure. Si M. A a vendu cette société et l’acheteur ne s’est pas acquitté de l’obligation, M. A pourrait faire exécuter ce contrat par l’acheteur tiers non lié, puisque la tierce partie a acheté la société avec une obligation inscrite dans les livres.

[Non souligné dans l’original.]

[53]  M. Gordon a adopté une position semblable à celle de M. Deacur. Lui aussi a laissé entendre que les méthodes que JAD avait employées étaient essentiellement non pertinentes, dans la mesure où le contribuable pouvait produire une demande de RS&DE légitime. Dans quelques cas, il a toutefois tenté de se distancer de demandes douteuses. Par exemple, il a déclaré dans son témoignage que c’était lui qui avait établi la demande de RS&DE d’Armada, mais qu’il n’avait [traduction« aucune idée » de l’auteur des factures antidatées [p. 3062]. Il s’est dit néanmoins convaincu que les factures suspectes avaient pour objet d’étayer une cession de droits futurs de la part d’Armada en faveur de la société à numéro qui lui était liée et qu’elles n’avaient rien à voir avec les demandes de RS&DE d’Armada. Voici ce qu’il a déclaré à ce sujet :

[traduction]

Q.  M. Gordon, seriez‑vous d’accord avec moi pour dire qu’il est impossible que 982800 Ontario Limited ait facturé Armada pour du travail fait en 1991, alors que le cabinet Deacur n’a eu en main ces factures qu’à la fin de 1992; êtes‑vous d’accord sur cela?

R.  Ce n’est pas de la facturation. Ce que j’essaie de vous expliquer, ce n’est pas de la facturation pour le travail. Il s’agit d’une facture qui cède le compte créditeur. Peut‑être que les gens, moi‑même et les gens qui y ont participé, ce ne sont pas des experts en droit. Il s’agissait là de la tentative pour céder le compte créditeur à 982800. C’est pour cela, parce que le vérificateur lui‑même, M. Cardwell, s’est occupé des activités de la société pendant de nombreuses années, il savait donc ce qui se passait, il y avait pris part, pendant ces années. Donc, tout ce que cette facture dit ou ce qu’elle tente de dire, je ne sais pas, peut‑être que non, peut‑être que ce n’est pas clair, c’est que, en 1993, M. Heaps a juste dit, vous savez quoi, j’ai travaillé, je veux, je veux que 982800 reçoive l’argent. Peut‑être, peut‑être qu’il y aurait eu une façon différente de le dire. Mais c’est ce que ce document essaie de dire.

Q.  Alors, M. Gordon, où sur ce document est‑il question d’une cession?

R.  Eh bien, si vous savez que M. Heaps a fait le travail et vous savez que ‒

Q.  M. Gordon, conviendriez-vous avec moi que la société elle‑même n’a même pas été constituée avant novembre 1992; est‑ce exact?

R.  Novembre 1992, c’est exact.

Q.  Donc la société n’existait même pas à ce moment‑là?

R.  C’est exact.

Q.  Quelles sont donc les activités qui auraient pu être exécutées?

R.  Rien n’a été exécuté. Il s’agit d’une cession. [P. 3067‑3068]

[54]  Je n’accepte pas cette explication. Il semble s’agir d’une tentative pour caractériser différemment la demande de RS&DE d’Armada, vraisemblablement parce que M. Gordon était seul responsable de sa présentation à l’ARC. Il ne s’agissait donc pas d’une demande qu’il pouvait attribuer à d’autres membres du cabinet.

[55]  La demande d’Armada a été documentée pour créer l’illusion qu’il existait un contrat valide entre Armada et 982800 Ontario Ltd., de façon à justifier une évaluation des dépenses de RS&DE artificiellement élevée. Les supposées cessions portent le titre de factures [traduction« pour services fournis en lien avec [un] projet de recherche et de développement », d’un montant de 50 000 $, de 60 000 $ et de 60 000 $, respectivement [pièce P‑92]. Si les opérations représentées par ces factures étaient aussi anodines que M. Gordon le soutient maintenant, il est à se demander pour quelle raison il a été nécessaire d’antidater l’historique de constitution en société pour la société à numéro. L’antidatage de ces documents d’entreprise ne servait à rien si ce qui se passait était une cession future du produit des activités de RS&DE de la part d’Armada en faveur de 982800 Ontario Ltd.

[56]  Les factures et l’antidatage de la constitution de la société ont indiqué à l’ARC que 982800 Ontario Ltd. exploitait des activités pendant la période où les travaux de RS&DE pertinents étaient en fait exécutés par Armada, et ces documents font état d’opérations antérieures, et non de cessions de droits futurs.

[57]  Ce que l’ARC a compris au sujet des demandes d’Armada à la suite de l’enquête concordait parfaitement avec la teneur des documents pertinents. Lors d’un entretien avec le dirigeant d’Armada (William Heaps), il a été dit que les documents antidatés avaient pour but d’étayer les demandes de RS&DE, et non de donner effet à une cession. M. Heaps a fait part de ses doutes quant à la méthode proposée, mais on l’a rassuré [pièce D‑418, onglet 16]. La première vérification à laquelle l’ARC a soumis les demandes d’Armada a également fait naître des doutes au sujet des méthodes employées et a permis de relever [traduction] « une série d’écritures de journal non consignées et antérieurement non dévoilées qui n’avaient aucun lien avec les PCGR » [pièce D‑194].

[58]  Les renseignements qui précèdent ne concordent pas avec une théorie de cession et confirment la manière dont les enquêteurs ont interprété les documents de RS&DE d’Armada. De plus, lors des entretiens de M. Gordon avec un vérificateur de l’ARC au sujet des demandes de RS&DE d’Armada, jamais la théorie de cession n’a été mentionnée [pièces D‑191 et D‑194, à la p. 3].

[59]  Le vérificateur de l’ARC affecté à la demande de RS&DE d’Armada était David Cardwell. Ce dernier a témoigné pour le compte de l’ARC, et j’ai conclu qu’il était un témoin digne de foi.

[60]  M. Cardwell a fait directement affaire avec MM. Gordon et Heaps. Ses notes de vérification, qui ont été déposées en tant que pièce D‑191, font état d’un certain nombre de doutes quant à la validité de la demande, dont une mention concernant le non-respect des principes comptables généralement reconnus.

[61]  M. Cardwell a songé à imposer des pénalités et à renvoyer le dossier aux Enquêtes spéciales, mais il s’est finalement ravisé, compte tenu du fait que les problèmes avaient été créés par M. Gordon, et non par le contribuable.

[62]  En contre‑interrogatoire, on lui a demandé si, selon sa compréhension, il était possible de présenter une demande de RS&DE valide sur la foi d’un [traduction« compte créditeur », et sa réponse a été la suivante :

[traduction]

R.  Les 170 000 $ n’ont pas été payés; cependant, ce n’était pas cela, ma principale objection. Ma principale objection était que cette somme avait été payée ‒ c’était censé être une société qui n’avait aucun ‒ qui n’était même pas constituée à l’époque où les dépenses avaient été censément engagées. [P. 3378 et 3379, et voir aussi p. 3381 et 3408.]

[63]  Il est très important de souligner que, dans les notes de vérification de M. Cardwell [pièce D‑191], rien n’est dit au sujet du fait que M. Gordon ait qualifié les factures de RS&DE d’Armada de cession, pas plus que M. Gordon ou M. Deacur n’ont posé une question à M. Cardwell à ce sujet, en contre‑interrogatoire. Mme Northey a également déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait rien vu dans les dossiers de vérification ou dans les dépositions de témoins qui étayaient la théorie de cession de M. Gordon [p. 5895].

[64]  L’une des opérations les plus importantes auxquelles M. Gordon a directement participé est la demande de RS&DE que JAD a déposée pour le compte de Caber Mor Holdings Ltd. [Caber Mor]. Patrick Wong, un employé de JAD, a participé aux premières étapes de la préparation de cette demande, mais c’est M. Gordon qui l’a complétée. Néanmoins, bien qu’il ait affirmé qu’il n’y avait rien de problématique à propos de la manière dont les demandes de RS&DE concernant Caber Mor avaient été documentées, M. Gordon a fait un effort concerté pour attribuer à M. Wong la responsabilité de leur présentation. En contre‑interrogatoire, il a souvent laissé entendre que la manière dont ces demandes avaient été structurées était en grande partie le fruit de l’imagination de M. Wong, et non de la sienne.

[65]  Le passage suivant illustre bien les efforts qu’a faits M. Gordon pour rejeter la responsabilité sur M. Wong :

[traduction]

Q.  Seriez‑vous donc d’accord avec moi pour dire que, à tout le moins, le 25 mai 1994, vous participiez au dossier Caber Mor; est‑ce exact?

R.  Dites, dites‑moi seulement, ce que vous voulez dire par [traduction] « participiez »? Voulez‑vous dire qu’à cette date j’avais quelque chose à voir avec ce dossier? Oui. Il faudrait que vous me donniez une définition plus complète de ce mot.

Q.  M. Gordon, le 25 mai 1994, avez‑vous écrit une lettre à M. Chris Chan au sujet de la demande de RS&DE de Caber Mor Limited?

R.  Eh bien, ce document-ci est daté du 25 mai 1994. Ouais, je dirais qu’il est daté du 25 mai 1994.

Q.  Et seriez‑vous d’accord pour dire qu’il concerne la demande de RS&DE de Caber Mor Limited?

R.  Oui, il concerne le dossier Caber Mor.

Q.  D’accord. Et conviendriez‑vous avec moi que la première ligne de cette lettre fait état d’une réunion qui a eu lieu le 25 mai 1994?

R.  C’est ce que dit ce document, oui.

Q.  Et avez‑vous participé à une réunion le 25 mai 1994 avec M. C. Chan, de l’ARC, au sujet de la demande de RS&DE de Caber Mor?

R.  Je dirais que oui, d’après cette lettre, oui.

Q.  D’accord. Conviendriez‑vous avec moi que, dans cette lettre, vous faites part d’informations à Christopher Chan à propos de l’historique de 1031783 Ontario Limited, et que vous le faites à titre de représentant?

R.  Mais l’historique de la société, je ne connais pas son historique. Je confirme diverses informations que verrait n’importe quelle personne ayant accès à la société.

Q.  D’accord. Vous conviendriez donc que, dans ce cas, M. Gordon, vous aviez accès aux dossiers de l’entreprise le 25 mai 1994, sinon, vous n’auriez pas été en mesure de faire ces observations?

R.  Hum... Oui, je devais avoir les informations en main. Soit que j’ai vu ‒ en fait, j’ai dû avoir vu quelque chose qui devait bien exister, il pourrait s’agir des documents que P. Wong avait versés dans le dossier. J’ignore donc si je suis allé consulter tous les documents. Le document dit, je conclus que P. Wong a versé ces renseignements dans le dossier Caber Mor.

Q.  C’est ce que vous concluez, M. Gordon?

R.  C’est ce qui est indiqué ici.

Q.  Où est‑il dit que M. P. Wong a versé les informations dans le dossier? À quel endroit cela est-il mentionné dans cette lettre?

R.  Eh bien, elle donne des informations précises au sujet de 1031783. Comme je ne me suis pas occupé de ce dossier, je conclus que c’est P. Wong qui l’a fait et qu’il a versé ces informations dans le dossier.

Q.  M. Gordon, je croyais que nous avions déjà établi que Pat Wong avait quitté le cabinet en février 1994; n’est‑ce pas exact?

R.  C’est exact. Donc, en février, il a versé ces informations dans le dossier.

Q.  Eh bien, M. Gordon, nous venons juste de parcourir la lettre de Kelly‑Ann Deacur qui a été transmise au contribuable, et nous avons parcouru les documents que l’entreprise a produits, et tout cela est arrivé après le départ de Pat Wong.

R.  Quel est le rapport avec cela? C’est lui qui a établi le dossier. Ce qui a pu arriver, une fois que les choses ont été mises à la poste, je l’ignore. Mais je, je conclus qu’il a dû le faire à une date antérieure.

Q.  Donc, M. Gordon, nous avons parcouru ensemble les registres des actionnaires. Nous les avons regardés ensemble. Et conviendriez-vous avec moi que ce n’est pas avant le mois d’avril 1994 que le changement d’entreprise a été signalé à la Direction des compagnies; n’est‑ce pas exact?

R.  Oh, à la Direction des compagnies, oui, je suis d’accord sur ça.

Q.  Et vous conviendriez avec moi que, quand la société a été constituée le 31 mai 1993, que les gens de chez Caber Mor ne faisaient pas affaire avec elle le 31 mai 1993?

R.  Ça, je ne peux pas, je ne peux pas dire que je suis d’accord ou pas. C’est la raison pour laquelle j’examine précisément ce que j’ai dit, cela vous fournit des renseignements précis, avec lesquels je suis d’accord. Il est dit ici que la société a été constituée. En date du 25 mai 1994, les actionnaires sont ceux‑ci. Et, en fait, je confirme ici des choses précises. Je ne suis pas allé vérifier à quelle date ils l’étaient et que ce n’était pas arrivé. Je confirme des renseignements précis, et je suis d’accord sur cette lettre‑ci. [p. 3215 à 3218]

[66]  La lettre dont il est question dans le passage qui précède [pièce D‑177] a été écrite par M. Gordon à l’intention d’un vérificateur de l’ARC, Chris Chan, le 25 mai 1994. Elle présente de façon clairement erronée l’historique de la société à numéro que JAD avait utilisée et elle fait état de l’existence d’une relation contractuelle avec Caber Mor. Cela avait été fait en antidatant les registres de la société à numéro pour indiquer que celle-ci se trouvait entre les mains des dirigeants de Caber Mor à l’époque d’une facturation contractuelle liée à la RS&DE entre ces deux sociétés, d’un montant total de 146 625 $. En réalité, la société à numéro a été créée plus tard par JAD. Cette société était donc légalement incapable d’exécuter les travaux de RS&DE pour le compte de Caber Mor, et encore moins de s’être engagée dans une relation contractuelle avec cette société pour le montant réclamé. Il s’agissait là d’un arrangement purement fictif, conçu pour justifier une évaluation gonflée et artificielle des travaux de RS&DE, quels qu’ils soient, que Caber Mor avait réalisés, et M. Gordon a plus tard présenté faussement les faits au vérificateur de l’ARC.

[67]  Le 5 avril 1994, l’ARC a écrit à Caber Mor pour lui faire savoir qu’une vérification des activités de RS&DE allait commencer sous peu. Le 18 avril 1994, JAD a fait enregistrer des mises à jour auprès de la Direction des compagnies de l’Ontario afin de faire savoir que trois des dirigeants de Caber Mor avaient été désignés à titre de dirigeants d’une société à numéro fournie par JAD le 1er juin 1993. Cette mesure a clairement été prise pour faciliter l’établissement d’une demande de déduction de frais de gestion au titre de la RS&DE entre les deux sociétés. Cette démarche auprès de la Direction des compagnies était fausse et malhonnête. Les dirigeants de Caber Mor n’avaient rien à voir avec la société à numéro avant que JAD la fournisse en 1994. De plus amples détails sur ce qui s’est passé au sujet de la demande de RS&DE de Caber Mor (dont la participation directe de M. Gordon) ont été décrits dans la déclaration de témoin de Kenneth Bice, recueillie par des enquêteurs de l’ARC [pièce D‑418, à l’onglet 24].

[68]  M. Gordon a laissé entendre à maintes reprises que c’était probablement M. Wong qui était responsable de la création des documents de Caber Mor qu’il avait envoyés à l’ARC, mais cela a aussi été contredit par des mesures qui ont été prises plusieurs mois après que M. Wong eut quitté JAD. Dans l’un de ces cas, le vérificateur de l’ARC, Chris Chan, a demandé à M. Gordon de confirmer ce qu’il avait affirmé plus tôt, à savoir qu’il existait un [traduction« contrat exécutoire de prestation de services » entre Caber Mor et la société à numéro qui lui était liée [pièce D‑183]. M. Gordon a répondu qu’il existait un contrat de prestation de services entre les deux sociétés et que Caber Mor avait [traduction« convenu de payer les montants » [pièce D‑184]. En contre‑interrogatoire, M. Gordon a fait les déclarations évasives et invraisemblables qui suivent au sujet de l’échange susmentionné :

[traduction]

Q.  Donc, quand M. Wong a quitté l’emploi qu’il exerçait auprès du cabinet James A. Deacur en février, vous pensez qu’il aurait pu anticiper que, le 5 juillet, M. Chan aurait envoyé cette demande par fax pour obtenir les précisions suivantes? Et je cite :

[traduction] « Les frais ont été engagés par Caber Mor Holdings Limited dans le cadre d’un contrat exécutoire de prestation de services. » [Tel que l’extrait a été lu.]

Fin de la citation ‒

R.  Où lisez‑vous ‒

Q.  ‒ qu’il aurait anticipé cette même question?

R.  Eh bien, mais ceci, ce, cette réponse, ici, elle est assez approximative. C’est‑à‑dire qu’elle ne semble pas suivre le contenu exact de la demande de renseignements. Donc, je veux dire, cela, c’est pourquoi, vous savez, j’hésite un peu, parce qu’il y a des similitudes, mais ce n’est pas, ce n’est pas tout à fait exact. Donc, hum, vous savez ‒

Q.  Donc, M. Gordon ‒

R.  Parce qu’ici, on parle de Caber Mor, et cette lettre commence par parler, ou cette chose qui y est jointe commence par parler de 1031; je conclurais donc que M. Wong a établi quelques documents. Je ne sais pas s’il a établi celui‑ci.

Et, ensuite, de plus ‒

Q.  M. Gordon, quand M. Wong est parti en février, la société à numéro n’appartenait même pas à Caber Mor.

R.  C’est votre position. Je ne suis pas d’accord sur ça. C’est le numéro un.

Numéro deux, c’est, je ne, je sais de façon générale que M. Wong est parti vers février, mais j’ignore s’il a réglé définitivement un certain nombre de choses. Il n’est pas anormal que vous acceptiez de partir, mais vous ferez des choses de plus dans le dossier avant d’être déconnecté à 100 p. 100 du cabinet. Parce que, ne l’oubliez pas, ces personnes étaient des sous‑traitants. Elles n’étaient pas salariées. Elles étaient donc rémunérées à l’heure. Ce n’est donc pas, ce n’est pas impossible que M. Wong ait encore travaillé dans le dossier. Je, aujourd’hui, je ne m’en souviens pas.

Ce sont là tous des points qu’il aurait fallu vérifier à l’époque. Aujourd’hui, je ne me souviens pas de ce que M. Wong a fait ou de ce qu’il n’a pas fait, surtout que ce n’est pas moi qui ai établi cette demande.

Q.  Vous déclarez donc sous serment, M. Gordon, que vous avez parlé à M. Wong et vous avez retenu ses services à l’heure en juillet 1994 pour qu’il réponde à ces télécopies et qu’il l’a fait entre le 5 juillet 1994, quand la télécopie a été envoyée à 15 h 30 dans l’après‑midi au cabinet James A. Deacur, et qu’il a trouvé la réponse et a été en mesure de vous la fournir pour qu’elle puisse être télécopiée le lendemain même à M. Chan; est‑ce là votre ‒

R.  Non. Premièrement ‒

Q.  ‒ est‑ce là ce que vous avancez sérieusement?

R.  Tout d’abord, ce que vous dites est absurde. Ce sont des absurdités. Est‑ce que, est‑ce que M. Wong aurait pu ‒ vous, j’ai souligné que vous ne cessez pas de dire qu’il est parti en février, et j’essaie donc de corriger ce que vous déclarez sans arrêt. Si vous ne l’aviez pas dit une dizaine de fois, peut‑être que j’aurais laissé faire. Mais vous passez votre temps à dire février, février, février; je ne sais pas vraiment s’il est parti en février. Vous essayez donc de me faire admettre qu’il a quitté et qu’il était parti en février, alors que je ne sais même pas si c’est vrai ou pas. Ça, c’est le numéro un.

Numéro deux, le temps pendant lequel il est resté avec nous ou pas, je l’ignore. Le travail qu’il a fait ici et là, je l’ignore. Et je persiste à dire que la demande est légitime. Qui a mis quel document dans le dossier, je l’ignore, parce que cette chose, ce que cette demande était, en fait, c’était une demande d’un montant peu élevé. Je travaillais sur des demandes de millions de dollars. Je m’occupais de la demande de 22 millions de dollars de Moore Corporation. Je m’occupais de Chef Boyardee, là aussi une demande de multiples millions de dollars. Je m’occupais de Dunlop Tire, une autre demande de multiples millions de dollars. Ce qui veut dire que je ne me souviens pas du temps que j’ai consacré à ce dossier, et je ne me souviens pas s’il y avait cinq personnes qui s’occupaient de ces dossiers ni des informations connexes. Je ne peux pas vous le dire avec certitude aujourd’hui. Donc ‒ [p. 3256 à 3258]

[69]  Dans un autre échange qui a eu lieu en contre‑interrogatoire, M. Gordon a admis en réalité qu’il ne disposait d’aucun fait à l’appui de la croyance qu’il existait, pour les dépenses relatives à la RS&DE, une obligation contractuelle exécutoire entre Caber Mor et la société à numéro qui était liée :

[traduction]

Q. ‒ vous faites référence à l’intention des actionnaires de Caber Mor. Vous dites que cette intention était que ce serait payé dès que possible par Caber Mor.

Sur quoi vous basez-vous pour dire ça; quelles conversations avez‑vous eues avec les actionnaires de Caber Mor au sujet de leurs plans concernant les comptes débiteurs?

R. Eh bien, je crois que je n’ai parlé qu’avec Ken Bice, le seul avec lequel j’ai parlé là‑bas. Et, en fait, comme c’est le cas de tous ces gens qui font de la R&D, ils pensaient tous que leurs inventions leur rapporteraient des millions de dollars. Donc, hum, ils ne le font pas parce qu’ils, ils n’ont rien de mieux à faire; ils le font parce qu’ils espèrent faire de l’argent.

Donc, en théorie, quand ces choses sont enregistrées et une fois qu’ils auraient gagné leurs millions de dollars, ils finiraient peut‑être par déplacer les choses vers une autre société, ce qui est une mesure de planification fiscale standard, parce que toute personne qui commence à gagner des millions de dollars dans une société et qui travaille dans le secteur de la fabrication veut un jour déplacer la fabrication ‒ l’argent qu’elle gagne dans le secteur de la fabrication vers une autre société afin qu’il soit plus à l’abri des créanciers. C’est donc, en fait, une forme standard de planification fiscale et d’organisation que l’on fait avec n’importe quelle société. Je suppose donc que le type qui pense qu’il va gagner de l’argent finirait par payer cela, le type qui pense qu’il va gagner des millions.

Q. Donc, est‑ce une chose que vous avez supposée, ou est‑ce qu’il vous l’a dite?

R. Est‑ce qu’il m’a dit quoi, qu’il allait gagner des millions?

Q. Non, qu’il prévoyait verser l’argent.

R. Il ne l’a pas dit. Je ne sais pas s’il a dit qu’il prévoyait verser l’argent. Qu’il prévoyait déplacer des fonds, un jour, lorsqu’il gagnerait des millions. J’ai donc peut‑être conclu que, après avoir gagné ces millions, il déplacerait des fonds de Caber Mor vers la société à numéro. Je ne sais donc pas s’il m’a dit qu’il allait le faire ou s’il l’a juste sous‑entendu, quand il déplacerait ses millions ‒ c’est‑à‑dire quand il gagnerait ses millions, qu’il allait faire ce que font la plupart des gens d’affaires qui possèdent une société de fabrication et déplacer une partie des opérations de cette société, en fait, vers la seconde société.

Q. Donc, quand vous avez fait cette observation à Revenu Canada, vous ne le saviez pas vraiment; vous le supposiez?

R. Supposer quoi? Il y est mentionné qu’il pourrait le payer dès que possible. J’ignore si c’est une supposition. Cela me semble être une analyse sensée, après qu’une personne vous dit qu’il gagne des millions. [P. 3236 et 3237]

[Non souligné dans l’original.]

[70]  Je ne souscris pas à ce que M. Gordon a déclaré, à savoir qu’il a été dupé d’une certaine façon par la teneur du dossier de RS&DE de Caber Mor que M. Wong avait laissé après son départ. Son désaveu de connaissance ne concorde pas avec les affirmations que M. Deacur et lui ont souvent faites, c’est-à-dire que le moyen par lequel une demande de RS&DE était présentée à l’ARC était non pertinent, pourvu qu’un client eût réalisé des travaux de RS&DE. L’essentiel de la preuve établit que MM. Gordon et Deacur ont fait activement la promotion d’opérations de RS&DE, et qu’ils les ont documentées, entre des personnes morales qui n’existaient pas au cours des exercices pour lesquels des demandes ont plus tard été présentées. Cela a été manifestement fait dans le but de gonfler la valeur des travaux de RS&DE que des clients réalisaient seuls : des travaux qui, sans cela, seraient fort probablement évalués à un niveau nettement moindre, en prenant pour base les salaires réels qui avaient été payés et déclarés. Cela a eu également pour effet de hausser la rétribution de JAD.

[71]  MM. Deacur et Gordon ont fait valoir de manière vraisemblable qu’il pouvait être acceptable d’évaluer les travaux de RS&DE d’un client en recourant à des méthodes comptables plus généreuses que celles que l’ARC appliquait parfois. Ces autres méthodes comprenaient une solution de remplacement qui consistait à ajouter des frais généraux aux salaires déclarés sur les T4 en prenant pour base un pourcentage fixe, en facturant des frais de gestion et en recourant à une évaluation fondée sur la juste valeur marchande. Je conviens avec MM. Deacur et Gordon que l’on aurait pu faire l’essai de n’importe laquelle de ces méthodes. Cela dit, la présentation documentaire de n’importe laquelle de ces méthodes devait quand même être exacte et véridique, et elle était soumise à l’exigence de l’ARC selon laquelle [traduction« les traitements et salaires qui sont affectés à la RS&DE doivent être raisonnables » [pièce D‑166, à la p. 6].

[72]  La déclaration qu’a souvent faite M. Gordon, à savoir que la méthode qu’employait l’ARC pour calculer les frais de main‑d’œuvre associés à la RS&DE était une fraude vis-à-vis des contribuables, est spécieuse et, de toute façon, elle est sans rapport avec la présente affaire.

[73]  La preuve n’établit pas que les vérificateurs ou les enquêteurs de l’ARC ont systématiquement sous‑évalué les frais de main‑d’œuvre associés aux demandes de RS&DE de contribuables en ne tenant pas compte des frais généraux. À vrai dire, les vérificateurs qui ont témoigné ont généralement reconnu qu’il fallait prendre en compte les frais généraux et que c’était souvent fait par une méthode ou par une autre [voir, par exemple, le témoignage de John Rohac, à la p. 296].

[74]  Il n’existe aucune preuve que l’ARC avait pour règle de faire abstraction de la main‑d’œuvre associée aux activités de RS&DE, et il semble qu’on laissait aux vérificateurs le soin de mettre au point leurs propres méthodes. Il n’y a rien non plus dans la preuve qui montre que les vérificateurs de l’ARC avaient l’esprit fermé à l’égard de cette question, et, même si c’était le cas, les méthodes qu’ils employaient étaient communiquées et susceptibles d’appel de la part des contribuables. En outre, selon l’évaluation que Mme Northey a faite des documents et des dépositions de témoins, les représentants de JAD n’ont jamais fait valoir que les vérificateurs de l’ARC sous‑évaluaient la main‑d’œuvre associée à la RS&DE en omettant d’inclure les frais généraux [transcription, aux p. 5950 et 5951, et à la p. 5506].

[75]  En fin de compte, cette plainte à l’égard de la manière dont l’ARC évaluait la main‑d’œuvre associée à la RS&DE est non pertinente. L’enquête que l’ARC a menée sur MM. Deacur et Gordon ne reposait pas sur l’existence d’un désaccord professionnel quant aux différentes méthodes d’évaluation de la main‑d’œuvre. Il a toujours été loisible à JAD de demander que l’on prenne en compte les frais généraux de main‑d’œuvre lors de l’évaluation des demandes de RS&DE légitimes de ses clients. Mais ce n’était pas la source de la préoccupation ultime de l’ARC. En fait, il est hypocrite de la part de MM. Deacur et Gordon de qualifier de malhonnête la méthode employée par l’ARC pour évaluer la main‑d’œuvre associée aux activités de RS&DE, au regard de leurs propres méthodes d’évaluation, qui reposaient souvent sur de fausses déclarations, dont l’antidatage de documents de leurs clients. C’est cette question qui a donné naissance à l’enquête de l’ARC, et non l’adhésion aveugle de cette dernière à un modèle d’évaluation de la main‑d’œuvre indéfendable. En fait, la méthode que JAD a employée n’avait principalement pas pour but de déterminer la valeur de la main‑d’œuvre du client en prenant pour base le montant réel des salaires versés. Elle reposait plutôt sur un modèle qui comportait un supposé paiement contractuel, fondé sur la juste valeur marchande, entre deux sociétés faisant apparemment affaire l’une avec l’autre, ou basé sur un tarif horaire qui était dissocié des frais réels de main‑d’œuvre qui étaient engagés en lien avec les activités de RS&DE et déclarés par un client. Même M. Bondergaard, qui a témoigné pour le compte des demandeurs, ne croyait pas qu’il était convenable que JAD établisse des factures de clients ou antidate des historiques de société. C’est ce que confirme son témoignage :

[traduction]

Q.  Et êtes‑vous au courant que ces frais de gestion de 775 000 $ étaient étayés par une seule facture, datée du 28 février 1994?

R.  Je m’en souviens vaguement, ouais.

Q.  Et est-ce vous qui auriez établi cette facture?

R.  Pas que je me souvienne. J’ose espérer que c’est le contribuable qui a établi ces factures. Ce n’est pas nous qui devrions le faire.

Q.  Et conviendriez-vous avec moi que les deux sociétés à numéro qui étaient en cause dans cette opération particulière étaient des entités que le cabinet Deacur avait créées?

R.  Non, je ne suis pas au courant de l’historique de ces deux sociétés.

Q.  Seriez‑vous surpris de l’apprendre?

R.  Nous avons effectivement aidé quelques clients, je crois, à créer des sociétés, mais nous n’aurions créé aucune société pour antidater, à ma connaissance, la participation ‒ le moment où ces sociétés ont participé à des activités de R&D. Ce devait être des sociétés qu’il possédait depuis des années. [P. 1423 et 1424]

[76]  Je ne suis pas d’accord avec MM. Deacur et Gordon pour dire que l’emploi qu’ils faisaient d’une méthode d’évaluation devrait être considéré isolément de la façon dont la demande a été documentée et présentée à l’ARC. Le fait de recourir à des relations contractuelles et d’entreprise, dans des circonstances où ces relations n’existaient pas, visait en fait un objectif évident. Comme il est souligné dans la pièce P‑104, si l’on recourt à une approche transactionnelle ainsi qu’à des prix établis entre parties sans lien de dépendance, il est possible d’obtenir une déduction plus généreuse au titre de la RS&DE. Sans une relation transactionnelle, il aurait été plus difficile de justifier les coûts de RS&DE plus élevés que MM. Deacur et Gordon soumettaient à l’ARC à titre d’évaluations fondées sur la juste valeur marchande.

[77]  L’idée qu’il serait approprié de demander le paiement d’un crédit d’impôt élevé sur la seule foi d’une écriture de journal antidatée, pour une dépense de RS&DE déduite qui n’a jamais été engagée et que le demandeur n’avait aucune intention de payer, est spécieuse. Aucun comptable fiscaliste compétent n’aurait pu s’attendre à ce qu’un tel arrangement soit considéré sous un jour favorable, et je ne suis pas surpris que les demandeurs n’aient pas produit de preuves d’expert pour valider leur approche. En fait, le guide qu’a publié l’ARC sur la manière de remplir les demandes relatives aux dépenses de RS&DE au moyen du formulaire T661 [pièce D‑166] indiquait à l’époque que les dépenses valides devaient être [traduction] « courantes » et avoir été [traduction] « engagées », et qu’il fallait que les activités aient été [traduction« entreprises » ou [traduction] « données à contrat » par [le demandeur]. Ces termes contredisent le témoignage de M. Gordon, aux pages 3031 et 3050, à savoir qu’il était possible de répondre à l’exigence d’une dépense [traduction] « engagée » par une simple inscription comptable faite après‑coup. Une interprétation valable des principes pertinents figure à la pièce D‑214.

[78]  M. Gordon a aussi tenté de justifier le fait que JAD avait antidaté des documents de clients en adoptant une définition manifestement invraisemblable du mot « engagé ». En contre‑interrogeant Mme Northey, il lui a soumis la définition suivante de ce mot :

[traduction]

« Être assujetti à une chose et en être tenu responsable. Être soumis à des obligations imposées par une loi ou l’application de la loi. Par exemple, on dit que des dépenses sont engagées quand l’obligation légale de les payer prend naissance. ». [Tel que l’extrait a été lu.] [P. 5638]

Il a ensuite laissé entendre à Mme Northey que l’on répondrait à la définition en faisant après‑coup une inscription de journal dans les registres du contribuable. Selon M. Gordon, on créerait ainsi rétroactivement une obligation en vue de l’obtention d’un crédit d’impôt [p. 5640]. Mme Northey a ensuite donné la réponse suivante :

[traduction]

Q.  Lorsque vous documentez quelque chose ‒ quand vous consignez une écriture de journal dans les registres par l’action ‒ par le ‒ et que l’actionnaire a convenu de consigner cette écriture de journal dans les registres, les dossiers, les états financiers, est‑ce pour vous une obligation?

R.  Ce n’est pas une véritable obligation, sauf si elle reflète réellement ce qui s’est vraiment passé dans l’entreprise. C’est là toute la méthode de comptabilisation. La comptabilisation consiste à consigner un fait réel et ce qui se passe dans l’entreprise. Et, dans ce cas‑ci, juste par la simple consignation, je pourrais consigner aujourd’hui une écriture de journal disant que je dois, à vous ou à qui que ce soit d’autre, beaucoup d’argent. Le fait que l’écriture soit consignée n’a pas d’importance, il ne s’agit que d’une opération fictive. Il faut vérifier ce qu’il y a derrière, examiner le fond de l’opération, et ce qui a réellement eu lieu et s’est réellement passé.

Le simple fait qu’une opération soit consignée ne veut pas dire qu’il existe une véritable obligation; il faut regarder ce qu’il y a derrière et voir réellement ce qui se passe. Et il y a beaucoup de jugements, une grande quantité de jugements, où l’on parle d’écritures de journal qui ne reflètent pas ce qui s’est réellement passé et qui ont été rejetées ou considérées comme frauduleuses ‒ il a été conclu que ces écritures étaient frauduleuses.

Donc, si on examine ces écritures, il est question en fait de ce qui s’est passé dans ces sociétés, et le simple fait de consigner une écriture de journal ou un bout de papier ou quoi que ce soit d’autre dans un document ne veut pas dire que c’est ce qui s’est réellement passé, qu’il existait une obligation véritable.

Ces personnes étaient actives en 1991; elles ont exercé leurs activités en 1991, qui ont pris fin en 1991. Et elles avaient effectué dans le cadre de leurs activités des opérations qui avaient été consignées dans leurs états financiers et elles avaient fait ces choses. Ensuite, en 1992, elles ont eu certaines choses. Elles ont engagé certains frais, elles avaient accompli certaines activités, elles les avaient consignées, elles étaient là. En 1993, la même chose; James A. Deacur intervient, et ses associés, vous‑même inclus, interviennent en 1994 et, à ce moment‑là, vous créez une série de faits différente qui ne reflète pas la véritable nature des activités et ce qui s’est passé durant ces années, et il ne s’agit pas d’une obligation véritable, même si vous la consignez dans les registres.

Et c’est donc là ‒ vous savez, nous pouvons adopter cette définition, c’est bien, mais en réalité, c’est ‒ une écriture de journal a pour but de refléter la réalité de ce qui s’est passé, et le simple fait de consigner une écriture de journal ne veut pas dire qu’il s’agit d’un fait véridique et que celui-ci reflète ce qui s’est réellement passé. Ça se fait tout le temps; des dépenses gonflées, des recettes surestimées. Ça se fait tout le temps. [P. 5641 à 5643]

[...]

Q.  Nous allons y donner suite ici, parce que la question qui se pose est la suivante : les personnes ont‑elles fait des travaux qui étaient liés à la R&D?

R.  Elles ont fait les travaux en 1991 et elles ont engagé des frais en 1991, et ces frais engagés étaient ‒ dans la majorité des affaires qui ont été soumises à la Cour, il y avait une petite quantité de documents. Et, parfois, ces personnes se payaient elles‑mêmes un salaire, et elles ont bel et bien engagé des frais à l’égard de leurs traitements et salaires, mais elles n’étaient pas propriétaires de ces sociétés secondaires et elles n’ont pas effectué d’opérations avec ces sociétés secondaires pendant les années où elles exploitaient et menaient des activités de R&D.

Et maintenant, après-coup, nous voilà avec une société secondaire; voici une facture. Elles n’avaient aucune relation avec cette société à l’époque, et, par conséquent, il ne pouvait y avoir aucune obligation véritable à l’époque où ces opérations alléguées ont eu lieu.

Q.  Maintenant, ces personnes ont fait le travail, est-ce bien ce que vous avez dit?

R.  Elles avaient effectué du travail.

Q.  D’accord. Maintenant, si elles ont bel et bien travaillé ‒ vous dites donc que si elles ont effectué du travail et qu’elles ne se sont pas payé un salaire suffisant, donc vous dites ‒ j’essaie de déterminer si vous dites que ces personnes ont engagé des frais ou qu’elles n’en ont pas engagé.

R.  Elles ont engagé les frais dans l’année, sous forme de traitements et salaires, qu’elles se sont payées elles‑mêmes dans l’année ou dans les 180 jours suivant la fin de l’année. Quand James A. Deacur & Associates entre en scène en 1994, le délai de 180 jours est écoulé pour l’année 1991, le délai de 180 jours est écoulé pour l’année 1992 et il l’est aussi pour l’année 1993.

Il reste donc ce qui s’est réellement passé en 1991, et ces personnes se sont payées elles‑mêmes; dans certains cas nous ne voyons rien, ou dans certains cas nous en voyons, comme Blackbrook, 17 000. Il y a des montants qu’elles ont engagés, mais le montant qui est réclamé à l’ARC est nettement supérieur, que ce soit un salaire ou que ce soit des frais de gestion qui entrent en vigueur.

Et l’effet de ce montant supérieur est que vous vous attendez à recevoir un crédit d’impôt à l’investissement au titre de la RS&DE d’un montant de 35 p. 100.

Q.  Je vois ce que vous faites, vous allez donner de longues réponses, allez‑y. Mais le fond de l’affaire, c’est ce que je ne suis pas d’accord sur le terme que vous employez, [traduction] « engagé ». Donc, nous essayons de faire en sorte que vous répondiez aux questions, plutôt que de répéter sans cesse la même chose. [P. 5643 à 5645, et voir la déposition de Mme Northey, à la p. 5314]

[79]  Mme Northey a effectivement admis qu’une évaluation fondée sur la juste valeur marchande pouvait être acceptable, mais seulement si elle était rattachée à une obligation véritable [p. 5650 et 5659].

[80]  J’ai de la difficulté à croire qu’un comptable agréé censément compétent et chevronné puisse soutenir le point de vue que M. Gordon a exprimé à propos de l’éthique et de la validité de la méthode d’antidatage que M. Deacur et lui employaient. En revanche, l’interprétation de Mme Northey concorde avec la loi ainsi que les principes comptables généralement reconnus et a constitué un solide fondement pour le dépôt des accusations de fraude à l’encontre de JAD et de MM. Gordon et Deacur, en lien avec 28 des 31 demandes de RS&DE qui étaient mentionnées dans les actes d’accusation. Tous ces dossiers comportaient des allégations de diverses formes de fausse représentation des historiques comptables de contribuables, pour lesquelles des renvois à procès ont été inscrits.

[81]  L’ARC avait également raison d’avoir des doutes au sujet des supposées évaluations fondées sur la juste valeur marchande que JAD avait inscrites dans certaines des demandes de RS&DE qui ne comportaient pas la création rétrospective d’opérations intersociétés. Pour le petit nombre de ces affaires (seules trois étaient visées par l’affaire criminelle), Mme Northey a expliqué le problème de la manière suivante :

[traduction]

R.  Dans la présente affaire, dans le cas des trois sociétés visées par les accusations, il n’y avait aucune preuve du fait qu’on leur avait payé un tarif différent pour la R&D et il n’y avait aucune preuve qu’elles avaient imputé un coût différent à la R&D dans leurs documents de travail et au travail qu’elles avaient fait dans l’année où elles l’avaient fait. Il n’y a donc rien de cela.

Si l’on examine les documents de travail de James A. Deacur & Associates que nous avons saisis, il n’y a rien à dire, sinon qu’ils ont effectué 560 heures de travail à la juste valeur marchande et qu’ils sont ensuite passés au tarif fondé sur la juste valeur marchande et que cela pouvait être imputé, mais les salaires destinés à ces personnes, à la juste valeur marchande, ne reflétaient pas les coûts engagés. Et nous parlons maintenant de Patriot, mais les coûts qui ont été imputés étaient nettement supérieurs aux montants indiqués, dans le cas présent, sur les T4.

Et donc, quand on examine les faits de l’affaire, quand on va ‒ quand nous sommes allés parler aux représentants du dossier, pas une seule fois ils nous ont dit qu’on les avait payés 80 $ pour de la R&D et cinq dollars, ou zéro dollar, pour tout ce qu’ils avaient fait d’autre. Aucune preuve n’a donc été présentée, sauf que vous avez dit, et les documents saisis le mentionnent, qu’ils avaient effectué 560 heures de travail multipliées par un tarif fondé sur la juste valeur marchande.

Et cela ne correspondait pas aux coûts réellement engagés, parce que, si l’on calculait le tarif fondé sur la juste valeur marchande, celui-ci était en fait supérieur aux coûts engagés. Et il ressort clairement du dossier, et quand nous sommes allés parler avec les clients de la société, les propriétaires de la société, ils nous ont dit combien on les avait payés, et aussi quand nous avons parlé avec eux dans le cadre de la vérification ou de notre enquête.

Q.  Eh bien, c’est votre ‒ mais ce que nous disons ici, c’est que Mark Durst est un CPA et il dirigeait une société, et il a dit que le tarif était raisonnable et il a dit qu’il s’agissait d’un tarif raisonnable et il a convenu de l’utiliser.

Donc, ce que je vous demande, c’est que l’on a affaire à un CPA qui dirige une société importante et qui dit qu’il s’agit d’un tarif raisonnable, ce que j’essaie d’obtenir de vous, c’est que, lorsque vous partez du fait que M. Gordon dit qu’il s’agit d’un montant raisonnable, que Mark Durst, un autre CPA, le propriétaire de la société, dit que c’est un montant raisonnable, qu’est‑ce qui autorise P. Northey à dire que c’est criminel, parce que moi, ce que je dis, c’est que ce que vous avez fait est criminel. Alors, dites‑moi pourquoi ce que vous avez fait n’est pas criminel? [P. 5664 et 5665]

[...]

Q.  M. Gordon dit que c’est raisonnable, Mark Durst, le propriétaire de la société qui s’efforce d’exploiter une société de 300 employés et qui a six années d’expérience dans le secteur public, dit que c’est raisonnable, qu’est‑ce qui vous fait dire que ce n’est pas raisonnable? Dites‑le‑nous.

R.  Nous examinions la preuve réelle émanant de la société et nous examinions les dépenses réelles de la société, et c’est cela que nous tentions de répartir.

Parce que, dans la Loi de l’impôt sur le revenu, dans les dispositions relatives à la RS&DE, il est dit que, si vous êtes payé en partie pour de la R&D et en partie pour du travail dans votre entreprise, vous devez dans ce cas imputer une part raisonnable de ce que vous avez dépensé en R&D. Et donc, quand nous sommes retournés et que nous avons examiné les registres de paye de Patriot Computers, nous essayions d’établir ce qu’il avait réellement dépensé au cours de l’année avant qu’il entre en relation avec James A. Deacur & Associates, ce qu’il avait réellement dépensé dans l’année, et, ensuite, combien d’heures de travail il avait effectuées dans son entreprise par opposition à la quantité d’heures qu’il avait travaillées en R&D, et nous avons déterminé de manière raisonnable quelles étaient les dépenses spécifiquement imputables à la R&D. C’est la méthode que nous avons suivie dans ces dossiers, et elle était basée sur les faits relatifs à la société et sur ce que ses représentants nous ont dit. [P. 5666 et 5667, et voir aussi les p. 5675 et 5676]

[82]  Les points de vue exprimés ci‑dessus étaient raisonnables dans les circonstances, quoique le fait de prouver une intention frauduleuse en l’absence d’une fausse déclaration manifeste ait constitué un obstacle supplémentaire. C’est peut‑être pourquoi la poursuite qui a été finalement engagée a principalement porté sur des questions qui mettaient en cause des opérations fictives, étayées par des documents antidatés.

[83]  Il y a un fait inéluctable : la relative faiblesse de trois des affaires qui ont fait l’objet d’une poursuite n’est pas une excuse juridique pour la conduite qui est alléguée dans les 28 affaires restantes. Même sans ces trois affaires, celles qui restaient, et qui mettaient en cause de fausses déclarations présentées à l’appui de demandes d’un montant élevé, ont servi de fondement raisonnable à la tenue de l’enquête et au dépôt ultérieur d’accusations.

[84]  En conclusion, je rejette la preuve des demandeurs au sujet de la validité de leurs méthodes de documentation des demandes de RS&DE que l’ARC considérait comme douteuses. Cette preuve était intéressée et elle ne cadrait pas avec ce que toute personne raisonnable, et encore moins un comptable agréé, considérerait comme justifiable. Le fait que les demandeurs aient antidaté des documents dans ces affaires, dans le but de justifier des évaluations des dépenses de RS&DE d’un montant supérieur, était tout bonnement indéfendable et incompatible avec des méthodes comptables bien connues et généralement admises.

VI.  L’ARC a‑t‑elle validé les méthodes de JAD?

[85]  MM. Deacur et Gordon soutiennent que l’ARC a validé leurs méthodes de plusieurs façons. Ils disent à quelques reprises que les vérificateurs de l’ARC ont entériné ce qu’ils faisaient, en faisant droit à certaines des demandes présentées. Pour trois demandes de RS&DE que le vérificateur John Rohac avait rejetées au stade de l’établissement d’une nouvelle cotisation, les demandeurs invoquent le succès de leurs appels ultérieurs, qui ont rétabli les approbations initiales des vérificateurs. Ces résultats d’appel, disent‑ils, dénotent que l’on a implicitement souscrit au bien‑fondé de l’antidatage de documents en vue d’établir une valeur pour les demandes de RS&DE, et ils minent les raisons pour lesquelles l’ARC a engagé la poursuite. Les demandeurs se fondent également sur des déclarations attribuées à deux vérificateurs de l’ARC à la retraite qui, disent‑ils, ont explicitement souscrit à la méthode contestée que JAD a employée pour la RS&DE, soit Ronald Moore et Joseph Goldstein.

[86]  M. Rohac a été appelé comme témoin par les demandeurs. Ce comptable en management agréé est au service de l’ARC depuis 1990, à titre de vérificateur. J’ai conclu que M. Rohac était un témoin digne de confiance et fiable, malgré des trous de mémoire compréhensibles.

[87]  M. Rohac a été interrogé sur sa méthode d’évaluation des frais de main‑d’œuvre lors d’une vérification relative aux dépenses de RS&DE. Sa méthode de base pour calculer un tarif de rémunération horaire consistait à prendre le revenu inscrit sur le feuillet T4 d’un employé et à le diviser par 2 000 heures. Ce tarif horaire était ensuite multiplié par le nombre d’heures consacrées par cet employé, dans l’année applicable, à des activités de RS&DE. M. Rohac n’a pas pu se souvenir s’il avait reçu instruction de recourir à cette méthode ou s’il existait une directive de principe de l’ARC qui étayait cette dernière. Il a déclaré : [traduction« J’ai essayé d’utiliser la technique de vérification qui correspondait à ce dont j’avais besoin » [p. 290].

[88]  M. Rohac a été interrogé de près sur la nécessité d’inclure des frais de main‑d’œuvre généraux dans le calcul du coût réel de la main‑d’œuvre. Il a reconnu qu’il était légitime de prévoir des frais généraux et que l’application, pour ces derniers, d’un montant de remplacement représenté par un pourcentage des salaires versés était acceptable, elle aussi [p. 304, 430 ainsi que p. 372 et 373].

[89]  Interrogé par M. Gordon, M. Rohac a également reconnu qu’il était possible de présenter une demande de RS&DE en prenant pour base les frais prévus par un contrat conclu entre deux sociétés liées. Cependant, les questions qui lui ont été posées et les réponses qu’il a données reposaient sur l’idée que des activités de RS&DE réelles avaient été exécutées par une société pour le compte de l’autre [transcription, p. 406]. Quand il a été interrogé par MM. Deacur et Gordon, ceux‑ci ne lui ont jamais demandé de commenter un scénario qui ressemblait à leur méthode de documentation d’un supposé compte créditeur entre deux sociétés qui, à l’époque pertinente, n’entretenaient aucune relation contractuelle. En fait, dans le cas d’une vérification que M. Rohac avait faite au sujet du client de JAD, CDD‑REM, on ne lui a jamais demandé lors de l’interrogatoire principal comment la demande de RS&DE se comparait en réalité aux méthodes qui préoccupaient les enquêteurs de l’ARC. En contre‑interrogatoire, il a été établi que la demande de CDD‑REM comportait des frais versés entre des sociétés existantes, pour des activités réellement exécutées dans le cadre d’un contrat, et ce, sans antidatage de documents [transcription, p. 432 et 433]. En fin de compte, rien de ce que M. Rohac a fait en lien avec la vérification de CDD‑REM n’est pertinent pour les affaires qui sont finalement devenues le point de mire de l’enquête de l’ARC et des accusations criminelles.

[90]  MM. Deacur et Gordon critiquent les nouvelles vérifications que M. Rohac a effectuées dans le cas de certaines des demandes de RS&DE qui faisaient toutefois l’objet de préoccupations de la part de l’ARC [par. 72 de la nouvelle déclaration modifiée présentée dans le dossier T‑474‑06 et par. 75 de la nouvelle déclaration modifiée présentée dans le dossier T‑473‑06]. L’une d’entre elles était une demande de Markeck Manufacturers Inc [Markeck] dans le cadre de laquelle M. Rohac avait réduit le crédit de RS&DE antérieurement approuvé de 26 250 $ à 7 231 $ [pièce D‑9]. Cette nouvelle vérification avait été effectuée sur la foi d’une déclaration solennelle fournie par le président de cette société, Mike Djurinec, à des enquêteurs de l’ARC qui avaient soulevé un certain nombre de préoccupations à propos de la méthode que JAD avait suggérée pour présenter la demande. Sur l’avis d’un autre comptable, M. Djurinec a refusé de donner effet à certaines écritures comptables que M. Deacur avait suggérées, parce qu’elles étaient considérées comme [traduction« déraisonnables » [pièce D‑418, à l’onglet 34, par. 33]. M. Rohac a conclu sa vérification en indiquant ce qui suit :

[traduction]

Il ressort de la preuve que les factures des sociétés liées n’avaient pas trait à de véritables activités de R&D et qu’elles ont été établies dans le but d’augmenter des dépenses admissibles en vue du calcul du CTI. De plus, étant donné que Markeck n’a jamais fait de dépense au titre de la RS&DE, la totalité du montant des factures de Subo Inc. et de 457356 Ontario Limited est rejetée, indépendamment des résultats de la vérification initiale. [Pièce D‑9]

[91]  Dans son témoignage, M. Rohac a déclaré que, compte tenu des renseignements disponibles, il n’aurait rien fait de différent.

[92]  M. Rohac a également vérifié à nouveau les demandes de RS&DE de Roglen Holdings Ltd [Roglen], à la suite d’une déclaration solennelle de Ronald Lowther. Ce dernier avait déclaré aux enquêteurs de l’ARC que la demande de Roglen avait été établie par M. Deacur. Dans son rapport de vérification, M. Rohac a résumé en ces termes la preuve sous serment de M. Lowther :

[traduction]

M. R.W. Lowther a signé une déclaration solennelle, datée du 14 novembre 1996. Dans cette déclaration Ron a déclaré, au paragraphe 19, qu’il n’avait été propriétaire de Roglen qu’après avoir rencontré Deacur en août 1993. Il a également déclaré, au paragraphe 21, qu’il avait antidaté la signature du registre des procès‑verbaux. Au paragraphe 30, Ron a déclaré qu’il n’était pas propriétaire de 998801 en 1992, parce qu’il n’avait rencontré Deacur qu’en août 1993. Au paragraphe 68, Ron a indiqué qu’il avait ouvert un compte bancaire commercial (5000501) auprès de la Banque Laurentienne du Canada au nom de Roglen Holdings, qui n’avait servi qu’à déposer des chèques du gouvernement du Canada. Aux paragraphes 72 et 73, Ron a déclaré que 998801 n’avait jamais eu son propre compte et qu’il n’y avait jamais eu d’échange de fonds entre Roglen et 998801.

CONCLUSION : E 1993, tous les frais de sous‑traitance sont rejetés, puisque ni Roglen ni 998801 n’ont été la propriété de Ron ou de Tony Lowther au cours de l’exercice se terminant le 31 juillet 1993. Par conséquent, comme ils n’étaient pas propriétaires des sociétés, celles-ci ne pouvaient pas exécuter des activités de R&D pour les Lowther, et la demande est dénuée de tout fondement. Toutes les dépenses antérieurement approuvées sont rejetées, puisque la vérification initiale et les appels ont été l’objet de fausses déclarations.

E 94

998801 a transmis à Roglen deux factures datées du 31 décembre 1993, de 40 000 $ chacune. Le total de 80 000 $ représente le total des ventes de 998801 pour l’année.

Lors de l’entretien du 17 octobre 1996 entre Ron Lowther et Connie Bailey et Art Payne du Ministère, M. Lowther a déclaré que 998801 Ontario n’avait pas de compte bancaire, qu’elle n’avait jamais eu de papier à en‑tête et qu’il s’agissait d’une société fictive. De plus, les seules inscriptions qui apparaissent dans le compte bancaire de Roglen avaient trait à des activités de R&D. Cela dénote que 998801 a juste été créée pour rendre légitimes les facturations de R&D et augmenter les crédits.

De plus, au paragraphe 38 de la déclaration solennelle, Ron a déclaré que les projets avaient atteint leurs objectifs au 31 juillet 1993 et que, en décembre 1993, ils avaient été approuvés pour diffusion. Le rapport scientifique indiqué dans le TF98 pour l’exercice 1993 indique que des brevets ont été demandés et qu’ils sont en instance. Ce fait soulève des questions quant aux activités de R&D réelles qui ont été réalisées entre le 1er août 1993 et le 31 décembre 1993, ce qui représente l’exercice 1994.

Au paragraphe de la déclaration solennelle, Ronald Lowther a déclaré qu’il n’y avait jamais eu d’échanges de fonds entre Roglen et 998801.

CONCLUSION : 998801 n’était qu’une société fictive, qui n’a exécuté aucune activité de R&D.

Par conséquent, les factures ne sont pas de véritables factures de R&D. De plus, au paragraphe 73 de la déclaration solennelle, Ronald Lowther a déclaré qu’il n’y avait jamais eu d’échanges de fonds entre Roglen et 998801, ce qui veut dire qu’il n’y a pas eu de dépenses.

En outre, Ron Lowther a déclaré qu’au 31 août 1993, les travaux étaient terminés. Étant donné que seul un examen sur dossier a été réalisé pour l’exercice 1994, il est possible que ce fait n’ait pas été relevé à cause de ce seul examen superficiel.

Compte tenu de ces faits, les factures que 998801 a établies au nom de Roglen sont une dépense de R&D inadmissible. [Pièce D‑13]

[93]  La nouvelle vérification à laquelle M. Rohac a soumis la demande de RS&DE de Signet Marketing Inc. [Signet] était elle aussi étayée par une déclaration solennelle du président de Signet, John Savelli [pièce D‑14]. Cette déclaration révélait que M. Deacur avait recommandé de créer une société de gestion pour justifier une provision pour frais de gestion avec Signet. JAD a fourni une société à numéro à cette fin. M. Rohac a rejeté les éléments des demandes de RS&DE de Signet qui étaient fondés sur des factures de frais de gestion, parce qu’il comprenait que les deux sociétés n’avaient entretenu aucune relation commerciale au cours des périodes pertinentes [pièce D‑15].

[94]  Après avoir examiné la preuve dont disposait M. Rohac au moment où il a procédé à de nouvelles vérifications des comptes de Markeck, Roglen et Signet, je suis persuadé qu’il avait des motifs raisonnables pour établir ces nouvelles cotisations. Je rejette toute idée selon laquelle il a effectué ce travail à la suite d’instructions données, en ayant l’esprit fermé ou en étant animé d’un motif inavoué. Qui plus est, j’accepte son témoignage selon lequel son travail concernant les demandes de RS&DE de JAD n’a pas été fait au soutien de l’enquête criminelle de l’ARC. Bien qu’il se soit fondé sur des renseignements que des enquêteurs de l’ARC avaient obtenus, il procédait simplement à une fonction de vérification légitime, une fonction qui n’a pas influencé le cours de l’enquête ou le dépôt d’accusations criminelles. En bref, les nouvelles cotisations qu’il a établies n’ont rien à voir avec les questions qui me sont soumises.

[95]  MM. Deacur et Gordon prétendent toutefois que leurs méthodes ont été confirmées par les appels fructueux se rapportant aux nouvelles vérifications auxquelles M. Rohac avait soumis les demandes de Signet, de Markeck et de Roglen, après l’arrêt de la poursuite criminelle. Je ne suis pas d’accord.

[96]  Les résultats de ces appels ne constituent pas une répudiation de l’enquête ou de la poursuite visant JAD. Chacun des appels a été tranché par un règlement informel qui a simplement rétabli la vérification initiale qui favorisait les contribuables. Rien dans les rapports d’appel n’entérine expressément les méthodes d’antidatage auxquelles JAD avait eu recours. En fait, tous les appels sont qualifiés de règlements négociés [traduction« sous toutes réserves » avec les contribuables nommés.

[97]  L’agente d’appel Elaine Collingwood a déclaré dans son témoignage qu’il y avait, dans chacun des dossiers, des incertitudes en matière de preuve, dont une question de délai de prescription qui aurait pu faire obstacle aux nouvelles cotisations de M. Rohac après trois ans [p. 6022]. Dans la mesure où ce dernier n’avait pas traité de la question du délai de prescription ni établi un rapport fondé sur l’article 152, les vérifications ont été considérées comme vulnérables si elles étaient soumises à la Cour canadienne de l’impôt. L’incertitude de l’issue probable de ces affaires est également confirmée par les explications qui ont été consignées à l’époque dans les règlements respectifs conclus avec les contribuables [pièces D‑452, D 453 et D‑451]. Le témoignage de Mme Collingwood allait dans le même sens :

[traduction]

R.  Encore une fois, nous ne disons pas que le contribuable a raison ou que l’ARC a raison. Nous disons que les faits de l’affaire ne sont pas clairs. Et nous soupesons et examinons le risque de ‒ nous évaluons le risque que présentent les dossiers, et s’il fallait que ce dossier soit soumis à la Cour de l’impôt, serions‑nous capables de justifier les cotisations? Et si nous n’en sommes pas sûrs, là encore, nous accordons le bénéfice du doute au contribuable et nous annulons la cotisation. Mais je n’ai jamais pris la décision au sujet du dossier. [p. 6039]

[98]  Mme Collingwood a ensuite ajouté que rien dans les résultats d’appel n’était censé entériner ou justifier les méthodes que JAD avait employées pour présenter les demandes initiales [p. 6044].

[99]  J’accepte l’explication de Mme Collingwood quant à la raison pour laquelle ces trois appels ont été accueillis. Il s’agissait de règlements pragmatiques, qui n’avaient aucune importance, ex post facto, pour le caractère raisonnable de l’enquête antérieure et de la poursuite visant JAD.

[100]  Ronald Moore était, à l’époque de l’enquête sur JAD, le directeur des Opérations à l’ARC, et il travaillait à l’Administration centrale, à Ottawa. À ce titre, il fournissait des activités de formation et des conseils sur les aspects techniques des enquêtes.

[101]  M. Moore vit maintenant en Nouvelle‑Écosse. Il n’a pas témoigné dans la présente instance en raison de problèmes de santé, mais j’ai permis que l’on dépose en son absence le témoignage qu’il avait fait lors de l’enquête préliminaire. Ce témoignage a été rendu sous serment, à une époque nettement plus rapprochée des faits pertinents qu’aujourd’hui, et il a une apparence de fiabilité. Toutefois, ce témoignage n’a pas pu être mis à l’épreuve par la défenderesse en l’espèce, et il s’agit là d’un facteur qui touche à sa valeur probante.

[102]  MM. Deacur et Gordon font valoir que le témoignage que M. Moore a fait à l’enquête préliminaire a lui aussi entériné les méthodes qu’ils employaient pour documenter les demandes de RS&DE.

[103]  La supposée acceptation, par M. Moore, de la manière dont JAD documentait les demandes de RS&DE découlerait d’un échange ayant eu lieu en réponse à un scénario hypothétique, long et à plusieurs volets, qui lui avait été présenté en contre‑interrogatoire. L’un des éléments des hypothèses que l’on avait soumises à M. Moore indiquait que la méthode de RS&DE qui était en cause consistait à recourir à une société de gestion à l’appui d’une facturation fondée sur la juste valeur marchande. On lui avait ensuite demandé de souscrire à la thèse suivante :

[traduction]

Q. Maintenant, je vous demande d’admettre que la Cour dispose d’une preuve que, dans bien des cas ‒ vous souvenez‑vous de la référence faite à la société de gestion et au livret intitulé « Stretching your Tax Dollar » que je vous ai montré?

R. Je m’en souviens.

Q. D’accord. Que, dans bien des cas, le transfert de cette société de gestion aux personnes, parce que des personnes font de la R&D, aux personnes qui ont réellement exécuté les activités de R&D a eu lieu rétrospectivement. Je vous demande donc d’admettre qu’il s’agit là de la preuve. [Pièce P‑459, vol. 103, à la p. 72]

[104]  Le scénario hypothétique complet que l’on avait demandé à M. Moore d’examiner s’étend sur environ trois pages entières de la transcription et se termine par l’échange suivant :

[traduction]

D’accord. En vous basant sur toutes les choses que je vous ai fait admettre, et pour les seuls besoins de votre réponse à la présente question, à l’époque où vous étiez vérificateur, est‑ce que l’un quelconque des points que je viens juste de mentionner vous aurait posé un problème quelconque?

R. Euh, cela fait longtemps, comme je l’ai dit plus tôt, que je ne suis plus vérificateur. Il faudrait remonter à 1970 ou 1971 environ. Et je ne m’occupais certainement pas de R&D et de toutes les dispositions qui s’y rapportent aujourd’hui. Avec mes connaissances restreintes ‒ c’est‑à‑dire, après avoir écouté ce que vous avez dit, accepté ce que vous avez dit, mais je dois préciser que je ne possède pas l’expertise technique qu’il faut pour connaître réellement, tout d’abord, les tenants et les aboutissants de la R&D et tout le reste qui s’y rapporte.

Q. Bien.

R. Encore moins la comptabilité des sociétés ou la production des déclarations T2, ce que, honnêtement, je serais incapable de remplir moi‑même. Et sans avoir une connaissance complète du sujet, ou fort peu de connaissances, sinon aucune, sur la présente affaire pour savoir le genre de choses que vous‑même cherchez à découvrir à partir du rapport de poursuite, la mens rea et les choses que le ministère public allègue censément. Il est très difficile pour moi de vous répondre. Mais par souci d’équité envers toutes les parties, je dirais que, si tout ce que vous venez juste de mentionner était exact, euh, et qu’il n’y avait pas d’autres faits, qu’il n’y avait rien d’autre pour l’étayer, cela ne me poserait aucun problème. [Pièce P‑459, vol. 103, à la p. 73] [Non souligné dans l’original.]

[105]  Comme M. Moore l’a déclaré, sa réponse très nuancée débordait largement le cadre de son champ d’expertise. De plus, on ne peut pas considérer que ce témoignage entérine les méthodes précises que JAD a employées pour présenter les demandes de RS&DE qui ont été l’objet de la plupart des accusations criminelles. Une vague allusion à un transfert rétrospectif d’une société de gestion ne décrit pas, même de loin, la pratique qu’avait JAD d’antidater des documents transactionnels et d’entreprise dans le but de représenter une situation commerciale qui n’avait jamais réellement existé. Il y avait plusieurs faits importants qui ne figuraient pas dans la question hypothétique qui a été soumise à M. Moore, des faits qui s’inscrivaient tous aisément dans le cadre de la réserve qu’il a exprimée : [traduction« [...] et qu’il n’y avait pas d’autres faits ». Cette preuve n’étaye pas l’argument que les méthodes de JAD étaient justifiées.

[106]  M. Goldstein est un vérificateur de l’ARC à la retraite. Il a témoigné pour le compte de la défenderesse. En 1994, il travaillait comme vérificateur des demandes de RS&DE, au bureau de Toronto‑Nord. Son supérieur était Kirby Wong. En 1994, M. Goldstein a été chargé de procéder à la vérification d’une demande de RS&DE concernant un client de JAD, Permalite Skylights Inc. [Permalite]. En cette qualité, il a rempli une liste de contrôle de vérification qui comportait une note disant que la demande n’incluait pas d’opérations avec une partie liée [pièce D‑207, à la p. 3]. M. Goldstein a fait droit à la demande, telle qu’elle avait été présentée [pièce D‑208].

[107]  M. Gordon a pris part à la présentation de la demande de RS&DE de Permalite. Dans le mémoire après procès des demandeurs, aux paragraphes 442 et 503, la vérification de Permalite dont M. Goldstein s’est chargé est citée comme preuve que les méthodes d’antidatage de JAD étaient acceptables. La plaidoirie en réplique de M. Gordon attribuait aussi à M. Goldstein des déclarations selon lesquelles la méthode précise de création d’une relation contractuelle intersociétés antidatée était permissible. Cette affirmation est incompatible avec les résultats de la vérification d’une demande de RS&DE que M. Goldstein a effectuée au sujet d’un client de JAD, soit 837974 Ontario Limited. Cette demande mettait en cause une opération alléguée entre parties liées pour 1993 qui comportait des frais de gestion de 80 000 $. Sur ce montant, M. Goldstein n’a autorisé que 5 000 $, au motif qu’il manquait de preuves que le travail avait réellement était fait au cours de la période en question [pièce D‑210 et témoignage de M. Goldstein, à la p. 3520].

[108]  Quand il a été demandé à M. Goldstein, lors de l’interrogatoire principal, si les imputations de M. Gordon étaient valides, il les a niées dans la série suivante de réponses :

[traduction]

R.  Tout ce que je peux dire, c’est que toutes les opérations à vérifier doivent être assorties de documents de base, et je ‒ et je n’indiquerais jamais ‒ je ne ferais pas de commentaires, aucun commentaire, comptable ou autre, lors de mes vérifications. Je suis là strictement pour faire une vérification. Et jamais je ne ‒ et surtout pour ce qui est des documents de base, tout, toutes les opérations doivent être assorties de documents de base.

Q.  D’accord, et ensuite le commentaire suivant est :

[traduction] « De plus, le vérificateur de demandes de RS&DE de l’ARC a convenu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer un paiement et convenu en outre qu’aucune seconde société n’était nécessaire à l’heure actuelle ». [Tel que l’extrait a été lu.]

Avez‑vous un commentaire à formuler à ce sujet?

R.  Je reviens à ce que je viens tout juste de dire. Je ne ferais pas, quelles que soient les circonstances, des commentaires sur une méthode comptable quelconque, quoi que fasse un contribuable, ce n’est pas ma responsabilité. La mienne consiste simplement à procéder à la vérification.

Q.  Et ensuite le commentaire suivant :

[traduction] « De plus, le vérificateur de demandes de RS&DE de l’ARC, M. Goldstein, a convenu qu’il était permissible de déclarer une dépense aujourd’hui et de créer une société ultérieurement, de façon à ce que la dépense déduite aujourd’hui soit imputée à la société qui devait être constituée dans l’avenir ». [Tel que l’extrait a été lu.]

Avez‑vous un commentaire à formuler à ce sujet?

R.  Cela est tout à fait contraire aux principes comptables que je connais, et donc je ne suis pas ‒ là encore, le but de ma vérification n’est pas de donner des conseils fiscaux, et cela va à l’encontre des principes comptables que je connais. [P. 3510 et 3511]

[109]  Il est très important de souligner que M. Goldstein n’a pas été contre‑interrogé sur ce témoignage. Dans la mesure où le témoignage de M. Gordon diffère de celui de M. Goldstein, c’est la version de ce dernier que j’accepte.

[110]  Mme Northey a été minutieusement contre‑interrogée sur la demande de RS&DE de Permalite, et elle a expliqué de manière crédible pourquoi cette demande avait été considérée comme légalement inadmissible [p. 5715 et 5721].

[111]  Je ne souscris pas à la prétention des demandeurs selon laquelle la vérification de Permalite que M. Goldstein a effectuée validait d’une certaine façon leurs méthodes ou que ce dernier avait dit quoi que ce soit à cet effet à M. Gordon.

[112]  En résumé, rien dans la preuve ne permet d’établir que les méthodes d’antidatage de JAD ont été validées de quelque manière par des vérificateurs de l’ARC ou en appel.

VII.  La révélation des méthodes de JAD

[113]  MM. Deacur et Gordon cherchent à justifier l’antidatage de documents en disant que ces méthodes étaient offertes à la vue des vérificateurs et que ce fait excluait toute intention criminelle. Il est certainement vrai que, à quelques occasions, des vérificateurs ont découvert les méthodes de JAD, mais, bien des fois, cela n’a pas été le cas. On peut en voir quelques exemples dans les pièces D‑194, D‑81, D‑270 et D‑271, où les vérificateurs ont exprimé des doutes au sujet des relations intersociétés et des frais de gestion déduits, mais sans mettre au jour l’antidatage de documents. À une autre occasion où on avait demandé au représentant de JAD, Kyle Bondergaard, une explication à propos d’une [traduction« contradiction apparente dans la chronologie de la société », il a déclaré n’en avoir aucune : voir la pièce D‑215. Lors de la vérification de Bridlewood Heat, la vérificatrice, Mary Ann Girard, a demandé s’il existait des contrats écrits à l’appui de la demande de RS&DE, et elle s’est fait dire par M. Bondergaard, ou en la présence de ce dernier, qu’il n’y avait que des [traduction« contrats verbaux ». En fait, il n’y avait aucun contrat. Le 16 juin 1995, M. Bondergaard a avisé Mme Girard que le grand livre général de la société était introuvable et qu’il n’existait peut‑être pas [pièce D‑224].

[114]  Mme Girard a témoigné pour le compte de l’ARC. Elle a été une témoin solide et, selon toute apparence, très compétente. Elle a travaillé pendant un certain nombre d’années comme vérificatrice de demandes de RS&DE au sein de l’ARC. Elle a vérifié la demande de RS&DE de Bridlewood, que JAD avait produite. Elle a eu un certain nombre de préoccupations en lien avec l’importante évaluation de dépenses de RS&DE soumise, soit 775 000 $. Elle a demandé à maintes reprises des documents justificatifs, mais, hormis une seule facture générée par ordinateur, rien ne lui a été fourni [p. 3673 et 3675].

[115]  Mme Girard a décrit ses préoccupations relatives à la vérification de la manière suivante :

[traduction]

R.  Eh bien, tout d’abord, les préoccupations concernaient le fait qu’il y avait d’importants frais de gestion non étayés par des documents et que la société dont il s’agissait censément de frais de gestion qui faisaient l’objet d’un contrat, la documentation relative à la révision, le rétablissement de leurs sociétés a été fait rétrospectivement après la fin de l’exercice des sociétés. Et parce que la fin d’exercice dans ce cas‑ci est le 28 février 1993, et février 1994, et que les documents relatifs à la société avaient été transférés à la société à numéro, la 16 ‒ peu importe la société à numéro, la société à numéro, c’était après le fait, c’était en novembre 1994, tout a été fait en 1994, ce qui donne l’impression que les renseignements ont été antidatés. Et l’autre fait que, en 1993, que les frais de gestion avaient été censément payés ‒ ou prévus par contrat pour 1993, mais ces frais n’ont pas été inscrits ‒ ils n’ont pas été inscrits dans les déclarations de revenus de 1994 par opposition aux déclarations de revenus de 1993. [P. 3686]

[...]

R.  Eh bien, il m’a semblé, à titre de vérificatrice, que les ‒ tous les documents étaient falsifiés en ce sens qu’il s’agissait simplement d’une demande de ‒ d’une demande de dépenses de R&D. Le contribuable, je le dis, avait été approché par Deacur & Associates, qui lui avait dit que, vous savez, qu’il avait des dépenses déductibles. Mais, d’après ce que notre examen montrait, aucun document ne pouvait être fourni, de sorte qu’il semblait tout simplement que rien n’était justifiable. [P. 3688]

[116]  En fin de compte, la demande de Bridlewood a été rejetée par le vérificateur scientifique, mais les préoccupations en matière financière n’ont pas été dissipées.

[117]  M. Devendra Kohli était un vérificateur de demandes de RS&DE chevronné, qui avait examiné la demande que JAD avait produite pour le compte de Canadata Computer Systems Inc. [Canadata]. Dans son témoignage, il a décrit une présentation inusitée, qui comportait des facturations croisées identiques entre Canadata et une société à numéro qui lui était liée. Les factures justificatives donnaient l’impression que chacune des sociétés faisait des travaux de RS&DE pour le compte de l’autre, moyennant des frais identiques [voir les p. 4573 et 4574]. Les notes contemporaines de M. Kohli font état d’une demande de documents justificatifs permettant de décrire les services que les sociétés avaient fournis et de confirmer les chiffres déclarés [pièce D‑371]. JAD a fourni quelques documents, mais pas la totalité de ce que M. Kohli avait demandé. Selon le souvenir de ce dernier, les représentants de JAD n’ont donné aucune explication quant à l’absence de documents justificatifs [p. 4584]. La pièce D‑372 est un tableau qui illustre la manière dont M. Kohli a compris la structure des opérations. Il a été suffisamment troublé par ce qu’il a vu pour parler avec son chef d’équipe de renvoyer le dossier au service d’évitement fiscal [p. 4586].

[118]  M. Kohli a décrit ainsi ses préoccupations relatives à la vérification :

[traduction]

R.  Eh bien, ce que nous vérifions, c’était si la dépense était légitime, surtout la partie de l’entrepreneur, qui avait été réclamée et ensuite, encore une fois, l’arrangement relatif aux frais de gestion qui sont inscrits dans une année à titre de dépenses et, ensuite, qui deviennent un revenu pour la société; cela semble être un stratagème et, donc, un stratagème permettant d’éviter l’impôt. Si on examine la situation, dans ce cas-ci, en déplaçant les fins d’exercice, l’obligation fiscale de la société à numéro tombe à zéro. Mais, du côté de Canadata, elle acquiert des CTI grâce à ça. Je pense donc que cela en faisait partie, parce que cela semblait être tenu pour acquis, les employés de Canadata donnés à la, en examinant les états financiers et les autres renseignements, si la dépense est raisonnable et ainsi de suite. Donc, à ce stade, c’est un renvoi initial, un renvoi interne qui a été fait, et il a été fait ‒ mon chef d’équipe a dit : [traduction] « [E]h bien, nous devrions le faire. » J’ai répondu : [traduction] « [D]’accord. » [P. 4589]

[119]  En renvoyant le dossier au service de l’évitement fiscal, M. Kohli a décrit le problème en ces termes :

[traduction]

3. Canadata a réclamé des dépenses de R&D pour des travaux faits par Ont Ltd :

31 janvier 1992   316 716 $

31 janvier 1993   298 371 $

31 janvier 1994   168 254 $

Les dépenses ont été constituées sous la forme de régularisations de fin d’exercice, étayées par des factures d’Ont Inc.

4. De l’autre côté, Canadata a accumulé des frais de gestion (revenu) de la part d’Ont Ltd :

28 février 1992   316 716 $

28 février 1993   298 371 $

28 février 1994   168 254 $

Il n’y a eu aucun échange de fonds; le montant est plutôt rajusté en fonction du compte créditeur constitué (il en est question au paragraphe 3).

5. L’effet des opérations pour Canadata est que les dépenses de R&D sont déclarées dans une année et transformées en revenus de frais de gestion dans l’année suivante.

6. Étant donné que les deux opérations tombent dans le même exercice, leur effet est nul pour Ont Inc. D’une part, ce montant est indiqué à titre de revenus et, d’autre part, à titre de dépenses de frais de gestion. Cela étant, Ont Ltd. ne déclare aucun revenu.

7. Ont Inc. n’a aucun employé à elle. Le seul revenu ou les seules dépenses sont attribuables aux opérations (il en est question aux paragraphes 2 et 3 ci‑dessus) avec Canadata. Ont Ltd. n’exerce aucune autre activité commerciale.

8. Ont Ltd. a facturé à Canadata du travail fait par Jim Macdonal et Peter Knight, qui, au cours des années visées, sont employés à temps plein/sous‑traitants. Jim et Peter n’ont fait aucun travail pour Ont Ltd. et n’ont pas été rémunérés par elle.

9. Tout l’exercice a été fait pour rehausser les dépenses de Canadata en R&D et réclamer un CTI connexe.

10. Si Ont Ltd. n’a fait des travaux de R&D que pour Canadata et si Canadata gérait Ont Ltd, il n’y a aucune opération véritable donnant à penser que des travaux de R&D ont été faits pour Canadata.

11. Comme il s’agit de dossiers qui n’ont pas été l’objet d’une cotisation, le temps est compté, et, de ce fait, nous rejetons les dépenses de R&D déduites selon les dispositions suivantes de la Loi :

i. 18(1)a) – Aucune dépense réelle n’a été engagée;

ii. 18(1)e) – Il s’agissait d’une éventualité;

iii. 67 – Dépenses déraisonnables dans les circonstances. [Pièce D‑373]

[120]  Il ressort très clairement des documents de vérification produits que les représentants de JAD n’ont pas dit à M. Kohli que JAD avait créé rétrospectivement la société à numéro et les factures de RS&DE justificatives dans le but de gonfler la valeur de la demande de crédits d’impôt de Canadata. Ce n’est qu’au moment où des enquêteurs de l’ARC ont interrogé le propriétaire de Canadata que la situation réelle est ressortie [pièce D‑418, à l’onglet 25, par. 12 à 20]. En fin de compte, la demande a été rejetée en raison du fait que les travaux déclarés n’étaient pas admissibles au programme de RS&DE [pièce D‑374].

[121]  Mme Northey a également contesté l’affirmation des demandeurs selon laquelle, aux yeux des vérificateurs de l’ARC, les méthodes d’antidatage de JAD étaient complètement en évidence. Son témoignage sur la question concorde avec le dossier documentaire, lequel montrait que les vérificateurs n’étaient souvent pas au courant que les documents de RS&DE que fournissait JAD faisaient état d’opérations intersociétés fictives.

[122]  Quand M. Gordon lui a demandé ce qu’elle pensait du fait que quelques vérificateurs de l’ARC avaient admis certaines des demandes de RS&DE de JAD qui étaient contestées, Mme Northey a répondu ceci :

[traduction]

R.  Nous l’avons fait, en réalité. Quand j’ai, quand j’ai interrogé les ‒ j’ai donc reçu les renvois des vérificateurs et, ensuite, quand je suis allée les interroger, je leur ai demandé comment ils avaient réglé les dossiers. Cela faisait partie du questionnaire. Et, dans le cadre du questionnaire, j’ai découvert que, oui, nous avions négocié. Nous avons vu ça l’autre jour, quand nous avons examiné l’article 67, si c’est raisonnable ou non, nous avons vu qu’il y avait eu des négociations. Nous l’avons constaté une fois de plus dans Permalite, même en 1992 et en 1993, où une partie de la demande avait été admise. Et donc, à ce moment‑là dans le temps, le 1er novembre 1996, nous avions déjà commencé à interroger les clients; les clients commençaient donc à nous dire ce qui s’était réellement passé, et nous avions aussi fait les recherches, c’est‑à‑dire en juillet 1996, de sorte que nous avions également en main cette information. Donc nous étions au courant de ce que les vérificateurs disaient. Nous avions les documents saisis, et nous savions donc ce qui se trouvait dans vos documents de travail au sujet des clients, et nous avions aussi eu des discussions avec les ‒ désolée, les, avec les clients. Et donc, quand nous avons examiné tous ces éléments d’information, nous avons vu qu’on n’avait pas donné aux vérificateurs tous les détails entourant les sociétés secondaires.

Donc, nous avions, comme je l’ai dit, les principaux documents saisis étaient les lettres de Wanita et de Kelly‑Ann Deacur, qui étaient datées de 1994 et qui disaient que vous étiez propriétaires de ces sociétés en 1991. Nous n’avons jamais vu un de ces éléments d’information dans les dossiers de vérification.

Même si l’on examine Permalite et si l’on voit Jack Goldstein, et celui-ci admet, en 1991, la somme de 40 000 $, mais nous savons que cette somme est liée à une société, d’après l’enquête et d’après les documents saisis, qui n’entrent pas en vigueur avant la fin de 1993 ou le début de 1994. Donc, les vérificateurs admettent ces éléments, la gestion et les salaires gonflés, mais ce que nous avons et qu’eux n’ont pas, ce sont ces documents; nous avons certaines des factures qui n’ont pas été communiquées au vérificateur dans certains cas, et nous savons qu’elles sont toutes antidatées. C’est donc pour cela que nous disons que quelques bureaux ont négocié et ont admis les demandes, des demandes que nous savions être gonflées et inexistantes, et nous l’avons découvert à partir des éléments de preuve qui ont été réunis lors de l’enquête. [P. 5856 à 5858]

[123]  J’accepte le fait qu’il était entendu par JAD et ses clients que chaque demande de RS&DE ferait l’objet de vérifications sur les plans scientifique et financier. Toutefois, je rejette l’argument selon lequel cette expectative réfutait clairement l’existence d’une intention criminelle, du fait que les vérificateurs auraient systématiquement découvert que des documents étaient antidatés. Mme Northey avait en main une preuve considérable qui appuyait sa conviction que les vérificateurs de l’ARC avaient été induits en erreur par de nombreuses demandes de RS&DE que JAD avait présentées au nom de ses clients, et j’accepte son témoignage quant à la compréhension qu’elle avait de l’expérience concrète des vérificateurs :

[traduction]

LA TÉMOIN : C’est exact. Donc, dans la présente affaire, les déclarations de revenus ont été produites, et les formulaires T661 et T2038 qui sont exigés, ils ont été produits, et ces documents font état d’une part importante de frais de gestion. Ces documents ont donc été l’objet d’une vérification, et les vérificateurs sont partis à la recherche d’informations. Et nous avons vu les informations jeudi, quand j’en ai parlé. Les vérificateurs vont à la recherche d’informations et disent : [traduction] « D’accord, ouais, les frais de gestion sont là. C’est gros. Donc, parlez‑moi d’eux. Que s’est‑il passé? ». Et c’est à ce moment-là qu’il a été question de la société secondaire.

On leur a dit que c’était en fait la société secondaire qui avait fait le travail et que celle‑ci, par conséquent, avait facturé la société principale, et qu’il s’agissait des demandes de RS&DE. Dans le premier dossier ou dans l’un des premiers dossiers qui ont été déposés, l’ARC a constaté immédiatement le problème et a dit : [traduction] « Non, non, non, vous ne pouvez pas faire cela », et ça, c’était Armada. Mais cela n’a pas semblé attirer l’attention de nos amis, James A. Deacur & Associates, qui ont continué à déposer leurs demandes de cette façon.

Quand nous avons vu ce que les vérificateurs faisaient, ils essayaient de les rejeter; certains avaient découvert, Christopher Chan avait découvert que la société secondaire n’existait pas, mais un grand nombre d’autres vérificateurs s’attaquaient au problème ou tentaient de régler le problème en se basant sur un facteur raisonnable, c’est‑à‑dire, les frais sont‑ils raisonnables dans les circonstances, ce qui est l’article 67. Mais ils ‒ bien peu de vérificateurs avaient en fait découvert que ces documents étaient antidatés. Et quand ils posaient des questions au sujet des sociétés secondaires, les sociétés secondaires leur étaient présentées, et il y a eu un échange de lettres avec ‒ de James A. Deacur & Associates à l’ARC, disant : [traduction] « Non, ces frais font partie d’un contrat valide. Ils ont été engagés au cours des années en question. » Et nous avons vu cela dans les dossiers de Caber Mor, et nous l’avons vu aussi dans ‒ je crois que c’était Roglen, où deux lettres ont été envoyées à l’Agence après que le vérificateur avait posé des questions, et on leur explique que, non, il s’agit d’un contrat légitime, il est dûment consigné dans les livres et les registres, il est disponible, il est légitime; donc, vous savez, qu’allez‑vous faire à ce sujet?

Et les vérificateurs disent : [traduction] « Eh bien, je pense que c’est un peu élevé; je vais donc en contester la valeur pécuniaire. » Mais ils ne se sont pas rendus jusqu’à la fraude sous‑jacente, qui était l’antidatage de sociétés; ça n’existait pas du tout. Ils essayaient simplement d’aborder cela en partant d’une question : [traduction] « [L]e montant est‑il raisonnable par rapport à ce qui a été accompli? » Ils n’ont pas vraiment vu que ces sociétés étaient antidatées, qu’elles n’existaient pas à l’époque et qu’elles n’étaient apparues dans le décor qu’à cause des contrats.

Et bien des fois, les vérificateurs n’avaient pas de copie du contrat et ils ne comprenaient donc pas quand ce contribuable avait fait affaire avec Deacur & Associates pour la première fois, et ils ignoraient que les contribuables obtenaient ces sociétés de Deacur & Associates et que ces sociétés étaient antidatées, de façon à indiquer une propriété en 1990. Donc, ce qu’on leur soumettait, c’était : [traduction] « Hé, ces sociétés ont été constituées en 1990. Elles ont existé pendant toute la durée des activités de RS&DE, et, de ce fait, nous pouvons facturer notre temps par l’entremise d’une société secondaire et l’indiquer tout simplement ici. » Mais les vérificateurs n’ont pas vraiment découvert ‒ ce n’est que dans des circonstances très limitées qu’ils ont découvert que ces opérations n’auraient jamais pu avoir lieu, parce que la société avait pris naissance, pour le contribuable, à une date beaucoup plus tardive que celle où les activités de RS&DE avaient été réellement menées. C’était donc ça, la mens rea, l’intention, et la manière dont ils ont trompé les vérificateurs. [P. 5231 à 5233]

[124]  Dans plusieurs cas, l’ARC n’a découvert que JAD avait antidaté l’historique des sociétés qu’après l’exécution de mandats de perquisition : voir le témoignage de Mme Northey, à la page 5239.

[125]  La preuve révèle de plus que M. Bondergaard a souvent été envoyé comme représentant de JAD lors des vérifications relatives à des clients et que, quand on lui demandait un soutien supplémentaire, il répondait avec résignation et avec peu d’informations complémentaires, sinon aucune : voir les pièces D‑215, D‑258 et D‑302, ainsi que le témoignage de Todd Ferguson, à la page 4040, de Michael Cross, aux pages 3589 et 3597, de Devendra Kohli, à la page 4573, et de Bonnie Jarrett, à la page 3856. Dans une note de service interne de JAD envoyée à M. Bondergaard, la demande de RS&DE présentée pour le compte de 498824 Ontario Inc. est décrite comme [traduction« un fouillis » [pièce D‑75]. Cette note de service contient également un aveu éloquent au sujet des mesures d’antidatage de JAD :

[traduction]

Il s’agit de la société de portefeuille de Herb Waldie, qu’il a acquise de Ross Young pour s’en servir dans le cadre de la demande de Waldie. Ross Young nous a assuré qu’il n’avait pas produit de déclarations pour 1992, et nous avons donc sa démission en date du 7 mars 1991. Rev. Can. a téléphoné et a dit qu’il y avait une incohérence majeure entre les dates ‒ Ross Young avait effectivement produit des déclarations pour 1992, et le Ministère considère qu’il a donné sa démission le 2 décembre 1992. J’ai parlé avec Jim, et il a dit de vous le remettre. Il faut que nous refassions les déclarations et aussi que nous changions les réponses à : La société a‑t‑elle changé? La principale activité d’entreprise a‑t‑elle changé?

[126]  En contre‑interrogatoire, M. Bondergaard a convenu que la pièce 75 lui avait été envoyée pour suivi, mais il a déclaré n’avoir aucun souvenir du problème d’historiques contradictoires de société qui avait été signalé [p. 1436 à 1447].

  • [127] Dans la déclaration solennelle qu’il a donnée aux enquêteurs de l’ARC, M. Waldie a décrit cette opération de la manière suivante :

[TRADUCTION]

— J’ai rencontré Thompson pour la première fois en avril 1994, à l’établissement de l’entreprise d’un ami.

— Thompson m’a dit qu’un projet de poêle sur lequel je travaillais serait [*avait l’air d’être] admissible à titre d’activité de R&D.

— Thompson m’a dit que Deacur & Assoc. était les professionnels des demandes de R&D et que ce cabinet me guiderait tout au long du processus de dépôt d’une demande de R&D.

— Environ une semaine plus tard, le 4 mai 1994, j’ai signé une lettre de mission avec Deacur & Assoc., dont une copie est jointe aux présentes en tant que pièce 1.

— Deacur & Assoc. allait me facturer des honoraires équivalant à 35 p. 100 du remboursement au titre de la R&D que je finirais par recevoir.

— [*Il m’a été] Thompson m’a suggéré [*par un représentant de Deacur & Assoc.] qu’il me faudrait une seconde société pour pouvoir profiter au maximum de la demande de R&D et déclarer des frais de gestion correspondant au temps que je consacrais aux projets.

— Il n’y avait pas de frais pour la société, car le coût serait inclus dans les honoraires de 35 p. 100 que Deacur & Assoc. me facturait.

— Marie Bujold du bureau de Deacur & Assoc. m’a envoyé une télécopie le 27 juin 1994 pour dire qu’elle allait établir ma demande de R&D, et m’indiquer les choses qu’elle aurait besoin pour cela. Une copie de sa télécopie est jointe aux présentes en tant que pièce 2.

— À la demande de Marie Bujold, j’ai établi des rapports d’heures de travail que mes fils et moi avions consacrées à plusieurs projets. Je n’avais pas tenu, au départ, de registre des heures, de sorte que j’ai formulé des estimations intelligentes.

— Je n’avais aucune facture ni aucun document pour les matériaux utilisés dans le cadre des projets, puisque j’avais utilisé des pièces de rechange ou fait de petits achats pour les fabriquer.

— Jamais je n’ai fait faire le travail en sous-traitance ou fait travailler des sous-traitants pour moi.

— Entre le 6 septembre et le 14 septembre 1994, j’ai reçu de Deacur & Assoc. la déclaration T2 modifiée de 1992 pour 920704 Ontario Ltd., relativement à la demande de R&D. J’ai signé les documents et je les ai renvoyés à Deacur & Assoc., comme on me l’avait indiqué.

— Dans cette déclaration, il y avait un état des résultats pour 920704 Ontario Ltd., que Deacur & Assoc. avait établi. Ce document montrait des revenus de 351 400 $ ainsi que des dépenses de sous-traitance de 351 400 $. Une copie de l’état des résultats est jointe aux présentes en tant que pièce 3.

— Au cours de cette même période, j’ai également reçu une déclaration de revenus T2 de 1993 pour 498824 Ontario Inc., que j’ai également signée et renvoyée à Deacur & Assoc.

— Je n’avais jamais entendu parler de 498824 Ontario Inc. avant cela.

— Dans cette déclaration, il y avait un état des résultats pour 498824 Ontario Inc. qui avait été établi par Deacur & Assoc. Ce document montrait des revenus de 351 400 $ et des dépenses de sous-traitance de 351 400 $. Une copie de l’état des résultats est jointe aux présentes en tant que pièce 4.

- Selon ces états des résultats, les sociétés à numéro se facturaient l’une l’autre une dépense de sous-traitance, ce qui représentait les frais de gestion susmentionnés.

— En fin de compte, 498824 Ontario Inc. était la société dont Thompson m’avait dit précédemment qu’il me faudrait. Je n’avais pas entendu parler de 498824 Ontario Inc. avant de recevoir la déclaration de revenus T2.

- De plus, à peu près au même moment où j’ai reçu les déclarations de revenus T2, j’ai aussi reçu une lettre de Wanita Deacur, datée du 7 septembre 1994, ainsi que des pièces jointes, dont une copie est jointe aux présentes en tant que pièce 5.

— La lettre concernait mon acquisition de 498824 Ontario Inc.

— La lettre demandait que je signe les certificats d’actions et des pages du registre des procès-verbaux et que je les lui renvoie. J’ai fait cela.

— Tous les documents qui m’ont été transmis étaient antidatés au 7 mars 1991.

— J’ai posé des questions sur l’antidatage, et Thompson m’a dit que nous pouvions tout antidater jusqu’au début des activités de R&D. Je me suis fié au jugement de Deacur & Assoc. à cet égard et j’ai fait entièrement confiance à ce cabinet.

— Par la suite, j’ai reçu deux factures établies par Deacur & Assoc. à l’appui des dépenses de sous-traitance susmentionnées qui étaient inscrites dans les déclarations T2 de 498824 Ontario Inc. et de 920704 Ontario Ltd.

— Les sociétés à numéro se facturaient l’une l’autre les heures que mes deux fils et moi-même avions consacrées à divers projets. Chaque facture totalisait la somme de 351 400 $, soit un total de 702 800 $.

— Chaque facture était antidatée au 31 décembre 1993.

— Des copies de ces factures sont jointes aux présentes, en tant que pièces 6 et 7 respectivement.

— Je ne me souviens pas de la date exacte à laquelle j’ai reçu ces factures de Deacur & Assoc., mais je me souviens bien que c’était après que j’ai reçu la lettre du 7 septembre 1994 de Wanita Deacur.

— Je croyais que l’antidatage de ces documents était correct, parce que Thompson m’avait déjà dit que nous pouvions antidater des documents jusqu’au début des activités de R&D.

— La demande de R&D a par la suite été vérifiée par Revenu Canada et elle a été rejetée en totalité.

— Jamais je n’ai donné d’instructions ou de directives à Deacur & Assoc. concernant l’établissement de la demande de R&D ou des déclarations.

— En tout temps, je me suis fié au fait qu’ils (comme ils l’avaient déclaré eux-mêmes) étaient des spécialistes de l’établissement et de la présentation de demandes de R&D. [Pièce D‑377, onglet 11] [*Le texte est manuscrit.]

[128]  La vérificatrice de l’ARC, Mme Girard, a également décrit la non-production de documents justificatifs dans le cadre de l’échange suivant, qui figure à la page 3673 :

[TRADUCTION]

Q.  Et quels renseignements, le cas échéant, avez-vous reçus?

R.  Aucun, que je me souvienne. J’ai continué d’en demander, nous en avons demandé, nous en avons demandé plusieurs fois. Et ils ont toujours dit qu’ils pensaient bien les avoir, mais, en fin de compte, nous n’avons jamais rien reçu, à part ce seul document relatif aux dépenses, c’est-à-dire cette facture. Cette facture que vous m’avez donnée.

[129]  Le tableau qui en résulte ne montre pas que JAD attirait l’attention de l’ARC sur les méthodes qu’il employait. Au contraire, MM. Deacur et Gordon savaient que leurs méthodes étaient douteuses, mais ils ont décidé de tenter leur chance en faisant accepter quelques-unes des demandes au stade de la vérification. La pièce D‑420 illustre jusqu’à un certain point cette attitude; il s’agit d’un document dans lequel un haut représentant de JAD a fait savoir à un client que la stratégie des frais de gestion avait obtenu des [traduction« résultats variables ».

[130]  Le poids de la preuve contredit le témoignage des demandeurs selon lequel leurs méthodes étaient ouvertes et transparentes. Si l’antidatage des documents de clients était non pertinent ou était admissible, comme ils le laissent maintenant entendre, les questions des vérificateurs auraient dû donner lieu sans délai à une divulgation complète. Cependant, rien dans les dossiers de vérification ne dénote que, lorsqu’on leur a demandé des documents justificatifs, les représentants de JAD ont fourni volontairement des informations sur leurs méthodes ou la justification comptable de ces dernières. On a plutôt laissé aux vérificateurs le soin de comprendre ce qui se tramait sans aucune aide sérieuse de la part des représentants désignés de JAD, et, dans certains cas, les vérificateurs se sont heurtés à des faux-fuyants [voir les pièces D‑182, D‑386, D‑76 et D‑184].

[131]  Bref, je rejette l’argument des demandeurs, à savoir que leurs méthodes d’antidatage ont été librement et intégralement divulguées aux vérificateurs de l’ARC. Ces méthodes ont été mises au jour par certains des vérificateurs affectés aux dossiers, mais ce résultat ne découlait pas d’une divulgation complète et opportune de la part de représentants de JAD.

[132]  J’accepte le fait que Mme Northey était raisonnablement fondée à croire que les vérificateurs de l’ARC n’étaient souvent pas au fait de la situation véritable des activités commerciales qui sous-tendaient les demandes de RS&DE établies par JAD et qu’une bonne part de ce que l’ARC a appris ultérieurement est ressortie de l’enquête sur JAD.

[133]  Les demandeurs soutiennent que, lors de l’enquête sur JAD, les enquêteurs de l’ARC ont commis de nombreuses erreurs. Les écarts allégués sur lesquels ils s’appuient sont exposés dans les présents motifs, au paragraphe 5, et il est aussi affirmé que les mêmes points seraient également une preuve de malveillance. De façon plus générale, ils font valoir que Mme Northey et ses supérieurs se sont essentiellement mépris sur ce que JAD faisait dans le cadre de la présentation des demandes de RS&DE qui ont fait l’objet des accusations criminelles, ainsi que sur la raison pour laquelle les méthodes de JAD étaient licites et permissibles.

[134]  J’ai déjà traité de la question de la validité ainsi que du bien-fondé des théories et des méthodes comptables des demandeurs. L’antidatage des documents de clients était entièrement injustifié en comptabilité et était de la nature de la fausse déclaration. Mme Northey et de nombreux autres fonctionnaires de l’ARC ont raisonnablement cru que ces demandes étaient frauduleuses, au moins à première vue, et la décision qu’ils ont prise de recommander que l’on dépose des accusations était fondée sur une preuve substantielle. Indépendamment de cette conclusion, je traiterai du fait de savoir si les enquêteurs spéciaux de l’ARC qui mènent une enquête criminelle s’apparentant à l’enquête sur JAD sont soumis à une obligation de diligence qui procède du droit de la négligence. J’examinerai ensuite les allégations précises de négligence ou de malveillance que les demandeurs ont formulées.

[135]  Aux dires des demandeurs, la défenderesse est responsable en raison d’une cause d’action fondée sur la négligence. Ils affirment, en particulier, que l’enquête sur JAD était sérieusement viciée et qu’elle a été menée de manière négligente.

[136]  L’ARC fait valoir que les nombreux précédents qui mettent ses vérificateurs à l’abri d’une obligation de diligence de droit privé devraient s’appliquer à ces enquêteurs. Elle fait valoir que les mêmes questions de principe s’appliquent et qu’elles justifient le même degré d’immunité. Contrairement aux enquêtes que mène la police sur des actes criminels, les enquêteurs de l’ARC sont, dit-elle, soumis à des obligations publiques plus étendues, qui visent à percevoir des recettes et à faire appliquer un régime réglementaire à de multiples volets.

[137]  Les préoccupations de principe que soulève la fonction de vérification de l’ARC ont été fréquemment reconnues, et on en trouve un bon exemple dans l’affaire 783783 Alberta Ltd c Canada (Attorney General), [2010] AJ No 783, aux par. 45 à 48, 2010 ABCA 226 :

[TRADUCTION]

45 La relation qu’il y a entre les répartiteurs de l’impôt et n’importe quel contribuable a principalement pour but de veiller à ce que ce dernier fasse l’objet d’une cotisation équitable. Les répartiteurs ont également une obligation générale envers l’administration pour laquelle ils travaillent, et, indirectement, envers le grand public. Mais, dans l’ensemble, cette relation n’est pas du genre de celle où les répartiteurs devraient avoir la responsabilité de protéger les contribuables contre les pertes découlant de désavantages concurrentiels de la nature de ceux qui sont plaidés. L’obligation des répartiteurs se situe ailleurs : Syl Apps Secure Treatment Centre c B.D., [2007] 3 RCS 83, 2007 CSC 38, au par. 28.

46 Cependant, même si l’on pouvait établir la prévisibilité et le lien de proximité nécessaires, il y a des considérations de principe qui excluent toute obligation délictuelle de droit privé. Le régime fiscal canadien repose sur le principe de l’autodéclaration, suivie d’une cotisation établie par l’Agence du revenu du Canada. La relation qui existe entre chaque contribuable et le répartiteur est de nature personnelle et privée. L’importance des dispositions en matière de protection de la vie privée que comporte la Loi de l’impôt sur le revenu a été confirmée dans Slattery et, bien que ces dispositions n’excluent pas la présente action, elles constituent, à ce stade de l’analyse, une considération de principe pertinente. Imposer au répartiteur l’obligation de rendre compte à un contribuable de la manière dont il a établi la cotisation d’un autre contribuable nuit à la relation d’une manière inacceptable.

47 L’argument tient pour acquis que l’Agence du revenu du Canada n’a aucun pouvoir discrétionnaire dans la manière dont elle établit la cotisation d’un contribuable et que, dans une action en responsabilité délictuelle comme la présente, le demandeur pourrait établir qu’une cotisation particulière est « erronée ». Cela présuppose qu’il n’y a qu’une seule réponse à n’importe quelle question fiscale. Mais la Loi de l’impôt sur le revenu est longue et notoirement complexe. Dans bien des cas, l’obligation fiscale autodéclarée du contribuable requiert que ce dernier fasse preuve de jugement, en s’appuyant souvent sur des conseils professionnels. Dans le même ordre d’idées, la réponse du répartiteur de l’impôt oblige souvent à faire preuve de jugement et de bon sens. Il sera parfois nécessaire de faire des compromis, et une obligation fiscale contestée sera réglée par le contribuable et le répartiteur. Si un tiers pouvait plus tard comparaître et faire valoir que la cotisation était « erronée », on s’immiscerait indûment dans ce régime d’imposition.

48 Il existe dans la Loi de l’impôt sur le revenu de nombreuses dispositions qui, si elles n’étaient pas convenablement appliquées, pourraient offrir un avantage concurrentiel à un contribuable par rapport à un autre. Dans de telles circonstances, la reconnaissance d’une obligation de diligence en matière délictuelle exposerait le Canada à une responsabilité envers un groupe non identifiable, pour un montant indéterminé : Design Services Ltd. c Canada, [2008] 1 RCS 737, 2008 CSC 22, au par. 62. Il serait nécessaire de détourner des ressources considérables pour répondre aux demandes de renseignements et aux plaintes concernant l’application de règles d’imposition particulières, des demandes de renseignements qu’on devrait laisser en grande partie sans réponse en raison des dispositions de la Loi en matière de la protection de la vie privée. La demanderesse signale que l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu est une tentative nettement plus évidente et ciblée que, peut-être, n’importe quelle autre disposition de la loi pour offrir une mesure incitative à une industrie en particulier. Elle signale également que sa demande se limite à quelques années d’imposition et qu’elle résulte du changement de contrôle inusité des défendeurs propriétaires de SEE Magazine. Mais si l’on reconnaissait l’existence d’une obligation en matière délictuelle de droit privé d’établir la cotisation des contribuables, il serait difficile, voire impossible, de tracer une ligne de démarcation entre certaines dispositions de la loi et d’autres. Si, en principe, il existe une obligation de diligence de droit privé, les circonstances dans lesquelles cette obligation pourrait être déclenchée sont illimitées.

[138]  J’ajouterais aux commentaires qui précèdent qu’une vérification se déroule dans un cadre législatif complexe qui comporte un droit d’appel. C’est en partie pour cela qu’on a refusé de reconnaître l’existence d’une obligation de diligence de droit privé en lien avec une vérification dans l’affaire Canus Fisheries Ltd c Canada, 2005 NSSC 283, au par. 100, [2005] NSJ No 413.

[139]  Deux autres sujets de préoccupation qui surviennent dans de nombreuses affaires de vérification sont la présence d’intérêts opposés et la multitude de facteurs qui s’appliquent à la cotisation d’impôt : voir Leighton c Canada, 2012 BCSC 961, aux par. 54 et 58, [2012] BCJ No 1354; Deluca c Canada, 2016 ONSC 3865, aux par. 60 et 64, 267 ACWS 3d 339; Canus, précitée, au par. 73. En fin de compte, il a été conclu dans la grande majorité de ces affaires que l’ARC n’avait aucune obligation de diligence fondée sur le droit de la négligence dans le cadre de l’exécution d’une vérification routinière.

[140]  Au Canada, les tribunaux ne semblent pas encore avoir reconnu de manière définitive l’existence d’une obligation de diligence de droit privé en lien avec le travail qu’accomplissent les enquêteurs de l’ARC. On relève toutefois dans la jurisprudence récente quelques observations selon lesquelles l’arrêt Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 RCS 129, qui porte sur les enquêtes policières, pourrait fort bien s’appliquer aux enquêtes criminelles de l’ARC.

[141]  À mon avis, le genre d’enquête qui a été menée en l’espèce ressemble nettement plus à une enquête policière qu’à une vérification fiscale, de sorte qu’il est possible que cela donne lieu à une obligation de diligence de droit privé.

[142]  L’objet d’une enquête de l’ARC n’est pas axé sur la détermination de montants à payer sous le régime de la LIR. Une enquête spéciale de l’ARC a plutôt pour seul objet de déterminer s’il convient de déposer des accusations sous le régime de la LIR ou du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [le Code criminel]. Une telle enquête ne s’intéresse pas non plus aux intérêts opposés qui peuvent prendre naissance entre des catégories de contribuables différentes. En fait, je ne puis relever aucune fonction réglementaire de la LIR qui prenne naissance dans le cadre d’une telle enquête, hormis le simple fait d’exécuter la loi.

[143]  À mon avis, les circonstances dont il est question dans l’arrêt Hill, précité, lesquelles ont amené la Cour à imposer une norme de négligence à la police dans le cadre de la conduite d’une enquête criminelle, sont étroitement, sinon tout à fait, analogues au genre d’enquête qui a été menée en l’espèce. Selon moi, rien ne justifie rationnellement que l’on fasse une distinction entre le travail de la police dans l’affaire Hill et celui des enquêteurs de l’ARC en l’espèce. Les deux enquêtes étaient axées sur des suspects précis, pour une conduite que l’on considérait comme criminelle. Les deux comportaient de graves conséquences sur le plan pénal. En l’espèce, les enquêteurs ne s’acquittaient d’aucune fonction réglementaire ou de perception fiscale apparente. En fait, MM. Deacur et Gordon étaient des spécialistes en déclarations de revenus, et non des contribuables, et ils auraient pu tout aussi facilement faire l’objet d’une enquête de la part de la Gendarmerie Royale du Canada [la GRC] pour fraude que de la part de l’ARC. De plus, un tiers spécialiste en déclarations de revenus n’a aucun droit de recours auprès de la Cour canadienne de l’impôt s’il veut mettre à l’épreuve la validité de son travail. Ce droit appartient au contribuable.

[144]  Si l’on examine de près les considérations de principe que les juges majoritaires ont appliquées dans l’arrêt Hill, précité, en reconnaissance d’une obligation de diligence de droit privé, il est difficile de relever une distinction significative quelconque d’avec les circonstances de la présente affaire.

  • [145] La relation qu’entretenaient les enquêteurs de l’ARC avec MM. Deacur et Gordon était personnelle, étroite et directe. Elle ne portait pas sur « tous les suspects possibles »; ces deux hommes avaient plutôt été « désigné[s] à titre individuel » [Hill, précité, au par. 33].

  • [146] MM. Deacur et Gordon avaient chacun un intérêt personnel considérable dans la conduite de l’enquête, et leur liberté et leurs réputations étaient directement en jeu [Hill, précité, au par. 34].

[147]  Une enquête de l’ARC qui est bâclée, mais non malveillante, ouvre la porte à de la négligence et peut mener à une déclaration de culpabilité injustifiée [Hill, précité, au par. 36].

[148]  L’obligation de diligence de droit privé à laquelle sont soumis les enquêteurs de l’ARC concorde avec l’esprit de la Charte, qui met l’accent sur la liberté et l’équité procédurale [Hill, précité, au par. 38]. En fait, en l’espèce, l’enquête de l’ARC a été menée d’une manière conforme aux obligations qu’imposent la Charte et le Code criminel. L’application de la Charte à une enquête spéciale de l’ARC a été reconnue antérieurement dans la décision R c Warawa, [1997] AJ No 989, au par. 9, 208 AR 81, et ce, dans le passage suivant :

[TRADUCTION]

9 Par conséquent, lorsqu’une affaire est renvoyée aux Enquêtes spéciales, il s’agit d’une enquête criminelle. À cet égard, dans l’arrêt Del Zotto c La Reine (1997), 97 DTC 5328, à la p. 5331, la Cour d’appel fédérale a déclaré :

« On ne s’étonnera guère que les tribunaux inférieurs aient immanquablement soutenu que lorsqu’une affaire est confiée à la Division des enquêtes spéciales, l’affaire devient alors une enquête criminelle même si la loi est par ailleurs de nature réglementaire : [...] »

L’affaire fait ensuite référence à cinq décisions de tribunaux d’instance inférieure. Tout doute à cet égard est réglé par les propres politiques de Revenu Canada (Ex. 41) dont les « Objectifs et buts » que poursuivent les Enquêtes spéciales sont énoncés dans un manuel appelé MOI 11(10). Ce dernier indique en partie ce qui suit au paragraphe 1112 :

[TRADUCTION]

« 1. L’objectif des Enquêtes spéciales est de planifier et d’administrer des programmes d’enquêtes criminelles de manière à décourager au maximum la non‑conformité en enquêtant, en pénalisant, en recommandant des poursuites et en publicisant les cas importants dans toutes les catégories de contribuables où il y a eu des pratiques délibérées ou volontaires d’évasion fiscale. »

Les Enquêtes spéciales remplissent une fonction semblable à celle du policier ordinaire. Leur tâche consiste à faire enquête et, le cas échéant, à engager des poursuites. J’ai donc conclu que, lorsqu’une affaire est renvoyée aux Enquêtes spéciales, la cible ou le suspect de l’enquête a droit aux mesures de protection appropriées que la common law et la Charte offrent à une personne soupçonnée d’avoir commis un crime.

[149]  Le devoir d’enquêter conformément aux règles de droit n’entre pas en conflit avec l’obligation présumée de faire preuve de diligence raisonnable envers le suspect [Hill, précité, au par. 41].

[150]  Le fait que les enquêteurs de l’ARC soient tenus de respecter la même norme de diligence que celle qui s’applique à une enquête policière équivalente ne causerait aucune conséquence négative importante et non conjecturale sur le plan de la politique [Hill, précité, au par. 43]. En fait, l’ARC n’a avancé aucun motif convaincant pour écarter une obligation de diligence identique [Hill, précité, aux par. 47 et 48].

[151]  Les enquêteurs de l’ARC veillent principalement à recueillir la preuve et à la soupeser. Le caractère factuel que revêt une enquête de l’ARC éloigne cette dernière d’une fonction judiciaire ou quasi judiciaire [Hill, précité, au par. 49].

[152]  Le pouvoir discrétionnaire qui est inhérent à une enquête de l’ARC peut être pris en compte pour formuler la norme de diligence, mais il ne justifie pas que l’on écarte une obligation en soi [Hill, précité, au par. 51]. Une norme de diligence appropriée offre une latitude suffisante pour exercer ce pouvoir discrétionnaire sans engager une responsabilité pour négligence [Hill, précité, au par. 54].

[153]  Il est fort probable que la négligence des enquêteurs de l’ARC causera un préjudice sérieux aux personnes qui sont ciblées. Contrairement à la fonction de vérification, les suspects visés par une enquête de l’ARC peuvent être emprisonnés, leurs moyens de subsistance peuvent être compromis et leur réputation peut être entachée à jamais. Il convient de signaler que la poursuite contre MM. Deacur et Gordon a été engagée par voie de mise en accusation pour fraude, un acte pour lequel on aurait pu imposer des peines d’emprisonnement [Hill, précité, au par. 70].

[154]  Assujettir les enquêteurs de l’ARC à la norme de l’enquêteur raisonnable placé dans la même situation concorde avec l’obligation juridique qui s’applique aux autres professionnels qui travaillent dans les mêmes circonstances [Hill, précité, au par. 72].

[155]  L’idée qu’une enquête de l’ARC puisse être analogue à une enquête policière trouve aussi un certain appui dans McCreight c Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483, 116 OR 3d 429, un arrêt qui avait trait à une requête en radiation et qui n’est pas un énoncé définitif sur la question. La Cour d’appel de l’Ontario a toutefois reconnu la possibilité d’un tel résultat dans le passage suivant :

[TRADUCTION]

[60] À mon avis, en l’espèce, le juge des requêtes a commis une erreur en concluant qu’il était évident et manifeste que les enquêteurs de l’ARC défendeurs n’avaient pas une obligation de diligence envers MM. McCreight et Skinner, que des considérations de principe écarteraient de toute façon une telle obligation et que, de ce fait, l’allégation de négligence n’avait aucune chance raisonnable de succès et devrait être radiée.

[61] Premièrement, compte tenu de l’arrêt que la Cour suprême a rendu dans Hamilton-Wentworth, à savoir que, dans certaines circonstances, les agents de police peuvent avoir une obligation de diligence envers leurs suspects, il n’est certes pas évident et manifeste qu’un enquêteur de l’ARC n’a aucune obligation de cette nature quand il exécute ses fonctions sous le régime des dispositions de la LIR [page 444] qui entraînent une sanction criminelle et sous le régime du Code criminel. Le même raisonnement analogique s’applique à toute justification de principe résiduelle qui est susceptible d’écarter une telle obligation.

[156]  L’affaire Grenon c Canada Revenue Agency, 2017 ABCA 96, [2017] 6 WWR 146, avait trait elle aussi à une requête en radiation d’une allégation de négligence de la part de l’ARC dans le cadre de l’exécution de ses fonctions de vérification. Le demandeur a fait valoir, sans succès toutefois, qu’il fallait appliquer le raisonnement suivi dans les arrêts Hill, précité, et McCreight, précité. La Cour d’appel de l’Alberta a refusé d’appliquer ces deux affaires, au motif que cela aurait eu pour effet de [traduction« faire concorder le contexte réglementaire dans lequel s’inscrit le pouvoir de vérification de l’ARC » avec les circonstances exceptionnelles dont il est question dans l’arrêt Hill, précité [par. 20]. Néanmoins, dans l’arrêt Grenon, la Cour d’appel a formulé les observations suivantes à propos de la possibilité d’appliquer une norme de négligence au travail des enquêteurs de l’ARC :

[TRADUCTION]

22 L’arrêt Hill c Hamilton-Wentworth n’aide pas la cause de l’appelant, à part confirmer qu’un acteur gouvernemental, exerçant ses pouvoirs sous le régime d’une loi visant un objectif public, peut nouer un lien de proximité par les rapports particuliers qu’il entretient avec un demandeur, un point qui n’est pas contesté dans le présent appel ou par la Cour. L’arrêt Hill c Hamilton-Wentworth comportait une série de circonstances exceptionnelles. De plus, il y avait des considérations particulières liées à des questions de proximité et de principe qui s’appliquaient au lien qui existait dans cette affaire et qui ne sont pas présentes en l’espèce. Ces considérations comprenaient la probabilité d’une peine d’emprisonnement, les obligations juridiques que la Charte impose à la police, de même que l’importance de mettre en balance le fait que la police doit pouvoir mener efficacement ses enquêtes et la protection des droits fondamentaux d’un suspect ou d’un accusé.

23 Dans l’arrêt McCreight, des comptables particuliers étaient confrontés à des accusations imposées à la fois au titre de la LIR et du Code criminel. Se reposant sur les arrêts Leroux et Hill c Hamilton-Wentworth, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’il n’était pas [traduction] « évident et manifeste qu’un enquêteur de l’ARC n’a aucune obligation de cette nature quand il exécute ses fonctions sous le régime des dispositions de la LIR qui entraînent une sanction criminelle et sous le régime du Code criminel » : arrêt McCreight, aux par. 60 à 62.

24 Dans la mesure où l’arrêt McCreight comporte l’imposition possible d’une sanction criminelle, l’affaire se distingue de la présente espèce et ressemble davantage à l’enquête criminelle qui était en litige dans Hill c Hamilton-Wentworth qu’aux fonctions de vérification de l’ARC. À notre avis, le juge siégeant en cabinet a eu raison de tirer cette conclusion. Dans la mesure où l’appelant fait valoir que l’arrêt McCreight étend censément la négligence au‑delà des enquêtes criminelles et jusqu’au contexte réglementaire, ce qui permet de reconnaître qu’une vérification que mène l’ARC sous le régime de la LIR déclenche une obligation de diligence de droit privé, nous refusons de souscrire à cette thèse.

[157]  Je suis convaincu, au vu des faits de l’espèce, qu’il convient d’appliquer la norme de diligence fondée sur le droit de la négligence. Les circonstances correspondent parfaitement à l’analyse-cadre relevée dans les arrêts Cooper c Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 RCS 537, et Hill, précité. La prévisibilité que l’enquête cause préjudice à MM. Deacur et Gordon aurait été tout à fait évidente. Ces derniers étaient, après tout, les cibles précises de l’enquête, et leur liberté ainsi que leur réputation étaient directement en jeu.

[158]  L’exigence du lien de proximité à première vue est également remplie. Les enquêteurs de l’ARC auraient su que leurs actes pouvaient porter préjudice aux demandeurs. Le lien de l’ARC avec MM. Deacur et Gordon était étroit et direct. Ils avaient été désignés à titre individuel et leurs intérêts personnels considérables étaient en cause. Ils s’attendaient à ce que l’enquête se déroule de manière compétente.

[159]  Il n’existe pas non plus de conflits identifiables entre l’existence d’une obligation de diligence de droit privé et une obligation publique générale, hormis ceux qui ont été analysés et rejetés dans l’arrêt Hill, précité. Il n’existe certainement pas de considérations de principe uniques découlant d’une enquête de l’ARC qui soient de nature telle que l’on puisse dire qu’il y a un risque réel de conséquences négatives sur le plan de la politique. Tout comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Hill, précité, il est permis de douter qu’il existe des conséquences négatives éventuelles.

[160]  En fait, l’enquête sur JAD ne cherchait pas à atteindre un objectif réglementaire plus large, qui comportait des obligations contradictoires du genre de celles décrites dans l’arrêt Los Angeles Salad Co c Canadian Food Inspection Agency, 2013 BCCA 34, 40 BCLR 5th 213. Dans cette affaire, la tentative d’imposer à des inspecteurs alimentaires une obligation de diligence envers des détaillants créait censément un conflit inacceptable avec l’intérêt primordial de protéger la santé publique. Des préoccupations similaires quant au fait de mettre en balance les intérêts privés de particuliers tout en tentant d’établir des règlements dans l’intérêt du public ont été formulées dans les arrêts Ernst c Alberta Energy Regulator, 2017 CSC 1, [2017] 1 RCS 3, R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45, et Edwards c Barreau du Haut-Canada, 2001 CSC 80, [2001] 3 RCS 562. Par conséquent, même dans une situation où un organisme ou un fonctionnaire de l’État sait qu’un manque de diligence dans l’exécution d’une fonction publique peut créer un risque de préjudice pour des tiers, une obligation de diligence de droit privé envers ces parties sera rarement, sinon jamais, reconnue : voir l’arrêt Cooper, précité.

[161]  Par contraste avec les arrêts susmentionnés, l’enquête sur JAD n’était qu’un exercice de recherche de faits et d’exécution de la loi. Hormis sa valeur dissuasive, une enquête spéciale de ce genre ne comporte pas l’application d’une politique publique particulière ou l’exercice d’un vaste pouvoir discrétionnaire relatif à l’intérêt public. Elle ne sert non plus aucune fin directe en matière de recouvrement d’impôts.

[162]  Je conclus que ce qui s’est passé au cours de l’enquête sur JAD a été l’équivalent d’une enquête policière qui a mené au dépôt d’accusations et à une poursuite engagée au titre du Code criminel pour fraude. Dans ce contexte, le raisonnement exposé dans l’arrêt Hill, précité, s’applique. Je fais donc mien et j’adapte l’énoncé suivant, tiré de l’arrêt Hill, qui décrit la norme de diligence à appliquer en l’espèce :

73 Je conclus que la norme de diligence applicable est la norme générale [de l’enquêteur de l’ARC] raisonnable placé dans la même situation. Cette norme devrait s’appliquer de manière à bien reconnaître le pouvoir discrétionnaire inhérent à l’enquête [de l’ARC]. Comme les autres professionnels, [l’enquêteur de l’ARC] peut exercer son pouvoir discrétionnaire comme il le juge opportun, à condition de respecter les limites de la raisonnabilité. L’[enquêteur de l’ARC] qui exerce son pouvoir discrétionnaire d’une autre manière que celle jugée optimale par le tribunal de révision n’enfreint pas la norme de diligence. Plusieurs choix peuvent s’offrir [à l’enquêteur] qui enquête sur un crime, et tous ces choix peuvent être raisonnables. Tant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est raisonnable, la norme de diligence est observée. La norme ne commande pas une démarche parfaite, ni même optimale, lorsqu’on considère celle‑ci avec le recul. La norme est celle [de l’enquêteur] raisonnable au regard de la situation — urgence, données insuffisantes, etc. — au moment de la décision. Le droit de la négligence n’exige pas des professionnels qu’ils soient parfaits ni qu’ils obtiennent les résultats escomptés (Klar, p. 359). En fait, il admet qu’à l’instar des autres professionnels, [l’enquêteur] peut, sans enfreindre la norme de diligence, commettre des erreurs sans gravité ou des erreurs de jugement aux conséquences fâcheuses. Le droit distingue l’erreur déraisonnable emportant l’inobservation de la norme de diligence de la simple « erreur de jugement » que n’importe quel professionnel raisonnable aurait pu commettre et qui, par conséquent, n’enfreint pas la norme de diligence. [...]

[163]  L’ARC invoque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans Ontario Ltd c Barklay, 2016 ONCA 656, [2016] OJ No 4615, à l’appui de la thèse qu’un témoignage d’expert sera habituellement nécessaire pour déterminer le contenu de la norme de diligence dans une affaire de négligence alléguée dans le cadre d’une enquête policière.

[164]  Selon l’arrêt rendu dans Barklay, précité, la règle générale qui requiert une preuve d’expert est soumise à deux exceptions : pour les questions de nature non technique dont on pourrait s’attendre que la personne ordinaire détienne des connaissances et pour la conduite à ce point flagrante qu’il est évident que la norme de diligence n’a pas été respectée.

[165]  Dans la présente affaire, MM. Deacur et Gordon n’ont fourni aucune preuve d’expert pour expliquer où la théorie de l’enquête de l’ARC s’était révélée lacunaire ou, plus important encore, de quelle façon on pourrait dire que les méthodes de JAD étaient conformes aux pratiques comptables généralement reconnues en lien avec des demandes de RS&DE. Cette omission n’empêche pas la Cour d’examiner des erreurs d’enquête non techniques, mais le fait que MM. Deacur et Gordon affirment que les enquêteurs de l’ARC ont mal appliqué la LIR et n’ont pas compris que leurs méthodes se situaient dans les limites de la loi est un réel sujet d’inquiétude.

[166]  Après avoir conclu que les demandeurs disposent en théorie d’une cause d’action fondée sur la négligence, je traiterai maintenant des allégations précises qu’ils ont formulées d’inconduites lors d’une enquête.

[167]  MM. Deacur et Gordon prétendent que les enquêteurs de l’ARC ont omis d’appliquer ou ont appliqué erronément plusieurs étapes procédurales énoncées dans le MOI II et que ces erreurs sont une preuve de malveillance et de négligence. Cependant, leurs préoccupations relatives au processus ne mettent pas en doute la fiabilité fondamentale de la preuve que ces enquêteurs ont recueillie et qui étayait le dépôt d’accusations. Comme il a déjà été mentionné dans les présents motifs, MM. Deacur et Gordon ne contestent pas ou ne nient pas les méthodes qu’ils ont employées pour justifier les demandes de RS&DE de leurs clients. Ce qu’ils contestent, c’est le caractère raisonnable du fait que l’ARC qualifie ces méthodes de frauduleuses. Par conséquent, la rectification de ces « erreurs » de procédure n’aurait pas changé de manière significative le cours de l’enquête ou son issue. En effet, l’obligation qu’il y ait un lien de causalité entre une erreur commise lors d’une enquête et l’issue de cette enquête est une limite importante sur le plan de la responsabilité. Il n’existe, après tout, aucun délit « d’iniquité ». On doit s’attendre à ce qu’il survienne des erreurs ou des fautes de jugement pendant le déroulement d’une enquête criminelle complexe de l’ARC. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hill, précité, aucune enquête criminelle n’est parfaite et aucune erreur ou série d’erreurs ne constitue un acte de négligence donnant droit à poursuite. En outre, une enquête criminelle comporte forcément une certaine incertitude, qui repose sur des problèmes de mémoire ou d’autres faiblesses inattendues sur le plan de la preuve. C’est la raison pour laquelle la conduite lors d’une enquête doit être examinée sur la foi de ce que les enquêteurs croyaient raisonnablement à l’époque au sujet de la solidité du dossier, et non en rétrospective ou en se fondant sur l’issue de la poursuite. Ce point a été récemment examiné dans l’arrêt Samaroo c Canada Revenue Agency, 2019 BCCA 113, au par. 44, 20 BCLR 6th 107 :

[TRADUCTION]

[44] Tout d’abord, le juge de première instance doit prendre garde lorsqu’il examine rétroactivement les faits, car la manière dont la preuve évolue lors d’un procès criminel peut jeter un éclairage différent sur les circonstances qui étaient connues à l’époque où la poursuite a été engagée. Cela est particulièrement important lorsque des questions de crédibilité sont en cause, car il est fondamentalement difficile de prédire de quelle façon le juge des faits, en dernière analyse, peut soupeser la preuve. Celle‑ci peut ressortir de manières imprévisibles et ainsi de suite, comme il a été expliqué dans Miazga, au par. 76.

En outre, on ne peut tirer une inférence défavorable du simple fait que des accusations sont suspendues : voir Wong c Toronto Police Services Board, [2009] OJ No 5067, aux par. 60, 183 ACWS 3d 89, arrêt Miazga, précité, aux par. 75 et 76, ainsi que German c Major, 1985 ABCA 176, aux par. 21 et 22, 20 DLR 4th 703.

[168]  Une question qui revêt plus d’importance est le fait qu’un grand nombre des erreurs relatives au processus que les demandeurs ont alléguées n’allaient pas à l’encontre des lignes directrices du MOI II, qui, tout au long, reconnaissent qu’il est nécessaire de faire preuve de souplesse et d’exercer son pouvoir discrétionnaire. À l’époque où l’enquête sur JAD a eu lieu, le MOI II mettait également l’accent sur les enquêtes visant des contribuables, et non des spécialistes en déclarations de revenus. Par conséquent, un grand nombre des processus recommandés ne s’appliquait pas directement à l’enquête sur JAD : voir le témoignage de Mme Northey, à la page 5954. En outre, le MOI II est un ensemble de lignes directrices qui n’ont aucun effet juridique exécutoire, et leur non-respect n’est pas en soi une preuve de poursuite injustifiée ou de négligence : R c Eddy, 2016 ABQB 42, aux par. 138 et 139, [2016] AJ No 131, et R c Maleki, 2007 ONCJ 186, au par. 11, 73 WCB 2d 606. Cela vaut également pour la Déclaration des droits du contribuable de l’ARC, qui n’est rien de plus qu’une série d’ambitieux principes. Indépendamment de ce qui précède, je vais examiner chacune des préoccupations que les demandeurs ont formulées à l’égard de la procédure suivie.

[169]  Les demandeurs soutiennent que les enquêteurs de l’ARC ont failli à leur obligation de les interroger en vue d’obtenir leur version des faits avant de déposer des accusations. L’élément factuel de cette affirmation est techniquement exact. La dernière communication que l’ARC a eue avec M. Deacur avant le dépôt d’accusations criminelles indiquait seulement qu’il avait été recommandé au ministère de la Justice d’engager une poursuite relativement aux [traduction« frais de gestion fictifs et salaires gonflés allégués » et qu’on lui ferait part de la décision [pièce D‑115]. M. Gordon n’a pas été prévenu du dépôt d’éventuelles accusations. Pendant la période de deux ans environ qui s’est écoulée entre le début de l’enquête et la recommandation de porter des accusations, ni M. Deacur ni M. Gordon ne se sont fait demander des explications.

[170]  Cependant, à l’époque, il n’était pas obligatoire d’interroger le sujet d’une enquête de l’ARC avant de déposer des accusations criminelles et, dans des cas particuliers, il peut y avoir de bonnes raisons pour éviter de le faire. Il est question de ce point dans une note de service, datée de 1994, de la Division des enquêtes spéciales de l’Administration centrale de l’ARC, à Ottawa [pièce P‑19], mentionnant que le chef des Enquêtes spéciales a le choix de décider si l’on procédera ou non à un interrogatoire final. L’une des raisons données pour ne pas le faire est que le sujet est au courant de tous les faits. Une autre faiblesse de l’argument qu’invoquent les demandeurs est que le MOI II est axé en grande partie sur les enquêtes relatives aux contribuables et qu’il ne s’applique pas directement à une enquête qui vise des spécialistes en déclarations de revenus. Selon M. Michal, le MOI II était un ensemble de lignes directrices et, lors de son application, il était nécessaire de faire preuve d’une certaine créativité. Lors de l’enquête sur JAD, la plupart des contribuables visés ont été interrogés et ils ont fourni des déclarations signées ou sous serment. En outre, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt German, précité, au par. 41, il serait [traduction« remarquable que la seule manière raisonnable de faire enquête sur un acte criminel serait de soumettre la thèse du poursuivant au prévenu avant de porter des accusations, et de lui demander des explications ». La même remarque a été faite dans la décision Wong, précitée, au par. 59 :

[TRADUCTION]

59 Il n’est pas nécessaire qu’un agent de police épuise toutes les voies d’enquête possibles ou interroge tous les témoins éventuels avant de procéder à une arrestation. Un agent de police n’est pas non plus tenu d’obtenir la version des faits du prévenu ou, par ailleurs, d’établir que ce dernier n’a aucune défense valable avant de pouvoir former des motifs raisonnables et probables.

[171]  On relève la même remarque aussi dans l’arrêt Barklay, précité, aux par. 51 et 52 :

[TRADUCTION]

[51] La fonction de la police consiste à faire enquête sur des incidents qui pourraient être de nature criminelle, à prendre une décision consciencieuse et éclairée quant au fait de savoir s’il y a lieu de porter des accusations et à soumettre tous les faits au poursuivant : Wong, au par. 56. Bien que cela oblige, jusqu’à un certain point, à soupeser la preuve au cours de l’enquête, la police n’est pas tenue d’apprécier la preuve en fonction d’une norme juridique ou de tirer des conclusions en droit. Cette tâche incombe aux procureurs, aux avocats de la défense et aux juges : Hill, au par. 50.

[52] Un agent de police n’est pas non plus tenu d’épuiser tous les moyens d’enquête possible, d’interroger tous les témoins éventuels avant leur arrestation ou d’obtenir la version des faits du suspect ou, par ailleurs, d’établir qu’il n’existe aucune défense valable avant de pouvoir formuler des motifs raisonnables et probables : Kellman c Iverson, [2012] OJ No 2529, 2012 ONSC 3244 (CSJ), au par. 16; Wong, au par. 59.

[172]  En outre, rien n’empêchait M. Deacur ou M. Gordon de solliciter des éclaircissements au sujet des préoccupations qu’avait l’ARC ou de demander à rencontrer les enquêteurs pour pouvoir justifier leurs méthodes. M. Deacur était représenté par avocat et, s’il se posait réellement des questions à propos de la raison pour laquelle il faisait l’objet d’une enquête, lui‑même ou son avocat aurait pu demander que l’on tienne une réunion. En contre‑interrogatoire, M. Deacur a reconnu n’avoir pris aucune mesure de ce genre [transcription, p. 2127 à 2129]. Je n’accepte pas comme excuse pour cette omission les simples affirmations de M. Deacur selon lesquelles [traduction« il n’y avait personne à qui le demander » [p. 2127] et les enquêteurs [traduction« n’étaient pas intéressés à savoir ce que nous allions dire » [transcription, p. 2130]. Pendant la durée de l’enquête, rien ne lui permettait de formuler une pareille hypothèse. En fait, Mme Northey a déclaré qu’elle s’était entretenue avec M. Deacur et son avocat un certain nombre de fois au cours de l’enquête et que jamais ce dernier n’avait tenté d’expliquer ou de justifier les méthodes de JAD [p. 5983 et p. 5135]. À une occasion où M. Gordon a effectivement écrit aux poursuivants, ses doléances n’ont été rien de plus qu’une vague diatribe à propos de Mme Northey [pièce P‑163].

[173]  L’idée qu’on ait laissé M. Deacur entièrement dans le noir au sujet des préoccupations de l’ARC n’est pas non plus corroborée par ce qu’il savait à l’époque où les demandes de RS&DE de ses clients étaient établies et présentées. Dans un certain nombre de cas, il a reçu des commentaires négatifs de la part de certains clients et de son propre personnel quant au bien‑fondé de certaines des méthodes employées et aux réactions de l’ARC face à ces dernières.

[174]  Dans le dossier de Martinville Hockey Sticks Inc., JAD a établi des demandes de RS&DE de remplacement à soumettre au client. L’une de ces options était plus audacieuse que l’autre [pièce D‑127]. En septembre 1994, le client a informé M. Deacur que le vérificateur de l’ARC était troublé par l’approche plus audacieuse, laquelle comportait l’emploi d’une [traduction« société de portefeuille et le gonflement des salaires » [pièce D‑130]. Il convient de faire preuve d’une certaine prudence dans la manière de traiter cette preuve, parce que celle-ci ne peut pas être admise pour établir la véracité de son contenu (c.-à-d., si les préoccupations exprimées étaient valides). Cette preuve est toutefois pertinente pour ce qui est de la question de la connaissance qu’avait M. Deacur en 1994 des problèmes que pouvaient présenter ses méthodes de RS&DE et de sa prétention selon laquelle, à cette époque, il n’avait aucune idée de ce qui préoccupait l’ARC.

[175]  Il y a aussi une note de service interne de JAD, datée du 8 décembre 1994, dans laquelle il est question d’une réunion avec un vérificateur de l’évitement fiscal de l’ARC, au sujet de la demande de RS&DE de Clare Works. Cette note de service faisait mention d’un problème de [traduction« simultanéité » et du fait qu’il n’existait [traduction« aucun contrat pour les changements intersociétés ». L’auteur de la note de service a conclu en formulant la mise en garde suivante :

[TRADUCTION]

IMPRESSION DE D. ALLAN :

Ma compréhension restreinte des conséquences fiscales influence mon impression. Cependant, compte tenu de la nature instable de la cliente et des solides affirmations du vérificateur de l’évitement fiscal, la poursuite du traitement de la demande nous mènera sans aucun doute sur un chemin cahoteux. [Pièce D‑131]

[176]  Le 20 février 1996, l’avocat représentant Pinnco Elevator Industries Limited a informé M. Deacur que, après avoir examiné la demande de RS&DE avec les vérificateurs de l’ARC et [traduction« sur l’avis d’avocats », les demandes avaient été retirées dans leur intégralité [pièce D‑132].

[177]  John Savelli était suffisamment nerveux au sujet de la manière dont JAD abordait l’établissement d’une demande de RS&DE pour Signet Marketing Inc. pour enregistrer sur bande magnétique la discussion qu’il avait eue avec M. Deacur et Wayne Small le 31 janvier 1994. Au cours de cette conversation, le sujet de préoccupation suivant a été évoqué :

[TRADUCTION]

Ce qu’ils sont en train de vérifier, c’est, oui, vous avez facturé ceci, et est-ce raisonnable et est-ce là une méthode comptable acceptable?

Donc, ce qu’il dit essentiellement, c’est qu’à un certain moment, nous pourrions être vérifiés et qu’ils vont me sortir avec les menottes. Ce n’est pas ce qu’il a dit exactement, mais c’est ce qu’il a sous-entendu, il n’a rien dit, Paul [Yanover, le comptable de Signet] a choisi avec soin ses mots, jamais il n’a déclaré qu’il y avait eu une fraude quelconque, mais il a certainement sous‑entendu que cela n’avait pas l’air réglo.

WS – D’après l’expérience de Jim, la plupart de ces gens ont le cerveau éteint.

JS – C’est bien sûr pour mon usage personnel. [Pièce P‑26]

[178]  La question d’une fraude potentielle en lien avec la demande de RS&DE de Signet Marketing Inc. a également été soulevée dans des lettres que M. Deacur a échangées avec M. Savelli au début de 1994. Dans la pièce D‑122, M. Deacur répond aux préoccupations apparentes que M. Savelli a exposées dans une lettre antérieure. M. Deacur a répondu de la manière suivante :

[TRADUCTION]

5. Étant donné que le crédit d’impôt n’est pas traité sur une base d’autocotisation, mais doit être vérifié deux fois par Revenu Canada, je ne vois pas quel est le motif de la question. Si une fraude a été commise et s’il s’agit là du motif de toute obligation de remboursement future, j’aurais à répondre de ma participation, mais je n’assumerais aucune responsabilité pour vos actes s’ils étaient considérés comme frauduleux.

[179]  Les préoccupations des vérificateurs de l’ARC quant à l’authenticité des frais de sous‑traitance ou de gestion réclamés par des clients de JAD ont également été portées à l’attention de représentants de JAD, sans toutefois que les vérificateurs comprennent entièrement ce qui se passait : voir les pièces D‑61, D‑168 et D‑183.

[180]  Une lettre d’avis de 30 jours a été envoyée à JAD le 13 novembre 1997, à l’attention de M. Deacur [pièce D‑115]. Cette lettre ne mentionnait pas la ou les parties qui étaient l’objet d’accusations potentielles, hormis l’inférence évidente que JAD était visée. M. Gordon se plaint de ne pas avoir été précisément informé qu’il était visé par l’enquête. Cependant, il était copropriétaire de JAD et avait contribué aux méthodes relatives à la RS&DE que JAD avait mises au point. Il aurait certainement été au courant de la lettre de Jacques Belanger à JAD, et ni M. Deacur ni M. Gordon n’ont pu être très surpris quand on les a personnellement accusés.

[181]  Enfin, Mme Northey a donné une explication très raisonnable pour ce qui est de la raison pour laquelle elle n’avait pas interrogé M. Deacur : voir les pages 5244 et 5245. M. Gordon n’a pas été invité pour un entretien, parce que la décision de l’accuser a été prise en consultation avec des avocats du ministère de la Justice après que l’enquête fut, en fait, terminée [p. 5557 et p. 5815‑5816].

[182]  Compte tenu de cette preuve, je rejette la prétention des demandeurs qu’ils n’avaient aucune idée de la nature des préoccupations qu’avait l’ARC au sujet des méthodes de JAD et que, si on leur avait donné ne serait-ce qu’une occasion de s’expliquer, l’enquête aurait très certainement pris fin. Un tel entretien aurait fort probablement eu pour résultat d’amplifier les doutes de l’ARC, et non de les faire disparaître. Si MM. Deacur et Gordon avaient une explication disculpatoire valable pour leurs actes et leurs méthodes, il est inexplicable qu’elle n’ait jamais été donnée à l’ARC ou aux poursuivants, pas plus qu’on en a offert une qui est plausible au cours de la présente instruction.

[183]  À peu près le même problème découle de la plainte de M. Deacur selon laquelle l’ARC aurait dû établir de nouvelles cotisations relativement aux demandes de RS&DE contestées avant que l’on dépose des accusations criminelles. Selon lui, cette omission contrevenait au MOI II, dans lequel il était prescrit qu’il fallait soumettre les contribuables à une nouvelle cotisation avant de porter des accusations. Cette disposition reposait toutefois sur la nécessité d’imposer des sanctions à un contribuable et elle n’a aucun lien évident avec l’enquête menée sur un spécialiste en déclarations de revenus. Il est ressorti du témoignage de M. Michal que le fait d’établir de nouvelles cotisations relativement aux demandes de RS&DE des clients de JAD n’aurait pas permis d’atteindre cet objectif [p. 969 et p. 971]. Mme Northey a bel et bien demandé, avant de prendre un congé de maternité, que l’on établisse de nouvelles cotisations pour plusieurs des demandes contestées; c’était cependant là la responsabilité des vérificateurs, et non des enquêteurs, et, semble‑t‑il, on n’a pas donné suite à sa demande. Mme Northey a également déclaré dans son témoignage qu’il n’était pas obligatoire d’établir de nouvelles cotisations avant d’intenter une poursuite criminelle, parce que, sous le régime de la LIR, le ministre peut établir une nouvelle cotisation en tout temps. [Transcription, p. 5918]

[184]  Bien que l’ARC ait bel et bien décidé de laisser en suspens certains avis d’opposition de clients de JAD en attendant la fin des procédures criminelles, il était encore possible de soumettre ces affaires directement à la Cour canadienne de l’impôt. Des avis d’opposition aurait également pu être déposés pour n’importe laquelle des demandes de RS&DE qui faisaient l’objet d’accusations criminelles, et ces demandes, elles aussi, auraient pu être soumises directement à la Cour canadienne de l’impôt. JAD n’a interjeté aucun appel pour le compte d’un client quelconque avant que l’on suspende les accusations.

[185]  Si MM. Deacur et Gordon croyaient sincèrement que leurs méthodes concordaient toutes avec les principes comptables généralement reconnus, le fait qu’ils n’aient pas présenté d’argument en faveur d’une décision judiciaire indépendante anticipée est difficile à comprendre et mine cette préoccupation relative aux processus prévus par le MOI II. Vraisemblablement, un ou plusieurs des clients de Deacur auraient collaboré dans le cadre d’appels anticipés, parce que certains avis d’opposition ont été en fin de compte traités en appel.

[186]  La plainte des demandeurs selon laquelle le MOI II exigeait que l’ARC confie ce genre d’enquête à la GRC est elle aussi dénuée de tout fondement. La disposition applicable n’exigeait pas que l’on renvoie l’affaire à la GRC, et l’ARC avait généralement pour pratique de réaliser à l’interne les enquêtes fiscales techniques. Il est également douteux que la GRC ait eu l’expertise requise en matière de RS&DE pour procéder à l’enquête sur JAD. Pour cette raison ainsi que pour des raisons de confidentialité, le MOI II indiquait que le renvoi initial d’une affaire de remboursement d’impôt devait être fait aux Enquêtes spéciales de l’ARC, et non à la GRC. Mme Northey a déclaré dans son témoignage que l’ARC, de façon générale, ne renvoyait des dossiers à la GRC que dans les cas où il était nécessaire de procéder à une analyse criminalistique (prise d’empreintes, falsification de documents, etc.) [p. 5427].

[187]  L’allégation répétée selon laquelle des enquêteurs de l’ARC avaient intimidé des témoins est contredite par le témoignage des enquêteurs ayant pris part à cet exercice. Par exemple, Paul Porteous a déclaré avoir interrogé environ 30 témoins. Aucun d’eux n’avait refusé de participer à un interrogatoire ou n’avait demandé qu’on y mette fin du fait qu’il se sentait mal à l’aise [p. 4677]. Il a décrit le processus suivi en ces termes :

[TRADUCTION]

Q.  Et ensuite que faites‑vous après, pour ce qui est de la préparation de la déclaration solennelle, après avoir pris note de toutes ces informations?

R.  Eh bien, tout d’abord, je leur demandais s’ils voulaient signer une déclaration solennelle. Et, ensuite, je mettais par écrit ou prenais mes notes et les formulais en une déclaration solennelle, basée sur ce qu’ils avaient déclaré. Donc, essentiellement, je prenais ce qu’ils avaient déclaré dans mes notes et je consignais cela dans une déclaration solennelle pour les besoins de l’impôt sur le revenu.

Q.  Et ensuite, après que vous avez ainsi rédigé une déclaration solennelle, qu’arrive-t-il ensuite?

R.  Eh bien, ensuite je ‒ essentiellement, ce que je faisais, c’était de demander à la personne ou au demandeur de lire la déclaration solennelle, d’y apporter les changements qu’il voulait, de rayer des choses. C’était leur déclaration solennelle. C’était leurs propres mots, pas les miens. Ils pouvaient donc y apporter des changements s’ils le voulaient. Ensuite ils signaient le document s’ils le voulaient, ce que tous ont fait. Et après, ces déclarations étaient rapportées, avec le dossier, au bureau et étaient remises à ‒ je suppose qu’il s’agissait d’Art Payne ou de Patti Northey, ou de mon supérieur, Dave McFarlane. [P. 4678 et 4679]

[188]  En contre‑interrogatoire, M. Deacur a posé des questions à M. Porteous sur deux des entretiens réalisés avec des clients de JAD dans le cadre desquels les témoins ne s’étaient pas exprimés de manière tout à fait franche. Les notes qu’il avait prises lors de ces entretiens donnent à penser que l’on avait peut-être exercé certaines pressions pour inciter la personne à collaborer davantage. Cependant, rien dans les échanges ne donne le moindrement à penser que ces témoins n’ont fait autre chose qu’un témoignage véridique. En tout état de cause, lors de la conduite d’une enquête criminelle, il y a lieu de s’attendre à ce que l’on pose des questions persuasives ou que l’on recoure à des stratégies pour obtenir la collaboration des témoins. Après tout, le processus n’est pas une partie de plaisir. Aucun témoin n’a été forcé de répondre à des questions, mais un témoin tiers peu coopératif pouvait être soumis à une demande péremptoire de production [p. 4859].

[189]  Il a été demandé à M. Porteous de passer en revue la teneur de plusieurs dépositions de témoins qu’il avait recueillies lors de l’enquête sur JAD. Ces déclarations décrivaient en détail les méthodes d’antidatage que des représentants de JAD avaient employées. Un grand nombre de ces méthodes faisaient appel à des sociétés fictives acquises postérieurement ainsi qu’à de fausses factures pour justifier les frais de gestion gonflés. M. Porteous a exprimé l’avis que ces méthodes étaient [traduction« pour le moins douteuses » [p. 4685].

[190]  Dans certains cas, des clients de JAD ont dit à M. Porteous qu’ils avaient été à ce point troublés par les méthodes de JAD qu’ils avaient refusé de continuer [p. 4706, 4710, 4744 et 4749]. Au moins un comptable de JAD lui a dit que les pratiques de JAD le mettaient mal à l’aise [p. 4741 à 4743]. M. Porteous a dit croire que les méthodes de JAD étaient frauduleuses [p. 4749].

[191]  M. Ferguson, qui a accompagné M. Porteous lors de plusieurs rencontres avec des clients, a dit que les questions que ce dernier avait posées étaient directes, mais polies [p. 4049].

[192]  Il n’y a tout simplement rien dans la preuve permettant d’établir que des enquêteurs de l’ARC ont intimidé des témoins. Quelques contribuables se sont sentis particulièrement mal à l’aise à l’idée d’être entraînés dans une enquête criminelle, mais cette réaction peut être attribuée plus directement aux méthodes comptables audacieuses de JAD qu’aux questions des fonctionnaires de l’ARC qui examinaient légalement les demandes de RS&DE que ces contribuables avaient produites.

[193]  Dans une lettre datée du 3 juillet 1996 [pièce P‑24], M. Michal a demandé l’aide de la GRC pour faire exécuter des mandats de perquisition à quatre emplacements qu’occupait JAD. Dans cette lettre, M. Michal a justifié l’intervention de la GRC en déclarant que M. Deacur était [traduction« connu pour avoir un tempérament explosif ». Lors de son interrogatoire, M. Michal a admis qu’il n’avait aucune raison de décrire M. Deacur de cette façon. Il a expliqué que la GRC n’aidait habituellement pas l’ARC à exécuter des mandats de perquisition, sauf si l’on fournissait une justification supplémentaire.

[194]  Il est évident que M. Michal n’avait aucun motif raisonnable de penser que M. Deacur présentait un risque quelconque, et il était inconvenant de décrire faussement M. Deacur de cette manière dans le but d’obtenir un avantage administratif.

[195]  Parallèlement, ce fait ne donne pas à penser que l’enquête de l’ARC a été menée à une fin irrégulière quelconque ou, plus précisément, que les mandats de perquisition visant JAD ont été obtenus ou exécutés illégalement. La question de savoir si la présence de la GRC était justifiée ou pas ne dit rien à propos de la fiabilité de la preuve que les enquêteurs ont obtenue lors de ces perquisitions autorisées par un juge.

[196]  La seule preuve dont je dispose d’une supposée confusion entre le travail de vérification de l’ARC et l’enquête sur JAD a trait à la présence de vérificateurs et d’enquêteurs lors de certaines rencontres tenues avec des clients de JAD. Dans certaines de ces situations, un représentant de JAD était présent et, par prudence et comme il convenait de le faire, il a reçu la mise en garde fondée sur la Charte. Ces rencontres ont eu lieu après l’exécution des mandats de perquisition et elles comportaient des interrogatoires de client par les enquêteurs. Aucune preuve n’établit que la présence d’un vérificateur de l’ARC avait entaché le processus et, même si cela avait été le cas, le problème ne serait pertinent que pour la poursuite criminelle, et non pour les questions soulevées dans le cadre de la présente instance. Il n’y a tout simplement aucune preuve que des enquêteurs de l’ARC ont tenté d’exploiter les pouvoirs de vérification en vue d’obtenir de la preuve à l’appui d’une poursuite en instance.

[197]  MM. Deacur et Gordon font valoir que, dans un dossier au moins (Permalite), les Enquêtes spéciales ont donné instruction à un vérificateur de l’ARC, Paul Porteous, de rejeter intégralement une demande de JAD [pièce D‑378]. Cela, disent‑ils, est la preuve d’une fin irrégulière et d’un degré inapproprié d’ingérence de la part des enquêteurs dans les fonctions de vérification. Une question a été posée à M. Porteous au sujet de sa note de vérification, et il l’a expliquée ainsi :

[TRADUCTION]

Q.  Encore une fois, je vais de nouveau attirer votre attention sur l’énoncé qui figure à côté de [traduction] « préoccupations en matière de vérification » :

[traduction] « Les Enquêtes spéciales ont demandé que le dossier soit traité et la demande rejetée intégralement ». [Tel que l’extrait a été lu]

Qui a rédigé cette note?

R.  C’est moi.

Q.  Et pourriez‑vous m’expliquer pourquoi vous avez inscrit cette note dans votre rapport du vérificateur T20?

R.  Oui. Quand j’ai étudié le dossier qui se trouvait devant moi, c’est‑à‑dire Permalite, une demande datant de 1994, j’y ai vu des renseignements qui venaient de Jeff Weryho. Et j’ai consulté mon supérieur de l’époque ‒ M. Hill est décédé depuis ce temps ‒ et il a suggéré, et je lui ai suggéré aussi, que j’aille aux Enquêtes spéciales, parce que l’ébauche de M. Fiannaca, le président de Permalite, était rédigée sous la forme ‒ une déclaration se trouvait dans le, dans le dossier avec une note qui, je crois, indiquait ce que les Enquêtes spéciales avaient fait ou faisaient.

J’ai donc pris l’initiative de me rendre à la Section des enquêtes spéciales et d’en discuter avec M. Weryho. M. Weryho m’a informé que oui, cela faisait partie des années qui faisaient l’objet d’une enquête. Cette demande pour 1994 n’avait pas été déposée avant 1996, je crois. Et c’est la raison pour laquelle c’était moi qui en avait hérité, parce qu’elle était arrivée en retard, et je présume qu’elle ne faisait pas partie de l’enquête à ce stade‑là. Je n’étais pas affecté aux enquêtes à cette époque, et je ne peux donc pas vraiment vous dire si c’était le cas ou non.

Mais, en ma qualité de vérificateur en matière de R&D, je suis descendu et j’en ai parlé avec M. Weryho. Celui‑ci m’a dit que cette demande faisait partie du dossier et il a suggéré qu’elle soit rejetée, car elle faisait partie de toutes les autres demandes, les autres années qui faisaient déjà l’objet d’une enquête.

Je suis donc retourné voir mon supérieur et je lui ai dit que, en fait, la demande faisait l’objet d’une enquête. On m’a donc dit de rejeter la demande en entier et de la renvoyer aux Enquêtes spéciales et, ensuite, le dossier ‒ quand j’ai transmis le dossier, j’ai rédigé une note, j’ai mis une note dessus, dans la chemise, pour indiquer au centre des données de traiter le formulaire T2SA révisé et la demande révisée, et ensuite, s’il y avait des renseignements quelconques ou s’il y avait des questions quelconques, de consulter Patti Northey, l’enquêtrice principale dans le dossier, aux Enquêtes spéciales, parce que, en fait, ce n’était pas à moi de la vérifier. C’était, c’est la raison pour laquelle, en partie, cette affaire est devenue un examen sur dossier.

[...]

Q.  Et donc, à la fin de cette vérification sur dossier, pourriez‑vous me dire quelles instructions, s’il y en a, vous avez reçues pour rejeter la demande?

R.  Eh bien, comme je l’ai dit, c’était Jeff, M. Weryho et moi avons discuté de la demande, et il a dit, il a suggéré de la rejeter. J’ai parlé avec ‒ je suis retourné à notre secteur, j’ai parlé avec mon supérieur de l’époque, Keith Hill, et il a donné son accord. Et j’ai dit que c’était ce que je pensais, et je l’ai ensuite rejetée. [P. 4758‑4760; p. 4763]

[198]  Après avoir entendu M. Porteous, je suis convaincu que le témoignage susmentionné décrit exactement l’échange qu’il a eu avec l’enquêteur, Jeff Weryho, et que c’est en fin de compte M. Porteous qui a décidé de quelle manière procéder. Dans la mesure où le témoignage que Keith Hill a fait à l’enquête préliminaire peut être différent, c’est le souvenir de M. Porteous que je privilégie. M. Hill n’a pas eu de rapports directs avec M. Weryho, et son témoignage était une preuve de seconde main. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’une question de vérification de peu d’importance qui, en aucun cas, ne porte atteinte au travail des enquêteurs.

[199]  M. Porteous a également déclaré qu’il n’avait eu aucun rapport avec Mme Northey au cours de son travail de vérification [p. 4768].

[200]  Il était bien sûr loisible au contribuable de porter en appel la décision de vérification de M. Porteous devant la Cour canadienne de l’impôt s’il croyait qu’elle était injustifiée.

[201]  MM. Gordon et Deacur font valoir que Mme Northey a été négligente en laissant quelques dossiers dans son véhicule, garé pour la nuit à son domicile. Le véhicule a été volé, mais récupéré le lendemain. Mme Northey a déclaré que tous les dossiers manquants avaient, eux aussi, été récupérés [p. 5866 et 5867]. Cet incident n’a rien à voir avec les questions soulevées en l’espèce, et il est spécieux de prétendre le contraire.

[202]  MM. Deacur et Gordon ont allégué et déclaré à maintes reprises que Mme Northey s’était lancée dans une mission non supervisée et malveillante et qu’elle ne se souciait nullement de ses obligations légales. À d’autres occasions, ils ont dit que ce qui leur était arrivé était le résultat d’un complot ourdi par de nombreux fonctionnaires de l’ARC pour poursuivre une enquête et une poursuite malveillantes.

[203]  L’idée qu’on a laissé Mme Northey sans supervision et que ce fait a été reconnu par deux de ses supérieurs est fausse. En fait, il ressort de la preuve que le travail de Mme Northey et celui des autres enquêteurs affectés au dossier ont été régulièrement vérifiés et approuvés par de hauts fonctionnaires de l’ARC.

[204]  Dans son témoignage, M. Michal a déclaré que, bien qu’il n’ait pas été responsable de superviser au jour le jour l’enquête sur JAD, il a participé étroitement à cette dernière jusqu’à son départ du bureau de Hamilton, en 1998. C’est également ce que confirme le dossier documentaire. M. Michal et de nombreux autres hauts fonctionnaires de l’ARC ont pris part à un nombre considérable de rapports traitant de l’enquête sur JAD [voir, par exemple, les pièces D‑48 à D‑57, D‑306 à D‑310, D‑313, D‑315, D‑318 et D‑325].

[205]  M. Michal, David McFarlane et Brian Dawe ont tous approuvé le rapport principal de Mme Northey en juin 1996, avant que ce document soit examiné à l’Administration centrale de l’ARC, à Ottawa. Ce rapport faisait état des préoccupations suivantes :

[TRADUCTION]

Des entretiens ont été menés avec chacun des vérificateurs qui avaient travaillé sur un dossier de James A. Deacur & Associates Ltd., à titre de spécialiste en déclarations de revenus, afin d’obtenir des renseignements liés aux vérifications des demandes de RS&DE des clients. Ces demandes englobaient les exercices 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 de ces clients.

Il est ressorti de ces entretiens que les demandes de RS&DE déposées suscitaient des préoccupations communes. L’une d’elles portait principalement sur l’utilisation de frais de gestion en vue de gonfler les dépenses de RS&DE. Ces frais de gestion étaient calculés en fonction des heures que les actionnaires avaient consacrées aux activités de RS&DE, multipliées par un tarif horaire arbitraire. Ces frais de gestion devaient être payés à des sociétés liées. Dans la plupart des cas, les montants étaient comptabilisés, mais ils n’ont jamais été payés.

Il a semblé n’y avoir, dans certains dossiers, aucun mécanisme pour le paiement des frais de gestion. Les sociétés liées semblaient être des sociétés fictives. Elles ne détenaient aucun livre ni registre. Elles n’avaient pas de comptes bancaires et ne semblaient exercer aucune activité commerciale. Les sociétés n’avaient aucun employé et ne versaient aucun salaire. La société liée n’avait jamais versé de fonds aux actionnaires. Il semblait qu’elles n’existaient que pour faciliter la déclaration des frais de gestion à des fins liées à la RS&DE.

Dans certains cas, la société liée n’a pas déclaré les frais de gestion dans ses revenus. Dans les cas où elle les déclarait bel et bien, elle imputait à la société initiale des dépenses à titre de frais de gestion. Cela mettait les deux sociétés dans une position non imposable.

Dans la majorité des cas, l’exercice de la société liée prenait fin un ou deux mois avant la fin de l’exercice de la société qui présentait la demande de RS&DE. Cela créait un délai de 10 à 11 mois entre la production de la déclaration de revenus T2 pour la société initiale et le dépôt de la déclaration de revenus T2 de la société liée. En raison des délais du programme de RS&DE, les vérificateurs n’avaient aucune possibilité de faire un suivi auprès de la société liée afin de s’assurer que les frais de gestion étaient déclarés.

Si le client n’était pas propriétaire d’une société liée avant de conclure le contrat avec James A. Deacur & Associates Ltd. ou Tibor Gribovsky Company Limited, une société lui était fournie.

Un autre sujet de préoccupation était que les montants des salaires utilisés dans le cadre des demandes étaient gonflés. Des chiffres arbitraires étaient utilisés pour déclarer les salaires, plutôt que d’employer les montants payés aux employés ou inscrits sur les T4. Les actionnaires calculaient les heures qu’ils consacraient à des activités de RS&DE, et un représentant de James A. Deacur & Associates Ltd. multipliait ses heures par une détermination des salaires fondés sur la juste valeur marchande. Cette juste valeur marchande était habituellement basée sur ce qu’ils devaient payer à un consultant externe pour les activités de RS&DE. Ces salaires gonflés n’ont jamais été payés aux employés ou aux actionnaires. Ces montants n’ont pas été déclarés sur des T4 et n’ont jamais été inclus dans les revenus inscrits sur les déclarations de revenus T1 des actionnaires.

[206]  Mme Northey a préparé une ébauche de dénonciation pour mandats de perquisition qui a été envoyée à la Direction des enquêtes spéciales, à l’Administration centrale de l’ARC, à Ottawa, où elle a été soumise à un examen technique. Le directeur par intérim, R. W. Moore, a écrit à M. Michal le 5 juillet 1996 pour approuver la perquisition. Sa lettre mentionnait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Nous avons terminé l’examen technique de l’ébauche de dénonciation concernant l’affaire susmentionnée.

Comme on a répondu de manière satisfaisante à toutes nos questions et que les recommandations ont toutes été incluses dans l’ébauche de dénonciation, nous croyons que le critère requis pour obtenir les mandats de perquisition nécessaires est rempli.

En outre, comme le pouvoir d’approuver les demandes de perquisition a été délégué aux directeurs des services fiscaux, il vous incombe maintenant d’informer le bureau du SMA de votre région de cette mesure explicite, avant d’exécuter la perquisition.

Au moment d’exécuter la perquisition, veuillez nous fournir des copies de la dénonciation et des mandats que le juge de paix a approuvés, de pair avec votre compte rendu de la perquisition. [Pièce D‑56A]

[207]  Il est également important de souligner que l’ébauche de dénonciation pour mandats de perquisition de Mme Northey contient une description détaillée de l’antidatage, par JAD, de dossiers d’entreprise à l’appui des demandes de RS&DE établies pour un certain nombre de ses clients. Les fonctionnaires qui ont approuvé les perquisitions demandées étaient donc au courant de ces renseignements [pièce D‑149]. De nombreux enquêteurs de l’ARC ont ensuite pris part aux perquisitions menées dans les bureaux de JAD, et on leur a dit ce qu’il fallait chercher.

[208]  Le rapport de poursuite de Mme Northey a été également approuvé par MM. McFarlane et Belanger avant d’être transmis à l’Administration centrale de l’ARC, à Ottawa, pour examen supplémentaire et approbation. Ce rapport faisait état des préoccupations suivantes au sujet des méthodes de JAD :

[TRADUCTION]

Des frais de gestion payables à des sociétés liées ont été inclus dans les demandes de RS&DE. Ces frais étaient fondés sur le nombre d’heures consacrées à des activités de RS&DE, multipliées par un tarif arbitraire censé être un taux correspondant à la juste valeur marchande (ou la JVM) par des représentants de James A. Deacur & Associates Ltd. Ce supposé taux correspondant à la JVM a été fixé par des représentants de James A. Deacur & Associates Ltd. à la suite de discussions avec les clients. Le tarif était habituellement fondé sur un tarif de consultation externe (c.‑à‑d. celui auquel le client pouvait facturer ses services à un tiers). Ces frais n’ont jamais été engagés. Ils n’ont pas été engagés dans le cours normal des activités.

Les sociétés liées facturaient des frais de gestion pour des services de RS&DE à la société principale qui présentait les demandes de RS&DE. Il semble essentiellement que la société liée réalisait les travaux de RS&DE et facturait des frais de gestion à la société principale pour ce service.

Cependant, ces sociétés liées n’avaient aucun employé pour exécuter les activités de RS&DE. Elles n’avaient aucun compte bancaire ni aucun livre ou registre.

Ces sociétés liées étaient des sociétés fictives. Dans la plupart des cas, les sociétés n’existaient pas pour la société principale à l’époque où les activités de RS&DE ont été exécutées. Elles ont pris naissance après que les propriétaires des sociétés principales ont rencontré un représentant de James A. Deacur & Associates Ltd. Les sociétés liées ont été obtenues de James A. Deacur & Associates Ltd., ou le client les a obtenues d’autres sources, en se fondant sur les conseils reçus de représentants de James A. Deacur & Associates Ltd.

[...]

Dans certains cas, les sociétés liées incluaient les frais de gestion dans les revenus pour les besoins de l’impôt. Quand cela se produisait, la société liée imputait des frais administratifs à la société principale. Les montants des frais de gestion liés aux services de RS&DE et les frais administratifs imputés à la société initiale étaient les mêmes ou légèrement différents. Par suite de cette imputation, la société liée n’avait aucun impôt à payer, et cela aurait eu peu ou pas d’effet sur les montants d’impôt qu’avait à payer la société principale.

[...]

Dans les cas où des frais de gestion ont été déduits, des documents de société (certificats d’actions, documents figurant dans le registre des procès‑verbaux, comme les procès‑verbaux des réunions d’actionnaires, etc.) ont été antidatés de manière à légitimer la société liée. En outre, des factures fictives ont été établies par les représentants de James A. Deacur & Associates Ltd. et fournies aux vérificateurs du programme de RS&DE en vue d’étayer les frais de gestion.

Il semble que le seul objet de la société liée était de servir de moyen de gonfler des dépenses de RS&DE, en vue d’obtenir plus de crédits d’impôt à l’investissement au moyen de la demande de RS&DE.

Est jointe aux présentes en tant qu’annexe I une chronologie des faits qui ont mené à la production de demandes de RS&DE pour Bale‑Eze Inc., une cliente de James A. Deacur & Associates Ltd. Cette chronologie illustre comment la fraude alléguée est exécutée et est représentative d’un dossier établi par James A. Deacur & Associates Ltd. pour le compte d’un client qui déclare des frais de gestion fictifs pour les besoins de la RS&DE. [Pièce P‑101]

[209]  La dénonciation établie par Mme Northey à l’appui des accusations criminelles a été rédigée en consultation étroite avec le procureur du ministère public affecté à l’affaire. Selon M. Michal, c’était le ministère de la Justice qui avait le pouvoir ultime de porter des accusations [p. 1002].

[210]  Loin de laisser Mme Northey se débrouiller seule, M. Michal a continué de prendre part à ce travail. Il considérait, a-t-il déclaré dans son témoignage, que l’enquête sur JAD était d’une très grande importance et il a ordonné que l’on affecte à cette affaire d’autres enquêteurs [pièce D‑53 et témoignage, aux p. 1032 à 1034]. Par conséquent, la plupart des dépositions de témoins ont été recueillies par des enquêteurs autres que Mme Northey ‒ environ 12 en tout. Ces derniers étaient au courant de la thèse de l’ARC au sujet de l’affaire.

[211]  M. Michal a déclaré qu’il était responsable de Mme Northey [p. 976] et que cette dernière le tenait régulièrement au courant de la situation, ce qui incluait ses plans mensuels de gestion de cas [p. 992, p. 994 et pièce D‑50]. Il a déclaré qu’il n’était aucunement préoccupé par le travail de Mme Northey [p. 998].

[212]  M. McFarlane a témoigné pour le compte des demandeurs. Il était le supérieur immédiat de Mme Northey. Ses souvenirs étaient mauvais quant à l’étendue de ses rapports avec Mme Northey, mais il a confirmé qu’il était à sa disposition à titre consultatif et qu’il avait examiné certains documents qu’elle avait établis [p. 2590 et 2591]. Il a dit penser que Mme Northey, à un certain moment, relevait directement de M. Michal [p. 2594]. Cela concordait avec le témoignage de Mme Northey. Il a confirmé qu’en cours de route il avait passé en revue le rapport de poursuite et les diverses dépositions de témoins [p. 2598]. Il a également corroboré le témoignage de M. Michal quant au degré de participation de l’Administration centrale à l’enquête [p. 2657]. Jamais il n’a déclaré que Mme Northey n’était pas supervisée. Il a n’a pas eu non plus d’inquiétude au sujet du contenu du rapport principal ou du rapport de poursuite après les avoir lus [p. 2703 et 2730]. À sa connaissance, Mme Northey a suivi les protocoles requis lors du déroulement de l’enquête sur JAD [p. 2731].

[213]  Il ressort clairement de la preuve que Mme Northey n’était pas la seule à se soucier de l’antidatage, par JAD, des dossiers d’entreprise et que ces préoccupations étaient connues des différents agents principaux des Enquêtes spéciales qui ont donné leur accord pour que l’on pousse l’enquête plus loin.

[214]  Le témoignage de Mme Northey a également établi qu’elle avait largement consulté d’autres fonctionnaires de l’ARC à mesure qu’elle avançait dans l’enquête sur JAD. De nombreux fonctionnaires de l’ARC ont aussi pris part de manière active et directe à cette enquête.

[215]  En juin 1996, Mme Northey a consulté un spécialiste de la RS&DE à Ottawa afin de discuter des principes de ce programme à inclure dans le rapport principal, et elle n’a reçu aucun commentaire négatif [p. 5063 et 5064]. Le rapport principal a été établi après que 14 clients de JAD eurent été interrogés [p. 5069], de sorte qu’il ne s’agissait nullement d’un sommaire exhaustif du dossier ultime. L’objectif principal du rapport était d’étayer une demande de mandats de perquisition. Mme Northey l’a décrit en ces termes :

[TRADUCTION]

R.  Oui. Il est nécessaire d’établir un rapport principal, que nous donnions pleinement suite au dossier ou non. Et il s’agit d’un sommaire de toutes les mesures que nous avons prises jusque-là dans le cadre de l’enquête. Il s’agit également d’un sommaire de tous les renseignements que nous avons obtenus lors de nos entretiens, par l’entremise des vérificateurs, la manière dont l’enquête a vu le jour, quelle était la genèse de l’enquête, quelles mesures d’enquête nous avons prises à ce jour et, aussi, quelles sont les conclusions qui découlent des renseignements que nous avons obtenus.

C’est donc ça, le rapport principal. Il s’agit d’un document destiné à l’Administration centrale que nous lui envoyons pour l’informer de ce que nous avons fait jusque‑là, de ce que sont les questions soulevées et de ce que sont les allégations.

Et donc ce document sert aussi de base s’il est décidé d’établir une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition pour sauvegarder les dossiers liés aux infractions alléguées dans le rapport principal et dans la dénonciation dont nous avons besoin pour obtenir un mandat.

Mais c’est à ce stade d’une enquête qu’un rapport principal est établi, que nous poursuivions avec une enquête à grande échelle ou que l’enquête soit interrompue à ce moment‑là. [p. 5065]

[216]  Après avoir reçu de l’Administration centrale l’autorisation de poursuivre l’enquête sur JAD, Mme Northey a établi une dénonciation en vue d’obtenir des mandats afin de pouvoir perquisitionner les bureaux de JAD. Ce document a été examiné par son collègue, Art Payne, ainsi que par son supérieur immédiat, M. McFarlane [p. 5072]. Il a ensuite été envoyé à l’Administration centrale pour y subir un examen technique. À ce stade, Mme Northey a consulté un responsable, à l’Administration centrale de l’ARC, Tom Sprysa, qui lui a fait part de ses commentaires et de son approbation [p. 5072]. La dénonciation a également été approuvée par le chef des enquêtes, M. Michal, ainsi que par le directeur des services fiscaux, M. Dawe [pièce D‑57]. Le 5 juillet 1996, Mme Northey a présenté sa demande de mandats de perquisition à Burlington, et les mandats ont été délivrés par un juge de paix le 9 juillet 1996. Les mandats étaient valides pour une période d’une semaine. Les perquisitions ont ensuite eu lieu le 10 juillet à quatre emplacements autorisés, par quatre équipes de perquisition. De nombreux dossiers et disques durs d’ordinateur ont été saisis et inventoriés.

[217]  Dans son témoignage, Mme Northey a déclaré que les Enquêtes spéciales voulaient que l’on mette en suspens les vérifications de contribuable qui étaient en cours, mais les vérificateurs responsables ont décidé de poursuivre leur travail [p. 5094]. Ce fait a soulevé un doute possible au sujet d’un chevauchement de fonctions, car on pouvait s’attendre à ce que les vérificateurs interagissent avec des représentants de JAD. Mme Northey a demandé conseil à l’Administration centrale et au ministère de la Justice [p. 5096, 5136 et 5146]. Elle a également demandé aux vérificateurs de ne pas parler de l’enquête sur JAD avec les clients de celle‑ci [p. 5117].

[218]  Après l’exécution des mandats de perquisition, Mme Northey a eu un certain nombre d’entretiens avec l’avocat de M. Deacur et avec M. Deacur même. Selon elle, ces entretiens ont donné à M. Deacur une occasion de valider les méthodes de JAD, mais il n’a donné aucune explication :

[TRADUCTION]

Q.  Et au cours de cette réunion, Me Shekter vous a‑t‑il présenté des moyens de défense ou des arguments quelconques au sujet des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui autorisaient ce genre d’opérations?

R.  Non, il ne l’a pas fait. J’ai eu de nombreuses conversations avec Me Shekter et des lettres de ce dernier au cours de cette période, et j’ai eu également des conversations avec M. Deacur pendant cette période. Et ni M. Deacur ni Me Shekter n’ont donné, vous savez, d’explications sur ce qu’ils faisaient, sur ce qu’ils croyaient être permis.

À ce moment‑là, les préoccupations de Me Shekter ont trait à la portée de l’enquête. [P. 5135, et voir aussi la p. 5164]

M. Deacur s’est toutefois dit préoccupé par la vitesse à laquelle se déroulait l’enquête et il a mis en doute la nécessité de conserver des dossiers de JAD. Après une réunion tenue en octobre 1996 avec MM. Michal, McFarlane et Payne, des enquêteurs supplémentaires ont été affectés à l’affaire [p. 5143, 5144 et 5148].

[219]  En janvier 1997, Mme Northey est partie en congé de maternité, et l’enquête a été prise en main par Bill Williams. Le fondement des doutes de l’ARC au sujet des méthodes de JAD a été résumé dans un affidavit que M. Williams a souscrit le 6 juin 1997, à l’appui d’une demande de prolongation de la détention de documents saisis [pièce D‑411]. L’affidavit de M. Williams résumait les arguments de l’ARC de la manière suivante :

[TRADUCTION]

6.   À ce jour, 114 clients de Deacur qui ont présenté des demandes de RS&DE ont été assignés aux enquêteurs et, parmi ces clients, 92 ont été interrogés.

7.   Il a été déterminé que, parmi les clients qui ont été interrogés à ce jour, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 6 qui précède, 38 ont déclaré des frais de gestion versés à une société liée pour les besoins de la RS&DE. Parmi ces sociétés liées, 20 ont été fournies aux clients par Deacur. Il a été conclu que, parmi les 20 sociétés liées que Deacur a fournies, 13 d’entre elles :

a)   ont été fournies au client après que ce dernier a conclu un contrat avec Deacur;

b)   la société déclarant les dépenses de RS&DE n’était pas propriétaire de la société liée à l’époque où elle a exécuté des activités de RS&DE;

c)   les certificats d’actions confirmant la propriété de la société liée ont été antidatés à des dates antérieures à celles auxquelles les activités de RS&DE avaient eu lieu;

d)   les factures qui ont été fournies à l’appui des dépenses de RS&DE de la société réclamant ces dernières à la société liée ont été antidatées aux dates auxquelles les activités de RS&DE avaient eu lieu.

8.   En outre, il a aussi été déterminé que, parmi les clients qui ont été interrogés à ce jour, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 6 qui précède, 27 ont déclaré des montants, considérés comme des [traduction] « salaires gonflés », qui excédaient de beaucoup les tarifs horaires réellement payés et déclarés sur les feuillets T‑4 (Déclaration de la rémunération payée) des employés et des gestionnaires affectés aux projets dans le cadre du programme de RS&DE.

9.   Selon les conclusions de l’enquête menée à ce jour, il y a une tendance récurrente de la part de Deacur à fournir des sociétés à des clients, de manière à faciliter la déduction de frais de gestion, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 7 qui précède, de même que la déduction de salaires gonflés, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 8 qui précède.

[220]  Mme Northey n’est revenue au travail qu’en septembre. Peu après son retour, elle a rencontré MM. Williams et Payne pour passer en revue l’état d’avancement de l’enquête. Elle a été chargée de rédiger des notes de service à l’intention de M. Sprysa et du directeur du programme d’encouragement fiscal à la RS&DE, Mel Machado ‒ qui travaillaient tous deux à l’Administration centrale de l’ARC, à Ottawa [pièces D‑414 et D‑415].

[221]  Il incombait à Mme Northey, à titre d’enquêtrice principale, d’établir un rapport de poursuite exposant les éléments de preuve et la théorie de l’affaire [pièce P‑101]. Étaient inclus dans le rapport de poursuite 88 dépositions de témoins [pièce D‑418]. Cependant, elle n’a pas établi seule ce rapport. Elle a déclaré dans son témoignage avoir discuté du contenu du rapport de poursuite sur JAD avec des fonctionnaires de l’Administration centrale qui représentaient les Enquêtes spéciales et le programme de RS&DE [p. 5196].

[222]  Il a été demandé à Mme Northey de résumer les divers échanges qu’elle avait eus au sein de l’ARC ainsi que les commentaires qu’on lui avait faits. Voici ce qu’elle a déclaré dans son témoignage :

[TRADUCTION]

Q.  Mme Northey, vous travailliez avec des collègues à Hamilton, dans des enquêtes. Croyiez‑vous que, pour ce renvoi, vous aviez leur soutien?

R.  Oui, je le croyais. J’avais parlé de l’affaire avec ‒ pendant toute la durée de l’enquête avec Art Payne. J’avais parlé de l’enquête et fait rapport à M. McFarlane au cours de l’enquête. MM. McFarlane et Payne ont participé à un nombre important d’interrogatoires concernant l’affaire. Ils connaissaient les éléments de preuve de première main, et j’ai aussi participé à des séances d’information du chef des enquêtes pendant toute la durée de l’enquête. Et donc, ils disposaient tous d’un contexte et de renseignements au sujet de cette affaire, et j’avais le sentiment qu’ils m’appuyaient.

Q.  Et de temps à autre, vous aviez travaillé avec des enquêteurs d’autres bureaux aussi, à des étapes différentes de l’enquête?

R.  C’est exact. Mike Lemmon, du BSF de Toronto-Est, a été affecté à l’enquête sur Deacur afin d’aider à mener des interrogatoires dans l’est de la province. Et j’avais aussi eu affaire avec des enquêteurs en lien avec le mandat de perquisition d’autres bureaux, y compris les renseignements ‒ désolée, l’indice provenant d’un dénonciateur qui émanait du bureau des enquêtes de Toronto-Ouest.

Q.  Et pendant les deux années que cette enquête a duré, est‑ce que l’un des vérificateurs ou l’un des enquêteurs avec lesquels vous avez travaillé ou dont vous releviez ou avec lesquels vous avez mené des interrogatoires vous a fait part de préoccupations quelconques au sujet du fondement sous‑jacent de l’enquête?

R.  Non.

Q.  Et, à divers stades au cours de votre enquête, et cela inclut les audiences relatives à la détention ainsi qu’à d’autres moments, vous avez été en contact avec le ministère de la Justice. Et sans nous lancer dans des discussions du genre privilège du secret professionnel de l’avocat, y avait‑il des préoccupations dont vous étiez au courant quant à l’approche que vous suiviez?

R.  Non. Jamais on ne m’a fait part de préoccupations au sujet de l’approche suivie ou des éléments de preuve que nous avions découverts.

Q.  Et, également, nous avons parlé en détail des différentes fois où vous avez comparu au tribunal devant le juge Clarke et d’autres juges, pour parler de la manière dont l’enquête se déroulait et quelles étaient les mesures que vous preniez.

Et, à un moment quelconque au cours de ces diverses comparutions, les tribunaux ont‑ils jamais laissé entendre que l’enquête était peu judicieuse ou qu’elle devrait prendre fin ou qu’elle ne se déroulait pas de manière appropriée?

R.  Non, cela n’est pas arrivé. [P. 5197 et 5198]

[223]  MM. Payne, McFarlane et Sprysa ont examiné le rapport de poursuite avant qu’il soit envoyé au ministère de la Justice. Après que les changements nécessaires eurent été apportés, le rapport a été transmis au chef des Enquêtes à Ottawa, M. Belanger, pour examen et approbation. Après cela, il a été envoyé à M. Dawe pour examen et approbation [p. 5201].

[224]  En novembre 1997, l’enquête sur JAD a pris fin, et une lettre a été envoyée à M. Deacur pour l’informer que l’affaire avait été renvoyée au ministère de la Justice pour poursuite. La lettre l’avisait que les accusations proposées englobaient 140 demandes de RS&DE déposées pour le compte de 68 clients [pièce D‑115]. L’avocat de M. Deacur a écrit à Mme Northey pour se plaindre de la manière dont les enquêteurs s’étaient comportés lors de leurs discussions avec des clients de JAD. La lettre menaçait également d’intenter une action de nature civile et invitait l’ARC à mettre de l’ordre dans ses affaires. Surtout, elle ne tentait pas de justifier les méthodes de JAD qui étaient visées par l’enquête [pièce D‑417]. En fait, les demandeurs n’ont jamais expliqué de manière plausible de quelle façon Mme Northey aurait pu se lancer dans une enquête légalement indéfendable et malveillante, sans que cette enquête n’ait jamais été découverte par les nombreux fonctionnaires de l’ARC qui la supervisait, par les avocats du ministère public qui avaient approuvé les accusations et par le juge qui avait présidé l’enquête préliminaire et qui avait renvoyé les demandeurs à procès.

[225]  Les demandeurs prétendent que Mme Northey savait qu’aucune infraction visée par la LIR ne pouvait être prouvée relativement à la présentation de demandes de RS&DE. Ils disent que, indépendamment de cette connaissance, elle, et vraisemblablement d’autres personnes ayant lu ses rapports, ont continué avec malveillance d’alléguer qu’il y avait eu violation de l’article 239 de la LIR. Selon cet argument, à défaut d’un fondement législatif, l’enquête sur JAD était illégale et invalide dès le départ.

[226]  L’argument selon lequel l’article 239 de la LIR ne s’applique qu’aux cas d’évasion fiscale, et non aux demandes de crédits d’impôt, n’est pas étayé par le libellé de cette disposition. Bien qu’il y soit fait mention du fait d’éluder le paiement d’un impôt, elle crée aussi une infraction du fait de « faire des inscriptions fausses ou trompeuses [...] dans les registres ou livres de comptes d’un contribuable ». Cela, pourrait‑on dire, s’appliquait à certains des dossiers antidatés que JAD avait créés pour le compte de ses clients et aurait vraisemblablement étayé le dépôt d’une accusation. Le fait que le paragraphe 239(1.1) a plus tard été ajouté pour faire appliquer précisément tous les critères énoncés au paragraphe 239(1) aux cas de remboursement et de crédit d’impôt n’empêche pas en soi d’intenter une poursuite au titre du paragraphe 239(1) dans de tels cas, quoique cela se limite aux situations de dossiers falsifiés. Il n’était donc ni négligent ni malveillant de la part de l’ARC de faire enquête en vue de l’éventuel dépôt d’accusations sous le régime de la LIR ou du Code criminel. En fin de compte, et après consultations entre Mme Northey et les procureurs, les seules accusations déposées l’ont été sous le régime du Code criminel. Cependant, Mme Northey a persisté à considérer que l’alinéa 239(1)a) de la LIR s’appliquait bel et bien, dans la mesure où certaines des demandes de RS&DE avaient été présentées en se fondant sur des dossiers faux ou trompeurs : voir son témoignage, à la page 5201. Il s’agissait là d’une position raisonnable, nullement assimilable à de la malveillance ou à de la négligence. Les enquêteurs avaient un fondement juridique valide pour mener l’enquête ainsi que pour recommander que l’on porte des accusations sous le régime du Code criminel. Le fait que des accusations n’aient pas été portées au titre de la LIR ne prouve pas que cela n’aurait pas pu se faire. Il incombait aux procureurs d’approuver les accusations, et ils l’ont fait.

[227]  M. Deacur se plaint que l’ARC considérait qu’il était difficile de traiter avec lui et que c’est cette caractérisation qui a motivé la tenue de l’enquête. Les références documentaires sur lesquelles il se fonde, toutefois, n’entachent pas sa réputation. Elles attirent simplement l’attention sur le fait que M. Deacur s’était plaint officiellement dans le passé du fait que l’on traitait avec lenteur les demandes de RS&DE que JAD avait présentées. Il n’est pas rare que l’on voie ce genre de « mise en garde » dans les rapports gouvernementaux dans les cas où il peut être justifié de procéder avec plus de prudence ou ceux où une plainte peut susciter une controverse sur le plan politique. Les doléances de M. Deacur ont également trait à ses rapports avec des fonctionnaires de l’ARC à Ottawa, et elles n’avaient rien à voir avec la conduite de Mme Northey ou des autres enquêteurs affectés à cette affaire.

[228]  MM. Deacur et Gordon prétendent que l’ARC a omis de suivre les règles de procédure énoncées dans le MOI II en ne se servant pas du formulaire T‑134 pour orienter vers les Enquêtes spéciales les dossiers de vérification de clients de JAD et en empruntant des dossiers auprès de certains de ses clients. Ni l’une ni l’autre de ces plaintes ne permet de conclure à un acte de négligence, et encore moins de malfaisance ou de malveillance.

[229]  Il ressort de la preuve que le formulaire T‑134 n’a pas servi à orienter de nombreux dossiers de vérification de client de JAD vers le bureau des Enquêtes spéciales de Hamilton.

[230]  Lors de la réunion du Groupe de travail de l’ARC sur les spécialistes en déclarations de revenus qui a eu lieu le 28 novembre 1995, il a été décidé de confier l’enquête sur JAD à l’Unité des enquêtes spéciales de Hamilton, sous la supervision de M. Michal. Cela a obligé les vérificateurs en poste dans plusieurs bureaux de la région du Grand Toronto à envoyer à Hamilton les dossiers de vérification pour lesquels ils avaient des préoccupations.

[231]  Selon le témoignage de la coordonnatrice des activités de R&D de Hamilton, Marie Giallonardo, le formulaire T‑134 n’a pas servi à étayer les renvois de dossiers de JAD aux Enquêtes spéciales de Hamilton, parce que ce document ne s’appliquait pas aux enquêtes menées sur des spécialistes en déclarations de revenus [p. 4103].

[232]  M. Michal a témoigné dans le même sens et a confirmé qu’il avait été décidé, lors de la réunion du Groupe de travail du 28 novembre 1995, de ne pas exiger de formulaire T‑134 pour chaque dossier de vérification qui serait envoyé à son bureau [p. 1064]. Mme Northey a déclaré dans son témoignage que les dossiers avaient été transmis aux Enquêtes spéciales de diverses façons, en recourant, notamment, à des notes d’accompagnement : voir la transcription, à la page 5444, ainsi que le témoignage de M. Moore dans la pièce P‑459, le 15 novembre 2001, à la page 105. D’autres éléments de preuve indiquaient que le formulaire T‑134 avait pour objet de consigner la date de renvois de dossiers d’une section de la vérification aux Enquêtes spéciales, afin de préserver la séparation de ces deux fonctions.

[233]  Le MOI II ne mentionnait pas clairement non plus qu’il était prescrit d’utiliser le formulaire T‑134 dans tous les cas de renvoi de dossiers de vérification. Mais, même s’il s’agissait d’une recommandation universellement applicable, elle n’était pas juridiquement contraignante. Dans le cas de l’enquête sur JAD, il a été décidé conjointement de ne pas se servir du formulaire. Les dossiers renvoyés ont toutefois été étayés par d’autres documents, en remplacement du formulaire T‑134.

[234]  Certains éléments de preuve donnent à penser que, dans quelques cas, des enquêteurs de l’ARC ont emprunté des dossiers à des clients de JAD. Il ne s’agissait peut‑être pas là d’une pratique recommandée, surtout si ces documents étaient nécessaires pour étayer une poursuite criminelle ultérieure. Cependant, cette pratique n’avait rien d’illégal. Il appartenait aux clients de décider si leurs dossiers pouvaient être remis volontairement à l’ARC. Le fait que les demandeurs qualifient cette pratique de forme d’intimidation et de vol est tout à fait injustifié [voir le mémoire après procès des demandeurs, aux par. 477 et 646].

[235]  En ce qui concerne les dossiers de JAD, l’ARC a eu recours à des mandats de perquisition, et les perquisitions ont été exécutées de manière légale et appropriée.

[236]  À l’instar de toutes les plaintes des demandeurs au sujet de la procédure suivie, ces arguments ne peuvent pas être retenus, parce que, du point de vue juridique, ils sont sans rapport avec les prétentions formulées. Il n’existe tout simplement aucun lien de causalité entre les modalités de procédure contestées et le bien‑fondé ou l’issue de l’enquête sur JAD. Les lacunes procédurales ne sont pertinentes que dans la mesure où le fait de les avoir évitées aurait pu influencer l’issue de l’enquête. La proposition selon laquelle une demande de dommages‑intérêts civils peut être présentée parce qu’un enquêteur de l’ARC n’a pas suivi une mesure administrative recommandée est dénuée de tout fondement. Même dans les cas où l’on pourrait vraiment reprocher à un enquêteur d’avoir commis une faute de nature procédurale, il faut tout de même que cette conduite contribue d’une certaine manière au préjudice causé : voir l’arrêt Hill, précité, au par. 93.

[237]  La première réunion qui a mené au lancement de l’enquête officielle sur JAD a eu lieu au Bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest le 18 novembre 1995. Y étaient présents 25 fonctionnaires de l’ARC, venant de divers bureaux de l’ARC, dont des hauts représentants de l’Administration centrale, de la Vérification et des Enquêtes spéciales. Mme Northey ne faisait pas partie du groupe. Les notes prises à l’occasion de cette réunion ont été déposées en preuve; elles font état d’une discussion sur l’approche suivie par JAD à l’égard de la documentation relative aux demandes de RS&DE pour le compte de ses clients. Les notes que M. Michal a prises au sujet de cette réunion sont sibyllines, mais elles font état des sujets d’intérêt suivants :

  • a) frais de gestion fictifs;

  • b) frais de gestion gonflés;

  • c) dépenses gonflées;

  • d) utilisation de sociétés inactives et frais courus.

[238]  Les notes portent également sur la question de savoir si les demandes mettent en cause de [traduction« faux projets scientifiques ».

[239]  M. Michal a convenu de se charger de la conduite de l’enquête, au sein de l’Unité des Enquêtes spéciales de Hamilton. Sa responsabilité consistait à désigner un enquêteur principal, et son choix a porté sur Mme Northey.

[240]  Les demandeurs affirment qu’il était irrégulier de la part de M. Michal d’avoir désigné Mme Northey à titre d’enquêtrice principale de l’enquête, car elle n’était pas suffisamment qualifiée pour cela. Selon cet argument, la complexité de l’enquête exigeait la désignation d’un enquêteur ayant plus d’expérience que Mme Northey. Cela, disent‑ils, est confirmé par le fait que l’affaire avait une cote de complexité de 33, ce qui exigeait un enquêteur de niveau AU4. Mme Northey se situait à deux niveaux inférieurs à celui‑là. Les demandeurs se plaignent également du fait que l’affectation par intérim de Mme Northey au niveau AU4 lui a permis de toucher un salaire supplémentaire et l’a donc incitée financièrement à prolonger son enquête.

[241]  Dans son témoignage, M. Michal a déclaré que Mme Northey avait été affectée à l’enquête, parce qu’elle avait fait part de son intérêt pour l’affaire et à cause de facteurs liés à la charge de travail. Voici ce qu’il a déclaré à ce sujet :

[TRADUCTION]

« Et l’enquête lui a été confiée juste parce qu’elle était libre?

Réponse : Non. En fait, ce qui a fini par arriver, à un certain moment, je crois, j’ai dirigé une réunion avec certains des enquêteurs principaux. Ils étaient d’un certain groupe et niveau, parce que, à ce moment‑là, de la manière dont l’affaire était, celle‑ci allait être un petit peu ‒ elle allait être beaucoup plus ‒ un petit peu plus exigeante, et il se pouvait qu’il y ait une situation où il serait peut‑être nécessaire de verser une rémunération d’intérim.

Donc, ce que j’ai fait, j’ai eu une réunion avec quatre ou cinq des enquêteurs principaux et j’ai demandé qui d’entre eux serait intéressé, tout d’abord, et qui, ensuite, l’accepterait. Vous savez, si personne n’était intéressé. Ensuite, j’ai indiqué que je déciderais à qui l’affaire serait confiée.

Question : Et vous avez choisi Patti Northey?

Réponse : Patti était la seule qui avait fait savoir qu’elle était intéressée. » [Tel que l’extrait a été lu.]

[TRADUCTION]

Maintenant, est-ce que cela vous rafraîchit la mémoire?

R. Oui, effectivement.

Q. Cela semble donc être une juste appréciation de ‒

R. Mais il y aurait eu un prélude à cela, en termes de ‒ essentiellement, un intérim pouvait être une question délicate dans la section, de sorte que, pour ce qui était de choisir une personne en particulier, si d’autres s’y étaient opposés, s’ils avaient souhaité travailler sur l’affaire eux aussi, il aurait ensuite fallu que je recoure à un certain type de processus pour choisir la personne qui se verrait finalement confier l’affaire.

Q. Donc, ces quatre ou cinq enquêteurs principaux, vous souvenez‑vous de qui il s’agissait?

R. L’un aurait pu être Sebastian Albernia.

Un autre aurait pu être Art Payne; il était encore enquêteur principal à ce moment‑là. Peut‑être Bill Williams.

Q. Patti Northey était‑elle à cette ‒

R. Et Patti Northey.

Q. Patti Northey.

R. Oui.

Q. J’ai juste oublié de vous demander : À cette époque, en tant que chef des ES, quel était votre niveau, à l’ARC?

R. Je crois que j’étais un AU4.

Q. Vous étiez un AU4?

R. Oui.

Q. D’accord. Alors donc, il s’agissait d’une ‒ la complexité de cette affaire nécessitait une personne ayant votre expérience et vos connaissances? Nous pourrions passer en revue les exigences du MOI, mais c’est une affaire qui convient à une personne comme vous, une personne de niveau supérieur?

R. Je ne dirais pas que j’étais un enquêteur principal; j’étais un gestionnaire supérieur, ce qui est plutôt différent d’un enquêteur.

Q. Les autres enquêteurs étaient‑ils de niveau AU4?

R. Je ne le crois pas. Art Payne peut‑être, mais je n’en suis pas sûr à ce stade‑ci.

Q. Y avait‑il des AU3 à cette réunion?

R. Je crois que Sebastian Albernia agissait peut‑être à titre intérimaire comme AU3, mais il ‒ il était également question de la charge de travail, et cela dépendait du stade auquel se situaient leurs enquêtes à ce moment‑là.

Q. Donc l’objet de la cote attribuée à l’affaire au moment de la confier était ‒ est–ce que vous tentiez de faire correspondre la complexité de l’affaire aux qualifications de l’enquêteur?

R. Les qualifications? Non, nous cotions l’affaire pour déterminer la complexité ‒ des facteurs de complexité pour déterminer si nous disposions d’une personne qui était disponible pour travailler sur cette affaire en particulier. Et si ce n’était pas le cas, alors nous redescendions essentiellement les échelons, par ordre hiérarchique. Et si, en fin de compte, nous ne trouvions personne pour le faire, il nous faudrait peut‑être essentiellement dire « Non ». [P. 562 à 564]

[242]  M. Michal n’a exprimé aucune réserve à propos de la capacité de Mme Northey à diriger l’enquête, et il a souligné que d’autres personnes ayant plus d’ancienneté qu’elle étaient à sa disposition si elle avait besoin de conseils.

[243]  À mon avis, le simple fait que Mme Northey n’était qu’une employée de niveau AU2 ou que cette affectation lui procurait un supplément de salaire n’importait pas. À cette époque, le MOI II mentionnait effectivement qu’il était préférable de désigner un enquêteur dont le niveau correspondait à la complexité du dossier [pièce P‑18, section 11(19)3.2], mais il reconnaissait également que, à l’occasion, il pouvait être nécessaire, en raison de la charge de travail, de la disponibilité du personnel ou à des fins de formation du personnel, de confier des dossiers à des employés dont le niveau se situait au‑delà ou en deçà de la cote de complexité du dossier [pièce P‑18, section 11(19)3.5(2)]. Cela concordait avec l’expérience de M. Michal [p. 1048]. Je ne partage pas non plus la préoccupation des demandeurs selon laquelle le fait que Mme Northey avait touché une modeste augmentation de salaire provisoire pendant la durée de l’enquête créait d’une certaine façon un risque de corruption ou de mauvaise foi. En fait, il n’existe aucune preuve à l’appui de cette accusation. Il s’agit d’une simple conjecture, et Mme Northey l’a solidement réfutée.

[244]  Ce qui pourrait être pertinent, c’est une preuve portant sur les détails de l’enquête et, en particulier, sur le fait de savoir si Mme Northey et d’autres ont commis des fautes ou des erreurs de jugement graves qui seraient suffisantes pour étayer une conclusion de malfaisance, de malveillance ou de négligence. Dans le cas présent, il n’y en avait aucune.

[245]  M. Gordon remet en question une mention incluse dans une déclaration initiale, apparemment faite par un employé de JAD, Patrick Wong, à des enquêteurs de l’ARC. Selon cette déclaration, M. Wong avait reçu instruction de M. Gordon d’utiliser des justes valeurs marchandes plutôt que les salaires réellement versés pour documenter les demandes de RS&DE. Il aurait ensuite déclaré que M. Gordon lui avait également dit que les salaires réellement versés étaient la [traduction« bonne façon » de présenter une demande. M. Gordon allègue que ce commentaire qui lui a été imputé était une [traduction« fausse déclaration fabriquée » et qu’elle avait été [traduction« essentielle » pour l’obtention de mandats de perquisition. Il allègue également dans le mémoire après procès des demandeurs que Mme Northey savait que la déclaration était fausse, mais qu’elle l’avait répétée [voir les par. 361 à 364].

[246]  Que M. Gordon ait réellement fait ou pas une telle admission à M. Wong ou que ce dernier ait mal interprété ou pas ce qui lui avait été dit n’est pas particulièrement important en l’espèce. Même si M. Gordon ne l’a pas fait, l’enquêteur qui a reçu la déclaration de M. Wong était obligé de consigner avec exactitude ce qu’on lui disait. En l’absence de tout témoignage de la part de M. Wong, la déclaration n’est pas admissible en tant que preuve de sa véracité; elle ne peut servir qu’à établir que la déclaration a été faite et consignée. Si M. Gordon espérait prouver que la déclaration n’avait jamais été faite ou qu’elle avait été délibérément rapportée de façon inexacte par l’enquêteur, il lui était loisible d’appeler M. Wong à témoigner. Ce dernier n’a pas témoigné, ce qui n’est peut‑être pas surprenant, vu la nature de son témoignage éventuel sur l’irrégularité des méthodes de JAD : voir la pièce D‑418, à l’onglet 88.

[247]  En fin de compte, ce petit élément de preuve contesté était peu important pour l’issue de l’enquête. D’après Mme Northey, cette question n’a eu aucune suite, car, quand M. Wong a été interrogé à nouveau, il a retiré le commentaire relatif à la [traduction« bonne façon » de procéder et a seulement déclaré que M. Gordon lui avait dit d’utiliser des évaluations de la main‑d’œuvre fondées sur la juste valeur marchande, plutôt que les salaires payés [témoignage de Mme Northey, aux p. 5846 et 5854].

[248]  L’affirmation de M. Gordon selon laquelle la poursuite engagée contre lui s’articulait autour de cette question ou que la déclaration initiale de M. Wong représentait tout ce qui permettait à l’ARC de croire qu’il était possible de prouver sa mens rea est dénuée de tout fondement [voir le mémoire après procès des demandeurs, aux par. 432 et 433].

[249]  Les demandeurs allèguent que l’ARC est indirectement responsable d’une poursuite malveillante effectuée par ses enquêteurs. En particulier, ils affirment que Mme Northey était motivée à poursuivre ce qu’elle savait être une cause juridiquement indéfendable à seule fin de toucher un salaire supplémentaire, et ce, en acceptant une affectation intérimaire qui était supérieure à son niveau de rémunération.

[250]  Entre autres arguments, l’ARC prétend que la poursuite engagée contre MM. Deacur et Gordon se trouvait entre les mains des procureurs fédéraux qui avaient approuvé les accusations et qui avaient mené l’affaire jusqu’à sa conclusion ultime. Comme les allégations visant les procureurs ont été radiées des déclarations, l’ARC dit qu’il n’y a plus de cause d’action viable à l’encontre de l’ARC ou de ses enquêteurs.

[251]  Le droit des poursuites malveillantes [ou abusives] est bien établi au Canada. Il compte quatre éléments constitutifs, qui doivent tous être prouvés par le demandeur :

  • a) la poursuite a été engagée par le défendeur;

  • b) la poursuite a débouché sur une décision favorable au demandeur;

  • c) la poursuite ne reposait sur aucun motif raisonnable et probable;

  • d) la poursuite a été engagée dans une intention malveillante ou essentiellement à une autre fin que celle de l’application de la loi.

[252]  Nul ne peut contester sérieusement que MM. Deacur et Gordon se sont acquittés du fardeau de prouver le deuxième élément du critère. La suspension d’une poursuite est une issue favorable : voir Kvello c Miazga, 2009 CSC 51, au par. 54, [2009] RCS 339. Les trois autres éléments du critère demeurent en litige.

[253]  Au vu des faits présentés, je suis convaincu que l’ARC a engagé la poursuite visant MM. Deacur et Gordon. Cette exigence légale ne se limite pas à ceux qui mènent la poursuite. Les personnes qui ont [traduction« contribué activement » à la mise en branle du processus judiciaire peuvent elles aussi être tenues responsables : voir l’arrêt Miazga, précité, au par. 53. C’est donc dire que le geste qui consiste, pour un enquêteur, à dissimuler des éléments de preuve ou à les présenter de façon inexacte dans un but malveillant peut fonder une cause d’action viable. C’est ce qui ressort du passage suivant, extrait de l’arrêt Pate c Galway‑Cavendish & Harvey (Township), 2011 ONCA 329, [2011] OJ No 3594 :

[TRADUCTION]

47 Il est bien établi que l’on peut conclure qu’un défendeur a engagé une poursuite, quoiqu’il n’ait pas vraiment fait la dénonciation qui a mis en branle la poursuite. Bien que la Cour n’ait pas déterminé [traduction] « la totalité des facteurs qui, dans n’importe quelle affaire particulière, pourraient répondre à l’élément de déclenchement », elle a conclu que l’on peut considérer qu’un défendeur a engagé une poursuite lorsqu’il a sciemment dissimulé des informations disculpatoires à la police, des informations que l’on n’aurait pas pu s’attendre qu’elle trouve et qu’elle n’a pas trouvées, et lorsque le demandeur, n’eût été la dissimulation, n’aurait pas été accusé : McNeil c. Brewers Retail Inc., 2008 ONCA 405 au par. 52.

  • [254] Ce point a aussi été examiné récemment dans la décision Samaroo c Canada Revenue Agency, 2018 BCSC 324, 8 BCLR 6th 121, infirmée sur une question différente dans l’arrêt Samaroo (CA C‑B), précité, dans lequel il a été conclu qu’un enquêteur de l’ARC avait activement contribué à une poursuite pour fraude fiscale en ayant assumé la responsabilité de l’enquête et déterminé qui accuser et pourquoi.

[255]  Dans la présente affaire, de nombreux enquêteurs et superviseurs de l’ARC ont participé à la prise des décisions d’enquête cruciales ou à leur approbation. Cela comprenait les préparatifs entourant l’obtention et l’exécution de mandats de persécution, la conduite d’interrogatoires de témoins et la finalisation du rapport de poursuite. L’enquête sur JAD s’est trouvée en tout temps entre les seules mains de l’ARC, jusqu’à la préparation des actes d’accusation. Mme Northey a, elle aussi, directement pris part à la rédaction des accusations criminelles, et c’est elle qui a fait la dénonciation sous serment [pièce P‑141 et transcription, p. 5290 à 5292]. Il est également important de souligner que c’est l’ARC qui a recommandé, dans le rapport de poursuite, que l’on engage la poursuite – encore que ce ne soit pas précisément sous la forme des accusations éventuelles. Sans la dénonciation et les recommandations que l’ARC a fournies aux procureurs du ministère public, il est évident que la poursuite contre MM. Deacur et Gordon n’aurait pas été engagée. Je suis donc persuadé que c’est l’ARC qui a bel et bien engagé la poursuite, en ce sens que des fonctionnaires de l’ARC ont activement contribué à la mettre en branle.

[256]  Les deux questions qui restent consistent à savoir si l’enquête sur JAD a été lancée et s’est poursuivie jusqu’à l’engagement de la poursuite sans aucun motif raisonnable et probable et si elle a été motivée par la malveillance ou pour un objectif principalement illégal.

[257]  La partie qui allègue qu’une poursuite est malveillante [ou abusive] a le très lourd fardeau de prouver que celle-ci a été engagée sans motif raisonnable et probable. Dans l’arrêt Samaroo (CA C‑B), précité, aux par. 45 et 46, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a décrit ce fardeau en ces termes :

[TRADUCTION]

[45] Deuxièmement, il incombe au demandeur de prouver une absence de motifs raisonnables et probables d’engager la poursuite : Miazga, au par. 70.

[46] Troisièmement, la norme d’approbation de l’accusation dans le contexte criminel, laquelle, en l’espèce, est une perspective raisonnable de déclaration de culpabilité, et dans l’intérêt public, est une norme différente et plus exigeante que celle qui est requise relativement aux motifs raisonnables et probables pour engager une poursuite dans le cas du délit de poursuite malveillante. Comme il est expliqué dans l’arrêt Miazga, une poursuite est convenablement engagée si une preuve suffisante, disponible au moment où la décision de poursuivre a été prise, pouvait objectivement se solder par une déclaration de culpabilité :

[64] Comme j’y ai déjà fait allusion, la norme relative à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’engager ou de continuer une poursuite criminelle dont font état la plupart des guides destinés aux procureurs de la Couronne au Canada est généralement plus rigoureuse que celle des motifs raisonnables et probables correspondant au troisième volet du critère applicable en matière de poursuites abusives. [...] En conséquence, il n’y a rien de discordant à ce qu’une norme moins rigoureuse s’applique à la responsabilité civile.

[Non souligné dans l’original.]

[258]  Comme il a été mentionné plus tôt dans les présents motifs, l’ARC avait une preuve substantielle à l’appui de l’engagement d’une poursuite pour fraude contre MM. Deacur et Gordon. L’actus reus d’une infraction a été raisonnablement considéré comme présent sous la forme de multiples présentations erronées de dossiers de clients. Il aurait également été loisible à une cour criminelle de conclure à une intention criminelle en se fondant sur des inférences tirées de circonstances prouvées, dont l’ampleur du stratagème, l’étendue de la divulgation, la gravité des présentations erronées, ainsi que l’absence d’une explication plausible et satisfaisante. Tout cela ne veut pas dire qu’une déclaration de culpabilité aurait été une certitude; ce n’est pas ce que l’on exige, cependant. Le critère consiste plutôt à savoir s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve disponibles qui, considérés objectivement, pouvaient donner lieu à une déclaration de culpabilité. À mon avis, ce critère a été aisément rempli en l’espèce, et les demandeurs n’ont pas réussi à établir le contraire.

[259]  J’admets en principe que la qualité d’une enquête de l’ARC peut être si manifestement lacunaire qu’il puisse être loisible à un juge des faits de tirer une inférence de mauvaise foi ou de malveillance. En réalité, il y a peu de chance que l’on relève une preuve concrète de malveillance ou de mauvaise foi à la lecture d’un document officiel. Il est plus facile d’arriver à une telle inférence s’il peut être montré que l’on a détruit par erreur ou falsifié des éléments de preuve.

[260]  MM. Deacur et Gordon se fondent dans une large mesure sur la décision de première instance récente dans l’affaire Samaroo (CS C‑B), précitée, dans laquelle une conclusion de poursuite malveillante a été tirée à l’encontre de l’ARC, en raison de la conduite d’un enquêteur qui, a‑t‑il été conclu, avait contribué activement à l’engagement d’une poursuite infructueuse pour fraude fiscale. Toutefois, cette décision a été récemment infirmée sur le fond par l’arrêt Samaroo (CA C‑B), précité, et l’action a été rejetée.

[261]  J’admets en principe qu’une conclusion de poursuite malveillante pourrait être tirée dans les cas où un enquêteur de l’ARC supprime délibérément des éléments de preuve ou les présente sous un faux jour au procureur désigné, mais il ne s’est rien produit de tel au cours de l’enquête sur JAD. En fait, il ne s’agissait pas d’une situation dans laquelle MM. Deacur et Gordon relataient un récit nettement différent des faits que l’ARC avait mis au jour. Ils reconnaissent que la plupart des demandes qui faisaient l’objet des accusations criminelles comprenaient, à quelques différences près, le fait qu’ils avaient créé rétrospectivement des documents et les avaient utilisés dans le but d’étayer des évaluations de dépenses de RS&DE d’un montant supérieur. Pour ce qui est de ces demandes, la seule différence entre les parties a trait à la description de la méthode employée. L’ARC a considéré que celle‑ci était frauduleuse. MM. Deacur et Gordon admettent, semble‑t‑il, que leur méthode était nouvelle, voire audacieuse, mais ils disent qu’elle se situait dans l’éventail des pratiques comptables généralement reconnues.

[262]  Comme je l’ai déjà fait remarquer dans les présents motifs, la conviction de Mme Northey et de ses supérieurs qu’il y avait des motifs raisonnables et probables de porter des accusations contre MM. Deacur et Gordon reposait sur de nombreux éléments de preuve. Les méthodes que JAD avait employées pour présenter des demandes de RS&DE étaient tout à fait indéfendables et, à première vue du moins, malhonnêtes.

[263]  Les demandeurs ne sont manifestement pas parvenus à prouver que l’un quelconque des fonctionnaires de l’ARC ayant pris part à l’enquête sur JAD avait agi illégalement ou avec malveillance. Chaque lacune technique qu’ils font valoir n’était rien de plus que l’exécution d’un choix d’enquête, dont l’issue n’aurait pas changé la manière dont l’ARC percevait la preuve ou le cours de son enquête. Je rejette donc l’allégation, formulée par les demandeurs, d’intention malveillante et de conduite illégale.

[264]  MM. Deacur et Gordon allèguent que l’ARC a causé préjudice, de manière délibérée et indue, à leurs activités commerciales et qu’elle est responsable des pertes qui en résultent. Leurs actes de procédure font valoir une ingérence intentionnelle dans les rapports contractuels et les intérêts économiques (c’est ce que l’on appelle parfois le délit d’« atteinte par un moyen illégal »). Le champ d’application de ce délit intentionnel a été décrit dans l’arrêt Bram Enterprises Ltd c AI Enterprises Ltd, 2014 CSC 12, [2014] 1 RCS 177 :

74 L’examen de la jurisprudence du Canada et de ressorts semblables de common law révèle une tendance à définir restrictivement le « moyen illégal ». Non seulement cette conception est‑elle conforme à la jurisprudence antérieure, mais elle est souhaitable en principe, à mon avis. En limitant les moyens illégaux aux actes qui engageraient la responsabilité civile de leur auteur envers un tiers (ou qui le feraient si le tiers en avait subi une perte), on permet l’évolution du délit d’atteinte par un moyen illégal selon une assise cohérente et rationnelle. En outre, les restreindre aux délits civils ouvrant droit à action assure la certitude et la prévisibilité dans ce domaine de droit, du fait qu’on ne grossit pas la liste des actes pouvant engager la responsabilité du défendeur, on ne fait qu’ajouter un demandeur, qui peut être indemnisé si la conduite lui a causé préjudice intentionnel. Peut‑être faudra‑t-il à l’avenir préciser la portée de ce qui « ouvre droit à action », cependant les limites générales de la responsabilité seraient claires (voir Alleslev‑Krofchak, par. 63). Cette approche ne risque pas de « délictualiser » une conduite que le législateur a rendue illégale pour des raisons sans rapport avec la responsabilité civile (voir OBG, par. 57 et 152). Une définition étroite de « moyen illégal », en bref, permet de confiner le droit de la responsabilité délictuelle dans la sphère qui doit être la sienne.

[265]  Les éléments essentiels de ce délit sont une intention de porter atteinte aux intérêts économiques du demandeur en recourant à un moyen illégal ou illicite qui cause un préjudice de nature économique : voir l’arrêt Grand Financial Management Inc c Solemio Transportation Inc, 2016 ONCA 175, au par. 62, 395 DLR 4th 429.

[266]  Je doute fort que ce délit s’applique d’une manière quelconque au genre de conduite gouvernementale observée en l’espèce. L’enquête sur JAD a été entreprise de manière licite à la suite de doutes légitimes quant aux méthodes que JAD employait pour le compte de ses clients. Chaque fois qu’une enquête comme celle‑là est lancée (que des accusations soient portées ou non), il y a un risque réel de répercussions financières. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’étendre l’application de ce délit dans le domaine public. Dans la mesure où il est nécessaire de contrôler ou de limiter toute conduite gouvernementale illicite ou malveillante, cela peut se faire par l’application des délits de malfaisance dans l’exercice d’une charge publique ou de poursuite malveillante. En outre, l’enquête et la poursuite des demandeurs qui en a résulté ne constituent pas une faute illicite, donnant droit à action, à l’encontre d’un client de JAD. L’ARC agissait dans le cadre du mandat que lui conférait la loi de faire appliquer la LIR et elle n’engage aucunement sa responsabilité parce qu’elle a agi ainsi.

[267]  En tout état de cause, tous les délits intentionnels que les demandeurs ont fait valoir sont rejetés pour la même raison : il n’existe aucune preuve qui établit l’existence d’une intention malveillante ou malfaisante, ou d’une conduite illicite de la part des enquêteurs de l’ARC. En fait, le poids accablant des témoignages livrés par les témoins qui sont inclus dans le dossier documentaire révèle que l’enquête a été menée de manière minutieuse, professionnelle et compétente. Certaines des premières réserves de l’ARC au sujet d’évaluations fondées sur la juste valeur marchande des activités de RS&DE n’auraient peut‑être pas, en soi, justifié la tenue d’une enquête criminelle prolongée. Mais le recours fréquent et flagrant par JAD à des documents antidatés dans le but de gonfler de nombreuses autres demandes justifiait bel et bien l’exécution d’un examen consciencieux et, en fin de compte, le dépôt d’accusations criminelles. Le fait que le point de mire de l’enquête a changé avec le temps et que l’on a mis plus l’accent sur les documents présentés sous un faux jour et moins sur les problèmes d’évaluation traduit également un degré de réflexion approprié et une absence d’étroitesse de vision ou d’intransigeance de la part de l’ARC.

[268]  J’ajouterais que, bien que les demandeurs aient souvent affirmé que des enquêteurs de l’ARC avaient incité des clients à mettre un terme à leurs relations d’affaires avec JAD, ils n’ont produit aucune preuve à cet effet de la part de l’un quelconque de leurs clients. Dans la mesure où des clients ont disparu, il est plus probable que c’est parce que les demandeurs ont exposé leur clientèle à des risques et à des inconvénients considérables en présentant des demandes de RS&DE tout à fait injustifiées.

[269]  L’argument qu’invoquent les demandeurs, aux paragraphes 704 à 707 de leur mémoire après procès, à savoir qu’il y a eu violation, d’une manière non précisée, des droits que leur garantit la Charte, n’est nullement étayé par la preuve. En fait, l’enquête sur JAD a été menée d’une manière entièrement conforme aux obligations que la Charte impose au ministère public, dont l’utilisation de mises en garde exigées par la Charte et l’obtention d’autorisations judiciaires pour les perquisitions et la saisie de documents de JAD.

[270]  Une enquête parfaite, cela n’existe pas. Les enquêteurs disposent toujours d’autres mesures et de choix différents. Par exemple, le fait que M. Michal a fait une fausse description de M. Deacur en vue d’obtenir l’aide de la GRC lors de l’exécution de mandats de perquisition était inapproprié, mais ce fait n’entache ou ne compromet pas légalement l’enquête même. Les perquisitions ont été exécutées de manière licite après avoir obtenu des autorisations judiciaires à une fin appropriée. Peut‑être que M. Gordon aurait peut‑être aussi dû recevoir une lettre d’avertissement de 30 jours, adressée à lui personnellement, mais le fait qu’il ne l’a pas reçue n’a aucune importance sur le plan juridique.

[271]  Les enquêteurs de l’ARC ont agi sur la foi des informations qu’ils recevaient de nombreuses sources, et ils ont pris des décisions et formulé des recommandations raisonnables en fonction de cette preuve. Mme Northey et ses collègues n’avaient aucune raison de penser que ce qu’on leur disait était suspect ou peu fiable. En fait, ce que des contribuables tiers et d’autres témoins leur disaient concordait avec la preuve documentaire obtenue lors de vérifications ou saisie pendant les perquisitions avec mandat dans les bureaux de JAD.

[272]  Il n’y a non plus rien d’irrégulier dans le fait que le point de mire de l’enquête a changé à mesure que l’on obtenait davantage d’éléments de preuve. En fin de compte, l’affaire a fini par reposer presque exclusivement sur le problème de l’antidatage de documents transactionnels et d’entreprise. Certaines des premières préoccupations qu’avaient les vérificateurs quant au fait que JAD recourait à des évaluations de RS&DE gonflées ont disparu pour la plupart à mesure que l’enquête progressait. Cela n’est pas surprenant, parce que la mens rea était plus évidente dans les situations qui mettaient en cause des documents fictifs.

[273]  Je suis persuadé que les enquêteurs de l’ARC avaient en main suffisamment d’éléments de preuve relativement à une fraude potentielle pour justifier la poursuite de l’enquête sur JAD, ce qui a incluait les perquisitions menées dans les bureaux de JAD et, en fin de compte, la recommandation d’engager une poursuite criminelle. Le caractère raisonnable de la poursuite recommandée par l’ARC est également confirmé jusqu’à un certain point par le règlement de l’affaire à la suite de l’enquête préliminaire, ainsi que par l’issue de la requête des demandeurs en vue de recouvrer les frais liés aux services de défense au criminel : voir R c Deacur, [2009] OJ No 3723, 2009 CanLII 46650 (CS ONT).

[274]  La requête en adjudication des dépens a été rejetée par le juge Michael F. Brown, en partie, pour les motifs suivants :

[traduction]

[15] Les demandeurs en l’espèce ont formulé un certain nombre d’observations sur l’inconduite du ministère public dans la présente affaire. Ils se plaignent grandement du fait que le ministère public savait que la poursuite contre eux ne pouvait pas réussir, mais qu’il a tout de même décidé d’y donner suite. Les demandeurs soutiennent que le fait que le ministère public ait, en fin de compte, suspendu les accusations portées contre eux est une preuve de ce fait. S’ajoute à tout cela, soutiennent-ils, le fait que des demandes présentées à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») et au ministère de la Justice pour expliquer la méthode qu’il avaient employée pour demander des crédits d’impôt (la « méthode de Deacur ») ont été refusées. Essentiellement, ils font valoir qu’il n’y avait aucune raison de les poursuivre. Ils ajoutent que la « méthode de Deacur » pour demander des crédits d’impôt était licite et que le ministère public et l’ARC le savaient ou auraient dû le savoir.

[16] À mon avis, cet argument doit être rejeté. Pour commencer, on ne peut pas conclure que des accusations n’auraient jamais dû être portées juste parce que, en fin de compte, le ministère public les a suspendues. Il y a diverses raisons pour lesquelles il peut décider de suspendre une instance criminelle qui a été engagée à juste titre au départ. Je conviens qu’il aurait peut-être été préférable que le ministère public motive la suspension au dossier, mais cette omission, à mon avis, n’est pas assimilable à un abus de procédure, pas plus qu’elle ne prouve que le ministère public n’aurait jamais dû porter les accusations.

[17] Au vu du dossier dont je dispose, je ne puis conclure que le ministère public n’avait aucun fondement probatoire pour poursuivre les demandeurs. Le juge Shilton a conclu, après une enquête préliminaire, que la preuve était suffisante pour renvoyer les demandeurs à procès.

[...]

[22] Il ressort clairement de la décision du juge Shilton que la preuve était suffisante pour justifier que l’on poursuive les demandeurs. Un aspect important de l’argument que les demandeurs ont invoqué devant moi est que la méthode de Deacur est licite et que, en les poursuivant, le ministère public et l’ARC ont commis un abus de procédure. Cependant, il faut quelque chose de plus qu’un désaccord de bonne foi au sujet du droit applicable pour pouvoir rendre une ordonnance d’adjudication de dépens : R c Leduc. À mon avis, le fait que les demandeurs ont été renvoyés à procès, bien que ce ne soit pas déterminant, étaye bel et bien la thèse que, en l’espèce, le ministère public avait un fondement pour engager la poursuite : Thompson c Ontario. [Notes de bas de page omises.]

[275]  Le juge Brown a également abondamment cité les motifs pour lesquels le juge Shilton avait renvoyé MM. Gordon et Deacur à procès, quand des préoccupations avaient été relevées sur le plan juridique au sujet des méthodes d’antidatage de JAD.

[276]  Bien que ces décisions ne soient pas déterminantes quant aux questions soulevées dans la présente instance, elles amoindrissent bel et bien l’argument avancé par les demandeurs selon lequel leurs méthodes étaient de toute évidence justifiées, et que l’ARC aurait dû les considérer comme telles : voir aussi la décision Wong, précitée, au par. 60.

[277]  M. Deacur et Gordon sont peut-être chanceux que le ministère public ait décidé de suspendre leur poursuite. L’actus reus d’une fraude était manifestement présent. En raison du recours généralisé, par JAD, à des documents antidatés et trompeurs ainsi qu’à une thèse fiscale indéfendable, on aurait aussi pu raisonnablement tirer une inférence d’intention coupable. Il me semble qu’au vu de la preuve qu’ont obtenue les enquêteurs de l’ARC, le seul argument dont ils auraient pu disposer était celui qui a été invoqué avec succès dans R c Patry, 2018 BCSC 1524, 149 WCB 2d 246, où le juge Block a inscrit un verdict d’acquittement dans des circonstances analogues, et ce, pour les motifs suivants :

[traduction]

[82] L’avocat soutient que l’on peut à tout le moins prétendre que la stratégie fiscale de M. Patry est et était valable, et qu’elle ne constituait donc pas un cas de fraude fiscale. Il ajoute que M. Patry avait le droit de soumettre un plan qui reposait sur une interprétation viable de la législation. L’ARC peut ne pas souscrire à cette interprétation, mais le simple fait qu’elle a rejeté les dépenses déduites ne veut pas dire que l’interprétation de M. Patry est erronée.

[83] L’avocat de la défense s’est concentré principalement sur le fait que la preuve du ministère public échoue sur le plan de la mens rea. M. Patry avait foi en sa stratégie et, de ce fait, le ministère public n’a pas prouvé que M. Patry, en exécutant sa stratégie fiscale, avait éludé « sciemment » l’impôt. Il avait peut-être tout simplement tort au sujet de sa théorie, auquel cas, l’élément moral nécessaire de l’infraction est absent.

[...]

[122] Je suis convaincu que la stratégie de M. Patry [traduction] « en matière d’observation de la fiscalité » est et était mal fondée. Même si l’achat unique d’un bien immobilier peut, dans des circonstances appropriées, être assimilable à « un risque ou une affaire de caractère commercial » du fait du paragraphe 248(1) de la LIR (voir Friesen), la jurisprudence me convainc qu’un contribuable ne peut pas requalifier rétroactivement l’achat d’un bien immobilier de façon à transformer l’achat d’un bien qui, à l’époque, a été fait dans le but de s’en servir comme lieu de résidence ordinaire en « un risque ou une affaire de caractère commercial ». Une telle requalification est un stratagème qui a pour seul but de réduire l’impôt payable par ailleurs, et cette mesure est inefficace pour établir l’existence d’« un risque ou une affaire de nature commerciale » : Whent, au par. 27.

[...]

[138] M. Patry se présente comme une personne quelque peu excentrique, voire étrange sous certains aspects. Il considère de manière profondément suspecte l’ARC. Il a une haute opinion de ses aptitudes et de ses connaissances dans le domaine de l’impôt sur le revenu et il est obstinément certain d’avoir raison. Je dois dire toutefois que sa confiance en ses capacités n’est pas justifiée. Ses connaissances présentent des lacunes évidentes et ses analyses sont sérieusement viciées. Sa [traduction] « stratégie en matière d’observation de la fiscalité » en est amplement la preuve. Pour cette stratégie, il a pris quelques concepts fiscaux, les a mal interprétés ou déformés, et les a ensuite réunis de manière à créer un résultat fautif.

[...]

[143] Je conviens que, dans d’autres circonstances, ces questions auraient fort bien pu être considérées comme une preuve du comportement délibéré qui est requis pour prononcer une déclaration de culpabilité. Mais, en l’espèce, trois des comportements que je viens tout juste d’énumérer peuvent fort bien avoir découlé du soupçon profondément ancré et généralisé de M. Patry que l’ARC [traduction] « lui en voulait » à cause de ses antécédents auprès de cet organisation. La question du [traduction] « partenariat » avec la Banque royale, j’en ai traité plus tôt. Comme je l’ai fait remarquer, M. Patry a déclaré que la banque lui avait demandé de le faire, ce qui est possible, mais peut‑être peu vraisemblable, mais je conclus également qu’il se pourrait que M. Patry avait le sentiment que c’était ce que la banque lui demandait effectivement de faire.

[144] Après avoir apprécié la totalité de la preuve, je conserve un doute raisonnable quant à la question de l’intention nécessaire que requièrent ces infractions de fraude fiscale. Plus précisément, malgré ma conclusion selon laquelle la stratégie fiscale de M. Patry était viciée, je juge qu’il est au moins possible que ce dernier croyait avoir mis au point une stratégie fiscale viable. Il ne peut pas être reconnu coupable pour s’être trompé, mais uniquement pour s’être trompé sciemment. Le ministère public n’est donc pas parvenu à prouver ce point essentiel.

Le fait que la mens rea aurait pu être écartée dans le cadre de la poursuite engagée contre MM. Deacur et Gordon, en raison d’une croyance tout à fait indéfendable, mais erronée, à l’égard de la validité de leurs méthodes, n’amène toutefois pas à conclure que la poursuite était mal fondée sur le plan juridique. Selon mon appréciation de la preuve, l’ARC avait des motifs raisonnables et probables de recommander que l’on engage une poursuite. Rien ne prouve que des fonctionnaires de l’ARC ont agi de manière illicite, malveillante ou négligente dans le cadre de l’enquête sur JAD. Au contraire, l’enquête a été menée de manière minutieuse, équitable, objective et compétente. Les présentes actions sont donc rejetées. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je traiterai de la question des dépens après avoir reçu les observations écrites supplémentaires des parties. Chacune d’entre elles est tenue de produire et d’échanger des observations, d’une longueur maximale de 25 pages, sur la seule question des dépens, et ce, dans les 30 jours des présentes. MM. Deacur et Gordon auront le droit de produire des observations distinctes.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T‑473‑06 et T‑474‑06

LA COUR STATUE que :

  1. les présentes actions sont rejetées;

  2. chacune des parties est tenue de produire et d’échanger des observations sur la seule question des dépens, et ce, dans les 30 jours des présentes.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de novembre 2019

Christian Laroche, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


doSSIER :

T‑473‑06

INTITULÉ :

ALLAN JAY GORDON c SA MAJESTÉ LA REINE

ET DOSSIER :

T‑474‑06

INTITULÉ :

JAMES A. DEACUR AND ASSOCIATES LTD. ET JAMES ALLAN DEACUR c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 15 AU 18 OCTOBRE 2018,

DU 22 AU 25 OCTOBRE 2018,

DU 29 OCTOBRE AU 1er NOVEMBRE 2018,

DU 5 AU 8 NOVEMBRE 2018,

DU 13 AU 16 NOVEMBRE 2018,

DU 19 AU 22 NOVEMBRE 2018,

DU 26 AU 29 NOVEMBRE 2018,

DU 3 AU 6 DÉCEMBRE 2018,

DU 10 AU 13 DÉCEMBRE 2018,

LES 17 ET 18 DÉCEMBRE 2018,

LES 4 ET 6 FÉVRIER 2019.

 

ordonnance et motifs :

LE JUGE BARNES

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

 

 

le 25 juin 2019

COMPARUTIONS :

Allan Jay Gordon

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

James A. Deacur

pOUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE ET AU NOM DE JAMES A. DEACUR AND ASSOCIATES LTD)

 

Howard F Morton, c.r.

Toronto (Ontario)

poUR LES demandeur

(OBSERVATIONS RESTREINTES)

Wendy Linden

Rishma Bhimji

Kieran Lidhar

POUR LA DÉFENDERESSE

(SA MAJESTÉ LA REINE)

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Howard F Morton, c.r.

Toronto (Ontario)

poUR LES DEMANDEURS

(OBSERVATIONS RESTREINTES)

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(SA MAJESTÉ LA REINE)

 



[1] Le programme de RS&DE était un programme fédéral d’encouragement fiscal administré par l’ARC et destiné à stimuler les activités de recherche et de développement au Canada. Les dépenses de RS&DE admissibles devaient répondre à des conditions scientifiques et financières prescrites, et toutes les demandes présentées pour la première fois étaient soumises à une vérification.

[2] Le MOI II contient une série de lignes directrices de nature procédurale qui régissent la conduite des enquêtes spéciales de l’ARC, et les pièces P‑18, P‑105, P‑107, P‑108 et P‑111 en contiennent des extraits. La Déclaration des droits du contribuable de l’ARC est un énoncé de principes que l’ARC est censé respecter de façon générale dans ses rapports avec les contribuables, et cela inclut le droit à une application équitable et uniforme de la LIR.

[3] Cependant, les demandeurs n’ont pas laissé tomber leur allégation selon laquelle Mme Northey et d’autres enquêteurs non nommés de l’ARC étaient motivés par des considérations d’ordre pécuniaire pour prolonger l’enquête sur JAD [mémoire après procès, au par. 531].

[4] En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Deacur si le manuel traitait de la question de l’antidatage de documents à l’appui d’une demande et il a répondu : [traduction] « Je ne sais pas ce que dit le manuel sur le sujet » [p. 2230]. Il a également admis ne pas avoir lu le manuel en question [p. 2231].

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