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     Date: 19990812

     Dossier: IMM-4586-98

Entre :

     JUAN RODRIGO PENAILILLO DIAZ

     CAMILA ANTONELLA PENAILILLO PUELLES

     JOHANNA ELIZABETH PUELLES CORDERO

     Demandeurs

     - et -

     LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 18 août 1998 par la Section du statut de réfugié statuant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

[2]      Les demandeurs, Juan Rodrigo Penailillo Diaz, son épouse Johanna Elizabeth Puelles Cordero et leur fille mineure Camila Antonella Penailillo Puelles, sont des citoyens du Chili. Ils ont quitté leur pays le 21 mai 1996 pour arriver au Canada le lendemain et, à cette date, revendiquer le statut de réfugié alléguant une crainte bien fondée de persécution au Chili à cause des activités syndicales du demandeur principal, Juan Rodrigo Penailillo Diaz.

[3]      Il s'agit ici d'un cas où, en raison de l'insuffisance des motifs énoncés par la Section du statut pour rejeter le témoignage du demandeur principal, je dois intervenir.

[4]      Dans Armson c. M.E.I. (1989), 101 N.R. 372, monsieur le juge Heald pour cette Cour a écrit ce qui suit à la page 376:

             In my view, the decision a quo is defective for another reason. In the circumstances of this case, the Board owed a duty to this applicant to give its reasons for rejecting the applicant's refugee claim on the ground of credibility in clear and unmistakeable terms [Re Pitts and Director of Family Benefit Branch of the Ministry of Community and Social Service (1985), 9 O.A.C. 205; 51 O.R. (2d) 302, Ontario Divisional Court]. At page 310 of the Pitts case, Mr. Justice Reid said:                 
         "The task of determining credibility may be a difficult one but it must be faced. If the board sees fit to reject a claim on the ground of credibility, it owes a duty to the claimant to state clearly its grounds for disbelief. The board cannot simply say, as the member did here, 'I feel that I have not received credible evidence to rescind the decision of the respondent'. Some reason for thinking the evidence not credible must be given if an appearance of arbitrariness is to be avoided. . . ."                 

[5]      Subséquemment, dans Pour c. M.E.I. (5 décembre 1991), A-655-90, monsieur le juge Marceau a accueilli la demande de contrôle judiciaire, jugeant les motifs du tribunal inadéquats:

             C'est l'excessif laconisme des motifs qui nous apparaît requérir cette conclusion. Le tribunal trouve invraisemblables certains éléments du récit que le revendicateur a fait des événements qui l'avaient incité à fuir son pays pour chercher refuge ailleurs et c'est son rôle de porter tel jugement. Il ne dit pas, cependant, si ce jugement de non crédibilité qu'il porte le conduit à rejeter complètement les prétentions du revendicateur quant à l'authenticité de sa peur, encore moins, évidemment, comment il aurait été conduit à ce rejet global de son témoignage. C'est en cela, à notre avis, que l'insuffisance des motifs devient évidente et rend inévitable l'intervention de cette Cour.                 

[6]      Enfin, dans Mehterian c. M.E.I. (17 juin 1992), A-717-90, la Cour d'appel fédérale, sur le même sujet, a énoncé ce qui suit:

             Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration, L.R. (1985), ch. I-2 impose à la section du statut l'obligation de "motiver par écrit" toute décision défavorable à l'intéressé. Pour satisfaire à cette obligation il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler.                 
             Nous sommes tous d'avis que les motifs donnés par la section du statut dans le présent dossier ne répondent pas à ces critères. Déclarer que le "demandeur n'a pas prouvé l'existence de la crainte raisonnable de persécution", sans dire plus, peut vouloir dire que le tribunal n'a pas cru le demandeur, ou qu'il l'a cru mais que les motifs de la prétendue persécution ne sort pas parmi ceux énumérés dan dans Loi, ou encore que la crainte raisonnable qui avait existé dans le passé n'est plus raisonnable en raison de changements de circonstances dans le pays d'origine. Il y a plusieurs autres possibilités, dont notamment une mauvaise interprétation par la section du statut de la Loi elle-même.                 

[7]      Dans le présent cas, la Section du statut s'est exprimée comme suit, pour rejeter le témoignage du demandeur principal:

             Nous considérons invraisemblable le récit du demandeur compte tenu du rôle qu'il prétend avoir joué dans l'organisation et les activités dans le syndicat de pêcheurs au Chili. Le demandeur, mécanicien de son métier, déclare avoir adhéré au syndicat de l'entreprise pour laquelle il travaillait au cours de l'année 1995. Il aurait, dès le 30 avril 1995, été congédié pour avoir déclaré que les employés de cette entreprise étaient mal payés. Il n'aurait pas eu d'autres activités syndicales connues jusqu'au mois d'octobre 1995 lorsqu'il fit la connaissance du secrétaire du syndicat des pêcheurs artisanaux de San Pedro. C'est à compter de cette époque que le demandeur se pose en défenseur des droits des pêcheurs qui, d'après son témoignage, étant des gens simples ne savent souvent pas comment défendre leurs propres intérêts. Le demandeur s'est dit lui-même en état de les regrouper en une organisation. Ses prétentions sont à l'effet que ses activités auraient été tellement importantes qu'il aurait encouru des représailles de la part du gouvernement chilien. Les militaires, à la solde du gouvernement, auraient agressé le demandeur à cause de ses activités syndicales. Le syndicat aurait même dû le faire accompagner en auto pour qu'il se rende aux réunions et à l'hôtel de ville de San Antonio pour y chercher les autorisations requises pour les manifestations. Nous considérons invraisemblable toute cette situation et ne pouvons ajouter foi au témoignage du demandeur.                 
                     (C'est moi qui souligne.)                 

[8]      Ainsi, il appert que la Section du statut ne doute pas des activités syndicales du demandeur, mais doute plutôt du sérieux des représailles du gouvernement chilien, compte tenu de l'importance limitée de ces activités syndicales. À mon sens, n'ayant nullement mis en doute que le demandeur ait bel et bien participé à l'organisation même des manifestations, le tribunal devait justifier, compte tenu de certains éléments sérieux de la preuve documentaire, pourquoi semblable implication ne pouvait en soi entraîner les représailles que le demandeur principal avait affirmé sous serment avoir subies. En effet, le demandeur principal a témoigné à l'effet qu'il n'avait pas été simple participant aux manifestations, mais qu'il en avait été l'un des organisateurs, ce qui expliquait pourquoi il était particulièrement visé. Dans ce contexte, il apparaît arbitraire, face au témoignage non contredit du demandeur, de simplement conclure à l'invraisemblance de "toute cette situation". Le tribunal se devait, à tout le moins, de référer à des éléments précis et pertinents de la preuve pour justifier sa conclusion, ce qu'il n'a pas fait, se contentant de tout simplement résumer le témoignage du demandeur principal.

[9]      Appliquant les principes ci-dessus enseignés par la jurisprudence au présent cas, je maintiens donc la demande de contrôle judiciaire, annule la décision de la Section du statut et renvoie l'affaire pour nouvelle audition et décision par la Section du statut différemment composée.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 12 août 1999


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