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                                                                                                                                 Date : 20041102

                                                                                                                    Dossier : IMM-1665-04

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1484

ENTRE :

                                                              MALIK Ali Zulfqar

                                                                 BEGUM Najma

                                                                 MALIK Wajiha

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 3 février 2004, par laquelle la Commission a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.


[2]         La demande de contrôle judiciaire est présentée par les trois personnes suivantes : M. Ali Zulfqar Malik (le demandeur), né au Pakistan en 1947, son épouse Najma Begum, née au Pakistan en 1950, et leur fille Wajiha Malik, née au Pakistan en 1988. Tous les trois sont citoyens du Pakistan et ils demandent l'asile du fait de leur religion, savoir la branche chiite de la religion musulmane. L'épouse et la fille s'appuient sur les mêmes motifs que le demandeur principal pour demander l'asile.

[3]         Au vu de la prépondérance des probabilités et nonobstant certains doutes sur la composante subjective de la crainte, la Commission était raisonnablement convaincue que le demandeur avait établi de façon crédible une crainte fondée de persécution aux mains du Sipah-e-Sahaba (le SSP), étant donné la relation entre sa fille et son ami sunnite. La Commission a déclaré que cette conclusion était compatible avec la documentation sur le pays, qui confirme que le demandeur et sa famille pourraient être ciblés à cause des actions de la fille. De plus, la Commission croyait que la police de Lahore n'était pas disposée à intervenir dans ce type de conflit et qu'il était peu probable qu'elle le fasse.

[4]         Toutefois, la Commission a conclu que l'existence d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable était déterminante en l'espèce, que les personnes en cause soient des réfugiés ou des personnes à protéger. Cette conclusion est fondée sur le fait que la famille avait pu vivre normalement, bien qu'en exerçant une certaine prudence, en s'éloignant à sept milles de leur domicile. Les enfants allaient à l'école et l'épouse au marché. La Commission n'a pas ajouté foi à l'histoire de l'attaque. Le demandeur avait d'abord déclaré que son épouse l'avait rejoint aux États-Unis le 21 mai et que l'attaque avait eu lieu le 25 mai. Confronté à cette apparente contradiction, il a modifié la date à laquelle son épouse l'aurait rejoint pour la fixer au 31 mai. Il semble que les enfants étaient en sécurité chez des amis près de Lahore.


[5]         La Commission a déclaré que le demandeur et sa famille pourraient certainement déménager à Karachi, ville située à près de 1 000 milles, où ils n'étaient pas connus et où les chiites et sunnites avaient des relations plus harmonieuses. Le demandeur ayant travaillé comme chef cuisinier pendant quelque 40 ans, il pourrait facilement y trouver du travail dans une ville d'approximativement 11 millions d'habitants. La possibilité que le SSP l'y recherche était peu élevée.

[6]         La jurisprudence déterminative en matière de PRI est l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589. Dans cet arrêt, le juge Linden, s'exprimant au nom de la Cour d'appel, a clarifié la notion d'une PRI et il en a défini le contenu, à la page 592 :

[...] Je dois tout de suite signaler que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays n'est pas une défense légale. Ce n'est pas non plus une théorie juridique. C'est simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays. Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention (voir les motifs du juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, ([1992] 1 C.F. 706), précité, à la page 710); il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d'être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d'origine. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays. [...]

Il a ajouté, à la page 598 :

[...] Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.


[7]         Le juge Linden a aussi déclaré qu'une fois informé par la Commission que la PRI serait en cause, le demandeur a le fardeau de démontrer que la PRI n'existe pas dans son pays.

[8]         La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission voulant que le demandeur avait une PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Mohammed c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1217 (1re inst.) (QL) et Chorny c. Canada (M.C.I.) (2003), 238 F.T.R. 289).

[9]         La Commission est arrivée à la conclusion que le demandeur n'avait pas démontré l'absence d'une PRI, et elle a donc conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. Au vu de la preuve soumise à la Commission, cette décision n'est pas déraisonnable.

[10]       La Commission a mis en cause la crédibilité de l'histoire de l'attaque visant la maison où la famille habitait à Lahore, étant donné une contradiction dans le témoignage du demandeur. Comme je l'ai déjà indiqué, il a d'abord témoigné que son épouse l'avait rejoint le 21 mai, alors que l'attaque avait eu lieu le 25 mai. Confronté à cette apparente contradiction, il a modifié sa déclaration et déclaré que son épouse l'avait rejoint le 31 mai. Aucun détail n'a été fourni quant à la nature de l'attaque même.

[11]       La Commission a conclu que si le fait de déménager à sept milles de leur domicile original permettait à la famille de vivre dans une paix et une liberté relatives, il était peu probable que le SSP la poursuivrait si elle déménageait 1 000 milles plus loin.


[12]       Dans une affaire semblable, Syed c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 597 (1re inst.) (QL), qui implique aussi des chiites au Pakistan, mon collègue le juge Blais a conclu que la preuve documentaire justifiait la conclusion qu'il existe des régions au Pakistan où les chiites peuvent vivre dans une tranquillité relative. La présente affaire ne met pas en cause un demandeur qui aurait eu des difficultés avec la police ou avec les autorités, comme c'est le cas des activistes politiques opposés au régime (Ahmed c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 254 (1re inst.) (QL)). Il ne s'agit pas non plus d'une affaire où la PRI supposée était vague et imprécise (Ahmed c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 433 (1re inst.) (QL)). Au contraire, la PRI est précisée et examinée afin de déterminer si elle est valable pour le demandeur.

[13]       La Commission a convenu que le Pakistan n'était pas libre de violence sectaire. Toutefois, à Karachi le demandeur ne ferait pas face à un danger plus grand que le reste de la population chiite, qui est relativement bien intégrée dans cette ville. La persécution visant spécifiquement le demandeur est liée à ses problèmes familiaux, savoir le fait que sa fille semble avoir épousé un sunnite. Le harcèlement du SSP lié à ses activités relatives à l'Imambargah ne constituait pas de la persécution. Il s'était rendu aux États-Unis en l'an 2000 sans y réclamer l'asile, pour ensuite retourner au Pakistan. Lorsque le tribunal l'a questionné plus longuement à l'audience, le demandeur a admis que ses difficultés étaient liées au mariage de sa fille.

[14]       Rien n'indique que la persécution continuerait dans un nouvel environnement. Ce qui est plus important encore, le demandeur n'a pas démontré que cette menace existe. Les arguments du demandeur sont fondés sur la violence sectaire et sur le fait que le SSP perdure, nonobstant son interdiction. Étant donné que la persécution était liée aux circonstances relatives au mariage de sa fille, qu'il n'y a pas de preuve de persécution généralisée, et que sa famille n'a pas été persécutée après s'être déplacée de quelque sept milles, je ne crois pas que la Cour doive intervenir dans la conclusion quant à l'existence d'une PRI.


[15]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                    « Yvon Pinard »                      

                                                                                                                                                     Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 2 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-1665-04

INTITULÉ :                                                               ALI ZULFQAR MALIK, NAJMA BEGUM, WAJIHA MALIK

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 22 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                              LE 2 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki                                                            POUR LES DEMANDEURS

Andrea Shahin                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Styliani Markaki                                                            POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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