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Date : 20030521

Dossier : IMM-382-02

Référence : 2003 CFPI 622

Montréal (Québec), le 21 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE GAUTHIER

ENTRE :

                                                              PABITRA UPADHAYA

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Upadhaya sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 15 janvier 2002, qui lui avait refusé le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 M. Upadhaya, de nationalité népalaise, est âgé de 40 ans. Sa revendication est fondée sur la présumée persécution dont il est l'objet de la part des Maoïstes en raison de ses opinions politiques. Les faits particuliers avancés par M. Upadhaya peuvent être brièvement résumés ainsi :


C           Le 7 novembre 1999, les Maoïstes se sont présentés à l'école où il enseignait, dans le village de RamKot, pour exiger qu'il se joigne à eux ou qu'il leur remette 35 p. 100 de son salaire. Il a refusé, et ils lui ont dit que sa famille paierait le prix de ce refus.

C           Le 16 novembre 1999, son père a reçu une lettre qui l'informait d'un jugement du Tribunal populaire décrétant que M. Upadhaya devait remettre aux Maoïstes, dans un délai de trois jours, sa terre ainsi que d'autres biens. M. Upadhaya a immédiatement demandé l'aide de la police du village; la police n'a rien fait.

C           Le 19 novembre 1999, un groupe de Maoïstes (entre 35 et 45) a fait une descente dans la maison de M. Upadhaya, ont ligoté toute sa famille (ses parents, son épouse et son fils) et ont exigé les clés du coffre de la maison.

C           Son épouse, qui avait les clés, a refusé de s'en défaire; elle a été violée et tuée. La maison a été incendiée et M. Upadhaya a été laissé inconscient. Plus tard ce jour-là, un voisin l'a emmené dans sa maison. M. Upadhaya ne savait pas où était son fils et ses parents.

C           Il est parti le jour suivant pour Katmandou. Il a fait le trajet à pied et en camion. À son arrivée, il a immédiatement pris des dispositions pour se rendre au Canada.

[3]                 L'audience tenue devant la Commission a duré trois sessions, notamment à cause de problèmes d'interprétation.


[4]                 Dans sa décision, la Commission a conclu que le revendicateur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il n'était pas crédible et parce qu' « aucune preuve crédible n'a établi que les Maoïstes l'ont persécuté et ont violé et tué sa femme comme il le prétend et qu'il risque d'être persécuté s'il retournait au Népal » .

Points en litige

[5]                 M. Upadhaya affirme d'abord que la Commission ne lui a pas accordé une audience équitable, en raison de la mauvaise interprétation lors de la première session. Il soutient aussi que la Commission a fondé sa décision sur des conclusions erronées et qu'elle a refusé de tenir compte de certains éléments de preuve qu'elle avait devant elle.

Analyse

[6]                 La norme de contrôle à appliquer a été récemment décrite dans un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Harb c. Canada (M.C.I.) (2003) C.A.F. 108, (QL), au paragraphe 14 :

Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait (c'est l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit cette norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression « manifestement déraisonnable » ). Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d'exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées. (Sur la norme de contrôle : voir Shrestha c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2002 CFPI 886, le juge Lemieux, aux paragr. 10, 11 et 12.)


[7]                 M. Upadhaya affirme que l'interprétation des débats de la première session était de mauvaise qualité et qu'elle a réduit sa capacité de présenter son témoignage d'une manière équitable.

[8]                 Une analyse de la qualité de l'interprétation (vérification partielle ou ponctuelle) a été faite par le service d'interprétation de la Commission après la première session. Le service d'interprétation a confirmé que la traduction simultanée du népalais à l'anglais avait laissé à désirer. Mais ce fait avait été reconnu par la Commission, qui avait décidé de continuer la procédure avec un autre interprète, par vidéoconférence.

[9]                 Dans l'arrêt R. c. Tran , [1994] 2 R.C.S. 951, le juge en chef Lamer (son titre à l'époque) écrivait, aux pages 987 et 978, que :

... Il est important de garder à l'esprit que l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans des circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d'exiger que même une norme d'interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection...

... L'objet ultime du droit à l'assistance d'un interprète est d'accorder à tous des chances égales et non pas d'accorder à certaines personnes plus de droits qu'à d'autres.

[10]            Dans l'arrêt Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 85, [2001] A.C.F. n ° 916 (QL), la Cour d'appel fédérale a jugé que l'analyse faite dans l'arrêt Tran était applicable à une procédure introduite devant la Commission.


[11]            La Cour estime que, en fournissant des services améliorés d'interprétation au cours des deuxième et troisième sessions, et en donnant à l'avocat la possibilité de revoir certaines des questions examinées durant la première session, la Commission a veillé à ce que soit observée l'exigence d'un procès équitable selon ce que prévoit la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B, partie I de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) 1982, ch. 11, (la Charte).

[12]            Cependant, ayant admis que l'interprétation avait posé des problèmes au cours de la première session, la Commission se devait de considérer avec grande circonspection la preuve qui avait été produite au cours de cette session.

[13]            Dans l'arrêt Tran, la Cour suprême du Canada écrivait, au paragraphe 60 : « Les tribunaux ont prévenu qu'il ne convient pas d'examiner au microscope le témoignage interprété pour voir s'il comporte des incohérences. Il faut accorder le bénéfice du doute au témoin » . Cette mise en garde devait s'appliquer aux témoignages qui sont interprétés convenablement, non aux témoignages qui sont viciés par une interprétation inadéquate ou fautive, car il serait en effet injuste d'utiliser un témoignage vicié pour constater des contradictions dans la déposition d'un témoin. Un témoignage vicié doit tout simplement être ignoré.

[14]            C'est exactement ce que la Commission n'a pas fait ici.


[15]            Dans son analyse du témoignage, le tout premier point soulevé par la Commission est le suivant :

... Lors de la dernière séance, sous le prétexte d'un réinterrogatoire, le conseil a de nouveau abordé cette question ainsi que plusieurs autres. Le revendicateur a alors donné des détails sur les comités en place à divers paliers et les diverses sections de son parti... Les généralités exprimées au début par le revendicateur semblaient être une tactique pour contourner les questions auxquelles le revendicateur était incapable de répondre clairement; ... Les détails que le revendicateur a donnés sur le PND lorsque son conseil l'a réinterrogé à cet égard auraient été plus convaincants s'il les avait donnés lorsqu'on lui a posé des questions sur ses activités politiques au cours de la première séance. Compte tenu du témoignage d'abord évasif et général du revendicateur et du contraste avec les multiples détails qu'il a donnés lorsque son conseil l'a interrogé de nouveau à cet égard lors de la dernière séance, le tribunal peut très difficilement confirmer la crédibilité du revendicateur. Par conséquent, lorsque le revendicateur allègue que les Maoïstes le ciblaient particulièrement en raison de ses activités politiques, sa crédibilité soulève certainement des doutes.

[16]            Selon le défendeur, rien ne prouve que la qualité de l'interprétation ait influé de quelque façon sur la conclusion selon laquelle le témoignage de M. Upadhaya avait été évasif et général durant la première séance.

[17]            La Cour relève que le rapport sur la qualité de l'interprétation ne portait que sur 15 minutes de transcription (c'est-à-dire que le rapport est décrit comme un examen sélectif de cinq minutes à trois endroits différents de la bande magnétique) et que, selon ce rapport, la qualité et l'intégrité de la traduction de l'anglais au népalais étaient bonnes, alors qu'elles l'étaient moins pour la traduction du népalais à l'anglais. M. Upadhaya a donné l'exemple d'un long passage en népalais qui avait été traduit simplement par « oui » en anglais. La Cour juge que, eu égard aux circonstances, l'interprétation fautive a influé sur les conclusions de la Commission et que, en tout état de cause, le doute devrait ici bénéficier à M. Upadhaya.


[18]            Finalement, la Cour relève que la Commission n'a pas trouvé de véritables contradictions entre les témoignages des deux sessions, mais a simplement constaté que le témoignage était plus détaillé durant la deuxième session. La Commission a aussi fait un examen minutieux des témoignages, allant même jusqu'à mesurer le possible effet de l'emploi de la première personne du pluriel ou du singulier, sans considérer le possible effet de l'interprétation sur les témoignages du demandeur. Cette utilisation répétée des témoignages viciés constitue une erreur sujette à révision.

[19]            Eu égard à la conclusion susmentionnée, la Cour ne croit pas nécessaire de passer en revue tous les arguments soulevés par M. Upadhaya à propos des autres motifs exposés dans la décision de la Commission.

[20]            Cependant, il importe de noter encore une fois que, bien que la Commission soit fondée à ignorer la preuve documentaire produite par un revendicateur, ou à n'accorder aucune valeur probante à cette preuve documentaire, elle doit néanmoins indiquer les motifs qu'elle a d'agir ainsi, quand le document produit confirme les dires du revendicateur sur un point important. (Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.) 1998 A.C.F. n ° 1425 (QL).) Naturellement, les motifs en question ne doivent pas être manifestement déraisonnables.


[21]            La preuve documentaire sans doute la plus significative qu'ait produite M. Upadhaya consistait en des copies d'un article du Sadhana Weekly, publié en anglais et en népalais. Cet article intitulé « Les rebelles maoïstes tuent 10 personnes à Rolpa et à Ramkot » parle d'une attaque de la guérilla maoïste contre un poste de police, guérilla au cours de laquelle neuf policiers avaient été tués. L'article donne les noms de ces policiers et parle de ce qu'il appelle un incident semblable survenu deux jours auparavant, au cours duquel des membres de la guérilla maoïste avaient violé et tué Kalpana Upadhaya (l'épouse de M. Upadhaya).

[22]            La Commission fait bien référence à l'article du Sadhana Weekly, en affirmant avoir mis le revendicateur devant la liste de publications népalaises qu'elle avait obtenue sur l'Internet. La liste mentionne un journal appelé le Sadhana Monthly. Le revendicateur avait expliqué qu'il y avait plus de 400 hebdomadaires au Népal et qu'ils ne figuraient pas tous sur l'Internet. Voici les propos de la Commission :

Le tribunal reconnaît que tous les journaux du Népal ne figurent pas nécessairement dans Internet, mais c'est le cas du Sadhana. Il est notable que l'histoire relative au revendicateur ne figure pas dans les articles plus importants du journal, ceux présentés dans Internet. Son histoire aurait dû faire l'objet d'un article important; or, elle est relatée dans les exemplaires d'un petit journal présenté aux fins de l'audience, mais n'est corroborée dans aucun autre journal plus connu et plus fiable du Népal. Les journaux présentés en preuve identifient l'éditeur seulement par un numéro d'enregistrement. Après avoir pris en compte le manque de crédibilité du revendicateur, le tribunal n'accorde donc pas de force probante aux exemplaires, népalais ou anglais, du Sadhana que le revendicateur a présentés en preuve.

                                                                                                                                                                       [Non souligné dans l'original]                                     


[23]            La Cour estime que les motifs donnés par la Commission pour écarter cette preuve sont manifestement déraisonnables. Rien ne permettait d'affirmer que le « Sadhana Monthly » trouvé sur l'Internet était en réalité le même journal que le « Sadhana Weekly » , dont les originaux ont été produits à la Cour. La Commission ne peut tout simplement pas se fonder sur la similitude des noms des deux journaux pour dire qu'il s'agissait du même journal. Il semble aussi que la Commission n'a pas vu que, en fait, la version du demandeur était confirmée dans un troisième document trouvé à la page 173 du dossier certifié, et intitulé « Newsflash » .

[24]            Les deux erreurs sujettes à révision qui sont mentionnées ci-dessus sont à ce point graves et à ce point capitales pour la revendication de M. Upadhaya qu'elles entachent la décision de la Commission. Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est accordée.

[25]            Durant l'audience, M. Upadhaya a proposé que soit certifiée la question suivante :

L'admission comme preuve d'un document protégé selon la Loi sur la protection des renseignements personnels (c'est-à-dire la demande de résidence permanente) est-elle licite en l'absence d'un consentement et en l'absence de toute appréciation de l'intérêt public du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration avant la remise d'un tel document à la section du statut de réfugié?

[26]            Dans l'arrêt Liyanagamage c. Canada (M.C.I.), [1994] 176 N.R. 4 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale avait clairement indiqué que, pour être certifiée, une question doit non seulement transcender l'intérêt de la partie immédiate au litige, mais également disposer de l'appel. Vu la décision de la Cour dans la présente affaire, ce n'est pas le cas ici. Je ne certifierai pas cette question.


                                                                     ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accordée.

2.         L'affaire est renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

3.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                     « Johanne Gauthier »             

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-382-02

INTITULÉ :                                             Pabitra Upadhaya c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 18 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           MADAME LE JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                           le 21 mai 2003

COMPARUTIONS :

Me Sarah Piven                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Guy M. Lamb                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Sarah Piven                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030521

Dossier : IMM-382-02

ENTRE :

                       PABITRA UPADHAYA

                                                                       demandeur

                                       - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

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