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Date : 20190712


Dossier : IMM‑4616‑18

Référence : 2019 CF 920

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

WARSAMIE ESSIE WARSAME

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 28 août 2018 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel formé par le demandeur contre une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), et a confirmé la conclusion de celle‑ci selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  La SAR a confirmé la décision de la SPR, portant que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. Pour les motifs exposés ci‑après, notre Cour conclut que la décision de la SAR est déraisonnable et qu’elle doit donc être annulée.

II.  Les faits

[3]  Le demandeur affirme être citoyen somalien et ne posséder de statut dans aucun autre pays que la Somalie. Selon l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], il est né en Somalie, dans la ville d’Afmadow, en 1979.

[4]  Le père du demandeur était un agent de la police somalienne. Il a fait la connaissance de la mère du demandeur, une citoyenne éthiopienne, alors qu’il était en poste en Éthiopie. Le père de M. Warsame appartenait au clan somalien Ogaden, tandis que sa mère était membre du clan éthiopien Oromo. La mixité du mariage des parents du demandeur était une source de tension en Somalie, mais son père a pu le protéger, tant qu’il vivait, grâce au poste qu’il occupait dans la police somalienne. Après le décès de son père en 1995, la maison où vivait le demandeur est devenue la cible de membres du clan Ogaden en raison de la présence du [traduction] « sang oromo » : sa maison a été attaquée par des hommes qui ont tiré de l’extérieur sur les occupants.

[5]  Le demandeur affirme que, du fait de ces dangers, sa famille s’est enfuie en Éthiopie, où elle a vécu de 1995 à 2010 sans jamais acquérir de statut dans ce pays. Le demandeur a été accusé de faire partie du Front national de libération de l’Ogaden (le FNLO) en raison de l’appartenance clanique de son père. Il a pu trouver divers emplois malgré l’absence de statut. En 2004, la mère du demandeur est décédée de causes naturelles.

[6]  Le demandeur a vécu au Kenya de janvier à octobre 2011. Il est ensuite retourné à Afmadow, où il a habité avec son oncle, chevrier et chamelier, d’octobre 2011 à juillet 2012. Malgré ses efforts pour [traduction] « se faire remarquer le moins possible », explique‑t‑il, des membres du clan Ogaden ont découvert qu’il était un Oromo et ont menacé de le tuer. Son oncle l’a alors aidé à fuir la Somalie en vendant quelques‑uns de ses chameaux. Le demandeur a utilisé le produit de cette vente pour se rendre au Kenya, après quoi il est allé en Éthiopie et dans plusieurs autres pays.

[7]  En octobre 2012, le demandeur est arrivé aux États‑Unis. Il y a demandé l’asile, mais il a immédiatement été mis en détention, où il est resté jusqu’en décembre de la même année. Il a été remis en liberté en attendant la décision sur sa demande d’asile, dont la date a d’abord été fixée en janvier 2015, puis reportée en octobre 2017. En raison de l’arriéré de demandes d’asile aux États‑Unis, il ne croyait pas que la sienne puisse être traitée avant la date prévue pour son audience, de sorte qu’il s’attendait à être renvoyé sans avoir bénéficié d’une instruction approfondie de sa demande, compte tenu des politiques américaines d’immigration. C’est pourquoi il est venu au Canada, où il a demandé l’asile le 1er avril 2017, à son arrivée au point d’entrée.

[8]  Le 6 avril 2017, la SPR a été réputée saisie de la demande d’asile du demandeur en application du paragraphe 100(3) de la LIPR.

[9]  Monsieur Warsame demande l’asile parce qu’il craint d’être persécuté par des membres du clan Ogaden et d’autres clans du fait de son [traduction] « origine métissée ». Il a déposé le 18 juillet 2017 une modification de l’exposé circonstancié de son formulaire FDA ainsi que des éléments de preuve supplémentaires. Il a plus tard modifié son exposé circonstancié pour y ajouter qu’il avait été reconnu porteur du VIH aux États‑Unis et que s’il doit retourner en Somalie, il craint d’être persécuté parce qu’il y serait perçu comme étant un homosexuel.

[10]  La SPR a tenu le 2 août 2017 une audience où le demandeur était représenté par un conseil et bénéficiait aussi de l’assistance d’un interprète vers le somali. Le 11 du même mois, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur et conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, parce qu’il n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités.

[11]  Dans le cadre de son appel devant la SAR, le demandeur a prié celle‑ci d’admettre de nouveaux éléments de preuve conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR et de tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la même loi. Par décision en date du 28 août 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR, a déclaré inadmissibles tous les nouveaux éléments de preuve proposés par le demandeur et a refusé de tenir une audience.

[12]  Le demandeur a déposé le 12 septembre 2018, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

III.  La décision de la SPR

[13]  La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité après examen des éléments de preuve suivants :

  • L’affidavit de M. Jama Ahmed Sahal, souscrit le 19 mai 2017. Monsieur Sahal a obtenu le statut de réfugié au Canada en août 2015. Il déclare avoir rencontré le demandeur en juillet 2012, alors qu’il aidait l’oncle de ce dernier à vendre ses chameaux dans la ville de Hagar. Il ajoute avoir de nouveau rencontré le demandeur au Canada le 1er mai 2017 dans un restaurant, et il précise : [traduction] « Warsamie m’a alors demandé de témoigner lors de l’audience relative à sa demande d’asile pour établir son identité personnelle et sa citoyenneté et j’aurais bien accepté de le faire, mais je serai à ce moment‑là à Edmonton pour rendre visite à des amis. »

  • L’affidavit du cousin du demandeur, M. Maryan Nur Warsamie (qui réside actuellement au Kenya), souscrit sous serment devant un notaire public kényan le 16 mai 2017. Le déposant déclare que son propre père et le père du demandeur sont frères, et que le demandeur est un citoyen somalien et un membre du clan Ogaden. Il ajoute s’être enfui au Kenya en juillet 2014 après que des militants de ce clan eurent tué son père parce qu’il avait donné de l’argent au demandeur pour l’aider à fuir la Somalie.

  • La carte d’autorisation d’emploi délivrée au demandeur par les autorités américaines, valable du 29 mai 2015 au 28 mai 2016.

  • La lettre d’un agent d’intégration des immigrants au service de l’Organisation d’aide aux immigrants somaliens (la SIAO), datée du 23 mai 2017. Cet agent déclare s’être entretenu avec le demandeur et M. Sahal durant 30 à 40 minutes et pouvoir [traduction] « confirmer sans hésitation que [le demandeur] est un citoyen somalien originaire d’Afmadow et qu’il appartient au clan Ogaden ».

[14]  La SPR a d’abord rappelé que M. Sahal avait dit qu’il était à Edmonton pour rendre visite à des amis et ne pouvait se présenter à l’audience. Au cours de celle‑ci, le commissaire a demandé à M. Warsame pourquoi M. Sahal n’était toujours pas disponible, et le demandeur a répondu que ce dernier avait emménagé de manière permanente à Edmonton pour y trouver du travail. Après que le demandeur l’eut informé qu’il avait appelé M. Sahal deux jours avant l’audience et que ce dernier lui avait alors offert de lui téléphoner pendant celle‑ci, le commissaire a autorisé le demandeur à téléphoner à M. Sahal. Cependant, l’appel a été dirigé vers la messagerie, et après la fin de la communication, le téléphone du demandeur a sonné, indiquant que M. Sahal avait rappelé mais immédiatement raccroché.

[15]  Selon la SPR, M. Warsame aurait dû demander avant l’audience l’autorisation de faire entendre M. Sahal par téléphone. En fin de compte, la SPR a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur n’avait pas fait entendre M. Sahal, que ce soit par téléphone ou en personne, parce qu’il aurait été facile pour lui de le faire.

[16]  La SPR n’a accordé [traduction] « aucun poids » à l’affidavit de M. Sahal aux fins d’établissement de l’identité du demandeur, vu qu’elle doutait de la fiabilité de son témoignage. Selon elle, le contenu de cet affidavit ne concordait ni avec l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur ni avec l’annexe 12 (intitulée « Renseignements supplémentaires – Demandeurs d’asile au Canada ») du Formulaire de demande générique déposé au point d’entrée. D’après le demandeur, la distance entre les villes de Hagar et Afmadow est de 40 kilomètres. Or il n’est précisé ni dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA ni dans l’annexe 12 que le demandeur et son oncle ont franchi 40 kilomètres, d’Afmadow à Hagar, pour vendre les chameaux, que le demandeur a aidé son oncle à effectuer cette vente, ni que le demandeur est resté une semaine à Hagar. Il est plutôt indiqué dans l’exposé circonstancié que le demandeur vivait [traduction] « dans la clandestinité pendant ce temps, par crainte de violences claniques ». En outre, il est seulement indiqué dans l’annexe 12 que le demandeur a quitté Afmadow pour se rendre directement au Kenya. Du point de vue de la SPR, il était raisonnable de s’attendre à ce que l’exposé circonstancié du demandeur contienne les précisions en question.

[17]  La SPR a aussi attribué une faible valeur probante à l’affidavit du cousin, auquel elle n’a accordé non plus [traduction] « aucun poids ». Selon elle, cet affidavit ne faisait que répéter les allégations du demandeur selon lesquelles il est somalien, musulman adepte du soufisme, et de mère éthiopienne. La SPR a constaté que ledit affidavit restait muet sur les rapports entre le déposant et le demandeur ou la famille de ce dernier, sur le point de savoir s’ils avaient grandi ensemble, ainsi que sur les autres pays où le demandeur avait vécu et son statut, ou son absence de statut, dans ces pays.

[18]  La SPR a également souligné que le demandeur n’avait produit aucun élément d’information ni aucun document concernant sa demande d’asile aux États‑Unis. Elle n’a attribué [traduction] « aucun poids », aux fins d’établissement de son identité, à la carte d’autorisation d’emploi délivrée par les autorités américaines. Elle a ajouté que le demandeur n’avait proposé aucune explication raisonnable de son défaut de produire de tels éléments. Selon la SPR, ceux‑ci auraient corroboré l’historique donné par lui de ses déplacements, auraient démontré qu’il ne possédait pas de statut dans un autre pays et se seraient révélés pertinents pour l’établissement de son identité nationale. Elle a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur n’a pas produit ces renseignements.

[19]  S’agissant de la lettre de la SIAO, la SPR s’est dite d’avis que la connaissance de la langue somalie et de la culture somalienne n’établit pas la citoyenneté. Qui plus est, l’auteur de cette lettre s’est fié au témoignage de M. Sahal, qui aurait dû être disponible comme témoin à l’audience. Selon la SPR, rien dans la lettre en question ne précisait en quoi elle permettait d’établir la citoyenneté de M. Warsame, de sorte qu’elle était dépourvue de valeur probante et qu’on ne pouvait lui attribuer [traduction] « aucun poids » aux fins d’établissement de l’identité du demandeur.

[20]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités, étant donné l’absence de témoignage de vive voix, le caractère douteux des affidavits, le fait que les pièces justificatives n’avaient aucune valeur probante et l’omission de produire des documents relatifs à la demande d’asile formée aux États‑Unis.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle

[21]  Le demandeur a déposé devant la SAR les documents suivants à titre de nouveaux éléments de preuve à verser à son dossier :

  • L’affidavit de M. Adam Ally Abdi (M. Adam), un citoyen canadien, souscrit le 10 novembre 2017. Monsieur Adam y déclare qu’il a rencontré le demandeur en Somalie dans les années 1980, puis en 2012, et que son père était lié d’amitié avec le père et l’oncle de M. Warsame.

  • Le passeport canadien de M. Adam, ainsi qu’une lettre de l’employeur de ce dernier à Toronto, portant que M. Adam s’était rendu à Edmonton dans un camion de l’entreprise, qu’il y était resté du 25 mai au 14 juin 2017, qu’il avait demandé un congé pour rendre visite à des membres de sa famille en Europe, qu’il était parti pour l’Europe le 12 juillet 2017 et qu’il était revenu à Toronto le 6 octobre suivant.

  • La lettre d’un tribunal d’immigration américain, datée du 12 septembre 2017, faisant état du report de l’audience relative à la demande d’asile du demandeur à 2020, et le courriel du 27 octobre 2017 par lequel l’adjoint juridique de l’avocat américain du demandeur lui avait transmis cette lettre.

[22]  La SAR fait d’abord remarquer que, selon l’affidavit de M. Adam, lui et le demandeur, après l’arrivée de ce dernier au Canada, se sont rencontrés dans un restaurant à Toronto. Il n’est pas précisé dans l’affidavit à quel moment cette rencontre a eu lieu, mais il y est indiqué que M. Warsame n’a jamais demandé à M. Adam de témoigner pour lui à l’audience de la SPR. La SAR en conclut que la rencontre s’est produite avant l’audience et la décision. La SAR ajoute ensuite que même si l’affidavit a été signé après la décision de la SPR, le seul événement postérieur à cette décision qui y est mentionné est le voyage de M. Adam en Europe. Jugeant que le voyage de M. Adam en Europe n’est pas pertinent pour la [traduction] « question centrale » de l’identité du demandeur, la SAR rejette donc l’affidavit de M. Adam et les pièces qui y sont annexées. Elle ajoute : [traduction] « [A]ucun argument n’indique de quelle autre manière les documents proposés répondent aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR […] La SAR ne voit pas de quelle autre manière évidente les documents proposés répondent aux exigences du paragraphe 110(4). »

[23]  La SAR juge ensuite non admissible la lettre des autorités d’immigration américaines. À son avis, s’il est vrai que cette lettre est nouvelle, sa seule utilité est de confirmer que M. Warsame a demandé l’asile aux États‑Unis; son contenu ne se rapporte en rien à la question centrale de l’identité du demandeur et se révèle donc dénué de pertinence.

[24]  S’agissant de la question de l’identité, la SAR examine d’abord l’argument du demandeur selon lequel la SPR aurait commis une erreur parce qu’elle n’a pas pris en considération, aux fins d’établissement de son identité, sa connaissance du somali et son ethnicité somalienne. Le demandeur avait invoqué une autre décision de la SAR, selon laquelle l’origine somalienne est un facteur pertinent pour établir la citoyenneté somalienne. Cependant, la formation saisie de l’appel du demandeur ne s’estimait pas liée par cette décision, aux motifs qu’elle avait été rendue par un seul commissaire et ne figurait pas dans les guides jurisprudentiels. En fin de compte, la SAR a confirmé la décision de la SPR, essentiellement pour les mêmes motifs, à savoir que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités.

V.  Les questions en litige

[25]  La présente demande soulève deux questions déterminantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a jugé que l’affidavit de M. Adam et les pièces qui y sont annexées n’étaient pas des nouveaux éléments de preuve admissibles?

  2. La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités est‑elle déraisonnable?

VI.  La norme de contrôle

[26]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SAR concernant l’identité du demandeur est celle de la décision raisonnable, étant donné que l’examen de la question de l’identité se fonde essentiellement sur des faits (Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182 [Denis]). La norme de contrôle applicable à la décision de la SAR de ne pas juger admissibles de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la LIPR est la même (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, aux paragraphes 22 à 30 [Singh]).

VII.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a jugé que l’affidavit de M. Adam et les pièces qui y sont annexées n’étaient pas des nouveaux éléments de preuve admissibles?

[27]  Le demandeur fait valoir que son conseil a soutenu devant la SAR que l’affidavit de M. Adam répondait à l’une des exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR, à savoir que cet élément n’était pas normalement accessible au moment du rejet de la demande d’asile par la SPR parce que M. Adam était allé à Edmonton et se trouvait en Europe à la date de l’audience de cette demande, soit le 2 août 2017. Qui plus est, il est vrai que le demandeur avait rencontré M. Adam avant l’audience devant la SPR, mais il avait également tenté en vain de le joindre à son travail plus tard, à une date antérieure aussi à l’audience. La SAR a écarté l’affidavit de M. Adam sans prendre ces arguments en considération. Selon le demandeur, il n’est pas important de savoir si c’était avant l’audience qu’il avait demandé à M. Adam de témoigner, puisque celui‑ci n’était pas disponible pour livrer son témoignage au moment de cette audience.

[28]  Le défendeur fait valoir que la SAR a conclu à raison que l’affidavit de M. Adam est inadmissible parce qu’il ne répond pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Le défendeur ajoute que M. Adam déclare dans cet affidavit que M. Warsame ne lui a pas demandé de témoigner à l’audience. Selon le défendeur, comme il n’a jamais été demandé à M. Adam de témoigner, il n’est pas important de savoir s’il était disponible pour le faire; cependant, si on lui avait demandé de témoigner, la SAR aurait pu se demander si son témoignage sur les nouveaux éléments de preuve était normalement accessible. Le défendeur souscrit à la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas présenté d’observations expliquant en quoi l’affidavit répondait aux exigences du paragraphe 110(4) : les observations formulées par le demandeur devant la SAR n’abordaient pas la question de savoir si l’affidavit était normalement accessible parce que celui‑ci n’avait jamais demandé à M. Adam de témoigner devant la SPR.

[29]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR subordonne à trois conditions disjonctives l’admission de nouveaux éléments de preuve en appel devant la SAR : 1) il doit s’agir d’éléments survenus depuis le rejet de la demande d’asile, ou 2) qui n’étaient alors pas normalement accessibles, ou 3) s’ils l’étaient, que le demandeur d’asile n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[30]  La question que doit trancher la Cour n’est pas celle de savoir si la SAR aurait dû juger admissibles les nouveaux éléments de preuve en question, mais plutôt celle de savoir si la décision de la SAR de ne pas les juger admissibles est raisonnable (Bilbili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1188, au paragraphe 19; Walite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 49, au paragraphe 30). Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la décision de la SAR de ne pas juger admissible l’affidavit de M. Adam était déraisonnable.

[31]  Le demandeur a déposé devant la SAR un affidavit expliquant pourquoi l’affidavit de M. Adam n’était pas normalement accessible au moment du rejet de sa demande d’asile par la SPR :

[traduction] Je confirme ne pas avoir demandé à M. ADAM ALLY ABDI, lors de notre rencontre, de témoigner pour moi à mon audience. J’avais cherché à le rencontrer, parce que je savais qu’il était au Canada. J’ai demandé des informations à son sujet à des membres de la communauté somalienne. Il m’a donné son numéro de téléphone au travail, où j’ai plus tard tenté de le joindre. Un de ses collègues m’a dit qu’il était absent pour un certain temps. M. Adam m’a rappelé après que j’eus reçu la décision de la Section de la protection des réfugiés. Il m’a dit qu’il pourrait m’aider à prouver mon identité.

[32]  Sur ce point, M. Adam donne les précisions suivantes dans son affidavit :

[traduction]

Je n’ai appris que M. WARSAMIE ESSIE WARSAMIE [sic] était à Toronto que lorsque nous nous y sommes rencontrés dans un restaurant […] Il m’a informé qu’il me cherchait, mais je n’avais pas entendu dire qu’il était au Canada avant que nous nous rencontrions ainsi par hasard. Il était attablé en compagnie d’autres personnes dans le restaurant quand j’y suis entré avec un ami. Je lui ai donné mon numéro professionnel parce que je suis au travail la plupart du temps. Il m’a lui aussi donné son numéro. Je lui ai téléphoné à mon retour d’Europe pour prendre de ses nouvelles et savoir où en était sa demande d’asile. Il m’a appris que celle‑ci avait été rejetée parce que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas une confirmation fiable de son identité. Je lui ai alors dit que j’étais disposé à l’aider à prouver qu’il est citoyen somalien parce que je l’ai connu en Somalie.

M. WARSAMIE ESSIE WARSAMIE [sic] ne m’a pas demandé de témoigner pour lui à l’audience de la Section de la protection des réfugiés. De toute manière, je n’aurais pas été disponible. Je devais quitter Toronto pour me rendre à Edmonton, où j’allais rester environ deux semaines à la fin de mai et au début de juin […] La durée de mon séjour à Edmonton n’était pas fixée à l’avance. Je n’aurais pas été disponible pour faire dresser un affidavit par son avocat ni pour témoigner par téléphone.

J’étais en Europe du 2 juillet au 6 octobre 2017.

[33]  Le demandeur a expliqué pourquoi les éléments de preuve relatifs à son identité produits au moyen de l’affidavit de M. Adam n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de sa demande d’asile par la SPR. Pour l’essentiel, le demandeur a expliqué que, après avoir rencontré M. Adam au Canada mais avant le rejet de la demande d’asile prononcé par la SPR le 11 août 2017, il avait téléphoné à ce dernier à son lieu de travail, en utilisant le numéro communiqué par lui, mais n’avait pu le joindre. Il est vrai que M. Warsame aurait pu demander à M. Adam soit de souscrire un affidavit, soit de se présenter pour témoigner de vive voix avant de quitter le Canada, mais il a expliqué dans ses observations qu’il ne savait pas que M. Adam allait partir à l’étranger et ne pourrait être joint à son lieu de travail, et celui‑ci n’était rentré au Canada qu’en octobre 2017, après le rejet de la demande d’asile par la SPR.

[34]  Il importe peu de savoir si cette explication mène à la conclusion selon laquelle le témoignage de M. Adam n’était pas normalement accessible, ou si elle répond à d’autres égards aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR, parce que la SAR ne l’a manifestement pas prise en considération dans ses motifs. Après avoir observé que le demandeur et M. Adam s’étaient rencontrés avant l’audience de la SPR et que le premier n’avait pas demandé au second de souscrire un affidavit, sans toutefois tirer de conclusion de ces observations particulières, la SAR a plutôt écarté l’affidavit de M. Adam au motif que cet élément de preuve n’était pas survenu après le rejet de la demande d’asile par la SPR (c’est‑à‑dire qu’il ne constituait pas un nouvel élément de preuve). Comme le demandeur le fait observer, ce fait ressort à l’évidence du passage suivant des motifs de la SAR : [traduction] « [S]auf le fait que la lettre [sic] a été signée après la date de la décision de la SPR, aucun argument n’indique de quelle autre manière les documents proposés répondent aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR […] La SAR ne voit pas de quelle autre manière évidente les documents proposés répondent aux exigences du paragraphe 110(4). »

[35]  Cette conclusion n’était pas raisonnable. Lorsqu’on lui présente explicitement des arguments sur la manière dont les nouveaux éléments de preuve répondent à au moins une des conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR ne peut se contenter d’analyser les éléments en fonction d’une seule de ces conditions, par exemple la nouveauté de la pièce en question, et les écarter sans les apprécier à la lumière des autres conditions disjonctives que la disposition énonce (Denis, au paragraphe 63; Ajaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 928, aux paragraphes 53 à 58; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, au paragraphe 17). Les motifs de la SAR ne paraissent contenir aucune appréciation ou mention des explications fournies par le demandeur, selon lesquelles il a tenté en vain, après avoir rencontré M. Adam, de le joindre au moyen des coordonnées que celui‑ci lui avait communiquées, pour affirmer que les éléments de preuve en question n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de la demande d’asile par la SPR.

[36]  À cet égard, les motifs de la SAR sont dénués de justification, de transparence et d’intelligibilité, puisqu’il est difficile de comprendre pourquoi elle a jugé non admissibles les nouveaux éléments de preuve (Agyemang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 265, aux paragraphes 20 à 23; et Dunsmuir [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Cette erreur susceptible de contrôle, à elle seule, justifie un nouvel examen de l’affaire par un tribunal différemment constitué de la SAR (Ogundipe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 771, au paragraphe 29; Jeyakumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 241, au paragraphe 25).

B.  La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités est‑elle déraisonnable?

[37]  Le demandeur soutient que la SAR n’a pas effectué une évaluation raisonnable des affidavits de son cousin et de M. Sahal. Selon lui, les motifs de la SAR sont dépourvus de transparence et d’intelligibilité puisqu’il n’y est pas fait mention du contenu de ces affidavits. Le demandeur a contesté devant la SAR la conclusion de la SPR selon laquelle l’affidavit de M. Sahal entrait ne concordait pas avec son propre exposé circonstancié concernant le voyage à Hagar. Il fait valoir que la SAR n’a pas pris ces arguments en considération dans ses motifs, sauf pour dire qu’elle attribuait [traduction] « peu de poids » à l’affidavit en question. En outre, le demandeur affirme que la SAR n’a pas tenu compte de son argument selon lequel il fallait accorder aux affidavits une valeur probante particulière parce qu’ils constituaient des déclarations sous serment corroborant les autres éléments de sa preuve (Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 462 [Husian]).

[38]  Le demandeur soutient également que l’appréciation de la lettre de la SIAO par la SAR était déraisonnable parce qu’elle ne l’a pas évaluée en fonction des autres éléments de preuve produits au dossier. Il invoque à cet égard le jugement Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 11 (Ibrahim), aux paragraphes 14 et 15, où la Cour a estimé déraisonnable de la part de la SAR d’écarter une lettre de la SIAO comme preuve d’identité. Selon le demandeur, ce jugement montre que les lettres d’organismes établis constituent des éléments que peuvent légitimement produire les demandeurs d’asile somaliens pour prouver leur identité.

[39]  Enfin, le demandeur soutient que la SAR n’a pas abordé les arguments qu’il a présentés sur la citoyenneté somalienne, dont le fait qu’il est somalien parce que son père l’était et parce qu’il est lui‑même d’ethnie et de culture somaliennes. Selon le demandeur, notre Cour a tiré cette conclusion dans un jugement antérieur (Husian, aux paragraphes 21 à 24) et il avait aussi invoqué une décision postérieure à celle‑ci, rendue par un autre tribunal de la SAR. La SAR n’a pas suivi le jugement de la Cour et a plutôt conclu qu’elle n’était pas liée par la décision rendue par un autre tribunal de la SAR.

[40]  Le défendeur soutient que la SAR a donné une appréciation raisonnable des deux affidavits et de la lettre de la SIAO, au motif que le demandeur n’avait pas produit de document officiel ni fait entendre des témoins de vive voix pour établir son identité. En outre, mis à part le fait qu’elle leur a accordé [traduction] « peu de poids » au lieu d’[traduction] « aucun poids », la SAR a confirmé l’analyse effectuée par la SPR des documents d’identification produits (c’est‑à‑dire qu’elle leur a attribué une faible valeur probante en s’appuyant sur les motifs énoncés par la SPR). Ces documents présentaient des défauts apparents que la SPR a soulignés et que la SAR a ensuite retenus.

[41]  S’agissant de la citoyenneté du demandeur, le défendeur soutient que la SAR n’était pas liée par le jugement Husian en l’espèce. Il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que l’ethnicité somalienne ne prouve pas automatiquement la citoyenneté somalienne. En réalité, l’ethnicité n’est qu’un élément parmi d’autres qui peuvent servir à établir la citoyenneté.

[42]  Bien que la décision de la SAR de ne pas juger admissibles les nouveaux éléments de preuve du demandeur soit une erreur susceptible de contrôle et qu’à elle seule elle justifie le renvoi de la présente affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci rende une nouvelle décision, certaines observations s’imposent concernant la manière dont la SAR a apprécié les éléments de preuve produits pour établir l’identité du demandeur.

[43]  Rappelons d’abord qu’il est de droit constant que la SAR doive instruire à nouveau l’affaire depuis le début pour apprécier la preuve dont elle dispose, c’est‑à‑dire qu’elle doit examiner la décision de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 70 et 103). De plus, l’examen par notre Cour de la norme de contrôle appliquée par la SAR est lui‑même soumis à la norme de la décision raisonnable. Cependant, il est permis à la SAR de s’en remettre aux conclusions de fait de la SPR dans les cas où celle‑ci jouissait d’un avantage par rapport à elle, par exemple s’agissant d’évaluer la crédibilité du demandeur d’asile lorsque le son témoignage de vive voix ne peut être inclus dans le dossier dont dispose la SAR (Rozas Del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, aux paragraphes 90, 91 et 105. Cela dit, la SPR ne dispose pas en général d’un avantage notable sur la SAR concernant l’appréciation de la preuve documentaire, notamment les documents d’identification, à moins qu’elle ne soit la seule des deux à avoir pu examiner les originaux des documents en question (Jadallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240, au paragraphe 54; Denis, au paragraphe 37).

[44]  Il suit de ces principes que la SAR n’avait en l’espèce aucune raison de s’en remettre aux conclusions de fait de la SPR, puisque celle‑ci ne disposait pas à cet égard d’un avantage sensible sur elle. Les deux tribunaux ont pu examiner les mêmes documents (les affidavits originaux), et le dossier de la SAR contenait l’enregistrement intégral de l’audience de la SPR.

[45]  Par conséquent, la Cour conclut que la SAR s’en est remise à tort aux conclusions de fait de la SPR sans apprécier de manière indépendante la preuve dont elle disposait et qu’elle n’a pas rempli son rôle de tribunal d’appel comme elle l’aurait dû (Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182, au paragraphe 33; Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278, aux paragraphes 17 à 19).

[46]  La décision de la SAR comporte pour l’essentiel sept paragraphes relatifs à l’identité du demandeur. La SAR y a formulé à ce sujet les quatre conclusions suivantes (ici résumées par la Cour), qui ne représentent guère plus qu’un abrégé de la décision de la SPR :

L’aptitude du demandeur à parler somali et son ethnicité peuvent contribuer à prouver son identité personnelle et sa citoyenneté somalienne, mais ne les prouvent pas automatiquement. La SAR souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la connaissance de la Somalie et de sa langue ne signifie pas nécessairement qu’on est citoyen somalien. (Paragraphes 31 et 36 de la décision de la SAR.)

Le demandeur d’asile qui ne dispose pas de pièces d’identité officielles doit exercer toute la diligence raisonnable pour se procurer tous documents disponibles tendant à prouver son identité. [traduction] « La SPR a estimé que l’appelant n’avait pas rempli cette obligation, étant donné que l’appelant n’a pas pris des mesures adéquates pour faire entendre le témoin qui aurait pu confirmer son identité d’origine, ou d’obtenir les pièces relatives à sa demande d’asile aux États‑Unis. » (Paragraphe 32 de la décision de la SAR.)

La SPR a souligné que la preuve du demandeur posait problème en ce qu’il n’a jamais relaté avoir rencontré M. Sahal ou être resté chez lui à Hagar, ces éléments ne figurant ni dans son formulaire FDA ni dans l’annexe 12 des formulaires remplis au point d’entrée (paragraphe 33 de la décision de la SAR). 

La SPR a commis une erreur en n’attribuant [traduction] « aucun poids » aux éléments de preuve produits par le demandeur. La SAR [traduction] « souscrit aux motifs de la SPR concernant ces documents, selon lesquels ils ont peu de valeur ». La SAR attribue à ces documents [traduction] « peu de poids » au lieu de ne leur accorder [traduction] « aucun poids ». (Paragraphes 35 à 37 de la décision de la SAR.)

[47]  Premièrement, bien que le fait pour la SAR d’observer que les éléments établissant l’ethnicité somalienne du demandeur et sa connaissance du somali ne prouvent pas [traduction] « automatiquement » son identité nationale ou personnelle ne constituait pas une erreur, sa décision d’écarter la lettre de la SIAO pour ce seul motif n’était pas raisonnable. La Cour a déjà fait remarquer : « Il faut considérer la preuve dans son ensemble. Aucun élément ne doit être écarté simplement parce qu’il est un élément. » (Warsame c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 118, aux paragraphes 16 à 18; Teganya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 42, au paragraphe 25.) La SAR analyse essentiellement cet élément de preuve isolément, et non d’un point de vue téléologique et contextuel qui tient compte des autres éléments de preuve dont elle dispose. Elle a ainsi commis une erreur susceptible de contrôle.

[48]  Comme le demandeur l’a fait observer, les lettres ou affidavits émanant d’agents d’intégration de telles organisations d’aide aux immigrants peuvent être, dans les cas qui le justifient, des facteurs permettant d’établir l’identité, même si la preuve d’identité ne peut reposer sur un seul de ces documents : on ne devrait donc pas les écarter d’emblée. Cette remarque est d’autant plus importante, compte tenu de la disposition suivante de la loi somalienne sur la citoyenneté : [traduction] « Pour l’application de la présente loi, quiconque appartient à la nation somalienne par son origine, sa langue ou sa tradition est considéré comme "somalien". » (Husian, aux paragraphes 20 et 21; Ibrahim, aux paragraphes 14 et 15; Nur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 636, au paragraphe 30.)  

[49]  Deuxièmement, cette conclusion pose particulièrement problème dans la présente espèce, étant donné que la SAR semble souscrire à l’inférence défavorable tirée par la SPR des éléments de preuve que le demandeur n’a pas produits (il n’a pas fait entendre un témoin à l’audience, il n’a pas fourni des pièces d’identité officielles ou des documents relatifs à la demande d’asile présentée aux États‑Unis).

[50]  Il est de notoriété publique qu’il est pratiquement impossible d’obtenir des [traduction] « pièces officielles » de l’État somalien et que les demandeurs d’asile somaliens doivent recourir à des sources secondaires pour établir leur identité (Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1164, au paragraphe 9; Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 22; Anto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 125, au paragraphe 22; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 688, au paragraphe 6). Qui plus est, après avoir elle‑même fait remarquer que les documents relatifs à la demande d’asile aux États‑Unis n’étaient pas pertinents pour établir l’identité du demandeur, elle a jugé inadmissibles les nouveaux éléments de preuve concernant le report de l’examen de cette demande. Je conviens que ces documents ne seraient vraisemblablement pas d’une grande utilité pour établir l’identité du demandeur. Quoi qu’il en soit, la SAR ne pouvait raisonnablement se fonder sur l’absence de documents relatifs à la demande d’asile présentée aux États‑Unis pour confirmer la conclusion défavorable de la SPR après avoir elle‑même jugé que ces documents étaient des nouveaux éléments de preuve inadmissibles en raison de leur non‑pertinence. Enfin, bien que le demandeur n’ait pas pris d’autres mesures pour faire entendre un témoin de vive voix à l’audience sur la question de son identité et qu’on puisse affirmer qu’il était loisible à la SAR de tirer une inférence défavorable de cette omission, la SAR avait néanmoins l’obligation de se livrer à sa propre appréciation des éléments de preuve relatifs à l’identité que contenait le dossier dont elle disposait, soit les deux affidavits et la lettre de la SIAO.

[51]  Troisièmement, la SAR n’a pas justifié par des motifs indépendants, transparents et intelligibles le [traduction] « peu de poids » attribué aux éléments de preuve que le demandeur a effectivement produits.

[52]  S’agissant de l’affidavit de M. Sahal, la SAR a pour l’essentiel fait sienne la conclusion de la SPR selon laquelle le fait pour le demandeur de ne pas avoir mentionné dans son formulaire FDA ou dans l’annexe 12 qu’il s’était rendu à Hagar pour vendre les chameaux donnait à penser que cet affidavit ne concordait pas avec les autres éléments de preuve qu’il avait produits. La Cour reconnaît qu’on peut fort bien mettre en doute, à partir de l’énoncé de l’affidavit selon lequel le demandeur et M. Sahal se sont rencontrés en Somalie pour la première fois en juillet 2012, l’utilité de l’affidavit pour établir l’identité du demandeur – même si le déposant précise avoir des liens d’amitié avec l’oncle de M. Warsame. Cela dit, la Cour estime que les renseignements contenus dans cet affidavit concernant l’historique des déplacements du demandeur à l’intérieur de la Somalie ne permettent pas d’établir son identité, et que c’est sur ce fondement que la SAR a écarté ledit affidavit (Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118, aux paragraphes 3 à 8; Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4, aux paragraphes 42 à 47; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 103, aux paragraphes 13 à 18).

[53]  En outre, il n’était pas raisonnable pour la SAR d’écarter l’affidavit du cousin en lui attribuant [traduction] « peu de poids » sans fournir ses propres motifs. Bien que cet affidavit ne soit pas détaillé, le cousin y atteste que son père et le père du demandeur sont frères, et que lui‑même et le demandeur sont somaliens et appartiennent au clan Ogaden. Il ne ressort pas de ses motifs que la SAR a examiné cet affidavit et évalué s’il permettait d’établir l’identité du demandeur comme ressortissant somalien et membre du clan Ogaden. Qui plus est, le demandeur a présenté à la SAR des observations – qu’elle n’a pas non plus prises en considération – portant que, selon la loi somalienne sur la citoyenneté, une personne dont le père est somalien est en général considérée comme un citoyen somalien (Husian, au paragraphe 21).

VIII.  Conclusion

[54]  Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SAR est déraisonnable. Elle accueille la présente demande de contrôle judiciaire, annule la décision de la SAR et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SAR qui devra rendre une nouvelle décision. Il n’a pas été proposé de question de portée générale aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑4616‑18

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR qui devra rendre une nouvelle décision. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier. Il n’est pas adjugé de dépens.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4616‑18

INTITULÉ :

WARSAMIE ESSIE WARSAME c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coutts Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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