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Date : 20190711


Dossier : IMM‑6615‑18

Référence : 2019 CF 915

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

MAJOR SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision (la décision), datée du 18 mai 2018, par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rejeté sa demande de permis de séjour temporaire (PST) sur le fondement du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.  Intitulé

[2]  Le demandeur a désigné le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada comme défendeur dans la présente affaire. Cependant, le défendeur est plutôt le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, article 5(2), et Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au paragraphe 4(1)). Le nom du défendeur qui figure dans l’intitulé de la cause sera par conséquent remplacé par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

III.  Contexte factuel

[3]  Le demandeur, un citoyen indien âgé de 49 ans, est entré au Canada en 2012 muni d’un permis de travail valide. Il a travaillé comme assembleur d’articles en bois au sein de l’entreprise A1 Trusses Ltd. En avril 2015, à la suite d’une promotion, il est devenu superviseur de l’assemblage d’ouvrages de menuiserie. Son permis de travail arrivant à expiration le 28 juillet 2017, le demandeur a présenté une demande afin d’en obtenir la prorogation. Le demandeur affirme avoir reçu l’aide d’un consultant en immigration à cette fin. Cependant, CIC ne possédait aucun document indiquant que le demandeur était représenté.

[4]  Le 2 novembre 2017, CIC a appelé le demandeur pour une question relative au paiement des frais de traitement de 155 $. Selon le demandeur, son consultant lui aurait dit que l’appel était probablement frauduleux. En suivant son conseil, le demandeur n’a pas rappelé. Le 22 novembre 2017, les frais de traitement demeurant non payés, la demande de prorogation de permis de travail a été rejetée.

[5]  Le 2 janvier 2018, le demandeur a présenté une demande de PST pour régulariser son statut. Une autre consultante en immigration l’a aidé. La demande de PST a été refusée dans une lettre datée du 18 mai 2018. L’agent a conclu que la raison principale pour laquelle le demandeur était demeuré au Canada était le travail; qu’il n’avait établi l’existence d’aucune circonstance unique, assortie de motifs impérieux, qui justifierait de passer outre à l’interdiction de territoire dont il faisait l’objet pour avoir dépassé la durée du séjour autorisé; et, enfin, qu’il n’y avait aucun risque à exiger que le demandeur présente une demande depuis son pays d’origine afin d’obtenir un PST et un nouveau permis de travail.

[6]  Le demandeur prétend que ni lui, ni ses consultants — l’ancien et l’actuelle — n’ont reçu cette lettre.

[7]  Le 25 septembre 2018, la nouvelle consultante du demandeur a envoyé une question par courriel au sujet de l’état de la demande de PST. Le 2 octobre 2018, CIC a répondu par courriel que la demande avait été refusée, et qu’un courriel expliquant la décision avait été envoyé à la consultante le 18 mai 2018. Le 17 octobre 2018, la consultante a demandé un exemplaire de la décision. Le 5 décembre 2018, CIC a transmis un exemplaire de la lettre de refus.

[8]  Le 31 décembre 2018, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Dans cette demande, il sollicitait aussi une prorogation de délai en vertu de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR.

[9]  Le 25 avril 2019, la Cour a accordé l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire. En revanche, le juge ne s’est pas prononcé sur la question de la prorogation du délai. Il n’y a pas lieu d’inférer de la décision d’un juge d’accorder l’autorisation qu’il a aussi accordé une prorogation du délai : Cornejo Arteaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 868, aux paragraphes 12 et 13. Par conséquent, la question préliminaire à trancher en l’espèce consiste à savoir s’il y a lieu d’accorder une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire.

A.  Une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire devrait‑elle être accordée?

[10]  Pour obtenir une prorogation du délai, le demandeur doit démontrer : qu’il a l’intention constante de poursuivre sa demande; que sa demande est bien fondée; que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du retard; et qu’il existe une explication raisonnable qui le justifie (Chan c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CAF 130).

[11]  Le délai prévu à l’alinéa 72(2)b) de la LIPR pour la présentation d’un avis de demande est de 15 jours à compter du moment où le demandeur est mis au courant, par un avis ou un autre moyen, de la décision contestée. Les notes que CIC a consignées dans le dossier du demandeur établissent que la décision contestée a été envoyée le 18 mai 2018 à la bonne adresse électronique de l’avocat du demandeur. Celui-ci l’a admis lors de l’audience. Dans l’affaire Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12, le juge Robert Barnes a conclu que, lorsqu’une communication est envoyée correctement et qu’on n’a aucun indice que cette communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur.

[12]  Au paragraphe 5 de son affidavit, le demandeur déclare laconiquement ne pas avoir reçu ni vu la lettre avant le [traduction] « décembre 2018 », et ajoute que ses représentants, anciens et actuel, lui avaient indiqué [traduction] « ne pas l’avoir reçue non plus ». Au paragraphe 6, il déclare : [traduction] « à l’été et au début de l’automne 2018, dans nos discussions, nous nous demandions ce qui avait pu se passer avec notre demande de PST ». Le demandeur soutient que ses actions, par exemple le courriel de suivi envoyé par son actuelle représentante, démontrent qu’il a agi le plus rapidement possible, compte tenu des circonstances. Je ne suis pas de cet avis.

[13]  Dès lors que le ministre a eu prouvé que la communication avait été envoyée et qu’aucun message d’échec d’envoi n’avait été reçu, c’est au demandeur qu’incombait le risque de défaut de livraison. Il revenait donc à ce dernier de démontrer que l’adresse électronique de la consultante fonctionnait correctement, mais qu’elle n’avait pas reçu le courriel de CIC pour une raison quelconque. Seule la consultante pourrait le dire. La Cour tire une inférence défavorable de l’absence de présentation d’éléments de preuve directs par la consultante actuelle du demandeur afin de réfuter la présomption de communication de la décision du 18 mai 2018.

[14]  Quoi qu’il en soit, il ressort clairement du témoignage du demandeur que sa consultante a été mise au courant de la décision défavorable le 2 octobre 2018. Or, rien n’explique le fait qu’elle ait attendu plus de deux semaines avant de demander un exemplaire de la décision. De plus, rien n’explique pourquoi le demandeur n’a pas présenté sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire dès le moment où sa consultante a reçu un exemplaire de la décision, le 5 décembre 2018. Compte tenu des problèmes déjà rencontrés par le demandeur et ses consultants dans leurs communications antérieures avec CIC, on aurait pu s’attendre à une vigilance accrue de leur part pour ce qui est de veiller à ce que la demande d’autorisation soit déposée en temps opportun. L’attitude nonchalante du demandeur relativement à la demande de contrôle judiciaire est déconcertante.

[15]  Le demandeur n’a pas justifié de façon satisfaisante toute cette période de retard. Il n’a pas davantage démontré qu’il a agi en faisant preuve de diligence raisonnable à compter du moment où, le 2 octobre 2018, sa consultante a pris connaissance du refus de la demande de PST. Compte tenu des circonstances, j’estime qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai.

B.  La décision est‑elle déraisonnable?

[16]  Bien que, au sens strict, il ne soit pas nécessaire de le faire, je traiterai brièvement du bien‑fondé de la cause du demandeur.

[17]  Il est bien connu en droit que la norme de contrôle de la décision prise par un agent en vertu du paragraphe 24(1) de la LIPR est celle de la décision raisonnable, compte tenu de la nature hautement discrétionnaire et exceptionnelle de la dérogation prévue au paragraphe 24(1) (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1217, au paragraphe 12). La Cour n’interviendra que si la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas justifiée, transparente ou intelligible, et ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits particuliers de l’affaire et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47).

[18]  À l’audience, l’avocat du demandeur a reconnu que le pouvoir d’accorder un permis de séjour temporaire était de nature hautement discrétionnaire et exceptionnelle. Toutefois, il a fait valoir que l’agent avait commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances uniques de l’affaire, à savoir le caractère involontaire du défaut du demandeur de renouveler son permis de travail et le fait qu’il avait reçu de mauvais conseils de son premier consultant.

[19]  Le demandeur soutient que sa situation justifie la prise de la mesure prévue au paragraphe 24(1) de la LIPR afin d’atténuer les conséquences sévères d’une application stricte de la LIPR dans des circonstances exceptionnelles. Je ne suis pas de cet avis.

[20]  Le demandeur n’a pas contesté la décision antérieure de rejeter sa demande de prorogation de permis de travail fondée sur des circonstances atténuantes. C’était à ce moment‑là qu’il fallait soulever ces questions. Mais il a plutôt choisi de présenter une demande de PST. Or, les PST sont des permis qui « doivent être délivrés avec circonspection, car ils accordent à leurs détenteurs davantage de privilèges que les autres statuts temporaires » : Vaguedano Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 16).

[21]  L’article 24 de la LIPR exige que l’agent décide si les circonstances justifient l’octroi d’un PST. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’après tout, le demandeur n’a présenté aucun renseignement à l’agent quant à l’existence de raisons impérieuses, par exemple des difficultés ou une incapacité à retourner en Inde pour demander un permis de travail dans le cours normal des choses. À n’en pas douter, le retour en Inde sera difficile pour le demandeur, mais il s’agit malheureusement d’une des conséquences de l’inobservation des règles et des procédures en matière d’immigration.

[22]  Rien dans le dossier ne laisse entendre que le demandeur, s’il retourne en Inde, sera incapable d’y trouver du travail ou sera personnellement exposé à un risque pour sa vie et pour la sécurité de sa personne, ou que lui ou sa famille éprouveront des difficultés. Étant donné qu’un PST fait partie d’un « régime exceptionnel », sa délivrance doit être justifiée par des éléments de preuve démontrant quelque chose de plus qu’un simple inconvénient pour le demandeur (Sellappah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 198, au paragraphe 9). Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable.

[23]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de prorogation du délai et la demande de contrôle judiciaire sont rejetées. Les parties n’ont proposé la certification d’aucune question.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6615‑18

LA COUR STATUE que :

  1. Le nom du défendeur qui figure dans l’intitulé de la cause sera remplacé par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

  2. La demande de prorogation du délai est rejetée.

  3. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  4. Aucune question n’est certifiée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’août 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6615‑18

 

INTITULÉ :

MAJOR SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juillet 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Greg Lintz

 

Pour le demandeur

 

Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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