Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001107

Dossier : IMM-695-99

ENTRE :

                                        MOHAMMAD RAFIQ CHAUDHRY

                                              et SANA RAFIQ CHAUDHRY,

                                                                                                                           demandeurs,

                                                                    - et -

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                 ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                              défendeur.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

MADAME LE JUGE SIMPSON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ), à l'égard d'une décision en date du 21 janvier 1999 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) a statué que Mohammad Rafiq Chaudhry (le « demandeur » ) et sa fille Sana Rafiq Chaudhry n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


Les faits

[2]         Le demandeur, qui est âgé de 55 ans, est un citoyen du Pakistan. La deuxième demanderesse est sa fille, âgée de 16 ans, dont la revendication du statut de réfugié dépend entièrement de celle de son père.

[3]         Le demandeur est un Musulman de la ville de Lalamusa, située dans le Punjab pakistanais. Pendant vingt ans, soit jusqu'en 1989 environ, il a travaillé comme ingénieur mécanicien de marine dans la ville de Karachi. Le demandeur a vécu à Karachi, même s'il devait, dans le cadre de son emploi, travailler à bord de navires marchands.

[4]         Le demandeur a divorcé de son épouse en 1987 et a un fils de 14 ans qui vit avec sa mère. Les parents et cinq frères et soeurs du demandeur vivent au Canada; un frère, une soeur et un beau-frère ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada en raison de leurs opinions politiques. Au cours de son témoignage, le demandeur a dit que les membres de sa famille étaient de fervents partisans du parti du peuple pakistanais de Benazir Bhutto ( « P.P.P. » ) et que, pour cette raison, ils ont été persécutés au Pakistan par des partisans de la ligue musulmane ( « LM » ), dirigée (jusqu'à récemment) par Nawaz Sharif.


[5]         Il convient de souligner que le demandeur a dit au cours de son témoignage qu'il n'était pas un membre officiel du P.P.P. De plus, aucun élément de preuve n'indique qu'il a appuyé financièrement le parti ou qu'il a joué un rôle politique important à l'égard de l'ensemble du parti ou à l'égard de l'ancien premier ministre Bhutto. Il est évident que le demandeur et d'autres membres de sa famille ont appuyé le P.P.P., mais les liens qu'il a eus avec le parti se sont limités à des tâches bénévoles, à la participation à un grand rassemblement public et, tel qu'il est mentionné plus loin, à son travail comme garde de sécurité de Mme Bhutto.

[6]         En 1989, le demandeur a mis fin à l'emploi qu'il exerçait pour la société de navigation de Karachi, parce qu'il redoutait les conséquences de la criminalité et du conflit ethnique dans cette ville. Il a exprimé des craintes particulières au sujet des luttes ethniques opposant les Punjabis, les Sindhis et les Mohajirs. Lorsqu'il a quitté Karachi, il est retourné à sa ville natale de Lalamusa. Par la suite, il a dit au cours de son témoignage qu'à l'occasion, il a travaillé comme « garde de sécurité » pour Mme Bhutto, mais il appert clairement de la transcription de l'audience de la Commission qu'il n'a joué ce rôle que lorsque Mme Bhutto était en visite dans la région de Lalamusa.

[7]         Le demandeur a dit qu'en septembre ou octobre 1994, cinq hommes partisans de la LM ont fait irruption dans sa maison située à Lalamusa et l'ont pris en otage (le « rapt » ). Selon le demandeur, ils ont tué ses deux chiens et l'ont forcé à signer un chèque personnel de 100 000 roupies pakistanaises en faveur de l'un des ravisseurs. Le demandeur a également été contraint de signer une lettre ayant pour effet de transférer son véhicule automobile à la LM. Après l'avoir gardé en otage pendant trois jours, les ravisseurs ont pris la fuite.


[8]         Le demandeur a dit qu'il s'est rendu au poste de police local pour signaler l'incident. Il s'est alors fait dire que les ravisseurs avaient également tué un policier et que la police était convaincue que les agresseurs seraient bientôt attrapés. Quelques jours plus tard, le demandeur s'est rendu au poste de police du centre régional de Gujarat, où il a été informé qu'il devait faire son signalement à Lalamusa. Cependant, lorsqu'il est retourné au poste de police de Lalamusa, les policiers de l'endroit lui ont dit que, contrairement à ce qu'ils avaient déclaré précédemment, ils n'osaient pas affronter la LM.

[9]         Le 15 octobre 1995, au cours d'une marche matinale, un groupe d'hommes de la LM (dont il a pu donner le nom) ont confronté le demandeur et l'ont battu ( « l'agression » ) parce qu'il avait signalé le rapt à la police.

[10]       Le demandeur s'est rendu à un hôpital du gouvernement, mais les médecins ont refusé de le soigner, parce qu'ils craignaient la LM. Il a dû s'adresser à un établissement privé pour se faire traiter. Par la suite, lorsqu'il a tenté de signaler l'agression à la police, il s'est fait répondre que celle-ci ne pouvait rien faire, à moins qu'il n'ait en main un rapport médical appuyant ses dires, mais il n'avait aucun rapport médical parce que l'hôpital du gouvernement avait refusé de le soigner.

[11]       Le 1er novembre 1995, des hommes qui, selon lui, étaient des partisans de la LM, ont tiré des coups de fusil en direction de sa maison. Plus tard, alors qu'il parlait au représentant législatif local du P.P.P. à l'occasion d'un rassemblement à l'extérieur de la maison de celui-ci, un véhicule ayant à bord des terroristes de la LM a surgi et les tireurs ont ouvert le feu. Cinq travailleurs du P.P.P. ont été tués.


[12]       En février 1997, Nawaz Sharif a formé un gouvernement de la LM. Redoutant les partisans armés de la LM qui patrouillaient les rues de Lalamusa, le demandeur a gardé sa fille à la maison et a retenu les services d'un précepteur individuel. Neuf mois plus tard, le 12 novembre 1997, le demandeur et sa fille ont obtenu des passeports pakistanais et, le 29 novembre 1997, soit le lendemain de l'attaque des partisans de la LM à l'établissement de la cour suprême du Pakistan, des terroristes de la LM ont à nouveau tiré des coups de fusil en direction de la maison du demandeur et tué un autre chien.

[13]       Le 3 décembre 1997, le demandeur a obtenu des visas canadiens du bureau de l'immigration canadienne à Islamabad et, le 14 décembre de la même année, il s'est envolé vers Toronto avec sa fille. Deux mois plus tard, le 25 février 1998, le demandeur a déposé des revendications du statut de réfugié.

La décision de la Commission

[14]       La Commission a statué que l'histoire du rapt était peu plausible. Elle n'a pas cru que les ravisseurs auraient accepté un chèque personnel payable à l'un d'entre eux ainsi qu'une lettre de transfert à l'égard du véhicule, car ces documents auraient permis de trouver les individus en question. La Commission a souligné que, si les ravisseurs avaient effectivement tué un policier vers la date du rapt, il est peu probable qu'ils auraient agi de façon à permettre que leur identité soit connue.

[15]       La Commission n'a pas cru non plus l'allégation du demandeur au sujet de l'agression. Elle a souligné qu'il était peu probable [TRADUCTION] « que l'un ou l'autre des individus mentionnés relativement à cet incident se serait volontairement impliqué dans le rapt survenu un an plus tôt en agressant le demandeur en raison du signalement qu'il avait fait à la police » .


[16]       De plus, la Commission a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur ( « PRI » ) à Karachi, où il avait vécu pendant plusieurs années. Lorsque la Commission l'a interrogé au sujet de la possibilité de retourner là-bas, le demandeur a dit qu'il craignait la criminalité et la lutte ethnique à cet endroit. Cependant, il n'a pas dit qu'il craignait d'être persécuté à Karachi par une personne ou entité quelconque pour un motif prévu à la Convention. La Commission a souligné qu'aucun élément de preuve n'indiquait que le demandeur ou sa famille risquait davantage d'être persécuté que les autres personnes se trouvant dans la ville. Elle a ajouté qu'aucun élément de preuve documentaire n'indiquait une persécution systématique des membres du P.P.P. à Karachi. Enfin, elle a précisé que la preuve n'indiquait nullement que des personnes comme le demandeur, qui possède des richesses et une position sociale, étaient plus vulnérables que d'autres résidents de Karachi.

Les questions en litige

[17]       Le litige porte sur la question de savoir si la Commission a tiré des conclusions raisonnables en ce qui concerne (i) le rapt et l'agression dont le demandeur aurait été victime et (ii) l'existence d'une PRI à Karachi pour le demandeur. J'examinerai chacun de ces aspects à tour de rôle.

(i)          Le rapt et l'agression


[18]       La Commission a conclu que le rapt n'était pas survenu pour les raisons suivantes : (i) il était peu probable que l'un des ravisseurs aurait demandé un chèque à son nom, parce que ce chèque aurait révélé l'identité de cet individu, et (ii) la lettre de transfert aurait également indiqué l'identité du cessionnaire. Il a été mentionné clairement au cours de la présentation de la preuve que l'un des ravisseurs a demandé un chèque personnel à son nom. Par conséquent, je ne vois pas en quoi la conclusion de la Commission au sujet du chèque pourrait être erronée. Si la Commission, qui possède une certaine expérience en matière de financement illicite et d'extorsion, a jugé cette version peu probable, je ne puis dire qu'elle a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[19]       En ce qui concerne la lettre ayant pour effet de transférer le véhicule automobile, le demandeur a fait valoir que la preuve dont la Commission était saisie n'indiquait nullement que l'un des ravisseurs a effectivement été mentionné dans la lettre ou qu'il était nécessaire que les documents de transfert désignent des individus plutôt que des personnes morales ou d'autres types de bénéficiaires. Par conséquent, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la lettre aurait pu servir à identifier un ravisseur. Toutefois, j'estime que cette erreur n'est pas importante, parce que la conclusion à laquelle la Commission en est arrivée au sujet du chèque est suffisante pour justifier sa décision concernant le rapt.

[20]       J'estime également que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a statué que l'agression était peu probable, parce que les personnes qui ont agressé le demandeur n'auraient probablement pas voulu être impliquées dans le rapt. Il ne m'apparaît pas logique de dire que ces individus auraient été impliqués dans le rapt d'une façon juridique ou d'une autre façon significative simplement parce qu'ils savaient que le demandeur avait signalé le rapt à la police. Toutefois, l'erreur que la Commission a commise à ce sujet n'est pas importante non plus, parce qu'il est évident qu'il s'agissait d'une conclusion subsidiaire. Si, comme la Commission l'a dit, la version concernant le rapt était peu plausible, une agression motivée par un signalement de celui-ci à la police était également peu probable.


(ii)         La PRI

[21]       En ce qui concerne la possibilité de refuge intérieur, je n'ai trouvé aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la Commission. L'avocat du demandeur m'a demandé de conclure que, lorsque celui-ci a parlé des luttes ethniques à Karachi, il voulait nécessairement parler des querelles politiques, compte tenu des liens étroits entre l'ethnicité et les partis politiques. Pourtant, le demandeur a clairement fait des distinctions entre l'agitation politique et l'agitation raciale et décrit chacune d'elles à différents moments de son témoignage. À mon avis, la Commission a eu raison de conclure que le demandeur a pu associer sa crainte liée aux activités criminelles générales et aux luttes ethniques à Karachi à un motif prévu à la Convention. Par conséquent, indépendamment des erreurs que la Commission aurait commises au sujet du rapt et de l'agression, le demandeur avait une PRI viable à Karachi.

Conclusion

[22]       Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

(S) « Sandra J. Simpson »

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 7 novembre 2000

Traduction certifié conforme

Martine Guay, LL.L.


                       AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         MOHAMMAD RAFIQ CHAUDHRY et

SANA RAFIQ CHAUDHRYI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

No DU GREFFE :                                           IMM-695-99

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            16 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SIMPSON

EN DATE DU :                                               7 novembre 2000

ONT COMPARU :

Me Ian Hamilton Gledhill                                                pour les demandeurs

Me W. Brad Hardstaff                                       pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gledhill, Larocque                                                         pour les demandeurs

Edmonton (Alberta)

Me Morris Rosenberg                                                    pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.