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Date : 20190711


Dossier : IMM-5877-18

Référence : 2019 CF 918

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

CHENGKUN LIANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 10 juillet 2019; peuvent faire l’objet d’une révision, notamment de la grammaire, de la syntaxe, de la casse et des références.)

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés à l’égard de la décision, rendue le 7 septembre 2018, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile. L’autorisation a été accordée le 29 avril 2019.

[2]  Le demandeur est un citoyen de la République de Chine. Il affirme craindre avec raison d’être persécuté par le gouvernement de la Chine et sa police d’État — le Bureau de la sécurité publique (le BSP) — du fait de sa pratique du Falun Gong. Le demandeur affirme qu’en raison des problèmes de peau dont il souffrait, il s’était tourné vers le Falun Gong sur la recommandation d’un membre de sa famille. Il soutient avoir commencé à pratiquer le Falun Gong en octobre 2011, et affirme qu’en avril 2012, le BSP a effectué une descente contre son groupe de pratique de Falun Gong. Le demandeur affirme qu’il s’est caché sur les conseils de sa mère, que des agents du BSP étaient à sa recherche, et qu’un autre adepte a été arrêté. Selon ses dires, le passeur qu’il avait embauché l’a fait sortir de la République populaire de Chine, et il est arrivé au Canada le 1er juillet 2012. Il a présenté une demande d’asile peu de temps après son arrivée.

[3]  Il est bien établi dans la jurisprudence que la norme de la décision raisonnable est le critère de contrôle à appliquer dans un cas comme celui en l’espèce.

[4]  Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, la Cour suprême du Canada a expliqué en ces termes ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14).  

[5]  La Cour suprême du Canada a également précisé que le contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, ligne par ligne, à la recherche d’une erreur, mais exige plutôt que la décision soit considérée comme un tout. De plus, il faut déterminer en dernier lieu si la décision, considérée dans son ensemble dans le contexte du dossier, est raisonnable.

I.  Questions en litige

[6]  La première question en litige concerne le fait que les agents du BSP n’ont pas laissé de sommation au domicile du demandeur. La SPR a conclu que cela était invraisemblable. À mon avis, cette conclusion défavorable envers le demandeur était raisonnable, puisque des agents du BSP se sont présentés à de nombreuses occasions (cinq) au domicile du demandeur.

[7]  La deuxième question en litige concerne la lettre de renvoi de l’école. À mon avis, la manière dont la SPR a traité cette lettre de renvoi n’était pas raisonnable. En particulier, il était déraisonnable de rejeter cette dernière au motif qu’elle ne comportait aucune caractéristique de sécurité. Je dis cela pour deux raisons : premièrement, rien n’indiquait qu’elle était censée comporter de telles caractéristiques; et, deuxièmement, la lettre porte un timbre, du moins dans sa version chinoise figurant dans le dossier, et un timbre constitue en quelque sorte un sceau de sécurité.

[8]  La troisième question en litige concerne la lettre de la mère du demandeur. Le rejet de cette lettre par la commissaire au motif qu’elle était « intéressée » me déçoit. Cette conclusion est déraisonnable. Je renvoie aux paragraphes 4 à 6 de la décision que j’ai rendue dans l’affaire Tabatadze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 24, dans laquelle la Cour s’est donné la peine de répertorier le droit qui s’applique à cet égard, et sur lequel je m’appuie également. La SPR est plus avisée que cela, et elle n’aurait pas dû rejeter cette lettre d’une manière aussi sommaire. On soutient que la lettre en question n’est pas pertinente et n’aurait rien changé. Mais je ne souscris pas à la solide argumentation présentée par l’avocate du défendeur. La lettre corrobore les faits essentiels et élémentaires allégués par le demandeur en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il pratiquait le Falun Gong.

[9]  La question en litige suivante concerne un rapport médical qui a été déposé après l’audience, et qui confirme que le demandeur souffrait d’un problème de peau. La SPR n’a pas considéré ce rapport comme un élément important. Or, à mon humble avis, il était effectivement important pour corroborer l’allégation du demandeur selon laquelle il avait commencé à pratiquer le Falun Gong pour guérir son problème de peau. Le rapport aurait dû être examiné, mais il ne l’a pas été, et cette conclusion est à mon avis déraisonnable. Je signale également la remarque suivante, qui a été formulée à l’audience : [traduction] « Je ne crois pas que ce document soit essentiel ». Comment a‑t‑on pu déclarer cela, alors qu’on n’avait même pas vu le document? On a affirmé que le document n’était pas pertinent, mais, encore une fois, je ne suis pas d’accord, car il corrobore les raisons pour lesquelles le demandeur s’est tourné vers le Falun Gong.

[10]  La dernière question examinée à l’audience concernait la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable que le demandeur ait quitté la Chine en utilisant son propre passeport. À mon avis, cette conclusion est déraisonnable. Je conviens qu’il s’agit d’une conclusion de fait. Il existe certainement des affaires où des conclusions de fait de la SPR ont été confirmées par la Cour, et d’autres affaires où ce type de conclusions a été jugé déraisonnable par la Cour. À cet égard, la SPR a précisé qu’elle avait adopté le raisonnement contenu dans un guide jurisprudentiel daté du 30 novembre 2016 et portant le numéro TB6‑11632. L’avocate du défendeur a, à juste titre, informé la Cour que ce guide jurisprudentiel avait en fait été révoqué le 28 juin 2019. À mon avis, il faut considérer que la révocation du document sur lequel la SPR s’est expressément appuyée pour justifier son raisonnement affaiblit sa conclusion à cet égard. Je doute également de la pertinence d’appliquer un guide jurisprudentiel publié en 2016 à l’égard d’un départ de la Chine survenu en 2012. Je constate également que la conclusion d’invraisemblance est liée à la conclusion tirée par le tribunal au sujet de la pratique du Falun Gong par le demandeur. Or cette conclusion — qui se trouve à être fragilisée — doit être réexaminée, pour les motifs exposés ci‑dessus, en fonction des autres faits importants déjà mentionnés.

[11]  Enfin, compte tenu des lacunes que j’ai relevées, et qui ne répondent pas au critère du caractère raisonnable énoncé par la Cour suprême du Canada, je ne suis pas disposé à accepter que la conclusion défavorable concernant la pratique du Falun Gong par le demandeur est raisonnable. Je suis conscient qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor à la recherche d’une erreur. Somme toute, je conclus toutefois que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit en l’espèce. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[12]  Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5877‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juillet 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5877‑18

 

INTITULÉ :

CHENGKUN LIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 juillet 2019

 

Jugement ET motifs :

LE JUGE Brown

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 11 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Mark Rosenblatt 

 

pour le demandeur

 

Prathima Prashad

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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