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Date : 20190711


Dossier : IMM-5780-18

Référence : 2019 CF 925

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

FEBRILLET LORENZO FRANCIS CAROLINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal [l’agent] a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse, au Canada, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

Contexte

[2]  La demanderesse, Francis Carolina Febrillet Lorenzo, est une citoyenne dominicaine. Elle est arrivée à l’origine au Canada, en avril 2012, munie d’un visa. Le 27 décembre 2015, elle a épousé Juan Castillo Sanchez, qui a par la suite parrainé sa demande de résidence permanente au Canada. Ils ont divorcé le 25 janvier 2017 et, ce même jour, il a retiré son parrainage de sa conjointe. Le 30 mai 2017, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Dans une décision datée du 21 novembre 2018, sa demande a été refusée. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision attaquée

[3]  L’agent a déclaré qu’il avait examiné les éléments de preuve que la demanderesse avait présentés au sujet de son établissement au Canada. L’agent a noté que la demanderesse résidait au Canada depuis environ six ans, qu’elle travaillait comme femme de ménage autonome, qu’elle participait aux activités de son église et qu’elle faisait du travail bénévole dans sa collectivité. L’agent a estimé que ses efforts étaient méritoires et a accordé une certaine force probante à son établissement.

[4]  L’agent a noté que la demanderesse voulait demeurer au Canada parce qu’elle n’avait pas de foyer, pas d’appui familial et ni d’accès à des médicaments en République dominicaine. Elle craint également la pauvreté, les drogues, le chômage, la corruption et la criminalité. Cependant, la demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre l’agent qu’elle ne pourrait pas raisonnablement chercher et obtenir du travail en République dominicaine, compte tenu de son éducation, de ses compétences et de l’expérience de travail qu’elle a acquise là‑bas et au Canada.

[5]  L’agent a admis que la demanderesse avait de la famille et des amis au Canada. L’agent a déclaré qu’il avait tenu compte des liens qui s’étaient établis entre la demanderesse et sa famille et ses amis au Canada. L’agent n’était toutefois pas convaincu que la demanderesse ne pourrait pas retourner en République dominicaine et préserver quand même ses relations avec ces personnes. En outre, il n’a pas été établi que ces relations aient atteint un degré d’interdépendance et de fiabilité tel que la séparation d’avec ces personnes justifierait l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

[6]  Tout en reconnaissant qu’il existait des différences de niveau de vie entre les pays, l’agent a déclaré que le législateur n’avait pas voulu que l’article 25 de la LIPR ait pour but de compenser les différences de niveau de vie existant entre le Canada et d’autres pays. En réalité, cette disposition a pour but de donner au ministre la souplesse de régler les cas non prévus par la LIPR lorsque des motifs d’ordre humanitaire obligent le ministre à agir.

[7]  L’agent a également reconnu que la demanderesse avait subi des mauvais traitements physiques, sexuels et psychologiques de la part de son mari, un résident permanent canadien, pendant qu’elle vivait au Canada. L’agent est sensible à sa situation, mais il a conclu qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant qu’elle serait maltraitée par son ancien mari si elle retournait en République dominicaine. L’agent a néanmoins examiné les conditions dans le pays concernant la République dominicaine, mais il a ajouté que, si la demanderesse se sentait menacée ou rencontrait des difficultés dans son pays, elle pourrait demander l’aide de la police ou du système judiciaire.

[8]  L’agent a également noté que la demanderesse avait passé la plus grande partie de sa vie en République dominicaine. L’agent a admis qu’elle éprouverait certaines difficultés à se réhabituer à la vie dans ce pays, mais elle n’a pas convaincu l’agent que cela justifiait l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. En outre, en retournant dans ce pays, elle retrouverait des amis, des réseaux sociaux et un réseau familial.

[9]  L’agent a déclaré avoir examiné tous les renseignements et tous les éléments de preuve concernant l’ensemble de sa demande. Après avoir examiné les facteurs et les éléments de preuve présentés, l’agent n’a pas été convaincu que la demanderesse avait démontré qu’une dispense était justifiée pour des motifs d’ordre humanitaire.

Questions en litige et norme de contrôle

[10]  La demanderesse se représente elle-même dans ce contrôle judiciaire comme elle l’a fait dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans ses observations écrites présentées à l’appui de sa demande, elle énumère les nombreuses erreurs qu’aurait commises l’agent, notamment il aurait suivi un processus irrégulier, il aurait limité son pouvoir discrétionnaire, il aurait porté atteinte à certains droits garantis par la Charte et à certaines dispositions de la LIPR et du Règlement, et il se serait fondé sur des éléments de preuve extrinsèques. Elle n’aborde toutefois pas plus en détail les erreurs alléguées dans ses observations, et après avoir examiné ses observations, il ressort clairement que le principal aspect de la demande est l’allégation de la demanderesse selon laquelle l’agent a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve et a tiré des conclusions de fait erronées.

[11]  Par conséquent, j’estime que la seule question en litige est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable. L’appréciation et l’examen des facteurs d’ordre humanitaire faites par un agent soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux par. 1, 44 [Kanthasamy]; Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 63; Perez Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 628, au par. 14).

Les positions des parties

[12]  Essentiellement, la demanderesse soutient que l’agent a écarté des éléments de preuve, qu’il a accordé une force probante insuffisante à son témoignage, qu’il a conclu à tort qu’elle avait encore de la famille en République dominicaine, et qu’il a omis de prendre en compte tous les facteurs pertinents ainsi que les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada intitulées « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire », ou IP‑5, section 12.7, qui traite de la violence familiale [Lignes directrices IP‑5 ]. Lorsqu’elle a comparu devant moi, il est apparu clairement que la demanderesse a estimé que l’agent n’avait pas examiné sa demande en tenant compte des agressions qu’elle avait subies et de la façon dont cet aspect la toucherait si elle était renvoyée en République dominicaine. Autrement dit, l’agent n’a pas fait preuve de compassion à l’égard de sa situation de victime de violence familiale. Je souligne que la demanderesse allègue dans ses observations écrites une violation de l’équité procédurale, mais que ses observations ne précisent pas la nature de cette violation.

[13]  Le défendeur soutient que, si l’on examine les motifs de l’agent dans leur ensemble, il est clair que l’agent a compris quelle était la situation de la demanderesse, mais qu’il a estimé qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve justifiant l’octroi d’une dispense de l’exigence normale qui prévoit que le statut de résident permanent doit être demandé depuis l’étranger. En outre, tous les renseignements présentés par la demanderesse ont été pris en compte et le fait de contester la force probante attribuée aux différents éléments de preuve ne justifie pas, à lui seul, une intervention judiciaire. Le défendeur soutien que l’agent est arrivé à sa conclusion en se fondant sur les éléments de preuve présentés, que la conclusion n’était pas déraisonnable et que la demanderesse n’avait pas démontré que celui‑ci avait commis une erreur dans son analyse, en écartant ou interprétant mal des éléments de preuve, ou dans son examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire d’une façon générale et en conformité avec la jurisprudence. Il est possible que d’autres renseignements auraient pu être présentés à l’appui de la demande de la demanderesse, mais ces renseignements n’ont pas été présentés à l’agent. La demanderesse ne s’est tout simplement pas acquittée de son fardeau d’établir qu’il y avait des facteurs d’ordre humanitaire justifiant une dispense.

Analyse

[14]  Le paragraphe 25(1) de la LIPR accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser les étrangers des exigences habituelles prévues par la Loi lorsqu’il estime que des motifs d’ordre humanitaire relatifs à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire, un pouvoir discrétionnaire que la Cour suprême du Canada a qualifié d’exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR ou de pouvoir discrétionnaire permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas (Kanthasamy, au par. 19).

[15]  Le fardeau d’établir qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est justifiée incombe au demandeur (Kisana c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au par.  45). Cela veut dire que le demandeur doit fournir des éléments de preuve suffisants pour convaincre l’agent d’accorder cette mesure exceptionnelle. La situation qui justifie une telle mesure varie selon les faits et le contexte de chaque cas, mais les agents qui rendent une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doivent véritablement examiner tous les faits et tous les facteurs pertinents portés à leur connaissance et leur accorder du poids (Kanthasamy, aux par. 24 et 25). En l’espèce, après avoir examiné le dossier et la décision de l’agent, j’ai conclu que l’agent n’avait pas tenu compte des graves agressions qu’avait subies la demanderesse aux mains de son ancien mari comme un facteur de compassion dont il fallait apprécier la force probante dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire effectuée par l’agent.

[16]  J’en arrive à cette conclusion, parce que, dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse a accordé une grande importance à son allégation selon laquelle son ancien mari l’avait agressée physiquement, sexuellement et psychologiquement. Elle a décrit en détail ces agressions. Elles ont pris la forme de coups – dont certains ont été à l’origine d’une fausse-couche – d’intimidation, d’avilissement, de menaces, de contrôle financier et autres, d’agression sexuelle, et de tentatives d’obliger la demanderesse à se prostituer pour fournir à son conjoint l’agent dont il avait besoin pour s’acheter des drogues et de l’alcool. Tout ceci sous la menace générale du retrait de sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux.

[17]  L’agent n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse et a reconnu que, pendant qu’elle se trouvait au Canada, celle-ci a subi des agressions physiques, sexuelles et psychologiques de la part de son ancien mari. L’agent a déclaré être sensible à la situation de la demanderesse, mais il a estimé qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant que la demanderesse serait agressée par son ancien mari si elle retournait en République dominicaine. Il est vrai que, dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve établissant que son mari s’en prendrait à elle ou pourrait le faire, si elle retournait en République dominicaine, ni pour étayer son affirmation, présentée dans sa demande de contrôle judiciaire, selon laquelle son ancien mari avait des relations en République dominicaine et qu’elle serait persécutée dans ce pays par la famille de ce dernier, dont certains membres font partie de gangs et de la police.

[18]  L’agent semble toutefois avoir omis de prendre en compte que la violence familiale que la demanderesse avait subie constituait, à elle seule, un facteur de compassion dont il devait tenir compte dans son analyse. Il ne devait pas ne tenir compte du seul fait que, dans le cas où elle serait renvoyée du Canada, elle ne serait pas exposée à un danger en République dominicaine. De plus, le soutien qu’ont fourni à la demanderesse ses amis et sa famille au Canada devrait également avoir été examiné à la lumière de sa situation de victime de violence familiale. Sur ce point, la demanderesse cite les Lignes directrices IP‑5 qui énumèrent la violence familiale comme étant un des facteurs à prendre en compte dans le traitement des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

[19]  Je souligne que les Lignes directrices IP‑5 semblent avoir été remplacées par une section des Instructions sur l’exécution des programmes, intitulée « Violence conjugale », qui ressemble beaucoup à ce qu’était la section 12.7 des Lignes directrices IP‑5. La section sur la violence familiale reconnaît que les conjoints qui se trouvent dans des relations marquées par la violence et qui ne sont pas des résidents permanents ou des citoyens canadiens, se sentent parfois obligés de demeurer dans une relation ou une situation marquée par la violence pour pouvoir rester au Canada. La section mentionne que les agents doivent être sensibles aux situations dans lesquelles l’époux(se) d’un(e) citoyen(ne) canadien(ne) ou d’un(e) résident(e) permanent(e) se sort d’une situation de violence et, par conséquent, ne peut bénéficier d’un parrainage autorisé à titre de réunification de la famille et énumère les facteurs à considérer dans ce contexte. Les Instructions sur l’exécution des programmes, à titre de directive, ne lient pas les agents (Kanthasamy, au par. 32). Par ailleurs, le seul fait que l’agent ait omis de mentionner expressément une telle ligne directrice ne constitue pas nécessairement une erreur susceptible de contrôle (voir, par exemple, Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 598, aux par. 30, 33 et 34; Sargsyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 333, au par. 15; Herman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 629, au par. 29). J’estime néanmoins qu’il y a eu ici une erreur, parce que l’agent a omis de reconnaître et de prendre en compte la violence familiale qu’a subie la demanderesse et d’y voir un facteur de compassion à examiner dans le contexte de sa demande visant à demeurer au Canada.

[20]  Sur ce point, il est significatif de remarquer que, dans la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et dans les facteurs à prendre en compte, l’agent a mentionné l’établissement au Canada, le danger et les conditions défavorables dans le pays. Par contre, dans la section intitulée « Autres facteurs à prendre en compte : (p. ex., état de santé actuel, violence familiale au Canada, etc.) », l’agent a écrit « Sans objet ».

[21]  La demanderesse fait remarquer que l’agent n’a pas mentionné la lettre du 21 mars 2017 envoyée par une infirmière du Black Creek Community Health Centre. Cette lettre mentionne que l’infirmière voit la demanderesse depuis septembre 2016 et que celle‑ci souffre de troubles d’angoisse généralisés. Les agents ne sont toutefois pas tenus de mentionner tous les éléments de preuve dans leurs motifs. Ils sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve présentés à moins que des éléments de preuve contradictoires importants n’aient pas été examinés (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Alharbi, 2019 CF 395, au par. 14; Thiyagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 111, au par. 48 [Thiyagarasa]; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux par. 16 et 17).

[22]  Même si la Cour a déjà déclaré que, lorsque des rapports psychologiques mentionnent que l’état de santé mentale de demandeurs s’aggraverait s’ils étaient renvoyés du Canada, l’agent doit analyser les difficultés auxquelles les demandeurs seraient confrontés s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine, et il ne peut limiter son analyse à la question de savoir si des soins de santé mentale sont offerts dans le pays de renvoi (Sutherland c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1212, aux par.  15 et 16 [Sutherland]; voir également Kanthasamy, au par. 48; Ashraf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1160, au par. 5; Davis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 97, au par. 19 [Davis]), en l’espèce la lettre n’est pas un rapport psychologique. Il s’agit d’une lettre préparée par une infirmière. La lettre n’explique pas comment le diagnostic des troubles d’angoisse généralisés a été obtenu et ne mentionne pas en détail les symptômes dont souffre la demanderesse. L’agent n’était donc pas tenu de traiter la lettre comme s’il s’agissait d’un rapport émanant d’un psychiatre, d’un psychologue diplômé ou même du médecin de la demanderesse, ou de lui accorder une quelconque force probante à ce titre. J’estime toutefois qu’étant donné que l’agent a accepté le fait que la demanderesse a été victime de violence familiale, il aurait dû au moins mentionner la lettre de l’infirmière et l’avoir examinée dans ce contexte, dans le cadre de l’examen de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[23]  L’agent a également conclu que la demanderesse ne serait pas renvoyée dans un lieu, une langue, une culture inconnus, ou dans un endroit où elle n’aurait aucune attache familiale, ce qui empêcherait sa réintégration. La demanderesse soutient que l’agent a affirmé à tort que tous les membres de sa famille vivaient en République dominicaine alors que les membres de sa famille immédiate ont déménagé en Espagne. Il est exact que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse mentionne que sa mère (avec laquelle elle résidait avant de venir au Canada), ses demi-frères et une demi-sœur vivent maintenant en Espagne et que son père est décédé. Elle a également mentionné dans ses observations relatives à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que de nombreux membres de sa famille vivent au Canada, notamment des tantes, des oncles et des cousins qui lui fourniront le soutien dont elle a besoin, alors qu’elle ne bénéficierait pas d’un soutien semblable en République dominicaine. Je ne souscris pas à son argument selon lequel l’agent a affirmé que tous les membres de sa famille vivaient encore en République dominicaine, mais que, dans sa situation, l’agent aurait dû tenir compte du fait que sa famille immédiate ne pourrait pas lui fournir un soutien affectif si elle retournait dans ce pays. Pareillement, la lettre du révérend Vaso Rajak, datée du 9 mai 2017, aurait dû être prise en compte. Cette lettre mentionne la violence familiale qu’a subie la demanderesse, sa participation aux activités religieuses, le désir de l’église d’accorder un soutien à la demanderesse et affirme que. si sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est rejetée, cela reviendrait, en réalité, à la punir pour avoir voulu se sortir d’une relation marquée par la violence.

[24]  Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve (Ramesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 778, au par. 16), mais à mon avis, les circonstances sont semblables à celles de la décision Swartz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 268 [la décision Swartz]. Dans cette affaire, la Cour a conclu que, même s’il était généralement accepté dans les motifs que la demanderesse avait vécu dans une relation marquée par la violence, et, en particulier, qu’elle avait subi de mauvais traitements physiques et émotifs de la part de son mari, ces motifs ne mentionnaient aucunement que la situation de la demanderesse, qui s’était sortie d’une relation marquée par la violence et avait ainsi renoncé à toute possibilité d’être parrainée par son mari, méritait une approche empathique. La Cour a conclu que, dans ce cas, les motifs de l’agent d’immigration n’avaient pas tenu compte des circonstances comme le prévoyaient les lignes directrices en matière de violence familiale.

[25]  Je reconnais que la demanderesse aurait pu fournir des éléments de preuve plus étoffés pour appuyer l’ensemble de sa demande. Je suis toutefois convaincue que, comme dans la décision Swartz, l’agent concerné a commis une erreur lorsqu’il a omis de prendre en compte, avec sensibilité ou autrement, la violence familiale dont la demanderesse a été victime, comme un facteur de compassion dans le processus décisionnel, et cela rend la décision déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5780‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée; la décision attaquée est annulée et le dossier renvoyé pour nouvel examen à un autre agent d’immigration.

  2. Aucune question de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée et aucune ne se pose.

  3. Aucuns dépens ne seront accordés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour de juillet 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5780‑18

INTITULÉ :

FEBRILLET LORENZO ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Francis Carolina Febrillet Lorenzo

LA demanderesse,

Alexis Singer

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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