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Date : 20190712


Dossier : IMM‑4437‑18

Référence : 2019 CF 922

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

RONALD RIPON HALDER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 16 août 2018. La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  L’existence d’une possibilité de refuge intérieure [PRI] était la question déterminante devant les deux tribunaux. Après avoir examiné les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, la SAR a conclu que le demandeur disposait d’une PRI viable dans la ville de Khulna, au Bangladesh.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la Cour juge que la décision rendue par la SAR est raisonnable et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II.  Faits

[4]  Le demandeur est né à Dacca, au Bangladesh, en 1973. Il est citoyen du Bangladesh; il n’est citoyen d’aucun autre pays. Ses parents et lui sont chrétiens baptistes depuis leur naissance, et le demandeur appartient à une église baptiste de Dacca depuis son enfance. Au Bangladesh, le demandeur a travaillé comme directeur adjoint d’une entreprise de textile.

[5]  Selon l’exposé des faits, le demandeur et sa mère ont déménagé en janvier 2008 à une nouvelle adresse à Dacca. Quatre hommes islamiques du parti Jamaat‑e‑Islami [JEI], menés par M. Mohammed Emdad Hossain [Emdad], se sont présentés à leur domicile en affirmant vouloir convertir les personnes non islamiques à l’Islam et les ont insultés et se sont moqués de la religion chrétienne.

[6]  En février 2008, Emdad et des membres du JEI se sont présentés au domicile du demandeur pendant que celui-ci priait avec des membres de sa congrégation chrétienne. Emdad et ses associés ont menacé le demandeur et ses invités, et Emdad leur a dit qu’il les tuerait s’ils organisaient un autre rassemblement de cette nature. Plusieurs jours plus tard, Emdad et ses associés ont agressé le demandeur alors que celui-ci revenait du travail, car ils avaient appris qu’il s’était adressé à la police.

[7]  Dans son exposé circonstancié, le demandeur affirme que bon nombre d’autres incidents se sont produits à Dacca; Emdad et les membres du JEI ont harcelé le demandeur, l’ont attaqué et lui ont extorqué de l’argent durant plusieurs années.

[8]  Le demandeur s’est marié en 2009; deux filles sont nées de son union avec son épouse. L’épouse du demandeur a également eu des démêlés avec des individus qui, selon elle, étaient membres du JEI.

[9]  En septembre 2013, le demandeur et sa famille ont emménagé dans une maison louée, toujours à Dacca, dans le district de Savar. Le père du demandeur, qui est décédé en 2005, avait acheté un terrain vacant, dans ce district, des années plus tôt.

[10]  En octobre 2014, le demandeur a trouvé des matériaux de construction sur son terrain de Savar. Ses voisins lui ont dit que les matériaux appartenaient à un homme nommé M. Haji Ali Mahmud [M. Mahmud], que le demandeur ne connaissait pas. Le demandeur a trouvé le domicile de M. Mahmud et est allé lui demander pourquoi il avait laissé des matériaux de construction là‑bas. Mahmud s’est écrié que le terrain lui appartenait et lui a montré un faux document de transfert de propriété. Le demandeur s’est rendu par la suite au bureau d’enregistrement des titres de propriété où il a appris que Mahmud était le propriétaire du terrain.

[11]  En novembre 2014, le demandeur et son ami ont rencontré M. Mahmud pour lui montrer une copie du titre de propriété du terrain. M. Mahmud et trois associés les ont frappés avec des bâtons en les insultant parce qu’ils étaient chrétiens. Ils ont menacé de [traduction« les couper en morceaux » s’ils s’adressaient aux policiers. Au bout du compte, ils ont dit qu’ils céderaient le terrain au demandeur en échange d’un paiement important. Le demandeur a commencé à faire des versements échelonnés à M. Mahmud. En décembre 2014, M. Mahmud l’a sommé de payer le reliquat, sans quoi lui et son groupe allaient tuer ou enlever sa fille. En février 2015, les associés de M. Mahmud ont dit à l’épouse du demandeur qu’ils l’enlèveraient et qu’ils allaient tuer son mari si ce dernier ne les payait pas rapidement.

[12]  En avril 2015, les associés de M. Mahmud se sont présentés à son domicile une fois de plus et ont dit qu’ils [traduction« avaient des problèmes et avaient besoin de l’argent de toute urgence ». L’un d’eux tenait un couteau sous la gorge du demandeur. Ils ont fini par partir après que le demandeur leur eut donné tout l’argent qu’il avait chez lui. Ensuite, le demandeur a envoyé son épouse, sa fille et sa mère à la maison de son beau‑père, à Brahmanbaria. Le demandeur a commencé à changer de lieu de résidence, séjournant chez des amis ou chez un oncle maternel. En octobre 2015, les associés de M. Mahmud se sont emparés du demandeur qui circulait en pousse-pousse et l’ont frappé avec des bâtons en prétendant qu’il [traduction« n’avait pas tenu ses promesses au sujet de l’argent et du titre de propriété ». Le demandeur a répondu qu’il s’en occuperait, et ils l’ont laissé partir.

[13]  En mai 2016, le demandeur a présenté diverses demandes de visa et a voyagé dans un certain nombre de pays pour établir des antécédents de voyage. Le demandeur a envoyé sa famille chez son oncle, à Khulna. En novembre 2016, le demandeur est retourné au Bangladesh. Avant son retour, l’épouse du demandeur a trouvé une lettre adressée au demandeur, dans laquelle on le désignait par l’expression [traduction« fils d’un infidèle ». Les auteurs de la lettre avaient menacé de le tuer s’il ne les contactait pas immédiatement.

[14]  À la fin du mois de novembre 2016, le demandeur habitait à Khulna. De novembre 2016 à janvier 2017, le demandeur habitait à Savar, à Dacca. Les membres de sa famille habitaient avec sa belle‑famille à Brahmanbaria.

[15]  Le demandeur a présenté une demande de visa canadien en novembre 2016, et le visa a été délivré en décembre 2016. Après avoir recueilli de l’argent auprès de membres de sa famille, le demandeur est venu seul au Canada, arrivant le 29 janvier 2017. Le demandeur a présenté une demande d’asile le 20 mars 2017, craignant d’être persécuté par des extrémistes islamiques en raison de sa foi chrétienne.

[16]  La SPR a tenu une audience le 26 juin 2017. Le demandeur était représenté par un conseil et par un interprète maîtrisant le bengali. Au début de l’audience devant la SPR, le commissaire a déclaré que la crédibilité et l’existence d’une PRI seraient les questions déterminantes. À la fin de l’audience, le tribunal a affirmé ne pas avoir d’importantes préoccupations quant à la crédibilité.

[17]   Le 31 juillet 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, en concluant qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, car il existait une PRI dans la ville de Khulna.

[18]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR à la SAR. Il a demandé que la SAR admette en preuve de nouveaux éléments au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR, mais n’a pas demandé à ce que la SAR tienne l’audience visée au paragraphe 110(6) de la LIPR. Dans une décision datée du 16 août 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en raison de l’existence d’une PRI dans la ville de Khulna.

[19]  Le 10 septembre 2018, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

III.  La décision de la SPR

[20]  Même si la SPR a admis que le demandeur avait établi son identité, selon la prépondérance des probabilités, et qu’il [traduction« est un chrétien, et serait considéré comme tel, étant donné son nom et l’existence de plusieurs documents d’église », elle a jugé qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. En se fondant sur le critère à deux volets établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) [Rasaratnam], la SPR a conclu qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Khulna, et qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier.

[21]  En ce qui a trait au premier volet du critère, la SPR a conclu qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Khulna, car M. Mahmud et ses associés ne le retrouveront pas à cet endroit. Tout d’abord, la SPR a fait remarquer que le Bangladesh est un pays très vaste, comptant une population d’environ 166 millions de personnes, et que Khulna compte près de 1,8 million d’habitants et se trouve éloignée du domicile du demandeur à Savar. Étant donné la piètre qualité des infrastructures du Bangladesh, il serait difficile d’y retrouver le demandeur. La SPR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel les islamistes ont un [traduction« excellent réseau » et qu’ils seraient donc capables de le retrouver, car il y avait peu d’éléments de preuve objectifs qui attestaient cette déclaration.

[22]  Ensuite, la SPR a noté que, selon le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], le demandeur, après avoir été harcelé par le JEI en 2012, s’est installé avec sa famille ailleurs à Dacca, et ils n’ont plus entendu parler du JEI. M. Mahmud n’a pas poursuivi l’épouse, les enfants et la mère du demandeur jusqu’au domicile de son beau‑père, à Brahmanbaria (où ils demeurent à l’heure actuelle) ni jusqu’à Khulna (où ils s’étaient rendus en octobre 2016). De plus, Mahmud n’a pas retrouvé le demandeur à Khulna en novembre 2016 ni au domicile de son ami à Savar entre novembre 2016 et janvier 2017.

[23]  La SPR a en outre constaté que le demandeur n’a plus entendu parler de M. Mahmud après avril 2016, à l’exception de la lettre laissée à son domicile à Savar, ce qui est logique, étant donné que le demandeur n’avait pris aucune mesure pour récupérer le terrain volé à sa famille. Puisque M. Mahmud a réussi à prendre possession de la propriété, il n’avait plus aucune raison de poursuivre le demandeur, selon la prépondérance des probabilités.

[24]  La SPR a ensuite examiné la preuve documentaire sur la situation dans le pays et a affirmé que le demandeur n’avait pas établi plus qu’une simple possibilité de persécution à Khulna. La SPR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel les minorités religieuses non musulmanes sont généralement persécutées au Bangladesh. La SPR a reconnu que la preuve documentaire sur la situation dans le pays [traduction] « regorge » de signalements de gestes violents commis par des musulmans à l’endroit d’hindous, mais elle a constaté qu’il y avait peu d’information sur les chrétiens vivant au Bangladesh. Ensuite, la SPR a fait remarquer que, selon le ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni et l’Office français de protection des réfugiés, les éléments de preuve ne soutiennent pas une conclusion générale de persécution ou de violation des droits de la personne visant les minorités religieuses du Bangladesh ni l’existence de conflits religieux majeurs entre les diverses communautés vivant au Bangladesh. La SPR a ensuite cité une décision de la SAR de 2015 selon laquelle une femme hindoue avec des enfants bénéficiait d’une PRI viable au Bangladesh.

[25]  La SPR a reconnu que, selon la preuve documentaire sur la situation dans le pays, certains chrétiens sont exposés à une possibilité sérieuse de persécution au Bangladesh. Les chrétiens à faible revenu subissent de la discrimination et sont la cible de trafiquants de personnes, les chrétiens indigènes sont vulnérables, les enfants chrétiens sont exposés au risque de la conversion forcée, les chrétiens des régions éloignées ou rurales se font attaquer et les musulmans convertis ainsi que les prosélytes sont exposés à des risques particuliers. La SPR a de plus reconnu que les chrétiens risquent d’être victimes « d’appropriation des terres », mais a relevé que le demandeur ne possède plus de terrain à voler. La SPR a ensuite souligné que le demandeur n’est pas vulnérable, car il est relativement riche, qu’il est adulte et d’origine ethnique bengali et est issu d’une famille chrétienne, et parce que Khulna est un grand centre urbain.

[26]  La SPR a également soutenu que la concentration de chrétiens est relativement élevée à Khulna et que ce nombre confère une sécurité accrue au demandeur, et que rien dans les éléments de preuve documentaire n’indiquait que des attaques avaient lieu à Khulna. De plus, il semblerait que l’épouse du demandeur et la famille chrétienne de cette dernière n’aient pas subi de harcèlement en raison de leur religion au Bangladesh, et une lettre de l’église du demandeur à Dacca ne fait aucune mention de harcèlement.

[27]  Enfin, la SPR a conclu qu’il serait raisonnable que le demandeur cherche à se réfugier à Khulna : la loi du Bangladesh assure la liberté de mouvement, et le demandeur est relativement bien instruit puisqu’il détient une maîtrise. De plus, les antécédents professionnels du demandeur sont considérables, et il est plus que probable qu’il pourrait survivre financièrement à Khulna. Sa belle‑famille l’aiderait à s’établir à Khulna, il parle le dialecte du Bangladesh, Khulna est un centre du christianisme et il a déjà vécu à Khulna.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[28]  La SAR a tout d’abord examiné les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR. Dans un premier temps, la SAR a déclaré qu’elle n’admettrait pas en preuve le document Bangladesh 2016 International Religious Freedom Report [le rapport]. Même si ce rapport a été publié après que la SPR eut rejeté la demande d’asile, l’information qui s’y trouve ne constitue pas de nouveaux éléments de preuve, car le rapport décrit la situation du Bangladesh avant que la demande d’asile du demandeur ait été rejetée. De plus, les renseignements contenus dans le rapport sont déjà fournis dans les autres éléments de preuve compris dans le cartable national de documentation [CND].

[29]  La SAR n’a pas admis en preuve l’article intitulé Population of Cities in Bangladesh 2017 [Population des villes du Bangladesh, 2017], car la date de publication n’est pas indiquée. Il est donc impossible d’évaluer si l’article est paru après le rejet de la demande d’asile, en juillet 2017.

[30]  La SAR a également refusé d’admettre deux décisions rendues respectivement par un tribunal de la SPR et un tribunal de la SAR. La décision de la SPR n’était pas pertinente, car elle avait été présentée simplement pour indiquer que le commissaire avait appliqué une norme de preuve différente. Si elle avait été présentée pour servir de jurisprudence, la décision n’est pas contraignante, et il existe suffisamment de cas de jurisprudence d’instances supérieures concernant la question à trancher. La décision de la SAR, présentée comme nouvel élément de preuve, a été rendue en 2016 et est antérieure à la décision de la SPR, datée de juillet 2017. Le demandeur aurait pu, conformément aux attentes à cet égard, soulever cette décision devant la SPR, puisque la PRI avait déjà clairement été désignée comme une question en litige devant ce tribunal.

[31]  La SAR a admis en preuve un article du Daily Star, un Avertissement aux voyageurs du gouvernement du Canada, un article du Dhaka Tribune et un article de New Age. Ces documents sont tous postérieurs à la décision de la SPR et contiennent de nouvelles informations.

[32]  La SAR a ensuite examiné l’argument du demandeur selon lequel la SPR avait appliqué la mauvaise norme de preuve et avait exigé qu’il démontre l’existence d’un risque plus marqué dans la PRI que ce qui est exigé par la loi. La SAR a soutenu qu’il ne faut pas confondre « norme de preuve » et « critère objectif » (citant Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1). La SAR a conclu que l’incapacité des agents de persécution à retrouver le demandeur à Khulna était une conclusion de fait et que la SPR n’avait pas appliqué le mauvais critère, puisque cette conclusion avait amené la SPR à conclure qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse de persécution à Khulna. Même si la formulation de la SPR était erronée, cette lacune n’était pas fatale, puisque la SAR peut effectuer sa propre appréciation des éléments de preuve et exposer les conclusions qui s’imposent à l’aide d’une formulation adéquate.

[33]  La SAR a ensuite examiné l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur dans son examen de la preuve documentaire sur la situation dans le pays, car celle-ci fait état d’une persécution très répandue des minorités religieuses, y compris les chrétiens, et parce qu’aucun élément de preuve ne permet d’établir une distinction entre les régions urbaines et rurales.

[34]  La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle bon nombre d’éléments de preuve documentaire qui concernent les minorités religieuses ne font pas mention des chrétiens. La SAR a ensuite fait remarquer que bon nombre des documents qui font mention des chrétiens sont tout particulièrement liés à l’élection de 2014, durant laquelle de multiples attaques ont été commises contre des chrétiens et d’autres minorités. De plus, la SAR a noté que l’article du Christian Freedom indique que la plupart des attaques commises contre des chrétiens se produisent dans des régions rurales et que de plus en plus de musulmans se convertissent au christianisme, ce qui pourrait expliquer l’augmentation des cas de persécution. La SAR a reconnu l’existence des attaques bien précises ciblant des chrétiens que le demandeur avait décrites dans son témoignage. La SAR a cité le UK Report on Religious Minorities [Rapport du Royaume‑Uni sur les minorités religieuses] et a réitéré la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve concernant la situation dans le pays ne soutiennent pas une conclusion voulant que les chrétiens ou d’autres minorités religieuses soient exposés à un risque de persécution généralisé au Bangladesh; chaque cas doit plutôt être examiné selon son bien-fondé.

[35]  De plus, la SAR a constaté que, même si la preuve fait état d’attaques perpétrées contre des minorités religieuses en 2014, ni les éléments de preuve présentés à la SPR ni les nouveaux éléments de preuve admis par la SAR ne font mention d’attaques à Khulna. Ensuite, la SAR a ensuite convenu qu’elle souscrivait à la conclusion de la SPR selon laquelle rien n’indiquait que des chrétiens ou d’autres minorités religieuses avaient été persécutés dans la ville de Khulna.

[36]  La SAR a ensuite reconnu que, même si les éléments de preuve donnent à penser que la plupart des attaques contre des chrétiens se produisent dans les régions rurales, elle convient avec le demandeur que cela n’exclut pas que des chrétiens soient persécutés dans des régions urbaines et que les éléments de preuve documentaire mentionnés par la SPR portent plus particulièrement sur les personnes prises comme cibles par les trafiquants.

[37]  Enfin, la SAR a jugé que rien dans le CND ou dans le témoignage du demandeur n’indique que les chrétiens ou d’autres minorités religieuses ont subi un préjudice à Khulna en raison de leur religion. De plus, la SAR a aussi souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe pas de possibilité sérieuse que les agents de persécution du demandeur lui causent des problèmes à Khulna, et ce, pour les mêmes raisons que celles fournies par la SPR, et elle a également souscrit aux motifs présentés par la SPR concernant le profil et la vulnérabilité personnelle du demandeur. La SAR a également souscrit aux motifs énoncés par la SPR voulant que Khulna constitue une PRI raisonnable.

I.  Questions à trancher

[38]  Le demandeur soulève trois questions en litige dans la présente demande :

  1. La SAR a-t-elle fait une erreur en énonçant le critère applicable à l’existence d’une crainte fondée de persécution à l’endroit évalué à titre de PRI, soit Khulna?

  2. La SAR a-t-elle traité les éléments de preuve concernant le profil du demandeur et le traitement des chrétiens au Bangladesh de façon déraisonnable?

  3. La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision quand elle a refusé d’admettre à titre de nouvel élément de preuve le document Bangladesh 2016 International Religious Freedom Report?

II.  La norme de contrôle applicable

[39]  L’examen des critères juridiques appliqués par la SAR doit être effectué selon la norme de la décision correcte (Kapuuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1107, par. 6). En outre, les observations de la SAR concernant la PRI sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une analyse fondée sur les faits (Barkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 211, par. 7). Le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la LIPR doit également être examiné selon la norme de la décision raisonnable (Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182, par. 5; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, par. 22 à 30 [Singh]).

III.  Analyse

A.  La SAR a-t-elle fait une erreur en énonçant le critère applicable à l’existence d’une crainte fondée de persécution à l’endroit évalué à titre de PRI, soit Khulna?

[40]  Le demandeur affirme que la SAR, après avoir répondu à son argument selon lequel la SPR avait appliqué un critère juridique incorrect pour apprécier sa crainte de persécution à Khulna, a elle-même mal formulé ce critère en concluant que le demandeur « n’a[vait] pas formulé d’observations à propos de la possibilité que ses agents de persécution retrouvent sa trace à Khulna ».

[41]  Selon le demandeur, la SAR n’a pas tenu compte des précédents qu’il a cités ou ne les a pas interprétés correctement (Ghose c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 343, par. 18 à 24 [Ghose]). Essentiellement, le demandeur soutient que l’utilisation de l’expression « ses agents de persécution retrouvent sa trace à Khulna » par la SAR suggère formulation du critère juridique applicable à l’établissement d’une crainte fondée de persécution, car cela oblige le demandeur à démontrer une probabilité de persécution à l’endroit désigné comme PRI. De plus, le demandeur soutient que, même si la SAR et la SPR ont énoncé le critère approprié dans certains passages, cela ne dissipe pas tout doute quant à savoir si la SAR comprenait bien le critère à appliquer lorsqu’elle a formulé des conclusions de fait sur la possibilité que les persécuteurs du demandeur le retrouvent à Khulna et, au bout du compte, quant à la question de savoir si la crainte de ce dernier était fondée.

[42]  Le défendeur soutient que la SAR a expressément énoncé le bon critère concernant l’absence d’une « possibilité sérieuse » de préjudice et a affirmé, dans la même phrase, souscrire à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe aucune possibilité sérieuse de préjudice à Khulna. Selon le point de vue du défendeur, le fait que la SAR soit d’accord avec les motifs factuels invoqués par la SPR pour conclure qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse de préjudice n’équivaut pas à l’énonciation d’un critère juridique. Lorsque la SPR utilise les termes « selon la prépondérance des probabilités » pour faire référence à son appréciation des faits, elle n’applique pas le critère relatif à la persécution (Ye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1221, par. 15 et 21.

[43]  La Cour constate que la SAR a tiré la conclusion suivante au paragraphe 16 de ses motifs en réponse à l’argument du demandeur selon lequel la SPR avait appliqué le mauvais critère :

[16] La SAR a considéré la jurisprudence; elle estime que l’incapacité des agents de persécution de retrouver l’appelant dans la PRI proposée constituait une conclusion de fait, et que la SPR n’a pas utilisé le mauvais critère étant donné que cette conclusion de fait a finalement donné lieu à sa conclusion finale selon laquelle il n’existe pas une possibilité sérieuse que l’appelant soit persécuté dans le lieu offrant une PRI. Cependant, même si le libellé utilisé par la SPR n’était pas correct, cela n’est pas déterminant pour la demande d’asile, puisque la SAR peut procéder à sa propre évaluation de la preuve et tirer les conclusions appropriées en se fondant sur le bon libellé.

[Non souligné dans l’original.]

[44]  Les passages de la décision de la SPR auxquels la SAR fait référence sont les suivants :

[traduction]

[9] J’estime qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté à Khulna car :

a) il était plus probable que le contraire que [M. Mahmud] et ses partisans ne retrouveraient pas le demandeur d’asile à l’endroit offrant une PRI, et

b) il n’existe pas une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté en ce lieu.

[12] De plus, les éléments de preuve présentés empêchent de conclure que [M. Mahmud] pourrait retracer [le demandeur], selon la prépondérance des probabilités.

[45]  Dans le cas qui nous occupe, la déclaration de la SPR concerne principalement le motif invoqué par le demandeur pour demander l’asile, c’est-à-dire la possibilité que les extrémistes islamiques et leurs partisans, qui l’ont persécuté auparavant, le retrouvent et le persécutent à Khulna, une PRI potentielle. Par conséquent, les faits sous-jacents à prouver selon la prépondérance des probabilités seraient le statut de chrétien du demandeur, son exposé concernant la persécution dont il avait été victime aux mains de ce groupe ainsi que son témoignage concernant les endroits au Bangladesh où il a été ciblé et ceux où il ne l’a pas été. Ces faits pourraient contribuer à établir si la crainte du demandeur en tant que réfugié au sens de la Convention est fondée. Les tribunaux devaient donc juger, en s’appuyant sur les faits à prouver selon la prépondérance des probabilités, s’il existe une sérieuse possibilité que le demandeur soit victime de persécution, et ce, même dans la PRI potentielle.

[46]  La Cour est d’avis que la SPR a commis une erreur en affirmant que le demandeur doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ses persécuteurs le retrouveraient à une date ultérieure à Khulna. Exiger une preuve de cette issue selon la prépondérance des probabilités équivaut à exiger du demandeur qu’il prouve l’existence même d’un risque potentiel de persécution pour un motif énoncé dans la Convention, selon la prépondérance des probabilités (Ramanathy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 511, par. 14 à 23; Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, par. 4 à 8 [Alam]). Une fois de plus, le demandeur doit seulement démontrer qu’il existe pour lui une possibilité sérieuse d’être prospectivement confronté à ce risque à Khulna.

[47]  Après avoir formulé ces remarques, dans le contexte particulier de la présente décision, la Cour n’estime pas que cette déclaration de la SPR quant à la norme de preuve applicable, que la SAR n’a pas catégoriquement réprouvée au paragraphe 16 de ses motifs, suffise à justifier l’intervention de la Cour. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour juge que les remarques de la SAR, à la conclusion de sa décision, sont d’une importance capitale :

[30]  La SAR convient également avec la SPR qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse que l’appelant subisse un préjudice de la part de ses agents de persécution à Khulna pour les mêmes motifs que ceux fournis par la SPR. L’appelant n’a pas formulé d’observations à propos de la possibilité que ses agents de persécution retrouvent sa trace à Khulna outre l’argument susmentionné concernant la norme de preuve. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[48]  Avant de poursuivre la présente analyse, la Cour constate qu’elle a elle-même conclu, dans des décisions antérieures, qu’il existe différentes formulations acceptables du critère juridique à respecter, dans la mesure où les motifs de la SAR, pris dans leur ensemble, indiquent que le demandeur ne s’est pas vu imposer un fardeau de preuve indûment lourd (Thiyagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 48, par. 24 [Thiyagarasa]; Pararajasingham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1416, par. 46 et 47; Alam, par. 7 et 8). De plus, la cour de révision ne devrait pas s’attarder à des questions sémantiques sans tenir compte de l’intégralité de la décision et du contexte auquel ces mots renvoient (Thiyagarasa, par. 25; Nageem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 867, par. 27; Mutangadura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 298, par. 9).

[49]  Au début du paragraphe 30 de ses motifs, la SAR a énoncé le bon critère juridique, c’est‑à‑dire que le demandeur n’a pas respecté le critère selon lequel il serait exposé à une « possibilité sérieuse » que ses agents de persécution s’en prennent à lui à Khulna. De plus, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel la déclaration de la SAR, à la fin de ce paragraphe, laisse entendre que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ferait l’objet de persécution à Khulna. La déclaration selon laquelle le demandeur « n’a pas formulé d’observations à propos de la possibilité que ses agents de persécution retrouvent sa trace à Khulna » renvoie plutôt à l’absence d’éléments de preuve ou d’observations présentés pour établir sa crainte de persécution fondée selon la norme de la « possibilité sérieuse » mentionnée précédemment [non souligné dans l’original]. Il existe une distinction entre le fait d’imposer une norme de prépondérance des probabilités à un demandeur et le fait de constater l’absence d’éléments de preuve fiables pour établir la « possibilité sérieuse » d’une crainte (c.‑à‑d. que l’agent de persécution localise le demandeur d’asile (Huerta Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 216, par. 11 à 15). Par conséquent, la SAR n’a pas commis d’erreur à cet égard.

[50]  Il vaut également la peine de réitérer que la SAR a reconnu au paragraphe 16 de ses motifs que, même si la formulation de la SPR était inappropriée, la SAR pouvait effectuer une évaluation de novo et tirer ses propres conclusions en respectant la norme appropriée. La Cour constate que c’est exactement ce que la SAR a fait, malgré l’erreur commise par la SPR. La Cour conclut donc que la SAR a appliqué le bon critère juridique pour déterminer si le demandeur était exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté à Khulna.

B.  La SAR a-t-elle traité les éléments de preuve concernant le profil du demandeur et le traitement des chrétiens au Bangladesh de façon déraisonnable?

[51]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en faisant une mauvaise interprétation des éléments de preuve concernant le profil du demandeur et le traitement des chrétiens au Bangladesh. En jugeant que le demandeur n’avait pas présenté d’arguments portant en particulier sur son profil ou sa vulnérabilité, la SAR passait sous silence sa déclaration où il disait se fonder sur les observations écrites qu’il avait présentées à la SPR et n’avait pas à les répéter lors de son audience devant la SAR.

[52]  Le demandeur affirme avoir présenté à la SPR des observations détaillées sur son expérience de persécution à Dacca aux mains du JEI et de M. Mahmud. En outre, le demandeur a mis l’accent devant la SPR sur le fait qu’il pouvait facilement être identifié comme chrétien, étant donné qu’il fréquentait une église et que son nom est chrétien; ses persécuteurs pouvaient donc facilement le retrouver. Toutefois, la SAR a limité son analyse à l’information générale sur la situation dans le pays. Le demandeur affirme également que, selon les éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays mentionnés dans son mémoire présenté à la SAR, la persécution des chrétiens est répandue dans les régions urbaines et rurales du Bangladesh.

[53]  Le demandeur soutient que la SAR a également commis une erreur en concluant que la vulnérabilité économique des chrétiens, mentionnée dans les documents, renvoie au ciblage par les trafiquants. La SPR a admis, et la SAR n’a pas réfuté cette déclaration, que les chrétiens sont [traduction« vulnérables du point de vue économique » aux tentatives [traduction« d’appropriation des terres » par les extrémistes islamiques. Même si la SAR n’a formulé aucune conclusion à cet égard, alors que la SPR a conclu que le demandeur n’avait rien à craindre car il avait déjà renoncé à son terrain, elle a fait fi du fait que ses persécuteurs avaient continué à l’agresser et avaient exigé qu’il paie la « rançon », après qu’il eut renoncé à ce terrain.

[54]  Selon le défendeur, le demandeur demande essentiellement à la Cour d’évaluer de nouveau les éléments de preuve documentaire concernant la situation au Bangladesh, et il ne s’agit pas là du rôle de la Cour. Le défendeur souscrit à la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur bénéficiait d’une PRI à Khulna et il affirme que cette conclusion est raisonnable. Pour appuyer cet argument, le défendeur souligne plusieurs paragraphes de la décision de la SAR.

[55]  Il importe de réitérer que le critère à deux volets visant à établir s’il existe une PRI viable tient compte des considérations suivantes (Rasaratnam; Tagne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 273, par. 20) :

1.  La SAR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le refuge intérieur proposé;

2.  La situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[56]  Par conséquent, il incombe à un demandeur d’asile d’établir, à l’aide d’éléments de preuve objectifs, qu’il existe pour lui une possibilité sérieuse d’être persécuté dans le refuge intérieur proposé ou que la situation à cet endroit fait qu’il serait déraisonnable de s’y installer, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la situation personnelle du demandeur (Adebayo c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 330, par. 53). Il s’agit là de critères très rigoureux visant essentiellement à prouver l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur d’asile (Ranganathan, par. 15).

[57]  En ce qui concerne le premier volet du critère, après que la SPR eut avisé le demandeur que la question de la PRI serait soulevée, il incombait au demandeur de prouver qu’il risquait sérieusement d’être persécuté dans tout le Bangladesh, y compris la région qui constituait la PRI alléguée, en l’occurrence Khulna (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, (CAF) [Thirunavukkarasu]). Même si un demandeur d’asile n’a peut‑être pas « une connaissance personnelle des autres parties du pays » et que les demandeurs d’asile n’ont pas l’obligation de véritablement tenter de s’établir dans la PRI proposée pour démontrer qu’ils sont persécutés dans cette partie du pays, il est possible de se fonder sur les éléments de preuve documentaire pour établir l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI (Thirunavukkarasu; Ramirez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 600, par. 7; Juhasz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 300, par. 49).

[58]  En tenant compte de ces principes, la Cour estime que la SAR a traité de façon raisonnable les éléments de preuve du demandeur concernant la question à savoir si Khulna constitue une PRI raisonnable. Comme l’a conclu la SAR, les éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays auxquels renvoie le demandeur font état des difficultés vécues par les minorités religieuses du Bangladesh, y compris les chrétiens, principalement à Dacca et dans d’autres parties du pays. Quoi qu’il en soit, la SAR a interprété adéquatement les éléments de preuve concernant la situation dans le pays en affirmant que ceux-ci ne mentionnent pas de manière explicite les difficultés vécues par les minorités religieuses, et les chrétiens en particulier, à Khulna.

[59]  La SAR a raisonnablement soupesé les éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays, notamment en passant en revue les rapports sur des attaques ciblant des personnes précises de confession chrétienne et sur la persécution de chrétiens et d’autres minorités dans le contexte des élections de 2014. Cependant, elle a également fait référence aux éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays selon lesquels les minorités religieuses, y compris les chrétiens, ne sont généralement pas exposées à un risque de persécution au Bangladesh et il faut évaluer chaque cas selon son bien‑fondé (UK Report on Religious Minorities [Rapport du Royaume‑Uni sur les minorités religieuses]; United States Commission on International Religious Freedom Annual Report 2016 [Rapport annuel 2016 de la Commission des États‑Unis sur la liberté religieuse internationale]; Rapport d’activité du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction).

[60]  Étant donné qu’aucun élément de preuve sur la situation dans le pays ne décrit précisément la persécution subie par les chrétiens ou d’autres minorités religieuses à Khulna, la SAR pouvait conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer l’existence d’une « possibilité sérieuse » de persécution à Khulna.

[61]  Pour ce qui est du deuxième volet du critère, la Cour estime qu’il était raisonnable pour la SAR d’accepter les conclusions de la SPR concernant la vulnérabilité du demandeur à Khulna compte tenu des circonstances propres à ce dernier. La Cour reconnaît que le formulaire FDA du demandeur faisait mention de deux périodes consécutives de persécution par deux groupes d’extrémistes islamiques différents, respectivement le JEI et le groupe non affilié mené par M. Mahmud. En outre, tous ces incidents se sont produits à Dacca, y compris dans le district de Savar de la ville. D’ailleurs, comme l’a conclu la SPR en s’appuyant sur la preuve produite par le demandeur, les membres du JEI ont cessé de le poursuivre en 2011 et, la dernière fois qu’il a entendu parler du deuxième groupe d’extrémistes, c’était dans une lettre de menaces envoyée en novembre 2016. De plus, comme l’a souligné la SPR, les éléments de preuve présentés par le demandeur ne faisaient aucune mention de difficultés que lui-même et sa famille auraient vécues après cela, lorsqu’ils restaient à Khulna et à Brahmanbaria. La SAR pouvait donc accepter ces conclusions de fait tirées par la SPR.

[62]  Bien qu’il n’incombait pas au demandeur de vérifier le caractère adéquat de Khulna ou d’une autre région du Bangladesh en tant que PRI, le fait que les éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays n’indiquent en rien que Khulna est une ville dangereuse pour les chrétiens ou les autres minorités religieuses ainsi que l’absence apparente de difficultés dans la vie du demandeur et de sa famille à l’extérieur de Dacca soutiennent les conclusions motivées selon lesquelles il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Khulna et qu’il serait donc raisonnable pour lui de s’y réinstaller (Lebedeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165, par. 42 et 43).

C.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision quand elle a refusé d’admettre à titre de nouvel élément de preuve le document Bangladesh 2016 International Religious Freedom Report?

[63]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en refusant d’admettre le rapport comme nouvel élément de preuve, les renseignements qu’il contient « sont déjà fournis » dans d’autres éléments de preuve documentaire sur la situation prévalant dans le pays. Le demandeur s’est fondé sur le rapport pour démontrer que des actes de persécution de nature religieuse avaient eu lieu dans différentes villes du Bangladesh, ainsi qu’à Dacca, même si la SAR a conclu que de tels actes se produisaient en majorité dans les régions rurales. La SAR ne pouvait pas raisonnablement conclure que le rapport réitérait l’information contenue dans d’autres éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays et tirer des conclusions qui contredisaient le rapport.

[64]  Le défendeur n’a présenté aucune observation écrite à cet égard.

[65]  La Cour estime que la décision de la SAR de ne pas admettre le rapport en preuve était raisonnable. Le contenu du rapport concorde avec les éléments de preuve présentés à la SAR, dans la mesure où les commentaires du document sur la persécution vécue par les chrétiens au Bangladesh concernent essentiellement Dacca et ne font pas précisément référence à des incidents survenus à Khulna. De plus, la Cour n’est pas convaincue par les observations présentées par le demandeur au sujet des conclusions de la SAR sur les risques précis auxquels sont exposés les chrétiens dans les régions urbaines. D’abord, selon certains des éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur, les chrétiens sont exposés à un risque plus élevé dans les régions rurales que dans les régions urbaines comme Khulna. La SAR a d’ailleurs traité expressément des conclusions de la SPR à ce sujet et a elle-même conclu que « [le risque plus élevé dans les régions rurales] n’exclut pas l’existence de persécution dans les régions urbaines ».

[66]  Le demandeur n’a pas démontré en quoi le rapport respectait les conditions mentionnées au paragraphe 110(4) de la LIPR et celles énoncées par la jurisprudence, de sorte que la décision de la SAR de ne pas admettre le rapport en preuve constituerait une erreur susceptible de révision (Singh; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, par. 13).

IV.  Conclusions

[67]  Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la décision de la SAR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM‑4437‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4437‑18

INTITULÉ :

RONALD RIPON HALDER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er avril 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff

 

pour le demandeUr

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

pour lE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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