Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20190712


Dossier : T-1967-18

Référence : 2019 CF 924

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Bernard demande l’examen et l’annulation de la décision du procureur général du Canada datée du 24 octobre 2018 par laquelle il consentait à ce que l’Alliance de la fonction publique du Canada [l’AFPC] présente une requête au titre de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F 7, en vue d’obtenir un jugement déclarant que Mme Bernard a introduit une instance vexatoire.

[2]  Mme Bernard a introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale [Bernard c Bonnie Gale Baun, Procureur général du Canada et Alliance de la fonction publique du Canada, dossier de la Cour A-264-18], afin de contester la décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique [la CRTEFP] de rejeter le grief présenté par Mme Baun [la demande à la CAF]. Dans le cadre de la demande, le procureur général a fait valoir que Mme Bernard n’a pas qualité pour agir et qu’elle n’était pas touchée par la décision visée dans la demande à la CAF. De plus, il a été dit que Mme Baun avait présenté sa propre demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la CRTEFP (dossier de la Cour d’appel fédérale A-319-18).

[3]  Les instances se rapportant aux personnes ayant introduit une instance vexatoire sont régies par l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales. Pour les besoins de la demande soumise à la Cour, les dispositions les plus pertinentes de cet article sont les paragraphes 1 et 2, lesquels sont libellés ainsi :

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

[4]  Dans une lettre datée du 16 octobre 2018 adressée au procureur général, et faisant référence à une conversation téléphonique antérieure, l’AFPC a demandé au procureur général de consentir, aux termes de l’article 40, au projet de demande en vue de faire déclarer qu’une partie a introduit une instance vexatoire. Une version provisoire de l’avis de requête et un affidavit à l’appui de la demande en vue d’obtenir un jugement déclarant que Mme Bernard avait introduit une instance vexatoire étaient aussi joints à la lettre. L’AFPC n’a pas transmis une copie de cette demande à Mme Bernard.

[5]  Le 24 octobre 2018, le procureur général a donné son consentement à la demande en vue de faire déclarer qu’une partie a introduit une instance vexatoire. Mme Bernard n’a pas reçu de copie de cette correspondance et le procureur général ne l’avait pas informée au préalable de la demande de l’AFPC. Mme Bernard atteste qu’elle a pris connaissance pour la première fois de la demande adressée au procureur général et du consentement à cette demande le 31 octobre 2018. Elle dit qu’elle a été [traduction« prise au dépourvu » par la demande présentée en vertu de l’article 40.

[6]  Dans l’affaire que la Cour doit trancher en l’espèce, Mme Bernard soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé, puisque le procureur général ne l’a pas informée de la demande de consentement faite par l’AFPC et qu’il ne lui a pas donné l’occasion de lui présenter ses observations. À titre subsidiaire, elle soutient que, si la Loi sur les Cours fédérales permet au procureur général de donner le consentement visé au paragraphe 40(2) de la Loi sans en aviser la personne concernée, la Loi est inopérante, parce qu’elle est incompatible avec la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44.

[7]  Le procureur général soutient que la « décision » faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire, soit l’octroi du consentement visé au paragraphe 40(2) de la Loi, [traduction« ne porte pas atteinte aux droits ou intérêts juridiques » de Mme Bernard et qu’elle ne peut donc être soumise à l’examen des tribunaux. La décision ne met donc pas en jeu les droits à l’équité procédurale conférés par la common law ou par la Déclaration canadienne des droits.

[8]  Avant l’audition de la demande en l’espèce, la Cour a été informée que la Cour d’appel fédérale, par ordonnance datée du 13 mai 2019, avait statué sur la requête de l’AFPC dans le cadre de la demande à la CAF et avait déclaré que Mme Bernard avait introduit une instance vexatoire : 2019 CAF 144. Lors de l’audition de la demande en l’espèce, Mme Bernard a informé la Cour qu’elle n’avait pas obtenu gain de cause dans sa requête visant à mettre en suspens la requête de l’AFPC en vue de faire déclarer qu’elle avait introduit une instance vexatoire  dans le cadre de la demande à la CAF, en attendant l’issue de la présente demande. Cette requête a été tranchée par la juge Gleason de la Cour d’appel fédérale le 11 mars 2019. Le texte pertinent du préambule de son ordonnance est libellé ainsi :

[traduction

ET VU ma conclusion selon laquelle il ne convient pas de suspendre la requête de l’AFPC fondée sur l’article 40, car l’intérêt de la justice ne favorise pas d’accorder le sursis demandé, mais plutôt de faire en sorte que la demande [en vue d’obtenir] un jugement déclarant que Mme Bernard a introduit une instance vexatoire soit tranchée sans délai.

[9]  Le procureur général a formulé une brève observation selon laquelle l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale avait pour effet de conférer un caractère théorique à la présente demande. Je ne souscris pas à cette observation. Il serait étrange et injuste qu’une décision de la Cour d’appel fédérale, rendue sur la base du consentement qui est contesté devant la Cour, puisse effectivement trancher la question en litige en l’espèce, à savoir si le consentement est valide.

[10]  Si la Cour se prononçait en faveur de Mme Bernard, la validité de l’ordonnance déclarant que la demanderesse a introduit une instance vexatoire pourrait être mise en doute. Pour cette seule raison, j’aurais pensé qu’il aurait été préférable de mettre la requête en suspens, en attendant la décision de la Cour. Compte tenu de la décision que je rends dans la demande en l’espèce, les mesures prises par la Cour d’appel fédérale n’ont en fin de compte aucune conséquence.

[11]  Les parties conviennent que, sous le régime du paragraphe 40(2) de la Loi, le procureur général joue le rôle de gardien. Pour reprendre les termes employés par Mme Bernard, l’exigence selon laquelle la partie requérante doit d’abord obtenir le consentement du procureur général [traduction« protège l’intégrité du système judiciaire fédéral et empêche les plaideurs d’intimider arbitrairement et injustement leurs opposants en utilisant l’article 40 comme tactique judiciaire ».

[12]  Mme Bernard soutient que, [traduction« suivant les principes de justice naturelle et d’équité procédurale », le procureur général aurait dû l’informer du consentement qui avait été demandé et lui donner l’occasion de présenter des observations [traduction« au lieu de simplement approuver automatiquement la demande de l’AFPC ». Toutefois, je suis d’accord avec les observations du procureur général selon lesquelles [traduction« la version provisoire de la requête renfermait suffisamment de renseignements et d’éléments de preuve pour démontrer que la demanderesse a fait montre d’au moins certaines des caractéristiques d’une personne ayant introduit une instance vexatoire ». Ainsi, je rejette l’argument selon lequel le consentement n’était qu’un simple exercice d’approbation automatique.

[13]  Dans l’arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, aux paragraphes 28 et 29, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que ce ne sont pas toutes les mesures prises par une autorité fédérale qui déclenchent le droit à un examen de la conduite en question sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales :

La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, (2009), 86 Admin. L.R. (4th) 149. [Non souligné dans l’original.]

[14]  À mon avis, le consentement du procureur général s’inscrit carrément dans le cadre des exceptions mentionnées ci-dessus concernant les conduites des décideurs fédéraux qui sont susceptibles de contrôle et la Cour ne peut donc pas se prononcer à cet égard. Bien que le consentement du procureur général soit une condition préalable à toute demande en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’une partie a introduit une instance vexatoire, je ne suis pas convaincu que ce consentement a une incidence sur les droits juridiques de Mme Bernard, lui impose des obligations légales ou lui cause un effet préjudiciable. C’est la décision ultime de la Cour d’appel fédérale quant à la demande en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’une partie a introduit une instance vexatoire présentée par l’AFPC qui pourrait avoir ces conséquences. Il n’est pas contesté que Mme Bernard a bénéficié de l’équité procédurale à l’égard de cette décision.

[15]  Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

[16]  Le défendeur demande qu’on lui accorde le montant de 2 100 $ à titre de dépens; cependant, compte tenu de la question que la Cour devait trancher et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’accorde au procureur général la somme de 500 $ à titre de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1967-18

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et que le montant de 500$ est accordé au procureur général à titre de dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de juillet 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1967-18

 

INTITULÉ :

ELIZABETH BERNARD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUILLET 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Elizabeth Bernard

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Helene Robertson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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