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Date : 20190715

Dossier : T-1229-18

Référence : 2019 CF 940

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ALEXANDRE MAKAVITCH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Makavitch, qui n’est pas représenté par avocat, a présenté une demande d’enrôlement dans les Forces armées canadiennes [les FAC] le 17 octobre 2017. À l’époque, il travaillait depuis septembre 2007comme gardien de sécurité pour le service des Commissionnaires du ministère de la Défense nationale.

[2]  En soumettant sa demande, M. Makavitch devenait candidat à un emploi dans les FAC, ou postulant.

[3]  Tous les postulants doivent obtenir une cote de fiabilité, ou attestation de fiabilité [AF], avant l’embauche. M. Makavitch a échoué la vérification de la fiabilité; il demande le contrôle de cette décision.

[4]  À l’époque où il a présenté sa demande aux FAC, M. Makavitch détenait une cote de sécurité Très secret, qu’il avait obtenue le 15 novembre 2012 et qui était toujours valide.

[5]  En raison d’un incident survenu après l’obtention par M. Makavitch de la cote de sécurité Très secret, le comité d’examen de l’AF [le CEAF], puis un comité d’examen supplémentaire [le CES], chargés l’un et l’autre de déterminer s’il y a lieu d’attribuer l’AF, ont procédé à l’examen des renseignements soumis par M. Makavitch à propos de l’incident et ont décidé de lui refuser l’AF.

[6]  M. Makavitch demande maintenant à la Cour de rendre une [traduction] « ordonnance [l’]autorisant à s’enrôler dans l’Armée canadienne ».

[7]  La Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner à l’Armée canadienne d’admettre M. Makavitch dans ses rangs. En revanche, si M. Makavitch la convainc du bien-fondé de sa demande, la Cour peut annuler la décision du CES datée du 18 juin 2018 [la décision du CES] et renvoyer la question de l’attribution de son AF devant une formation différente du CES pour qu’elle l’examine.

[8]  Toutefois, pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

[9]  La décision du CES est raisonnable et elle a été rendue d’une manière qui était équitable envers M. Makavitch sur le plan procédural.

II.  Procédure de filtrage de sécurité applicable aux recrues des FAC

A.  Législation et politiques

[10]  La procédure de recrutement des FAC est régie par des lois, des règlements et des politiques ministérielles.

[11]  En vertu des articles 15 et 16 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5, le ministre de la Défense est autorisé à prendre des règlements et à adopter des politiques concernant la Force régulière et la Force spéciale. Cela vise notamment le processus d’habilitation de sécurité, et en particulier celui visant l’octroi d’une AF, qui sont pertinents pour l’examen de la demande de M. Makavitch.

[12]  Suivant les alinéas 7(1)e) et 11.1(1)j) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11, le Conseil du Trésor du Canada [le Conseil du Trésor] est autorisé à adopter des politiques concernant le filtrage de sécurité. Il a donc adopté la Norme sur le filtrage de sécurité [la Norme], qui vise à assurer un filtrage de sécurité efficace, efficient, rigoureux, uniforme et équitable.

[13]  Selon la Norme, l’obtention d’un emploi au sein de la fonction publique fédérale est assujettie à un filtrage de sécurité, dont il existe trois types différents, selon les exigences propres à l’emploi. Il peut s’agir du filtrage aux fins de la cote (attestation) de fiabilité, aux fins de l’autorisation de sécurité Secret ou aux fins de l’autorisation de sécurité Très secret.

[14]  Il existe aussi deux niveaux de fiabilité, correspondant au filtrage ordinaire, ou de base, et au filtrage approfondi. La cote de fiabilité minimale exigée pour l’enrôlement dans les FAC correspond au filtrage approfondi. Avant de l’attribuer, il faut évaluer la fiabilité et l’honnêteté du postulant.

B.  Instruction de travail des FAC relative au processus de vérification de la fiabilité

[15]  L’établissement et l’application des politiques de recrutement des FAC sont assurés par le Groupe du recrutement des Forces canadiennes au moyen d’instructions de travail. La marche à suivre pour l’attribution de l’AF est énoncée dans l’IT 3-3-4-15 [l’IT] et ses annexes F et G, qui exposent, dans le détail, les aspects suivants :

  • - les procédures pour la vérification de la fiabilité

  • - les critères d’évaluation du caractère appréciable – condamnations criminelles et dossier de crédit défavorable

  • - le protocole relatif aux comités d’AF et aux évaluations par les comités

[16]  La décision d’attribuer l’AF à un postulant dépend des résultats de la vérification de son casier judiciaire, de sa solvabilité et des références personnelles. L’octroi de l’AF nécessite cinq années d’information adéquate, vérifiable et quantitative.

[17]  La découverte de renseignements défavorables durant la vérification des antécédents ne justifie pas à elle seule de refuser l’AF. Par exemple, l’IT prévoit que si une infraction criminelle a été commise et qu’elle est jugée appréciable, le postulant doit avoir la possibilité de s’expliquer à ce sujet. À cette fin, les FAC enverront une lettre d’équité faisant état de l’information présumée défavorable et dressant la liste des documents que le postulant est invité à produire, dans les 30 jours, pour expliquer l’incident en question.

[18]  Comme nous le verrons, M. Makavitch a répondu dans les délais impartis aux lettres d’équité reçues du CEAF et du CES.

C.  Convocation du CEAF

[19]  Lorsque les documents supplémentaires du postulant ont été reçus, les FAC convoquent un CEAF qu’il charge de déterminer s’il faut accorder l’AF. L’annexe G précise le rôle du CEAF et les facteurs à prendre en considération lors de l’examen des informations supplémentaires fournies par le postulant :

La raison d’être du comité est d’examiner toute la documentation et de déterminer l’attitude de la personne concernée au sujet des infractions qui n’ont pas fait l’objet d’un pardon, de sa mauvaise solvabilité et des autres informations défavorables, la mesure dans laquelle le postulant a modifié son comportement à cet égard et le risque que le postulant commette des infractions/gestes similaires ainsi que leurs éventuelles conséquences sur sa fiabilité et son caractère digne de confiance au travail.

IT, annexe G, par. 5.

[20]  Si le CEAF conclut qu’il ne convient pas d’attribuer l’AF au postulant, ce dernier est avisé de la décision et de son droit d’en appeler en vertu d’un mécanisme d’appel interne. Il peut aussi porter plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP], l’ombudsman des FAC ou la Cour fédérale.

D.  Appel interne d’une décision du CEAF

[21]  Le postulant doit notifier le Centre de recrutement des FAC de son intention de se prévaloir du mécanisme interne d’appel d’une décision défavorable du CEAF dans les 30 jours suivant la réception de cette décision.

[22]  En appel, un CES formé des membres qui ont composé le CEAF procède à un nouvel examen du dossier. Il réévalue la demande à la lumière des facteurs prescrits, en tenant compte de tout renseignement supplémentaire fourni par le postulant.

III.  Question préliminaire

[23]  À titre préliminaire, le défendeur s’oppose à ce que soit produite en preuve la pièce « U », laquelle est jointe à l’affidavit de M. Makavitch figurant dans le dossier du demandeur, au motif que le CEAF ne disposait pas de cet élément de preuve lors du premier refus d’attribuer l’AF à M. Makavitch.

[24]  La pièce « U » est un rapport de crédit d’Equifax portant la date du 21 juillet 2018. Il est postérieur de plus d’un mois à la date de la décision du CES. À l’évidence, ni le CEAF ni le CES n’en a pris connaissance; par conséquent, on ne peut en tenir compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 19. La pièce ne relève pas non plus de l’une des quelques exceptions énoncées au paragraphe 20 de cet arrêt.

[25]  Par conséquent, la pièce « U » ne sera pas retenue.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[26]  M. Makavitch a soulevé des questions relatives à l’équité procédurale, au défaut de compétence et au traitement déraisonnable de la preuve qu’il a présentée. Il affirme que la décision du CES n’est pas raisonnable et que le processus suivi pour y arriver n’était pas équitable.

A.  Examen de l’équité procédurale

[27]  Lorsqu’une question d’équité procédurale se pose, le rôle de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur présente le degré d’équité requis compte tenu de l’ensemble des circonstances : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 43.

[28]  S’agissant de l’examen des allégations concernant l’équité procédurale, je n’oublie pas que la Cour d’appel fédérale a jugé dans un arrêt récent qu’aucune norme ne s’appliquait au contrôle des questions d’équité procédurale. Ce qui doit être considéré comme conforme à l’équité dans une situation donnée est très variable et tributaire du contexte. Pour déterminer si le processus suivi était équitable, la cour de révision n’a pas besoin de faire preuve de déférence envers le tribunal, si ce n’est quant au respect du choix qu’il a fait quant à la procédure. La cour de révision emploie le terme « décision correcte » non pas pour désigner une norme de contrôle, mais plutôt comme un point de référence à partir duquel déterminer si l’obligation d’équité procédurale a été respectée : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 40 et 49.

[29]  En ce qui concerne le degré d’équité procédurale exigé dans le contexte du refus d’une première demande d’habilitation de sécurité, il ressort de la jurisprudence que ce degré est minimal par rapport à celui qui s’impose en cas de révocation d’une habilitation déjà octroyée : Russo c Canada (Transports), 2011 CF 764, par. 57. Toutefois, je suis consciente que le juge John Norris a exprimé des réserves bien légitimes concernant la signification du terme « minimal » dans le contexte du refus d’octroyer une première habilitation de sécurité : Haque c Canada (Procureur général), 2018 CF 651, par. 60-63 [Haque].

[30]  Étant donné qu’à l’époque où il a demandé l’AF correspondant au niveau de filtrage approfondi M. Makavitch détenait déjà une autorisation Très secret – même si elle n’était pas récente –, on pourrait sans doute faire valoir qu’il relève de la catégorie des personnes dont l’autorisation de sécurité a été révoquée, et non de celle des demandeurs d’une première AF.

[31]  Toutefois, en l’espèce, il n’est pas nécessaire de déterminer à quel niveau d’équité procédurale a droit M. Makavitch selon qu’il s’agit d’un premier refus ou d’une révocation. En effet, les FAC ont établi des procédures et des protocoles qui respectent la norme correspondant au niveau d’équité procédurale le plus élevé, soit celle applicable à la révocation d’une autorisation de sécurité existante, norme qui se traduit par le droit de connaître les faits allégués contre soi et de présenter des observations écrites à l’égard de ces faits : Haque, par. 62, et la jurisprudence y citée.

B.  L’application de la norme de la décision raisonnable

[32]  La question en litige en l’espèce est de savoir si la décision du CES était raisonnable. Par ailleurs, même si elle est raisonnable, la décision ne pourra être confirmée si le CES y est parvenu d’une manière qui ne respectait pas l’équité procédurale à laquelle avait droit M. Makavitch.

[33]  La Cour a établi dans un jugement antérieur que « la négation du droit à une audience équitable “doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente” » : Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2012 CF 445, par. 201 [Canada]. Une exception restreinte pourrait s’appliquer lorsque, sur le fond, l’issue de l’affaire est inéluctable compte tenu des faits : Canada, par. 201 et 203.

[34]  La norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qu’il convient d’appliquer lorsqu’il s’agit d’évaluer une décision administrative ayant pour effet d’annuler ou de suspendre une habilitation de sécurité : Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, par. 14.

[35]  Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47 [Dunsmuir].

[36]  Lus dans leur ensemble, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16 [Nfld Nurses].

[37]  Autrement dit, le CES, agissant à titre de tribunal administratif, n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par M. Makavitch. La question, pour la cour de révision, est de savoir si la décision, considérée dans son ensemble et à la lumière du dossier, est raisonnable : Nfld Nurses, par. 9.

V.  L’infraction criminelle et la peine

[38]  D’après les faits au dossier, le 11 octobre 2016, M. Makavitch a été absous sous conditions relativement à une inculpation de voies de fait causant des lésions corporelles commise sur son ex-conjointe. L’agression a eu lieu la veille du Nouvel An du 1er janvier 2016, lorsque sa conjointe est rentrée à la maison. M. Makavitch était ivre et une altercation a eu lieu. Plus tard, il a dit qu’il lui avait [traduction« donné un coup de pied de derrière ».

[39]  Parallèlement à l’absolution sous conditions, M. Makavitch s’est vu infliger une peine de 12 mois de probation. Il lui a aussi été enjoint de suivre le Programme d’intervention auprès des partenaires violents [le PIPV] afin d’obtenir du counseling en matière de violence conjugale. Le dossier certifié du tribunal [le DCT] contient un rapport sommaire sur sa participation au PIPV.

[40]  Le 9 février 2017, soit moins de quatre mois après l’imposition de sa peine, M. Makavitch a obtenu la fin de l’ordonnance de probation, initialement fixée à 12 mois. À l’appui de sa demande, il avait produit une lettre dans laquelle son ex-conjointe disait consentir à ce que M. Makavitch cesse d’être soumis à une période de probation [traduction] « parce que cela retard[ait] de beaucoup la possibilité [pour M. Makavitch] de s’enrôler dans les Forces armées canadiennes ».

[41]  M. Makavitch affirme qu’en raison de l’absolution conditionnelle, il n’a pas été condamné. Il prétend qu’en tenant compte de sa condamnation dans le cadre du processus de filtrage de sécurité, le CEAF et le CES ont manqué à l’équité procédurale et outrepassé leur compétence.

VI.  Les lettres d’équité procédurale envoyées à M. Makavitch

[42]  M. Makavitch a fait plusieurs allégations de manquement à l’équité procédurale qui seront examinées dans la partie du jugement et des motifs consacrée à l’analyse.

[43]  Les dispositions de l’annexe G établissent les protocoles que doivent suivre les comités d’AF. Le but déclaré du Protocole est de définir « des pratiques équitables, transparentes et justifiables qui permettront de réduire le nombre de contestations légitimes liées aux décisions de rejet de candidatures à l’embauche. Dès qu’une AF peut être refusée à cause de renseignements défavorables, le postulant doit avoir la possibilité de fournir des informations supplémentaires, et un CEAF doit se réunir ».

[44]  Suivant le Protocole, le postulant doit être avisé par écrit que des renseignements défavorables ont été reçus au cours de la vérification des antécédents; il doit aussi avoir la possibilité de fournir une réponse. À l’appendice 1 de l’annexe G figure une lettre d’équité type, à envoyer au postulant.

[45]  Le Protocole a été suivi. M. Makavitch a reçu des lettres d’équité, auxquelles il a répondu.

A.  La lettre de la Force de réserve

[46]  M. Makavitch a rempli une demande d’emploi dans les FAC pour la Force de réserve le 24 mai 2016.

[47]  Le 23 janvier 2017, il a reçu du centre de recrutement un courriel l’informant qu’ils avaient reçu les résultats de la vérification nominale de son casier judiciaire et souhaitaient discuter de certaines informations. Le courriel ne donnait pas de détails.

[48]  Le 24 janvier 2017, M. Makavitch a répondu au courriel en question au moyen de deux courts messages. Dans le premier, il déclarait qu’il continuait de détenir une autorisation de sécurité Très secret. Dans le second, il précisait que son casier judiciaire était vierge et qu’il était contraire à la loi de lui réserver un traitement spécial, rappelant qu’il [traduction] « doit être traité conformément à la loi, comme une personne sans casier judiciaire ».

[49]  Puis, M. Makavitch a reçu une lettre d’équité [la lettre de la Force de réserve] datée du 21 février 2017. La lettre faisait état de sa condamnation criminelle et du fait que le 9 février 2017, le tribunal avait mis fin à son ordonnance de probation. Elle dressait également la liste des informations précises que M. Makavitch devait fournir pour expliquer sa condamnation avant qu’une décision ne soit prise quant à sa fiabilité.

[50]  Le 28 février 2017, M. Makavitch a envoyé au centre de recrutement des FAC un courriel de réponse dans lequel il déclarait qu’il n’avait pas fait l’objet d’une condamnation; qu’il s’agissait d’une accusation et de la date de l’accusation, après quoi il avait été absous sans être déclaré coupable. Il affirmait que son casier judiciaire était « vierge » et que si une recherche était faite, elle [traduction] « ne donnerait rien ». Enfin, il ajoutait que la condamnation devait être retirée de son dossier, sans quoi il se verrait obligé d’intenter une action en justice pour défendre sa réputation.

B.  La lettre de la Force régulière

[51]  M. Makavitch a fini par laisser tomber sa demande d’enrôlement dans la Force de réserve et, en octobre 2017, il a postulé un emploi dans la Force régulière. À l’époque, même s’il n’admettait pas la validité de sa condamnation criminelle, M. Makavitch était parfaitement au courant que, conformément à ce qu’exigeaient les FAC, il devait fournir les renseignements s’y rapportant.

[52]  Dans sa lettre d’équité, datée du 20 mars 2018, la Force régulière a exigé essentiellement les mêmes renseignements que ceux antérieurement demandés dans la lettre de la Force de réserve.

[53]  La lettre d’équité de la Force régulière explique que le volet de vérification de la fiabilité portant sur la vérification nominale du casier judiciaire avait révélé l’existence d’une condamnation sous le régime du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [le Code]. La lettre en donne le détail :

[traduction]

Date et lieu :  2016-10-11 TRIBUNAL POUR ADULTES, OTTAWA ONT

Condamnation : VOIES FAIT LÉSIONS CORP., AL. 267(B) C.C.

Décision : ABSOLUTION SS CONDITIONS & PROBATION 12 MOIS & SURAMENDE COMPENS. 100 $, SINON 60 JOURS

[54]  Dans la lettre, on demandait à M. Makavitch de produire les documents suivants :

  • tous les documents juridiques relatifs à sa condamnation;

  • au moins trois lettres de recommandation traitant de sa maturité, de son sens des responsabilités et de son attitude dans sa vie professionnelle;

  • des lettres d’évaluation de son agent de probation faisant état des progrès accomplis pendant sa probation;

  • des lettres de conseillers expliquant dans le détail la nature de tout traitement suivi;

  • une lettre dans laquelle le postulant décrit dans ses propres mots les circonstances entourant sa condamnation et les leçons qu’il a tirées de l’expérience.

[55]  M. Makavitch n’a pas fourni l’ensemble des renseignements demandés, mais seulement les suivants :

  • une courte lettre ne donnant aucun détail au sujet de l’incident ayant débouché sur une accusation criminelle ou de la façon dont il s’y était pris pour corriger les défauts qui étaient la cause de l’incident;

  • deux lettres de collègues travaillant avec lui comme gardes de sécurité, qui attestaient qu’il était fiable;

  • une lettre dans laquelle son ex-conjointe affirmait qu’il était un [traduction« homme bien ».

[56]  Dans une lettre datée du 24 mai 2018, le CEAF a informé M. Makavitch qu’il n’était pas en mesure de lui attribuer l’AF.

VII.  La décision du CEAF

[57]  Le CEAF a procédé à l’examen des documents et des résultats de la vérification des antécédents criminels et du dossier de crédit le 15 mai 2018. Dans une lettre datée du 24 mai 2018, le CEAF a exposé comme suit les motifs de son refus d’attribuer l’AF à M. Makavitch :

  • les explications offertes par M. Makavitch au sujet de sa condamnation ne parviennent pas à dissiper les préoccupations soulevées par l’incident qui s’y rapporte et ne fournissent aucune précision sur la façon dont il est parvenu à corriger les défauts qui sont à l’origine de l’accusation;

  • M. Makavitch n’a pas démontré qu’il avait assumé la responsabilité de ses actes ou qu’il avait retenu quelque chose de son expérience;

  • M. Makavitch n’a fourni que deux lettres de recommandation acceptables au lieu des trois lettres exigées.

[58]  Le CEAF a conclu que M. Makavitch n’avait pas constitué un dossier suffisamment solide pour démontrer qu’il était fiable et digne de confiance. Même s’il jugeait que M. Makavitch ne devait pas se voir attribuer l’AF, le CEAF confirmait dans la lettre qu’il lui adressait qu’il pouvait présenter une nouvelle demande au terme d’une période d’un an — à la condition d’avoir procédé à des améliorations sur le plan de sa responsabilité personnelle et de demander, lorsqu’il y deviendrait admissible, la suspension de son casier judiciaire.

[59]  Selon les notes consignées en juin 2017 dans le dossier de la décision du CEAF, au cours d’un entretien visant à recueillir des faits, M. Makavitch [traduction« s’est montré très difficile et a affirmé avec insistance qu’il avait le “profil parfait” ». Il est aussi noté que même s’il reconnaissait les accusations criminelles et admettait avoir commis des voies de fait sur sa compagne, M. Makavitch avait déclaré que celle-ci était [traduction« entièrement responsable » et qu’il n’y avait [traduction« pas de quoi en faire tout un plat ». L’échange faisait dire au responsable de l’entrevue que M. Makavitch [traduction« n’assumait pas la responsabilité de ses actes ».

[60]  Les notes de la réunion du CEAF révèlent que d’autres facteurs ont été pris en considération, notamment les suivants : (1) M. Makavitch a envoyé plusieurs courriels de menace et d’intimidation aux recruteurs; (2) M. Makavitch n’a pas décrit en détail les circonstances entourant les accusations criminelles dont il a fait l’objet et les leçons qu’il en a tirées. Sa réponse tient en une seule phrase : [traduction] « Je ne me souviens pas des détails, cela remonte à plus de trois ans et selon la loi, trois ans après avoir reçu une absolution sous conditions, ça ne doit plus figurer à mon dossier. »

[61]  Le CEAF a conclu que les réponses de M. Makavitch ne dissipaient pas les très graves préoccupations soulevées par les accusations criminelles et l’absolution sous conditions et qu’elles ne donnaient pas non plus de détails sur la façon dont il s’y était pris pour corriger les défauts de caractère ayant mené aux accusations au départ.

[62]  Le CEAF a recommandé que l’AF soit refusée pendant un an.

[63]  M. Makavitch a été informé de son droit d’interjeter appel ou de porter plainte auprès de la CCDP, de l’ombudsman des FAC ou de la Cour.

[64]  M. Makavitch a choisi d’interjeter appel devant le CES.

VIII.  La décision soumise au contrôle : l’appel au CES

[65]  M. Makavitch a interjeté appel devant le CES de la conclusion du CEAF le 5 juin 2018 par courriel. À cette occasion, il a présenté d’autres informations prenant la forme d’une explication :

[traduction] La nécessité d’accepter la responsabilité de mes actes – ce que j’ai fait devant le tribunal – constituait une CONDITION PRÉALABLE, c’est pour cela que j’ai été absous, une absolution étant une réhabilitation différée. Ce n’est pas une condamnation, quoique la preuve de la culpabilité apparaîtra à mon casier judiciaire pendant trois ans à compter de février 2017. Il n’est pas nécessaire que je fasse une demande de réhabilitation, l’information sera retirée de toute manière. Elle m’a demandé Acceptez-vous la responsabilité et êtes-vous disposé à apprendre [de cela]? J’ai accepté de suivre le programme New direction et de bien me comporter. J’ai fait des études universitaires en culture sportive à Minsk, au Belalarus [sic] de 1989 à 1992, et j’apprends aussi la psychologie, j’avais donc de bonnes connaissances, la question était de savoir comment réduire la colère, c’est pourquoi j’ai acheté « Anger management » et d’autres programmes de croissance personnelle sur Internet sur le site www.uncommon-knowledge.co.uk.

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[66]  M. Makavitch a également soumis au CES le rapport du 16 janvier 2017 faisant état de son passage au PIPV [le rapport du PIPV]. Le rapport du PIPV comportait un résumé de sa participation au programme et des observations concernant sa réussite ou son échec relativement à chacun des neuf volets obligatoires d’instruction répartis sur douze séances.

[67]  Le 8 juin 2018, les membres du CEAF se sont réunis à nouveau, en tant que CES, pour examiner l’information fournie par M. Makavitch. Dans une lettre datée du 18 juin 2018, le CES a informé M. Makavitch qu’il avait décidé de confirmer la décision originale.

[68]  Dans sa décision, le CES confirmait avoir reçu et examiné les éléments de preuve supplémentaires soumis par M. Makavitch dans le cadre de l’appel. Il y était aussi mentionné explicitement que même si M. Makavitch avait suivi le PIPV en entier, les commentaires figurant dans le rapport du PIPV qu’il avait déposé n’étaient pas entièrement positifs et qu’ils étayaient la décision rendue initialement sur la question de l’attestation de fiabilité.

[69]  La décision rendue par le CEAF le 8 juin 2018 fournit l’analyse et les autres motifs qui sous-tendent les conclusions du CES. Il en est question dans l’analyse qui suit.

IX.  Analyse des arguments de M. Makavitch

[70]  Dans l’exposé des moyens invoqués dans sa demande de contrôle, M. Makavitch prétend qu’une erreur de droit a été commise parce que son absolution a été traitée comme une condamnation. Il soutient également qu’il y a eu violation des principes d’équité procédurale et de justice naturelle, parce que la décision du CES est basée sur la « dispute conjugale » et ne tient pas compte du fait qu’il a suivi le PIPV en entier.

A.  La décision du CES n’est pas entachée d’une erreur de droit

[71]  L’un des arguments invoqués par M. Makavitch pour faire valoir que la décision du CES devrait être infirmée est que celle-ci procède d’une erreur de droit, parce qu’elle [traduction« ne repose sur rien ».

[72]  Si je suis bien son raisonnement, étant donné qu’il a eu une absolution sous conditions, il n’aurait pas fait l’objet d’une condamnation criminelle. À défaut de condamnation, il n’y a aucun compte à rendre ni aucune preuve à l’appui de la décision du CES : par conséquent, elle [traduction« ne repose sur rien ».

[73]  Essentiellement, la question que soulève M. Makavitch est de savoir si le CEAF et le CES sont autorisés à examiner les actes qui ont abouti à son absolution sous conditions et, le cas échéant, à en tenir compte pour évaluer s’il y a lieu de lui attribuer l’AF.

(1)  L’effet d’une ordonnance d’absolution sous conditions et de probation

[74]  M. Makavitch a raison d’affirmer que selon la loi, il n’a jamais fait l’objet d’une condamnation. Suivant le paragraphe 730(3) du Code, le délinquant qui est absous inconditionnellement ou sous conditions est réputé ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction.

[75]  En revanche, M. Makavitch a tort de conclure que le CEAF et le CES ne sont pas autorisés à prendre en considération le fait qu’il a été absous sous conditions et les faits qui sous‑tendent l’absolution.

[76]  Selon l’article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c C-47 [la LCJ], l’existence de l’absolution sous conditions de M. Makavitch ne peut pas être révélée si plus de trois années se sont écoulées depuis le prononcé de l’ordonnance de probation :

Absolutions

6.1 (1) Nul ne peut communiquer tout dossier ou relevé attestant d’une absolution que garde le commissaire ou un ministère ou organisme fédéral, en révéler l’existence ou révéler le fait de l’absolution sans l’autorisation préalable du ministre, suivant l’écoulement de la période suivante :

a) un an suivant la date de l’ordonnance inconditionnelle;

b) trois ans suivant la date de l’ordonnance sous conditions.

Retrait des relevés d’absolution

(2) Le commissaire retire du fichier automatisé des relevés de condamnations criminelles géré par la Gendarmerie royale du Canada toute mention d’un dossier ou relevé attestant d’une absolution à l’expiration des délais visés au paragraphe (1).

[Non souligné dans l’original.]

Discharges

6.1 (1) No record of a discharge under section 730 of the Criminal Code that is in the custody of the Commissioner or of any department or agency of the Government of Canada shall be disclosed to any person, nor shall the existence of the record or the fact of the discharge be disclosed to any person, without the prior approval of the Minister, if

(a) more than one year has elapsed since the offender was discharged absolutely; or

(b) more than three years have elapsed since the offender was discharged on the conditions prescribed in a probation order.

Purging C.P.I.C.

(2) The Commissioner shall remove all references to a discharge under section 730 of the Criminal Code from the automated criminal conviction records retrieval system maintained by the Royal Canadian Mounted Police on the expiration of the relevant period referred to in subsection (1).

 

[77]  Dans le cas de M. Makavitch, le calcul de la période de trois ans doit se faire à partir du 12 octobre 2016, jour qui suit le prononcé de l’absolution sous condition assortie d’une probation. Cela signifie que jusqu’au 12 octobre 2019, l’article 6.1 de la LCJ ne s’applique pas. Ainsi, c’est en toute légalité que son absolution sous conditions, l’accusation précise à laquelle il a plaidé coupable et la peine qui lui a été infligée ont été communiquées dans le cadre de la vérification nominale du casier judiciaire.

[78]  Contrairement à ce qu’il a déclaré, l’information figurant au casier judiciaire confirme que M. Makavitch n’avait pas un « casier vierge » le 18 juin 2018, au moment où le CEAF a rendu sa décision.

[79]  M. Makavitch n’avait toujours pas un casier vierge lorsque le CEAF a délibéré et conclu qu’il n’avait fourni [TRADUCTION] « aucun détail sur la façon dont [il] s’y [était] pris pour corriger les défauts de caractère ayant mené aux accusations au départ ».

(2)  Le CES n’a commis aucune erreur de droit

[80]  Jusqu’à ce qu’expire la période de trois ans, le dossier d’absolution de M. Makavitch continuera de figurer dans le fichier automatisé des relevés de condamnations criminelles [le CIPC] géré par la Gendarmerie royale du Canada.

[81]  Comme la période de trois ans n’a pas expiré, ni le CEAF ni le CES n’ont commis d’erreur de droit en prenant connaissance de l’information communiquée au sujet de M. Makavitch en réponse à la demande de vérification nominale du casier judiciaire.

[82]  Soulignons par ailleurs que ce qu’il faut entendre par « casier judiciaire » dans le cadre du processus de vérification de la fiabilité reçoit une définition plus large dans l’IT WI 3.3.4.15 que dans la LCJ. En effet, l’article 2.10 de l’IT 3.3.4.15 énonce :

Un casier judiciaire est constitué de toute information qui figure au dossier d’une personne relativement à une accusation au criminel qui a entraîné une déclaration de culpabilité, une suspension des procédures, le retrait d’une condamnation, une absolution ou qui a été réglée par l’application de mesures de rechange, et qui est susceptible de nuire à sa réputation. Aussi longtemps qu’il y a quelque information que ce soit associée à un nom et à une date de naissance, cela peut constituer, par définition, un type de casier judiciaire, même si aucune condamnation au criminel n’a été prononcée (réf K) […]

(3)  Le processus approprié a été suivi

[83]  Le CEAF était tenu de prendre en considération l’information figurant au casier judiciaire, selon la Norme et le protocole prévu à l’annexe G, qui établit les règles que doit suivre le CEAF.

[84]  Selon le paragraphe 4 du protocole de l’annexe G, le rôle du CEAF est d’examiner tous les documents qui lui sont soumis et de déterminer l’attitude de la personne concernée au sujet des infractions qui n’ont pas fait l’objet d’une réhabilitation et la mesure dans laquelle le postulant a modifié son comportement à cet égard. Le CEAF doit aussi déterminer le risque que le postulant commette des infractions ou des gestes similaires ainsi que « leurs éventuelles conséquences sur sa fiabilité professionnelle et son caractère digne de confiance au travail ».

[85]  L’annexe G contient deux tableaux. Aux termes du paragraphe 5 de l’annexe G, le CEAF « doit tenir compte [de ces tableaux] pour en arriver à une décision au sujet de l’attribution de l’AF ». Seul le tableau 1 s’applique en l’espèce.

[86]  Le tableau 1 s’intitule « Questions centrales pour la collecte et l’évaluation de renseignements sur le casier judiciaire ». Il présente les six facteurs dont il faut tenir compte en précisant comment il convient d’en tenir compte.

[87]  Pour le facteur « Prononcé de la sentence », le tableau présente une liste de cinq peines courantes, par ordre décroissant de sévérité. En tête de liste se trouve l’« [e]mprisonnement suivi d’une libération conditionnelle ». Vient ensuite la « probation », peine infligée à M. Makavitch.

[88]  Sous le facteur « Nature de l’infraction » sont donnés des exemples d’infractions graves ou violentes en vertu du Code. Parmi les infractions énumérées dans la catégorie « infractions d’ordre sexuel, actes contraires aux bonnes mœurs et inconduite », l’infraction la plus grave est l’« agression sexuelle grave ». Celle-ci est suivie de l’infraction de « contacts sexuels », infraction dont M. Makavitch a été accusé, à laquelle il a plaidé coupable et pour laquelle il a reçu une peine.

[89]  Les autres facteurs à prendre en considération s’intéressent aux aspects suivants : la « [f]réquence des incidents », la « [p]ossibilité que seule une partie de l’activité ait été signalée », l’« [i]ndication que la personne s’est amendée » et la « [n]ature des fonctions et [l’]accès probable à des informations et à des biens désignés ».

[90]  S’agissant de l’examen de l’absolution sous conditions, le CES a tenu compte des facteurs pertinents.

[91]  Le Protocole a établi que sur une échelle de cinq points, l’infraction pour laquelle M. Makavitch a reçu une peine venait au deuxième rang parmi les infractions sexuelles les plus graves et la peine qui lui a été imposée, au deuxième rang des peines les plus sévères.

[92]   En plus de prendre connaissance des circonstances et de la gravité de l’infraction, le CEAF a consulté les renseignements de base des notes d’entrevue, les courriels de M. Makavitch, ses observations et le rapport du PIPV, dont il sera question plus loin.

[93]  En réalité, M. Makavitch demande à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve examinée par le CES. Or, non seulement la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du CES, mais les éléments de preuve au dossier étayent entièrement les conclusions de faits et les déclarations faites dans le cadre de la demande d’AF approfondie.

B.  M. Makavitch savait ce qu’il lui fallait démontrer.

[94]  M. Makavitch prétend également, semble-t-il, qu’il n’a pas été avisé du règlement ou du fondement précis que les autorités entendaient invoquer pour refuser de lui attribuer l’AF; ce faisant, il aurait été privé d’une possibilité raisonnable de présenter des observations utiles.

[95]  Cette allégation n’est étayée par aucune preuve.

[96]  M. Makavitch a reçu deux lettres d’équité de la Force régulière et une autre de la Force de réserve. Comme nous l’avons vu précédemment, dans chaque lettre étaient précisées les préoccupations auxquelles il devait répondre et la nature de la preuve et des observations attendues dans sa réponse. Rien n’empêchait par ailleurs M. Makavitch de soumettre tout autre élément de preuve qu’il jugeait pertinent.

[97]  Comme le signale le texte de la décision du CES, M. Makavitch n’a pas fourni la majorité des renseignements demandés. Dans ses observations, il a continué de soutenir qu’il n’avait fait l’objet d’aucune condamnation. Il a également produit un extrait d’un site Web du gouvernement du Canada où, à la question « J’ai un casier judiciaire. Puis-je m’enrôler dans les Forces? », la réponse suivante est donnée : « [V]ous pouvez postulez au sein des Forces, dans la mesure où vous avez purgé votre peine et que vous ne faites plus l’objet d’obligations légales. »

[98]  Il est vrai que selon le Code, l’absolution sous conditions signifie que M. Makavitch n’a pas été déclaré coupable d’une infraction criminelle. Le CEAF et le CES ne se sont pas attardés sur la question de la condamnation, information obtenue par suite de la vérification nominale du casier judiciaire, ni sur l’ordonnance d’absolution sous conditions assortie d’une période de probation. Ils connaissaient les faits de violence conjugale à l’origine de l’ordonnance et s’inquiétaient du fait que M. Makavitch ne leur avait fourni aucune explication leur permettant de penser qu’il avait tiré une leçon de son expérience ou qu’il assumait la responsabilité de ses actes.

[99]  Il s’agit d’une façon tout à fait raisonnable de considérer les faits du 1er janvier 2016. Le CEAF et le CES savaient que, d’après l’IT, les renseignements défavorables mis en évidence lors d’une vérification d’antécédents ne peuvent à eux seuls entraîner le refus de l’AF. L’IT prévoit que M. Makavitch doit se voir accorder la possibilité de fournir des explications à cet égard. Cette possibilité lui a été présentée dans les lettres d’équité qui lui ont été envoyées. Ses réponses ont été prises en compte; elles ont été jugées lacunaires parce qu’elles ne traitaient pas de ce qu’il avait retenu de l’incident ni de ce qu’il avait appris au sujet des traits de son caractère à l’origine de cet incident.

[100]  Le processus suivi par le CES pour arriver à sa décision n’a été entaché d’aucun manquement à l’équité procédurale. Le protocole établi a été suivi. Le demandeur connaissait les éléments auxquels il lui fallait répondre et il a présenté ses observations. Le fait que ces observations se sont révélées incomplètes n’est pas la conséquence du processus suivi par le CEAF ou le CES.

C.  L’examen du rapport du PIPV par le CES

[101]  M. Makavitch fait valoir que la décision du CES ne tient pas compte du fait qu’il a réussi le PIPV.

[102]  Le PIPV est une initiative du Tribunal pour l’instruction des causes de violence familiale. Il offre des services spécialisés de counseling et d’éducation en groupe aux délinquants qui ont agressé leur partenaire et à qui le tribunal a ordonné de suivre le programme. C’est l’occasion, pour les délinquants, d’analyser leurs opinions personnelles et leurs attitudes à l’égard de la violence familiale. Le programme a pour objet d’aider les délinquants à faire l’apprentissage de techniques non violentes de résolution des conflits.

[103]  Dans la décision du CES, il est écrit que les commentaires figurant dans le rapport du PIPV n’étaient [traduction« pas entièrement positifs ». La formule est indulgente pour M. Makavitch. Dans le rapport du PIPV, M. Makavitch est noté sur une échelle de 0 à 5 quant à divers aspects de sa participation. Il a obtenu deux fois la note de 1 (insatisfaisant), deux fois la note de 2 (respect des exigences minimales) et une fois celle de 3 (satisfaisant). Il n’a reçu aucun 4, note qui correspond à l’excellence.

[104]  Deux des volets évalués étaient jugés insatisfaisants.

[105]  Le premier volet concernait l’[traduction« autorévélation ». On pouvait lire le commentaire suivant : [traduction« M. Makavitch était incapable de se concentrer sur son propre comportement et rejetait sur son ex-conjointe la responsabilité de leurs difficultés relationnelles. » De plus, à titre d’exemple, le rapport relevait que, [traduction] « après avoir regardé un enregistrement vidéo, il déclarait fréquemment que le protagoniste de sexe masculin n’avait rien fait de mal et que le conflit mis en scène, quel qu’il soit, avait été causé par la protagoniste de sexe féminin ».

[106]  Le deuxième volet concernait les [traduction] « devoirs à faire à la maison ». Apparemment, M. Makavitch a refusé de faire les devoirs jusqu’à ce qu’il apprenne que c’était en fait une exigence et qu’il serait exclu du programme s’il ne s’en acquittait pas. Par la suite, il a accepté de faire les devoirs.

[107]  Dans l’ensemble, les commentaires issus du rapport du PIPV révèlent que M. Makavitch n’a pas assumé la responsabilité de ses actes et qu’il croit que les hommes sont injustement ciblés ou que les femmes portaient la responsabilité.

X.  Conclusion : la décision du CES est raisonnable

[108]  Le rapport du PIPV constitue à lui seul un fondement raisonnable pour la décision du CES. Selon ce rapport, M. Makavitch n’a pas accepté la responsabilité de ses actes et il n’a pas changé d’attitude concernant l’agression de son ex-compagne.

[109]  Outre le rapport du PIPV, plusieurs facteurs dont le CES a tenu compte étaient cités et commentés dans la décision du CES : la nature de l’incident, le temps écoulé et le fait que M. Makavitch n’avait pas produit d’éléments de preuve supplémentaires montrant qu’il avait modifié son comportement ou son attitude au regard de l’épisode de violence conjugale.

[110]  En plus du rapport du PIPV, le CES disposait du compte rendu de décision et des notes du CEAF, de même que des notes des entrevues effectuées avec M. Makavitch et des courriels envoyés par ce dernier dans le cadre du processus de vérification de la fiabilité. Ces éléments de preuve étayaient les conclusions du CES, en ce qu’ils confirmaient l’existence de problèmes de maîtrise de la colère chez M. Makavitch et donnaient des détails à ce sujet.

[111]  La décision du CES souligne l’importance d’un changement d’attitude chez M. Makavitch. Elle signale que M. Makavitch doit attendre une année complète à compter de la date de la décision du CEAF, soit jusqu’au 15 mai 2019, pour pouvoir présenter une nouvelle demande d’emploi dans les FAC. Elle précise en outre que s’il décide de soumettre une nouvelle demande, M. Makavitch [traduction] « devra présenter des éléments montrant en quoi [sa] situation et [ses] opinions diffèrent de celles [qu’il a] exposées à l’occasion de l’actuelle demande d’emploi dans les Forces armées canadiennes et de [sa] participation au PIPV ».

[112]  En somme, M. Makavitch a eu droit à un processus approfondi, rigoureux et équitable. Le CES a raisonnablement examiné la preuve. Ce processus a abouti à une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les motifs énoncés permettent à M. Makavitch de comprendre pourquoi sa demande a été refusée. La décision du CES est raisonnable, car elle satisfait aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir.

[113]  Pour toutes les raisons qui précèdent, la demande est rejetée.

[114]  Vu les circonstances, l’affaire ne se prête pas à l’adjudication de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1229-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’août 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1229-18

 

INTITULÉ :

ALEXANDRE MAKAVITCH c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 février 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Alexandre Makavitch

 

Pour le demandeur

 

Elsa Michel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexandre Makavitch

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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