Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190717


Dossier : IMM‑4679‑18

Référence : 2019 CF 946

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

VIR SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle un agent de migration (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente de monsieur Vir Singh, au motif qu’il est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  M. Singh est âgé de 72 ans et est citoyen indien. Il a servi dans la police pendjabie à Badashe (Inde) pendant 38 ans, soit d’avril 1967 à mai 2005. Au cours d’une entrevue avec un agent d’immigration, il a admis avoir menacé des suspects détenus de les passer à tabac ou de les pendre par les pieds s’ils ne donnaient pas les réponses attendues. Il a par la suite nié avoir jamais pratiqué des violences de cette nature sur des prisonniers. L’agent a néanmoins conclu que M. Singh avait commis des actes équivalant à la complicité de torture.

[3]  L’agent a de façon raisonnable conclu que M. Singh avait admis avoir commis les éléments constitutifs de l’infraction, qu’il s’agissait d’une infraction aussi bien en Inde qu’au Canada, et que ladite infraction est punissable au Canada d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Il n’était pas nécessaire que M. Singh ait été déclaré coupable d’une infraction en Inde, pas plus qu’il n’était nécessaire qu’il ait personnellement pratiqué des passages à tabac ou des pendaisons par les pieds pour être considéré comme ayant participé à l’infraction. L’agent disposait d’éléments de preuve suffisants pour étayer sa conclusion que la police pendjabie infligeait de telles violences aux prisonniers et que M. Singh s’était rendu complice de cette pratique.

[4]  La lettre d’équité procédurale adressée à M. Singh lui donnait un avis suffisant des inquiétudes qu’il devait dissiper, et on lui a donné une possibilité adéquate de réponse. Il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale. La présente demande de contrôle judiciaire est en conséquence rejetée.

II.  Rappel des faits

[5]  M. Singh a présenté le 17 décembre 2011 une demande de résidence permanente au Canda au titre du regroupement familial. Il était parrainé par sa fille et son beau‑fils. Des doutes ont d’abord été émis sur l’admissibilité des parrains, parce que le beau‑fils avait été déclaré coupable en Inde de passage de clandestins et de fourniture de faux documents de voyage. Cependant, la fille et le beau‑fils de M. Singh ont en fin de compte été déclarés admissibles à le parrainer.

[6]  M. Singh a commencé son service dans la police pendjabie comme simple agent. Il a été promu au grade de sous‑inspecteur en janvier 2001 et a rempli cette fonction jusqu’à la fin de sa carrière.

[7]  M. Singh a passé deux entrevues avec des agents d’immigration du Haut‑Commissariat du Canada en Inde, à New Delhi. La première de ces entrevues a eu lieu le 5 janvier 2016. On a alors posé à M. Singh des questions sur les tâches qu’il avait remplies comme agent de police, agent‑chef et sous‑inspecteur adjoint. Il a déclaré n’avoir interrogé personne quand il occupait ces postes. Lorsque les suspects ne donnaient pas les renseignements demandés, a‑t‑il expliqué, les policiers répétaient leurs questions plusieurs fois ou les posaient avec plus de vigueur, mais sans faire usage de la force.

[8]  M. Singh a passé une seconde entrevue le 4 juillet 2018. On a lui alors posé des questions sur ses pouvoirs d’arrestation et d’interrogatoire, sur la manière dont les interrogatoires étaient menés et sur le point de savoir si la violence ou les menaces de violence faisaient partie des techniques d’interrogatoire. Il a répondu qu’il pratiquait des interrogatoires et participait à des suivis d’enquête avec des témoins environ une fois ou deux par semaine. Lorsque les suspects ne voulaient pas avouer, a‑t‑il expliqué, il essayait de les faire avouer. Il a donné à ce sujet les précisions suivantes : [traduction] « Dans le cas d’un crime odieux, si le suspect refuse de parler, nous devons recourir à la force […] Nous menacions le suspect de le pendre par les pieds, de le battre […] Ça pouvait être autorisé par le [chef de poste], ou des gens comme le [commissaire adjoint]. »

[9]  On a envoyé à M. Singh une lettre d’équité procédurale en date du 4 juillet 2018, l’avisant qu’il était soupçonné d’avoir commis des actes emportant interdiction de territoire au Canada au titre de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR et l’invitant à répondre par écrit. M. Singh a répondu le 25 juillet 2018, joignant à sa lettre un avis juridique émanant de son avocat indien, Me Jasbir Rattan.

[10]  L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de M. Singh le 30 juillet 2018, apparemment sans avoir pu prendre connaissance de la réponse de ce dernier à la lettre d’équité procédurale. Cette réponse a par la suite été communiquée à l’agent, qui a réexaminé la demande en fonction d’elle, et confirmé sa décision défavorable le 2 août 2018.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  L’agent a conclu que M. Singh avait enfreint les articles 107 et 330 du code pénal indien et que si ces infractions avaient été commises au Canada, elles seraient assimilables à la complicité de torture, réprimée par le paragraphe 21(1) et l’article 269.1 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Voici le texte des notes prises par l’agent relativement au réexamen de la demande de résidence permanente qu’il a effectué après avoir reçu la réponse de M. Singh à la lettre d’équité procédurale :

[traduction]

Demande réexaminée aujourd’hui. On m’a communiqué une réponse, datée du 25 juillet 2018, à une [lettre d’équité procédurale (LEP)], réponse qui, en raison d’une erreur administrative, n’avait pas été portée à ma connaissance lorsque j’ai rendu ma décision sur ce dossier le 30 du même mois. Nous sommes aujourd’hui le 2 août 2018. Je réexamine ma décision en fonction de la réponse susdite, datée du 25 juillet 2018, à la LEP.

La réponse à la LEP comprend des déclarations du demandeur et de son conseil canadien, ainsi qu’un avis juridique émanant d’un avocat indien. Je note que l’entrevue s’est faite à l’aide d’un interprète du pendjabi, et que toute traduction comporte des risques de contresens ou de malentendus. Cependant, je note aussi que le demandeur a confirmé comprendre l’interprète, et que l’agent menant l’entrevue lui a demandé de l’avertir s’il ne comprenait pas l’interprétation ou avait l’impression que lui‑même ne la comprenait pas. Le demandeur n’a signalé aucun problème d’interprétation à aucun moment de l’entrevue. 

On fait valoir que le demandeur n’a pas déclaré à l’entrevue avoir personnellement commis les actes en question. Je note cependant que la lettre d’équité procédurale (LEP) dit explicitement que les doutes portent sur la complicité plutôt que sur la perpétration personnelle. En outre, je constate que le demandeur a déclaré : « Nous menacions le suspect de le pendre par les pieds, de le battre », et « [dans certains cas,] nous devons recourir à la force »; il n’a pas dit qu’« ils » ou que « d’autres » utilisaient la force. En employant le mot « nous », le demandeur donne des motifs raisonnables de croire qu’il a lui aussi recouru à la force.

L’avocat indien relève que la LEP cite erronément le numéro de l’article du code pénal indien portant sur la « complicité »; ce n’est pas l’article 106, observe‑t‑il avec raison, mais l’article 107. Cependant, j’estime que la LEP a bien rempli son rôle d’équité procédurale, parce qu’elle citait aussi textuellement les dispositions de l’article 107 du code pénal indien (portant sur la complicité) et que l’avocat indien se réfère lui‑même à cet article dans sa réponse.

Le demandeur reconnaît que « [l]a loi n’autorise en aucun cas l’usage de la violence », ajoutant qu’il n’a fait que menacer les suspects comme moyen d’obtenir la vérité. Cependant il a déclaré ce qui suit en entrevue : « Dans le cas d’un crime odieux, si le suspect refuse de parler, nous devons recourir à la force […] Nous menacions le suspect de le pendre par les pieds, de le battre […] Ça pouvait être autorisé par le [chef de poste], ou des gens comme le [commissaire adjoint]. » Certains passages de cette déclaration – le fait de « dev[oir] recourir à la force », les pendaisons par les pieds et les passages à tabac qui pouvaient être « autorisé[s] » – donnent des motifs raisonnables de croire qu’on allait au‑delà des simples menaces, et qu’on a effectivement pratiqué le passage à tabac et la pendaison par les pieds.  

Je relève en outre que si s’il n’y avait pas eu de passages à tabac, le demandeur aurait dû répondre à la question « Qui battait les prisonniers? » en disant : « On ne battait pas les prisonniers », plutôt qu’en expliquant que les passages à tabac pouvaient être autorisés par ses supérieurs. Le demandeur fait valoir qu’il n’a jamais employé l’expression « usage de la force », mais qu’il a plutôt parlé de techniques « rigoureuses » d’interrogatoire, lesquelles consistaient à menacer le suspect de pendaison par les pieds ou de passage à tabac.

Le demandeur affirme ne pas avoir déclaré en entrevue que la force était utilisée et ne pas se rappeler qu’on lui ait demandé qui autorisait les passages à tabac […] J’estime ses premières déclarations, faites en entrevue, plus dignes de foi que l’exposé considérablement différent qu’il n’a donné qu’après avoir pris conscience des conséquences potentielles de ces premières déclarations. Après un examen détaillé de la réponse du demandeur à la LEP, j’aboutis à la même décision que celle que j’ai rendue il y a quelques jours, avant d’avoir pris connaissance de cette réponse. La demande de résidence permanente est rejetée.

[12]  Dans sa lettre de rejet, l’agent cite le paragraphe 21(1) et l’article 269.1 du Code criminel, ainsi que les articles 106 (qu’il faut corriger en « 107 ») et 330 du code pénal indien. Le paragraphe 21(1) du Code criminel porte sur les « participants à une infraction », et l’article 107 du code pénal indien, sur la [traduction] « complicité ». Quant à l’article 269.1 du Code criminel et à l’article 330 du code pénal indien, ils répriment l’extorsion d’aveux. L’agent a conclu que les infractions criminelles canadienne et indienne sont en substance similaires, et que les faits avoués par M. Singh dans son entrevue du 4 juillet 2018 emportent son interdiction de territoire au Canada pour grande criminalité.

IV.  Les questions en litige

[13]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

  2. La décision de l’agent est‑elle conforme à l’équité procédurale?

V.  La norme de contrôle applicable

[14]  La décision de l’agent portant que M. Singh est interdit de territoire au Canada pour avoir commis en Inde une infraction équivalente à une infraction au Canada est contrôlable par la Cour selon la norme de la raisonnabilité (Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 164, au par. 11). La raisonnabilité est une norme fondée sur la retenue et commande qu’on s’intéresse principalement à la justification de la décision, ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au par. 55, où l’on cite le par. 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

[15]  L’équité procédurale est une question qu’il appartient à la Cour de trancher. La norme applicable au point de savoir si le décideur s’est conformé à son obligation d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 34, où l’on cite le par. 79 de l’arrêt Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24). La question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter, et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre.

VI.  Analyse

A.  La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

[16]  Pour emporter interdiction de territoire au titre de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR, l’acte commis à l’extérieur du Canada doit remplir deux conditions : il constitue une infraction dans le pays où il a été commis; et, s’il avait été commis au Canada, il y constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. L’examen de cette question exige d’établir si les deux infractions sont équivalentes, c’est‑à‑dire qu’il faut comparer leurs éléments constitutifs pour voir s’ils se correspondent. Les désignations des infractions ou les termes employés pour les définir ne sont pas pertinents, puisqu’il faut s’attendre à ce que le libellé des dispositions qui les répriment diffère d’un pays à l’autre (Pardhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 756, aux par. 9 et 10 [Pardhan]).

[17]  L’équivalence des actes criminels peut s’apprécier de trois manières (Pardhan, au par. 11) :

1)    en comparant la teneur exacte de chaque loi à la fois grâce à des documents et, si possible, par le témoignage d’experts en droit étranger dans le but de dégager les éléments constitutifs de chaque infraction;

2)    en examinant les preuves, à la fois orales et écrites, pour décider si elles suffisent à établir que les éléments constitutifs de l’infraction au Canada ont été prouvés lors des procédures à l’étranger, que ce soit en détail et dans les mêmes termes dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions législatives;

3)     par une combinaison des deux.

[18]  L’agent a conclu à l’interdiction de territoire en se fondant sur les réponses données par M. Singh aux questions suivantes, posées à l’entrevue du 4 juillet 2018 :

  • a) À la question de savoir s’il est nécessaire de frapper un prisonnier pendant son interrogatoire : [traduction] « Nous l’interrogeons, et quand nous avons les éléments de preuve et les témoins, nous essayons de le faire avouer. »

  • b) À la question de savoir ce qui se passait lorsque le prisonnier n’avouait pas : [traduction] « Dans le cas d’un crime odieux, si le suspect refuse de parler, nous devons recourir à la force. »

  • c) À la question de savoir à quelle sorte de force on recourait : [traduction] « Nous menacions le suspect de le pendre par les pieds, de le battre. »

  • d) À la question de savoir qui battait les prisonniers : [traduction] « Ça pouvait être autorisé par le chef de poste, ou des gens comme le commissaire adjoint. »

[19]  Les dispositions applicables du code pénal indien sont libellées comme suit :

[traduction]

107. Complicité

Est complice d’une infraction quiconque remplit l’une ou l’autre des conditions suivantes :

1) inciter quiconque à la perpétrer;

2) comploter avec une ou plusieurs personnes en vue de la perpétrer, si une action ou omission illégale est commise dans le cadre de ce complot et aux fins de la perpétration;

3) aider délibérément quelqu’un, par toute action ou omission illégale, à la perpétrer.

[…]

Exemple

[…]

Explication no 2 – Quiconque, avant ou pendant la perpétration d’une infraction, fait quoi que ce soit dans le but de faciliter cette perpétration et ce faisant la facilite, est considéré comme ayant aidé à ladite perpétration.

330. Infliction délibérée de douleurs afin d’arracher des aveux ou de forcer à rendre des biens

Quiconque inflige délibérément des douleurs afin d’arracher à la victime, ou à une personne liée à celle‑ci, des aveux ou des renseignements susceptibles de conduire à la découverte d’une infraction ou d’un comportement répréhensible […] encourt une peine d’emprisonnement de l’un ou l’autre type, d’une durée maximale de sept ans, ainsi qu’une amende.

Exemples

a) L’agent de police A torture le suspect Z afin de le forcer à avouer qu’il a commis un crime donné. A est coupable de l’infraction réprimée par le présent article […]

[20]  Le paragraphe 21(1) du Code criminel dispose que « [p]articipent à une infraction » a) quiconque la commet réellement; b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre; c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre. Le sous‑alinéa 269.1(2)a)(iii) définit la torture comme un « [a]cte, commis par action ou omission, par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne [afin] de l’intimider ou de faire pression sur elle […] ».

[21]  Je suis convaincu que l’agent a de façon raisonnable comparé le paragraphe 21(1) et le sous‑alinéa 269.1(2)a)(iii) du Code criminel aux articles 107 et 330 du code pénal indien, et qu’il a conclu que les infractions réprimées par les deux codes sont équivalentes en appliquant le premier critère énoncé par la Cour dans la décision Pardhan. M. Singh ne conteste pas sérieusement cette conclusion. Il soutient plutôt que l’agent ne disposait d’aucun élément prouvant que quiconque ait jamais été battu ou pendu par les pieds, de sorte qu’on ne peut l’accuser de complicité d’un crime qui n’a jamais eu lieu. M. Singh fait valoir qu’il n’a jamais été déclaré coupable d’une infraction en Inde, comme le confirme le certificat d’habilitation de la police qu’il a produit au soutien de sa demande.

[22]  Les faits à prendre en considération dans un examen relatif à l’interdiction de territoire sont appréciés, entre autres, « sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus » (art. 33 de la LIPR). Cette norme de preuve exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». La croyance, pour être dite raisonnable, « doit […] posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au par. 114).

[23]  J’estime raisonnable la conclusion de l’agent selon laquelle M. Singh a admis avoir commis les éléments constitutifs de l’infraction de complicité de torture. Il n’était pas nécessaire que M. Singh ait été déclaré coupable d’une infraction en Inde (Magtibay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 397, au par. 10; Bankole c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 373, au par. 44). Il n’était pas non plus nécessaire qu’il ait lui‑même pratiqué des passages à tabac ou des pendaisons par les pieds pour être considéré comme un participant à l’infraction. L’agent disposait d’éléments de preuve suffisants pour étayer, selon la norme relativement peu rigoureuse des motifs raisonnables de croire, la conclusion que la police pendjabie soumettait ses prisonniers à des mauvais traitements de ce genre et que M. Singh s’était fait le complice de cette pratique.

[24]  Comme l’agent le faisait observer dans ses notes, si les passages à tabac n’ont pas eu lieu, M. Singh aurait dû répondre à la question « Qui battait les prisonniers? » en disant : « On ne battait pas les prisonniers », plutôt qu’en expliquant que les passages à tabac pouvaient être autorisés par ses supérieurs. Concernant la déclaration de M. Singh selon laquelle les passages à tabac [traduction] « pouvai[ent] être autorisé[s] par le [chef de poste], ou des gens comme le [commissaire adjoint] », M. Rattan a proposé l’observation suivante : [traduction] « Aucun avis juridique ne peut être donné sur cette question. Cependant, du point de vue administratif, tout règlement intérieur oblige en principe le subordonné à exécuter les ordres de son supérieur. »

B.  La décision de l’agent est‑elle conforme à l’équité procédurale?

[25]  M. Singh a avancé plusieurs arguments au soutien de sa thèse que la décision de l’agent n’est pas conforme à l’équité procédurale. Mais il n’a développé avec vigueur aucun de ces arguments, et aucun ne se révèle propre à convaincre la Cour.

[26]  La lettre de rejet de l’agent attribuait erronément le numéro 106 à l’article 107 du code pénal indien. Cependant, l’agent a inscrit le bon numéro dans ses notes relatives à la décision qu’il a rendue après réexamen de la demande en fonction de la réponse de M. Singh à la lettre d’équité procédurale. En outre, Me Rattan a bien compris que l’agent se référait à l’article 107, et c’est à cet article qu’il s’est lui‑même référé dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale. Il ressort à l’évidence de la lettre de Me Rattan que M. Singh comprenait la nature des doutes de l’agent et qu’il a eu la possibilité de les dissiper. Qui plus est, les erreurs d’écriture ne suffisent pas à disqualifier une décision qui est à l’évidence fondée sur des considérations appropriées (Martinez Gonzales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1504, au par. 20).

[27]  M. Singh a évoqué la possibilité d’erreurs d’interprétation, arguant de ce que l’agent pourrait avoir cru à tort qu’il parlait de l’usage de la force quand il évoquait des techniques [traduction] « rigoureuses » d’interrogatoire. Cependant, M. Singh a admis qu’il menaçait les prisonniers de les battre et de les pendre par les pieds, et que ces menaces étaient parfois mises à exécution avec l’autorisation de ses supérieurs. De plus, un interprète du pendjabi était présent à l’entrevue, et M. Singh ne s’est alors aucunement plaint à l’agent de la qualité de l’interprétation.

[28]  M. Singh a émis la conjecture que le réexamen de sa demande après réception de sa réponse à la lettre d’équité procédurale pourrait être entaché de partialité ou d’un retard excessif. Il n’a cependant proposé aucun élément de preuve au soutien de cette allégation, et l’exposé approfondi que l’agent a donné des motifs de sa décision parle de lui‑même. M. Singh n’a pu préciser quelle serait selon lui la mesure réparatrice appropriée à la considérable lenteur, qu’il faut reconnaître, du traitement de sa demande, et il a en fin de compte décidé de ne pas insister sur ce point.

[29]  En conséquence, je suis convaincu que la lettre d’équité procédurale envoyée à M. Singh lui a donné un avis suffisant des doutes qu’il avait à dissiper et qu’il a bénéficié d’une possibilité adéquate de réponse. Il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale.

VII.  Conclusion

[30]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑4679‑18

 

INTITULÉ :

VIR SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUIN 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 17 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Napinderpal Singh Masaun

Jagdeep Lally

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mehar Lawyers SRL

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.