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Date : 20020514

Dossier : T-1369-01

Référence neutre : 2002 CFPI 548

Ottawa (Ontario), le 14e jour de mai 2002

En présence de : L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                           JEAN-YVES MIGNEAULT

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                                 M. CHARBONNEAU, C. KENNEDY,

COMMISSION NATIONALE

DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

                                                                                   

                                                                                                                                                    Défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [ci-après « Section d'appel » ] rendue le 14 juin 2001 par laquelle la Section d'appel confirme la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles [ci-après « la CNLC » ] de révoquer la libération d'office du demandeur en vertu du paragraphe 135(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. c. C-44.6 [ci-après la « Loi » ] puisqu'il n'a pas respecté les conditions spéciales de sa libération et alors, représente un risque inacceptable pour la société.


QUESTION PRÉLIMINAIRE

[2]                 Le défendeur soutient que la demande de contrôle judiciaire est tardive et qu'en conséquence je devrais la rejeter pour ce seul motif.

[3]                 Au tout début de l'audition par conférence téléphonique, j'ai entendu le demandeur, qui se représente lui-même, ainsi que le représentant du défendeur sur cette question et j'ai décidé de prendre l'objection sous réserve et d'en décider avant de procéder aux arguments avancés par le demandeur sur le fond du litige.

DÉCISION SUR L'OBJECTION PRÉLIMINAIRE

[4]                 Le demandeur est détenu et allègue avoir reçu la première page de la décision du 14 juin 2001 le 22 ou 23 juin 2001 et avoir reçu la décision comme telle le 27 ou le 28 juin 2001. Il prétend être à l'intérieur du 30 jours prévu par la Loi car dit-il, sa demande de contrôle judiciaire est déposée le 27 juillet 2001.

[5]                 Il me mentionne qu'il a toujours voulu contester une décision qui lui serait défavorable et me demande une extension de délai si jamais j'en arrivais à la conclusion qu'il a dépassé le délai règlementaire de 30 jours pour déposer sa demande de contrôle judiciaire.

[6]                 Le défendeur de son côté n'a pas déposé de récépissé de la réception de la décision attaquée.

[7]                 J'accorde donc au demandeur l'extension demandée et décrète que ce dernier a déposé en temps utile sa demande de contrôle judiciaire.

[8]                 Il reste donc à décider si le demandeur a raison de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel rendue le 14 juin 2001.

QUESTION EN LITIGE

[9]                 La Section d'appel a-t-elle rendu une décision manifestement déraisonnable fondée sur une conclusion de faits erronée en confirmant la décision de la CNLC à l'effet que le demandeur n'a pas respecté les conditions spéciales de sa mise en liberté conditionnelle et alors, représente un risque inacceptable à la société s'il est mis en liberté?

[10]            Je suis satisfait que la décision rendue n'est pas entachée d'une erreur manifestement déraisonnable.

    

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

  

[11]            Le demandeur soutient que les deux (2) commissaires de la CNLC ont refusé d'accepter ses preuves lors de l'audience et ce, contrairement à la loi.

[12]            Le demandeur soumet qu'aucun rapport psychologique vient à l'appui qu'il pouvait commettre des actes illégaux ou violents.

[13]            Le demandeur prétend que la CNLC se base sur des faits erronés et non valides et qu'aucun principe de droit ou de justice n'a été respecté lors de l'audience. De plus, il allègue qu'aucun affidavit n'est venu supporter les fondements de la décision attaquée.

[14]            Enfin, le demandeur allègue que la Section d'appel a erré en confirmant la décision de la CNLC de révoquer sa mise en liberté conditionnelle.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[15]            Le défendeur soumet que cette demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce que le demandeur n'a pas respecté les conditions spéciales de sa libération d'office imposées par la CNLC.

[16]            Le défendeur est d'avis que c'est à bon droit que la CNLC a révoqué la libération d'office du demandeur et que la Section d'appel a rejeté son appel.

FAITS

[17]            Le demandeur purge une peine de 12 ans, 7 mois et 28 jours pour des délits d'agression sexuelle armée, port d'arme, vol qualifié, usage d'arme à feu et évasion d'une garde légale.

[18]            Le demandeur est actuellement à l'établissement La Macaza.

[19]            Le 23 mai 2000, la CNLC impose au demandeur deux (2) conditions spéciales et additionnelles en vue de sa prochaine mise en libération effective le 10 juillet 2000, soit une assignation à résidence et la participation au programme pour délinquant sexuel CERUM et ce, en vertu des paragraphes 133(3) et (4.1) de la Loi.

[20]            Le 10 juillet 2000, le demandeur est mis en libération d'office.

[21]            Le 13 décembre 2000, les autorités de la maison de transition (CRC), où séjourne le demandeur, procède à une entrevue de clarification.

[22]            On lui demande de respecter le couvre-feu ainsi que sa présence obligatoire de sept (7) heures en résidence requise par son assignation et de tenir des propos « respectueux et adéquats » envers le personnel.

[23]            Le 21 décembre 2000, Jean-Guy Desrosiers, membre de la CNLC, émet un mandat d'arrestation et de suspension de libération conditionnelle au nom du demandeur en vertu du paragraphe 135(1) de la Loi.

[24]            Le 22 décembre 2000, le mandat est exécuté et le demandeur est arrêté.                        

[25]            Le 15 mars 2001, la CNLC procède à l'audition post-libératoire du demandeur et décide de révoquer sa libération d'office.

[26]            Le 16 mars 2001, le demandeur interjette l'appel de cette décision devant la Section d'appel.

[27]            Le 14 juin 2001, la Section d'appel confirme la décision de la CNLC et rejette son appel.

[28]            Le 27 juillet 2001, le demandeur dépose au greffe de cette Cour une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section d'appel de la CNLC.


DÉCISION CONTESTÉE

[29]            La Section d'appel, présidée par M. Charbonneau, conclut à la page 4 de sa décision:

La Section d'appel conclut que la décision dont est appel est équitable et raisonnable, qu'elle s'appuie sur de l'information pertinente, crédible et convaincante et qu'elle est en accord avec la Loi et les politiques post-libératoires de la Commission. Nous jugeons également que vous et votre assistant avez eu tout le loisir de vous exprimer à l'audience et que celle-ci a été conduite dans le respect des principes de justice fondamentale.

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[30]            Selon la cause Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 (C.F. 1re inst.), la juge Tremblay-Lamer expose le cadre juridique à l'intérieur duquel cette Cour est fondée à contrôler judiciairement une décision de la Section d'appel de la CNLC. La juge Tremblay-Lamer énonce au paragraphe 6:

Le rôle de la section d'appel est de s'assurer que la CNLC s'est conformée à la Loi et à ses politiques, qu'elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n'est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l'intervention de cette Cour est justifiée.

LA DÉCISION DE LA CNLC

[31]            Le 15 mars 2001, les commissaires de la CNLC en arrivent à la conclusion que la libération d'office du demandeur doit être révoquée. À la page 4 de la décision de la CNLC se trouve ce qui suit:


Considérant toutes les circonstances ayant entraîné la suspension de votre libération d'office, votre équipe de gestion de cas recommande la révocation de votre libération d'office. Elle est d'avis qu'il s'agit actuellement de la mesure la moins restrictive pour protéger la société. À ce stade-ci, votre agente de libération conditionnelle est d'avis que l'intervention devrait se poursuivre par le biais du traitement pour délinquants présentant un trouble de la personnalité à l'Institut Philippe Pinel.

L'audience d'aujourd'hui ne nous a malheureusement pas permis d'en arriver à une autre conclusion. La Commission révoque votre libération d'office car elle est d'avis que vous représentez un risque inacceptable pour la société.

  

[32]            J'ai relu attentivement toute la transcription des notes sténographiques (pages 48 à 116 du dossier du défendeur) et j'ai aussi écouté la cassette qui a été fournie par le demandeur de cette audition.

[33]            Je constate qu'à plusieurs endroits, la présidente interrompt le demandeur mais ce dernier en fait de même. Ce qui me frappe le plus est à la page 116 de ces notes sténographiques:

210           Q - Avez-vous tout dit, là, ce que vous vouliez dire, là?

R- Oui.

211           Q- Vous m'avez demandé de vous laisser finir à quelques reprises.

R- Oui. Je m'excuse pour avoir...

212           Q- J'aurais pu vous demander la même chose: "Laissez-moi finir mes questions avant de répondre".

R - Oui, oui, vous auriez pu le dire.

213           Q - Avez-vous d'autre chose...

R- Non, c'est correct.

214           ... que vous jugeriez important de nous dire, là?

R - Non, c'est correct.

215           Q- Ça va?

R - Oui.

  

[34]            De plus, l'ancien procureur du demandeur, Me Martin Latour, alors qu'il écrit à la Section d'appel le 8 mai 2001 (à la page 143 du dossier du défendeur) se prononce de la façon suivante:

Monsieur Migneault fut suspendu suite à des « comportements inacceptables » et des bris de règlements du CRC. Il est vrai que notre client a eu l'opportunité de donner sa version des faits, qui diffère considérablement de celle du S.C.C. [...] [c'est moi qui souligne]

[35]            Je suis donc satisfait que les principes de justice fondamentale et d'équité procédurale ont été respectés.

LA CRÉDIBILITÉ DU DEMANDEUR

[36]            L'évaluation de la crédibilité est de la compétence de la CNLC et cette Cour ne doit pas intervenir, sauf lorsqu'il est démontré que la conclusion tirée par la CNLC est absurde, arbitraire ou manifestement déraisonnable. L'affaire Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no 2070 (C.F.A.), confirme que l'évaluation de la crédibilité d'un délinquant est de la compétence de la CNLC. Les juges Décary, Létourneau et Noël ont statué au paragraphe 38:

      Je ne crois pas, comme semble le réclamer l'intimé, qu'il soit toujours nécessaire de procéder par enquête pour vérifier une information que la Commission reçoit. Celle-ci, compte tenu de ses besoins, de ses ressources et de son expertise, doit pouvoir disposer du libre choix, évidemment à l'intérieur des paramètres légaux, quant aux méthodes propres à assurer la fiabilité d'un renseignement qui lui est fourni. [...]

[37]            D'ailleurs la CNLC s'est prononcée sur cette question à la page 4:


Ce qui ressort surtout de vos comportements en libération d'office, c'est votre incapacité à faire preuve de transparence et d'honnêteté. La nature de votre criminalité, la gravité de celle-ci, les torts considérables que vous avez causés aux victimes ne permettent pas à la Commission de faire preuve de tolérance. Le S.C.C. fait face à une impasse thérapeutique puisque malgré le fait que techniquement vous participiez au programme CERUM, vous êtes fermé à toute forme d'aide des intervenants du S.C.C. puisque vous ne leur faites pas confiance. Vous vous êtes même procuré un magnétophone pour enregistrer vos conversations avec ces derniers.

[38]            Je crois aussi que le paragraphe 41 de la décision Zarzour, supra doit recevoir application ici:

      Je suis également satisfait que la Commission a évalué la valeur persuasive des allégations de Mme Bélanger. L'interdiction de contact imposée par la Commission, beaucoup plus limitée que celle demandée, indique que celle-ci a soupesé les allégations avec les informations obtenues et a fait la part des choses. Elle me convainc que la Commission, dans l'exercice de son mandat d'assurer la protection de la société, compte tenu des antécédents violents de l'intimé et de sa personnalité, a préféré agir avec prudence tout en demeurant équitable pour l'intimé.

[39]            Il n'était donc pas nécessaire comme le prétend le demandeur que des affidavits soient déposés du frère et de la mère du demandeur pour appuyer leur déclaration défavorable à l'endroit de ce dernier.

LA VIOLENCE DU DEMANDEUR

[40]            Sur cette question, la Section d'appel mentionne aux pages 3-4:

Vous avez à votre crédit de multiples bris de condition et n'êtes pas parvenu à respecter les consignes et règlements du CRC. La Commission a noté que lorsque vos demandes ne sont pas promptement agrées ou répondues, votre réaction négative est en lien avec votre cycle d'offenses. À cet égard, la Commission ne peut ignorer le très sérieux degré de violence accompagnant votre criminalité dont les victimes ont subi de graves dommages. Il vous a été dit en audience qu'une telle fiche criminelle commande la plus grande prudence. [...] La Commission considère que votre propension à la violence est très présente sur la foi de vos comportements récents rapportés [...]

L'ABSENCE DE DIAGNOSTIC PSYCHOLOGIQUE DU DEMANDEUR

[41]            La Section d'appel énonce à la page 3:


La même remarque s'applique à votre déclaration à l'avis d'appel concernant l'incompétence des deux agentes de gestion de cas à vous juger à des fins psychiatriques et psychologiques sans exiger de rapports écrits. La Section d'appel constate qu'à l'audience, l'agente de gestion de cas a fait une brève référence au Docteur Rouleau selon lequel les facteurs de risque "se mettent en place" et ce que vous cherchez "c'est contrôler, manipuler". À la lecture du dossier, les deux agentes ne pouvaient qu'être au fait de la teneur des rapports psychiatriques et psychologiques qui vous concernent et il n'était que normal qu'elles s'y réfèrent verbalement à l'audience ou par écrit et qu'elles en tiennent compte dans leurs recommandations.

[42]            Je n'ai pas l'intention d'intervenir car je considère qu'il est normal que des agents chargés du cas du demandeur réfère à des documents thérapeutiques lors de l'audience devant la CNLC.

CONCLUSION

[43]            La décision de la Section d'appel rendue le 14 juin 2001 est quant à moi juste et raisonnable. Elle s'appuie sur de l'information crédible et convaincante, et est conforme à la Loi, aux politiques de la CNLC et elle respecte les principes de justice naturelle et d'équité procédurale.

[44]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.                    La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

     "Michel Beaudry"    

Juge


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-1369-01

INTITULÉ :                                        Jean-Yves Migneault c. M. Charbonneau, et autres

                                                                                                                                                                       

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec) par conférence téléphonique

DATE DE L'AUDIENCE :              9 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                      14 mai 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Jean-Yves Migneault

(agissant pour son propre compte)                                                POUR LE DEMANDEUR

Me Dominique Guimond                                                                POUR LES DÉFENDEURS

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Jean-Yves Migneault

(agissant pour son propre compte)                                                POUR LE DEMANDEUR

La Macaza (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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