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Date : 20190705


Dossiers : T-1136-16

T-210-18

T-766-18

Référence : 2019 CF 897

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Lessard-Gauvin porte en appel les trois ordonnances rendues par Madame la protonotaire Tabib le 10 avril dernier dans les dossiers T-1136-16, T-210-18 et T-766-18. Dans chacun des cas les requêtes ont été rejetées, chacune avec dépens.

I.  Contexte

[2]  Avant de traiter de l’appel, il convient de mettre ces procédures en contexte. La requête au dossier T-1136-16 est une demande en contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de la fonction publique du Canada prise en vertu de l’article 66 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, rejetant des demandes d’enquête au stade préliminaire. La demande de contrôle judiciaire est en date du 11 juillet 2016 et a connu de nombreuses prorogations de délai. De plus, par ordonnance du 5 mai 2017, le juge Martineau avait réuni l’instance avec celles des dossiers T-1683-16 et T-1989-16, la demande dans le dossier T-1136-16 étant traitée comme étant la demande principale. La requête au dossier T-210-18 est une demande en contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de la fonction publique du Canada prise en vertu de l’article 66 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique mais, cette fois, après enquête. Elle a été déposée le 5 février 2018. La requête T-766-18 est une demande en contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne prise en vertu de l’alinéa 44(3)b)i) de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. Aux termes de cet alinéa, une plainte est rejetée par la Commission si elle est convaincue que l’examen de la plainte n’est pas justifié. Cette fois, la demande de contrôle judiciaire est en date du 25 avril 2018.

[3]  Ces recours ont fait bien peu de progrès. En effet, le Procureur général a présenté le 23 janvier 2019 des requêtes en cautionnement pour dépens aux termes des règles 416 à 418 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] dans les trois dossiers. Requêtes semblables avaient été déposées en Cour d’appel fédérale dans deux dossiers en appel le 21 janvier. On constate qu’il y a eu au cours des années de nombreux litiges devant les cours fédérales où M. Lessard-Gauvin s’était porté demandeur. Le Procureur général indique que des dépens de plus de 6 000$ restent impayés alors que M. Lessard-Gauvin souligne avoir voulu en venir à une entente pour le paiement de dépens, mais sans succès. On ne connaît pas les détails de la proposition qui aurait été faite. Ces requêtes en cautionnement pour dépens n’ont pas fait davantage de progrès parce que M. Lessard-Gauvin aura présenté des requêtes qui sont de la nature de requêtes préliminaires au traitement des requêtes en cautionnement pour dépens. Ces requêtes préliminaires ont fait l’objet de traitement par Madame la protonotaire Tabib le 10 avril 2019.

[4]  M. Lessard-Gauvin voudrait que certaines informations qu’il entend utiliser pour s’opposer aux requêtes en cautionnement pour dépens soient gardées confidentielles. Le demandeur voulait aussi que les trois demandes de contrôle judiciaire soient réunies et qu’une nouvelle prorogation de délai soit prononcée.

II.  Décision dont appel

[5]  Malgré un appel qui pose 14 questions, il n’y a que deux volets à la décision sous étude et une nouvelle demande de prorogation de délais. M. Lessard-Gauvin voudrait que ses trois dossiers soient réunis en un seul dossier en vertu de la règle 105 et il voudrait que certaines informations qu’il veut confidentielles soient traitées de façon toute particulière. Ces renseignements personnels ont trait à sa situation financière et à sa situation de santé. Il n’est pas nécessaire pour nos fins de décrire avec précision en quoi consistent les mesures particulières demandées par M. Lessard-Gauvin si ce n’est pour souligner que la confidentialité demandée impliquerait même que l’avocate du défendeur devrait s’engager à ne pas divulguer le contenu de ces renseignements même à ses clients.

[6]  Pour ce qui est de la réunion d’instances, Madame la protonotaire Tabib n’est pas satisfaite que les contrôles judiciaires dont il est question s’inscrivent dans un continuum administratif. La présence d’éléments similaires ou procédant d’une trame factuelle relativement commune ne suffit pas. Les contrôles judiciaires sont basés sur le dossier devant le décideur administratif qui, lui, varie. Lorsqu’il est le même, ce sont des décisions différentes (avant ou après enquête) qui sont en cause. En fait, une telle façon de procéder s’est avérée néfaste alors que les choses sont devenues inutilement complexes, retardant en fin de compte le traitement des requêtes : la Cour parle alors d’une « source de confusion, et un enchevêtrement de recours qui mène à un alourdissement considérable des procédures » (ordonnance, p. 7 de 13).

[7]  Pour Madame la protonotaire Tabib, le demandeur devrait cibler ses moyens procéduraux, la preuve et les arguments pour chaque requête en les gardant distincts ; il en résulte que les demandes de cautionnement pour dépens devraient aussi être traitées indépendamment l’une de l’autre. Cela n’empêcherait aucunement, aux dires de Madame la protonotaire Tabib, que les différentes demandes soient entendues ensemble si elles sont en état, ce qui n’implique pas une audition commune, mais plutôt des auditions en séquence. Je note que les trois demandes de contrôle judiciaire semblent toutes procéder des refus essuyés par le demandeur qui tente d’intégrer la fonction publique fédérale. Par ailleurs, il a choisi de s’attaquer à deux requêtes différentes de la Commission de la fonction publique et d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne. À ce titre, les faits diffèrent, comme les questions juridiques soulevées.

[8]  La Cour n’accepte pas davantage la demande de garder confidentiels certains renseignements à caractère personnel que M. Lessard-Gauvin voudrait inclure dans son dossier de réponse à la demande de cautionnement pour dépens.

[9]  Traitant en premier lieu des renseignements financiers, M. Lessard-Gauvin prétendait à sa vulnérabilité face aux risques de vol d’identité, fraude ou extorsion financière. La Cour accepte l’argument du Procureur général selon lequel le seul risque serait relatif aux numéros de comptes bancaires, d’identification personnelle, des cartes de crédit ou de débit, ou autre information de même nature. Or, ce genre de renseignements pourrait être caviardé nous dit le défendeur. Madame la protonotaire Tabib note d’ailleurs que les renseignements financiers seraient vraisemblablement présentés pour éviter au demandeur de souscrire un cautionnement pour dépens parce qu’il se dit indigent au sens de la règle 417, ce qui ne rendrait pas le demandeur attrayant pour un escroc présumé.

[10]  Quant aux renseignements médicaux, le demandeur aura cru pouvoir se réclamer de la règle 252(3) pour bénéficier de la confidentialité automatique. Tel n’est pas le cas. En effet, la règle est dans le contexte de la divulgation de la preuve où existent des engagements de confidentialité : l’obligation de confidentialité qui existe lorsque la divulgation a lieu est levée lorsque les renseignements prennent la qualité de « preuve ». À cet égard, il n’y a pas de règle selon laquelle on puisse déposer ce genre de preuve sous pli confidentiel. Il faut en démontrer la confidentialité. Pour ce faire, il faut satisfaire aux conditions énoncées par la jurisprudence (Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522) [Sierra Club].

[11]  Or, le premier élément est que les renseignements à protéger sont effectivement confidentiels et ont toujours été traités ainsi. Cette confidentialité n’a pas été démontrée en l’espèce. On lit à la page 11 de 13 de la décision sous appel :

Or, le demandeur a déjà publiquement dévoilé, dans le cadre du contrôle judiciaire menant au jugement Lessard-Gauvin c. Procureur Général du Canada, 2018 CF 809, les détails d’une condition médicale dont il souffre, et qui sont en partie relatés dans les motifs du jugement.

Le demandeur fait d’ailleurs régulièrement état dans ses communications à la Cour de ses problèmes de santé, des médicaments qu’il prend, et de l’impact de ceux-ci sur sa concentration, son niveau d’énergie, la qualité de son sommeil, son humeur et sa capacité de gestion de l’anxiété. Le demandeur n’explique pas en quoi les rapports médicaux, diagnostics et autres renseignements personnels qu’il joindrait à son affidavit vont au-delà des renseignements qu’il a déjà dévoilés publiquement.

[12]  Enfin, la protonotaire note que M. Lessard-Gauvin recherche qu’on lui signale les lacunes à sa preuve ou à la procédure, en se réclamant de la règle 60. La Cour dispose de la question en déclarant que le demandeur connaît les exigences de l’arrêt Sierra Club. La Cour ne saurait s’immiscer dans les choix faits par un justiciable, citant Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2014 CF 739 et Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2016 CF 418.

III.  La norme de contrôle

[13]  L’appel d’une décision d’un protonotaire à un juge de la Cour fédérale est permis par la règle 51. Depuis l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331, il ne fait plus de doute que la norme de contrôle en ces matières est la même que celle utilisée dans les affaires civiles (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235). La norme sera donc celle de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit et de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait.

[14]  Pour ce qui est des questions de droit qui doivent évidemment être identifiées, il est bien établi que la norme implique qu’il n’y a pas de déférence en faveur du décideur. Ce n’est pas le cas pour les décisions de fait (ou mixtes de faits et de droit) où l’erreur doit être manifeste et dominante. Il s’agit là d’un lourd fardeau. La Cour suprême du Canada a endossé les propos de la Cour d’appel fédérale et de la Cour d’appel du Québec qui cherchaient à articuler davantage en quoi consiste cette norme. Dans Benhaim c St-Germain, [2016] 2 RCS 352, on lit :

[38]  Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :

  L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [. . .] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[39]  Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII) « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

[15]  C’est dire que pour avoir gain de cause, M. Lessard-Gauvin doit convaincre la Cour en appel d’une erreur évidente et qui touche directement à l’issue de l’affaire ; l’aiguille dans la botte de foin ne pourra suffire là où la mesure de retenue est élevée.

[16]  Contrairement à ce qu’aura prétendu le demandeur, il n’y a pas de normes de contrôle variées. Des normes s’inspirant de l’équité procédurale du droit administratif ou de la prise en considération « des principes constitutionnels et des droits fondamentaux » n’ont rien à voir avec l’application de principes connus aux questions qui se posent en l’espèce. Le demandeur a le fardeau d’établir une erreur manifeste et dominante de la part de la protonotaire. Il ne doit pas espérer que la Cour en appel fasse sa propre évaluation de ce qui a été présenté, comme s’il s’agissait d’une audition de novo. Or, M. Lessard-Gauvin n’a en aucune façon satisfait son fardeau de démontrer ce genre d’erreur en l’espèce.

IV.  Analyse

[17]  Le demandeur a traité de manière incidente dans son mémoire des faits et du droit de la question à être éventuellement débattue quant à l’imposition d’un cautionnement pour dépens. Ce n’était pas utile puisque prématuré. Il a cherché à faire de l’imposition d’un cautionnement pour dépens une question d’accès à la justice en s’appuyant essentiellement sur Trial Lawyers Association of British Columbia c Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 RCS 31 [Trial Lawyers]. À ce stade, il est loin d’être clair que cet arrêt soit d’une grande utilité puisque l’affaire traitait d’un régime de frais d’audience qui « risque d’empêcher des plaideurs dont les réclamations sont légitimes d’avoir accès aux tribunaux » (para 41). Les dépens, ou frais de justice, sont évidemment d’un tout autre acabit.

[18]  De fait, à l’audience il a annoncé vouloir contester la constitutionnalité de la règle 417 qui confère à la Cour la faculté de refuser d’ordonner la fourniture d’un cautionnement si la personne est impécunieuse et que la Cour est convaincue du bien-fondé de la cause. Il semble que M. Lessard-Gauvin en ait contre l’utilisation du mot « indigence », mot que l’on ne retrouve pas dans la version anglaise de la règle 417 qui utilise plutôt le mot « impecuniosity ». Quoi qu’il en soit, la décision Trial Lawyers porte sur l’accès à la justice qui est mis en péril par des frais d’audience permettant l’accès au tribunal de Colombie-Britannique. Or, les frais d’audience diffèrent des dépens, comme le note d’ailleurs la Cour :

[63]  Aspect plus fondamental encore, contrairement à l’adjudication des dépens, les frais d’audience contestés ne sont pas imposés en fonction de l’efficience de l’instance ou du mérite de la demande.  Après 10 jours d’audience, les frais exigés en application de ce régime grimpent à 800 $ par jour — le montant le plus élevé au Canada — indépendamment de l’efficience de l’instance.  Ces frais d’audience ne favorisent pas une utilisation efficiente du temps du tribunal; au mieux ils favorisent une utilisation moindre de ce temps.

[Italique dans l’original.]

[19]  Aussi, la Cour suprême ne conclut pas que les frais d’audience sont eux-mêmes inconstitutionnels puisque la province peut les imposer en vertu de son pouvoir en matière d’administration de la justice prévu à l’article 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, (R-U), 30 & 31 Vict, c 3 (para 23). C’est plutôt lorsque ces frais sont excessifs qu’ils entrent en conflit avec la compétence fondamentale des cours supérieures protégée par l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour conclut que le texte du paragraphe 20-5(1) des Supreme Court Civil Rules (Règles de procédure civile de la Cour suprême de la Colombie-Britannique), B.C. Reg. 168/2009, ne peut être interprété comme le proposait le Procureur général de Colombie-Britannique qui voulait que l’on permette que l’exemption s’applique aussi aux personnes de moyens qui seraient modestes, les rendant incapables de payer ces frais sans sacrifier des dépenses raisonnables. Pour la Cour suprême, les mots « indigent » et « impoverished » doivent recevoir leur sens ordinaire. Se référant à une étude d’un économiste, « il semble inapproprié d’employer ces mots pour décrire l’incapacité d’une famille de la classe moyenne de payer des frais équivalents à un mois de salaire net » (para 59).

[20]  Quoi qu’il en soit, l’annonce d’une intention d’attaquer la constitutionnalité d’une disposition n’articule pas la contestation elle-même. D’ailleurs, M. Lessard-Gauvin n’a pas encore déterminé le véhicule procédural à être utilisé si tant est qu’il décide de contester seulement la disposition réparatrice prévue aux Règles comme il me paraît l’avoir indiqué à l’audience. Il a suggéré à haute voix que cela pourrait être fait dans sa réponse à la demande de cautionnement pour dépens ou par voie de jugement déclaratoire. En réplique, il a plutôt suggéré le jugement et procès sommaire (règles 213 et ss.) ou le jugement sommaire. De plus, il semble y avoir incertitude relativement à un accès à une preuve économique qui pourrait être inspirée de la preuve à laquelle la Cour suprême a référé dans Trial Lawyers.

A.  Prorogation

[21]  Il en résulte que si M. Lessard-Gauvin recherche une prorogation de délais, elle est prématurée parce que l’on en sait peu sur ses intentions. De fait, il n’est pas clair que la demande faite au cours de l’audience constitue un appel de la décision de la protonotaire Tabib. En effet, celle-ci avait conclu que les conditions 11 et 18 en prorogation de délais ne faisaient pas l’objet de contestation et étaient accordées. Il s’agissait là des deux conclusions de prorogation qui étaient alors devant la Cour et elles se lisent de la façon suivante :

11.  Proroger le délai pour signifier et déposer la version publique et non publique du dossier de réponse du demandeur selon les modalités que la Cour jugera appropriées;

[...]

18.  Proroger le délai pour signifier et déposer le dossier du demandeur à au moins 20 jours suivant la date de la décision quant à la présente requête.

[22]  Au final, ou bien la question de prorogation soulevée par M. Lessard-Gauvin n’est pas validement devant cette Cour, parce qu’il a déjà eu gain de cause quant à ce qu’il avait demandé ou bien elle est prématurée en ce que la question constitutionnelle ne s’est pas concrétisée, la rendant prématurée. Ainsi, cette question relative à une prorogation éventuelle ne saurait faire l’objet d’une adjudication à ce stade.

B.  Réunion des instances

[23]  Quant aux appels sur la réunion des instances et la confidentialité de certaines informations à être utilisées en réponse à la demande de la Couronne que M. Lessard-Gauvin fournisse un cautionnement pour dépens éventuels, le demandeur n’aura jamais identifié une question de droit pour ensuite expliquer en quoi Madame la protonotaire aurait erré. Au lieu de cela, le demandeur épilogue sur la règle 60 qui se lit :

60  La Cour peut, à tout moment avant de rendre jugement dans une instance, signaler à une partie les lacunes que comporte sa preuve ou les règles qui n’ont pas été observées, le cas échéant, et lui permettre d’y remédier selon les modalités qu’elle juge équitables.

60  At any time before judgment is given in a proceeding, the Court may draw the attention of a party to any gap in the proof of its case or to any non-compliance with these Rules and permit the party to remedy it on such conditions as the Court considers just.

Si je comprends ce que le demandeur se croit en droit de recevoir, ce sont des conseils sur comment mener son dossier. Cela n’est pas l’objet de la règle 60. Des directives ne sont pas davantage possibles sans que la Cour perde sa neutralité et son absolue impartialité (Olumide c Canada, 2016 CAF 287, paras 15 à 17). Tout récemment encore, la Cour d’appel confirmait que son rôle n’est pas de donner des conseils juridiques ou tactiques aux plaideurs (SNC-Lavalin Group Inc. c Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CAF 108, para 9). De toute manière, aucune telle lacune à laquelle la protonotaire aurait pu remédier dans le cadre de la règle 60 n’est même identifiée.

[24]  Encore ici, il n’était pas tout à fait clair quel est le grief de M. Lessard-Gauvin. La décision de Madame la protonotaire Tabib notait que la demande d’autorisation de la réunion des dossiers T-1136-16, T-210-8 et T-766-18 à la seule fin d’être traités par un seul décideur ne faisait pas l’objet de contestation et qu’elle est donc accordée. Mais il ne s’agit pas de la consolidation des trois dossiers en un seul. La protonotaire a quant à elle décidé d’examiner la consolidation des trois dossiers en un seul.

[25]  Cette décision appliquant la règle 105 en est une discrétionnaire. La règle parle de réunion d’instances, d’instances instruites conjointement ou instruites successivement. Il semble que l’appel porte sur la réunion d’instance quant au fond du litige puisque la conclusion voulant que les dossiers soient traités par un seul décideur est acquise. En cette matière, c’est au requérant, M. Lessard-Gauvin que revient le fardeau de convaincre le décideur que l’identité des questions de droit et de fait, que l’identité des causes d’action, les recoupements de la preuve et de la possibilité qu’une affaire permette de régler les autres font en sorte que la bonne administration de la justice sera mieux servie par la réunion.

[26]  Or, Madame la protonotaire conclut que les instances ne sont pas suffisamment connexes. Elle note de plus la tendance de M. Lessard-Gauvin « d’inclure dans un seul dossier de requête des remèdes différents relatifs à des demandes différentes qui ne sont pas consolidées, rend inutilement complexe et retarde indûment le traitement des requêtes » (ordonnance, page 7 de 13). Pour la Cour, cela est « source de confusion et un enchevêtrement de recours » (ordonnance, page 7 de 13). Je suis d’accord.

[27]  M. Lessard-Gauvin devait démontrer que cette décision constitue une erreur manifeste et dominante. Rien de tel n’a été démontré alors que le requérant doit expliquer en quoi les questions de fait et de droit dans ces instances sont suffisamment connexes pour justifier une réunion quant au mérite de ces trois requêtes. C’est un fardeau dont il ne s’est pas déchargé en ne démontrant pas une erreur ni manifeste, ni dominante.

C.  Confidentialité

[28]  La question de la confidentialité de certaines informations devrait être considérée en deux temps. D’abord la confidentialité des renseignements financiers que M. Lessard-Gauvin pourrait vouloir utiliser (il n’est évidemment pas obligé de le faire) dans sa contestation de la demande de cautionnement pour dépens, et peut-être même se réclamer de la règle 417 pour faire preuve de son indigence (« impecuniosity »). Ensuite, la confidentialité de certains renseignements médicaux. Mais avant de considérer ces deux types d’information, encore faut-il rappeler le test que doit rencontrer un requérant qui veut le traitement confidentiel de certaines informations que l’on entend utiliser en preuve.

[29]  À tout seigneur tout honneur, il faut bien commencer avec les Règles des Cours fédérales. Ce sont les règles 151 et 152 qui trouvent application. J’en donne lecture :

Dépôt de documents confidentiels

Filing of Confidential Material

Requête en confidentialité

Motion for order of confidentiality

151 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

151 (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

Circonstances justifiant la confidentialité

Demonstrated need for confidentiality

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

Identification des documents confidentiels

Marking of confidential material

152 (1) Dans le cas où un document ou un élément matériel doit, en vertu d’une règle de droit, être considéré comme confidentiel ou dans le cas où la Cour ordonne de le considérer ainsi, la personne qui dépose le document ou l’élément matériel le fait séparément et désigne celui-ci clairement comme document ou élément matériel confidentiel, avec mention de la règle de droit ou de l’ordonnance pertinente.

152 (1) Where the material is required by law to be treated confidentially or where the Court orders that material be treated confidentially, a party who files the material shall separate and clearly mark it as confidential, identifying the legislative provision or the Court order under which it is required to be treated as confidential.

Accès

Access to confidential material

(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour :

(2) Unless otherwise ordered by the Court,

a) seuls un avocat inscrit au dossier et un avocat participant à l’instance qui ne sont pas des parties peuvent avoir accès à un document ou à un élément matériel confidentiel;

(a) only a solicitor of record, or a solicitor assisting in the proceeding, who is not a party is entitled to have access to confidential material;

b) un document ou élément matériel confidentiel ne peut être remis à l’avocat inscrit au dossier que s’il s’engage par écrit auprès de la Cour :

(b) confidential material shall be given to a solicitor of record for a party only if the solicitor gives a written undertaking to the Court that he or she will

(i) à ne pas divulguer son contenu, sauf aux avocats participant à l’instance ou à la Cour pendant son argumentation,

(i) not disclose its content except to solicitors assisting in the proceeding or to the Court in the course of argument,

(ii) à ne pas permettre qu’il soit entièrement ou partiellement reproduit,

(ii) not permit it to be reproduced in whole or in part, and

(iii) à détruire le document ou l’élément matériel et les notes sur son contenu et à déposer un certificat de destruction, ou à les acheminer à l’endroit ordonné par la Cour, lorsqu’ils ne seront plus requis aux fins de l’instance ou lorsqu’il cessera d’agir à titre d’avocat inscrit au dossier;

(iii) destroy the material and any notes on its content and file a certificate of their destruction or deliver the material and notes as ordered by the Court, when the material and notes are no longer required for the proceeding or the solicitor ceases to be solicitor of record;

c) une seule reproduction d’un document ou d’un élément matériel confidentiel est remise à l’avocat inscrit au dossier de chaque partie;

(c) only one copy of any confidential material shall be given to the solicitor of record for each party; and

d) aucun document ou élément matériel confidentiel et aucun renseignement provenant de celui-ci ne peuvent être communiqués au public.

(d) no confidential material or any information derived therefrom shall be disclosed to the public.

Durée d’effet de l’ordonnance

Order to continue

(3) L’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) demeure en vigueur jusqu’à ce que la Cour en ordonne autrement, y compris pendant la durée de l’appel et après le jugement final.

(3) An order made under subsection (1) continues in effect until the Court orders otherwise, including for the duration of any appeal of the proceeding and after final judgment.

[J’ai souligné.]

[30]  Comme on le voit, le test à satisfaire est prévu à la règle 151. Ce test a été articulé davantage dans Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522 [Sierra Club], où on lit au paragraphe 53 :

53  Pour appliquer aux droits et intérêts en jeu en l’espèce l’analyse de Dagenais et des arrêts subséquents précités, il convient d’énoncer de la façon suivante les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité dans un cas comme l’espèce :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a)  elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b)  ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

On peut avoir un désir légitime de garder ses affaires privées. Cependant, cela n’est pas suffisant pour qu’une ordonnance de confidentialité soit accordée. Comme la Cour suprême le dit d’entrée de jeu dans Sierra Club, « (u)n des principes sous‑jacents au processus judiciaire est la transparence, tant dans la procédure suivie que dans les éléments pertinents à la solution du litige » (para 1). Cette transparence se manifeste par la publicité des débats judiciaires. La Cour insiste au paragraphe 52 de Sierra Club :

52  Milite contre l’ordonnance de confidentialité le principe fondamental de la publicité des débats judiciaires.  Ce principe est inextricablement lié à la liberté d’expression constitutionnalisée à l’al. 2b) de la Charte : Nouveau‑Brunswick, précité, par. 23.  L’importance de l’accès du public et des médias aux tribunaux ne peut être sous‑estimée puisque l’accès est le moyen grâce auquel le processus judiciaire est soumis à l’examen et à la critique.  Comme il est essentiel à l’administration de la justice que justice soit faite et soit perçue comme l’étant, cet examen public est fondamental.  Le principe de la publicité des procédures judiciaires a été décrit comme le « souffle même de la justice », la garantie de l’absence d’arbitraire dans l’administration de la justice : Nouveau‑Brunswick, par. 22.

[Souligné dans l’original.]

L’ordonnance de confidentialité implique une atteinte à la liberté d’expression. Dans le contexte de Sierra Club, cela aura fait dire à la Cour que « le risque en cause doit être réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve et menace gravement l’intérêt commercial en question » (para 54).

[31]  La confidentialité de renseignements financiers qu’il voudrait utiliser a été refusée à M. Lessard-Gauvin. Il invoque les risques de vol d’identité, fraude, escroquerie ou extorsion financière. Pourtant, il est convenu que la production par M. Lessard-Gauvin de documents desquels seront caviardés les numéros de comptes bancaires, les identifications personnelles, les numéros de cartes de débit et de crédit (et autres informations de ce type) serait acceptable. Il s’agit là d’une solution raisonnable. Il ne serait pas justifié de répondre au requérant qu’il n’a qu’à ne pas produire telle preuve alors même qu’il voudrait faire valoir son impécuniosité en défense de la demande de cautionnement pour dépens. La Cour disait dans Sierra Club que « empêcher l’appelante de divulguer ces documents pour des raisons de confidentialité porte atteinte à son droit à un procès équitable » (para 50). Ce qui importe en l’espèce aux fins des requêtes en cautionnement est l’état des actifs et du passif, avec les sources de revenus et les dépenses. Si le requérant avait raison que même ce genre d’information ne saurait voir la lumière du jour, ce serait exclure le genre d’information qui est couramment présentée devant les tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires. En fait, la demande que soit gardé confidentiel le genre d’information financière, alors même que sera permis de ne pas dévoiler numéros de comptes et cartes de crédit (ou débit) procède seulement du désir du requérant de garder ses affaires privées, ce qui n’est pas différent de la vaste majorité des justiciables.

[32]  Madame la protonotaire Tabib en vient à la conclusion que le caviardage de certaines informations seulement suffisait. M. Lessard-Gauvin ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer une erreur manifeste et dominante, pas plus d’ailleurs qu’il aura établi une erreur de droit.

[33]  La question de la confidentialité de renseignements médicaux me semble plus difficile parce que, si je comprends ce que le requérant a fait valoir, il pourrait vouloir utiliser un diagnostic récent révélant de l’information sur sa situation de santé dont il n’aurait pas eu connaissance avant. On se rappellera que Madame la protonotaire Tabib avait rejeté la requête en confidentialité puisque M. Lessard-Gauvin avait déjà rendu public les détails de sa situation de santé. La condition première pour l’obtention d’une ordonnance protégeant la confidentialité sera bien la confidentialité (outre la divulgation par inadvertance : Abou-Elmaati c Canada (Procureur général), 2010 ONSC 2055) avec laquelle l’information aura été traitée (Sierra Club, para 60). Mais la protonotaire avait aussi eu la prudence de noter que « (l)e demandeur n’explique pas en quoi les rapports médicaux, diagnostics et autres renseignements personnels qu’il joindrait à son affidavit vont au-delà des renseignements qu’il a déjà dévoilés publiquement » (ordonnance, p. 11 de 13).

[34]  Cette Cour se retrouve dans la même situation puisque, lorsque questionné à l’audience sur la nature de cette « nouvelle » information, le requérant a préféré ne pas répondre de peur de perdre ainsi la confidentialité réclamée. Il n’a fait aucune demande : ce n’est pas au requérant de décider que son information non déjà rendue publique, s’il en est, est confidentielle. Parce que la confidentialité s’oppose pour ainsi dire à la publicité des débats judiciaires, qui est inextricablement liée à la liberté d’expression protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11), ce sera au judiciaire de trancher. Mais il était impossible à la protonotaire de trancher en l’absence des renseignements personnels qui iraient au-delà des renseignements déjà dans le domaine public si elle ne les connaît pas. C’est tout aussi impossible pour cette Cour dans l’état actuel du dossier.

[35]  M. Lessard-Gauvin a cherché à argumenter qu’il n’avait pas le fardeau de la preuve, cherchant appui sur A.B. c Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 RCS 567 [Bragg Communications]. Il voulait se réclamer du « préjudice objectivement discernable » (para 9). Je ne vois pas comment cette notion serait utile en l’espèce en l’absence d’indications sur la nature de l’information de laquelle on dit qu’elle est préjudiciable.

[36]  Il faut réaliser que le préjudice objectivement discernable provient d’une situation de faits qui a été exposée par celui qui veut que l’information, ou preuve, ne soit pas divulguée au grand public. Une déclaration que de l’information sur la situation de santé serait mise en preuve ne suffit pas pour évaluer si cela comporte un préjudice qui pourrait être objectivement discernable. Il est certes possible que telle information soit préjudiciable et qu’il soit approprié qu’elle ne fasse pas l’objet de divulgation dans des procédures ouvertes au public. Mais la déduction de l’existence du préjudice ne peut se faire sans que le décideur ne sache de quelle information il s’agit; cela rend l’exercice impossible. À moins que toute information portant sur la santé soit automatiquement protégée contre la divulgation publique, cette proposition ne saurait tenir. Or, je ne connais aucune telle règle. Je m’empresse d’ajouter qu’il y aura des situations de santé où il sera plus facile que d’autres d’inférer le préjudice.

[37]  Dans Bragg Communications, une adolescente de quinze ans avait subi de la cyberintimidation diffamatoire sur Facebook et cherchait à identifier son « agresseur ». Elle avait réussi à identifier le fournisseur de services Internet qui requérait une ordonnance judiciaire pour divulguer l’identité du détenteur de l’adresse internet. L’adolescente voulait que cette recherche soit faite de façon anonyme à son égard. La question était pour l’adolescente de s’acquitter « du fardeau de démontrer l’existence d’un véritable préjudice important justifiant la restriction de l’accès des médias » (para 7) qui s’opposaient aux requêtes relatives à l’anonymat (et aussi une ordonnance de non-publication). Bragg Communications ne renverse à proprement parler aucun fardeau de preuve : c’est toujours à un requérant de faire la preuve des éléments constitutifs d’un recours. C’est plutôt que la vulnérabilité émotive d’une jeune de 15 ans peut être établie par une preuve pertinente, ou le tribunal peut conclure à l’existence d’un préjudice objectivement discernable en ce que le tribunal peut « déduire le préjudice en appliquant la logique et la raison » (paras 15-16). Mais on déduit le préjudice à partir de quelque chose. Ce dont on se plaignait dans Bragg Communications était que le préjudice, à partir de faits, n’avait pas été établi.

[38]  La Cour suprême procède à noter que notre droit reconnaît la vulnérabilité inhérente des enfants en fonction de leur âge (para 17): il est donc logique d’inférer que la cyberintimidation peut causer préjudice aux enfants en fonction de leur âge (para 18). On peut aussi penser que le type d’information aura son importance. Pour ce faire, la Cour se fonde sur une étude en Nouvelle-Écosse et autres sources (paras 20 et suivants). La Cour constate donc :

[27]  Si nous attachons de l’importance au droit des enfants de se protéger contre l’intimidation, qu’elle se manifeste sur l’Internet ou sous d’autres formes, si le bon sens et la preuve nous persuadent que les jeunes victimes de harcèlement à caractère sexuel sont particulièrement vulnérables au préjudice de la revictimisation consécutive à la publication, et si nous admettons que, en l’absence de la protection conférée par l’anonymat, la plupart des enfants ne pourront pas se prévaloir du droit à la protection, nous sommes fortement portés en l’espèce à autoriser A.B. à procéder de façon anonyme à la recherche de l’identité de l’auteur de la cyberintimidation. 

[J’ai souligné.]

[39]  Ainsi, à mon avis, la Cour ne fait que permettre l’établissement des conséquences préjudiciables directes en les déduisant grâce à la logique et la raison : mais le fardeau initial reste sur les épaules d’un requérant. La façon de se décharger du fardeau change en permettant la preuve directe, mais aussi la logique et la raison.

[40]  Mais cet arrêt est de peu d’utilité au requérant si le contenu des informations personnelles n’est pas divulgué, possiblement sous pli confidentiel, à celle qui devra appliquer le test de Sierra Club. Ils ne l’ont pas été à Madame la protonotaire, pas plus d’ailleurs qu’à cette Cour. Si on ne connaît pas avec une certaine précision les renseignements à garder confidentiels, comme c’était le cas dans Bragg Communications où il était question de l’identité d’une enfant qui avait déjà été victime par la cyberintimidation qu’elle cherchait à dénoncer, comment fait-on pour appliquer logique et raison pour y voir le préjudice objectivement discernable. Un demandeur doit mettre de l’avant les faits desquels on pourra inférer grâce à la logique et la raison le préjudice objectivement discernable.

[41]  M. Lessard-Gauvin avait le fardeau d’établir une erreur : il ne l’a pas fait. Il se contente d’arguer que ce n’est pas parce que des éléments A, B, C, D sont dans le domaine public que les éléments E et F le sont aussi. On ne peut qu’être d’accord. Mais là n’est pas la question. Sans information sur les éléments E et F, je vois mal comment on pourrait établir qu’ils satisfont au test de Sierra Club en établissant un préjudice. Ce préjudice peut alors être comparé au préjudice du processus judiciaire de ne pas permettre l’examen public (Sierra Club, para 52). Le refus, ou la négligence, de fournir cette information essentielle fait en sorte que la décision de la protonotaire ne constitue pas une erreur qui puisse être ou manifeste, ou dominante. Le demandeur semble vouloir se contenter d’un postulat que tout renseignement médical fait automatiquement l’objet d’une ordonnance de confidentialité de telle sorte que l’accès du public aux débats judiciaires sera toujours limité. À ma connaissance, ce n’est pas un postulat reconnu dans notre droit. Qu’il suffise de penser à toutes les affaires en responsabilité médicale ou des actions en responsabilité où des blessures ont été subies. A mon sens, l’exercice de pondération doit avoir lieu et la divulgation confidentielle au décideur est requise. Il est possible que la nature de l’information médicale puisse, par la puissance de la logique et de la raison, suffire à établir le préjudice. Mais elle doit être connue du décideur au préalable.

[42]  Le requérant a invoqué une ordonnance du 20 février 2019 de Madame la protonotaire Steele au dossier T-766-18. Madame la protonotaire émettait une ordonnance de confidentialité quant à des rapports d’expertise médicale faits les 5 janvier 2018 et 15 février 2018. M. Lessard-Gauvin soumet que le « stare décisis horizontal » aurait dû être respecté. On voit mal comment cela aurait pu être le cas. D’abord, on ne sait pas s’il s’agit des mêmes rapports que ceux dont il pourrait être question en l’espèce. Ce qui est encore plus important, c’est que la requête a été accordée de consentement. Enfin, la protonotaire Steele aura pourvu au fait que « hormis les renseignements de nature personnelle et médicale du demandeur contenue dans les Documents Confidentiels, tous les autres faits et circonstances relatifs à la présente instance seront publics afin de permettre une détermination complète et transparente des questions en litige et du mérite de la demande de contrôle judiciaire » (ordonnance, p. 3 de 7).

[43]  Je note par ailleurs les ordonnances du 29 avril 2019 de M. le juge Pelletier, de la Cour d’appel fédérale, dans les dossiers A-312-18 et A-313-18 où la Couronne a présenté des demandes de cautionnement pour dépens. Dans les deux cas, une directive du juge d’appel De Montigny requérait « un dossier complet incluant son affidavit et ses représentations, en identifiant de façon claire les portions pour lesquelles il demande une ordonnance de confidentialité et les raisons qui sous-tendent cette demande » (ordonnance, p. 2 de 4). Le juge De Montigny avait prévu que le greffe et l’intimé (le Procureur général) « traiteront les documents et les informations identifiés comme confidentiels par l’appelant en conformité avec la règle 152 jusqu’à ce que la Cour ait disposé de cette requête ». Le juge d’appel Pelletier note à son ordonnance qu’un dossier de requête long de 191 pages a été déposé le 28 mars, en réponse à la directive, que M. Lessard-Gauvin « s’en est tenu plutôt à des propos généraux qui ne permettent pas à la Cour de décider du bien-fondé de la demande d’ordonnance de confidentialité quant aux renseignements qui sont propres à l’appelant » (ordonnance, p. 3 de 4). Ainsi, les requêtes ont été rejetées, avec dépens.

[44]  Essentiellement, c’est la situation qui s’est présentée devant Madame la protonotaire Tabib qui était, au mieux, dans le noir quant à des nouveaux renseignements médicaux ou personnels qui n’auraient pas été dévoilés déjà publiquement si tant est que l’argument ait été fait de façon limpide. Il n’y a pas d’autre alternative que de rejeter l’appel du requérant.

[45]  Il n’en reste pas moins que la pondération requise en vertu de la règle 151(2) n’a pas été faite en l’absence des renseignements médicaux que le requérant qualifie de nouveaux et qui n’ont pas été dévoilés.

V.  Conclusion

[46]  L’appel de la décision de Madame la protonotaire Tabib étant conclu, il faudra que les requêtes en cautionnement pour dépens aboutissent. La décision dont appel prévoyait :

  • les dossiers T-1136-16, T-210-18 et T-766-18 sont réunis pour considération et détermination;

  • les délais pour le dépôt des dossiers de réponse du demandeur en réponse aux requêtes en cautionnement pour dépens étaient prorogés à 15 jours de la date de l’ordonnance. Quoique l’ordonnance de la protonotaire n’ait pas été suspendue, aucun tel dossier de réponse n’a été produit par M. Lessard-Gauvin;

  • le délai pour la signification et le dépôt du dossier du demandeur dans le dossier T-210-18 est prorogé à 20 jours suivant la date de la présente ordonnance.

Ces échéances sont caduques.

[47]  Le 14 mai dernier, Madame la protonotaire Tabib prononçait une ordonnance dont l’effet est la suspension des délais. À la lecture de l’ordonnance, on constate la préoccupation qu’il doive y avoir disposition des demandes de cautionnement pour dépens avant que les requêtes en contrôle judiciaire de M. Lessard-Gauvin soient entendues. Je reproduis le dispositif de l’ordonnance du 14 mai 2019 :

LA COUR ORDONNE QUE :

1.  Outre en ce qui concerne l’appel de la décision du 10 avril 2019 et le dépôt d’une réplique dans l’éventualité où il serait permis au demandeur de déposer un dossier de réponse à la requête pour cautionnement pour frais malgré l’écoulement des délais prévus à l’ordonnance du 10 avril 2019, les délais pour l’accomplissement de toute démarche par le défendeur dans les présents dossiers sont suspendus, jusqu’à la détermination de la requête pour cautionnement pour frais.

2.  Toute demande de fixation d’une audience au mérite dans les présents dossiers est suspendue jusqu’à ordonnance ou directive contraire de la Cour.

3.  Les délais pour l’accomplissement des prochaines étapes à être accomplies par le demandeur dans les présents dossiers continuent cependant de courir.

[48]  Il appartiendra à Madame la protonotaire Tabib de fixer les échéances pour la suite des choses, d’autant que M. Lessard-Gauvin a annoncé son intention de contester la constitutionnalité de la règle 417.

[49]  Enfin, étant donné qu’il y avait appel dans les trois dossiers (T-1136-16, T-210-18 et T‑766-18) ces trois appels sont rejetés avec dépens dans chacun. Par ailleurs, comme il a été noté lors de l’audience, il ne serait pas approprié de comptabiliser les dépens sans tenir compte qu’il est probable qu’il y ait certains dédoublements, étant donné la nature de l’appel. D’ailleurs, l’avocate du Procureur général n’en a pas disconvenu.

 


JUGEMENT aux dossiers T-1136-16, T-210-18 et T-766-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Les appels dans les dossiers T-1136-16, T-210-18 et T-766-18 des décisions rendues le 10 avril 2019 sont rejetés. Une copie du présent jugement et ses motifs sera déposée dans chacun des dossiers;

  2. Les dépens sont accordés au Procureur général du Canada pour chacun des dossiers portés en appel;

  3. Les trois dossiers sont retournés à Madame la protonotaire Tabib pour la suite des choses, dont la fixation de nouvelles échéances.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1136-16, T-210-18, T-766-18

INTITULÉ :

DAVID LESSARD-GAUVIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDITION ENTENDUE PAR vidéoconférence entre montréal (québec), québec (québec) ET ottawa (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MAI 2019

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 5 juillet 2019

COMPARUTIONS :

David Lessard-Gauvin

POUR SON PROPRE COMPTE

Marilou Bordeleau

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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