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Date : 20190718


Dossier : T-1827-18

Référence : 2019 CF 949

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MARTIN CHESSER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Martin Chesser, est un membre chevronné de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Il détient le grade de surintendant principal.

[2]  Le demandeur a été muté à un poste classifié au niveau EX-03 en février 2014. Pendant toute la période où il a exécuté les tâches inhérentes à ce poste, ce dernier est resté classifié au niveau EX-03. Par contre, le demandeur n’a touché que la rémunération d’un poste de niveau EX-02. Trois semaines après que l’appelant a demandé à être rémunéré au niveau EX-03, son supérieur, le commissaire de la GRC, Bob Paulson, a enclenché un processus d’examen de la classification du poste qui a donné lieu à la reclassification de celui-ci au niveau EX-02, appliquée rétroactivement au 27 juin 2011.

[3]  En décembre 2016, le demandeur a déposé un grief de classification conformément aux dispositions des Consignes du commissaire (procédure de révision de la classification des membres), DORS/2001-248, afin de contester la reclassification. Dans une lettre datée du 5 septembre 2018, la commissaire de la GRC, Brenda Lucki (la commissaire), a approuvé la recommandation du comité de révision de la classification suivant laquelle le poste devait être attribué au groupe EX-02 et classé au niveau EX-02.

[4]  Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la commissaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Il demande à la Cour d’infirmer la décision et de renvoyer l’affaire à la commissaire pour décision conformément à certaines instructions.

I.  Contexte

[5]  Au début de février 2014, le demandeur a été muté au poste de commandant de la Direction générale de la GRC.  Deux années et demie plus tard, il a demandé une rémunération d’intérim au niveau EX-03. Au moment de cette demande (au début de juillet 2016), le poste était encore classé au niveau EX-03, mais le demandeur ne touchait que le salaire équivalant au niveau EX-02. Le 14 décembre 2016, le demandeur a appris que sa demande avait été refusée et que le poste avait été reclassifié au niveau EX-02 en date du 27 juillet 2016, avec effet rétroactif au 27 juin 2011.

[6]  Le demandeur a échangé par écrit avec le Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA) le 15 décembre 2016, et par la suite, soit le 19 décembre 2016, il a déposé un grief de classification. Quelque neuf mois plus tard, le demandeur a été informé que son grief ne pouvait avoir de suite, étant donné qu’il n’occupait pas le poste à la date de la reclassification. Le 24 août 2017, le demandeur a contesté par voie de grief la décision de ne pas donner suite à son grief de classification. Ce grief a été réglé environ neuf mois plus tard, en mai 2018, et le grief de classification a pu suivre son cours.

[7]  Après avoir reçu communication des documents, le représentant du demandeur dans le cadre du grief a envoyé un courriel au coordonnateur des griefs de classification le 7 juin 2018 pour lui indiquer que la description de travail ne décrivait pas fidèlement le poste, et que le différend relatif à cette description devrait être résolu avant le grief de classification. Dans un courriel subséquent, le représentant du demandeur a également exprimé ses inquiétudes quant à l’équité du processus et a enjoint au coordonnateur de choisir un président venant de l’extérieur de la GRC.

[8]  L’inexactitude de la description de travail a été mentionnée une autre fois, le 26 juillet 2018, dans la présentation écrite du demandeur remise à un comité de révision de la classification, où étaient soulignés notamment les autres éléments préoccupants suivants :

[Traduction]

  1. La décision de reclassification du 27 juillet 2016 n’a fourni aucun motif justifiant une date d’entrée en vigueur rétroactive à près de cinq ans. Selon la politique de la GRC, l’antidatage des dates d’entrée en vigueur devrait être l’exception plutôt que la règle pour tous les postes, et la direction devrait justifier l’antidatage en soulignant à quelle date la totalité ou une partie du travail a été affectée au poste, et en précisant quelle partie du travail justifie la modification de groupe ou de niveau. De plus, la Directive sur l’organisation et la classification du groupe de la direction du Secrétariat du Conseil du Trésor énonce que la date de prise d’effet de la reclassification des postes devrait refléter la date des changements, et que la reclassification ne peut être rétroactive à plus d’une année.
  1. La procédure de rédaction de la description de travail n’a pas été suivie. L’ébauche de juin faisait suite à une ébauche préparée au mois de février précédent et, pour justifier l’attribution d’un niveau inférieur, l’ébauche de juin a modifié ou évalué à la baisse les tâches attribuées au poste. Aucune des ébauches de descriptions de travail relatives à ce poste n’a été communiquée au demandeur pour lui permettre de l’examiner et de la valider.

  2. Cette classification a été bâclée (après de nombreuses années de retard) : le rapport de classification décrivant l’évaluation du poste au niveau EX-02 n’est pas signé; la décision de classification n’a pas été examinée par un comité; et les postes-repères choisis n’étaient pas appropriés. Par exemple, quand l’agent de classification a avisé le commissaire Bob Paulson, le 4 août 2016, de la décision de classification, le commissaire avait déjà approuvé la classification huit jours auparavant (soit le 27 juillet 2016).

  3. Le poste aurait dû faire l’objet d’une révision en 2011, lorsque la responsabilité du Carrousel et de la Sous-direction des partenariats stratégiques et du patrimoine a été retirée du poste et confiée au Directeur exécutif, Affaires publiques, en date du 27 juin 2011. Cependant, au cours des cinq années suivantes, la portée et l’ampleur des tâches rattachées au poste se sont étendues énormément, et de nouvelles responsabilités ont été ajoutées.

II.  La décision de classification

[9]  Le comité de révision de la classification s’est réuni le 31 juillet 2018 pour instruire le grief du demandeur. Le comité, constitué de trois personnes, a rédigé un rapport (le rapport) dans lequel figurait une recommandation selon laquelle était justifié de classer le poste visé par le grief au groupe et au niveau EX‑02, avec une date de prise d’effet fixée au 27 juin 2011.

[10]  Au début de l’audience, le président du comité a expliqué que ce dernier avait pour mandat (i) d’établir la classification appropriée pour le poste visé par le grief (c'est-à-dire le niveau fondé sur les tâches confiées par la direction et figurant dans la description de travail visée par le grief); et (i) de se prononcer sur la validité de la date d’entrée en vigueur de la décision de classification.

[11]  Le comité a ensuite résumé les renseignements fournis par le demandeur et son représentant. Puisque leur présentation était claire et détaillée, les membres du comité n’ont pas communiqué avec la direction afin d’obtenir des renseignements supplémentaires.

[12]  Le comité a souligné qu’il n’avait pas reçu le mandat de faire des commentaires ou de formuler des recommandations à propos du contenu de la description de travail visée par le grief. Il a ensuite évalué le poste visé par le grief d’après les fonctions et responsabilités attribuées par la direction et décrites dans le titre de la description de travail, soit « commandant de la Direction générale », qui comportait une date d’entrée en vigueur fixée au 27 juin 2011 et avait été signée par le commissaire Bob Paulson le 27 juillet 2016.

[13]  Le comité a précisé que le poste avait été évalué par un comité de classification et attribué au groupe et au niveau EX-03 en janvier 2010, avec une date d’entrée en vigueur fixée au 23 avril 2008. À cette époque, le titulaire du poste était responsable du programme du Carrousel ainsi que de la Sous-direction des partenariats stratégiques et du patrimoine de la GRC. Le 4 mai 2011, le commissaire William J.S. Elliot a annoncé que ces deux programmes seraient transférés au Directeur exécutif, Affaires publiques, en date du 27 juin 2011.

[14]  Après avoir conclu son analyse des fonctions et responsabilités énumérées dans la description de travail, le comité a procédé à une évaluation du poste visé par le grief. Il a noté que le poste était situé au premier échelon hiérarchique au-dessous du commissaire, et que le titulaire était principalement responsable de diriger la mise en œuvre de programmes clés dans des domaines comme les ressources humaines, l’informatique, les relations avec le personnel et la protection des biens en appui aux activités de la Direction générale de la GRC. Le comité a souligné que le titulaire du poste exerçait une influence considérable sur l’élaboration et la mise en application des stratégies, des plans d’activités, des cadres redditionnels et des politiques visant à mettre en place l’infrastructure nécessaire pour répondre aux besoins de la direction.

[15]  Le comité a soupesé divers facteurs et sous-facteurs relatifs aux rubriques Compétence, Initiative créatrice/Réflexion et Finalité/Prise de décisions. Le comité a conclu que le poste visé par le grief était comparable globalement à celui du Directeur exécutif, Centres de services aux entreprises du Canada pour ce qui est des rubriques Compétence et Initiative créatrice/Réflexion. Le comité a également estimé que le poste était comparable à celui d’un directeur général, Services régionaux des ressources humaines civiles, pour ce qui est de la rubrique Finalité/Prise de décisions.

[16]  Le comité s’est penché ensuite sur la validité de la date d’entrée en vigueur. Il a relevé que le demandeur et son représentant faisaient valoir que le poste visé par le grief aurait dû être examiné en 2011, au moment où la responsabilité relative au Carrousel de la GRC et à la Sous‑direction des partenariats stratégiques et du patrimoine a été retirée du poste. Le comité a mentionné de surcroît qu’il n’était jamais arrivé auparavant qu’il y ait abaissement du niveau d’un poste avec antidatage de cinq ans. Il a constaté par ailleurs que ces modifications, qui ont finalement mené à une reclassification du poste du niveau EX-03 au niveau EX-02, avaient été annoncées par le commissaire Elliott le 4 mai 2011, avec une date d’entrée en vigueur fixée au 27 juin 2011.

[17]  Le comité a souligné que le demandeur avait été muté au poste visé par le grief le 3 février 2014, soit environ 31 mois après que la responsabilité relative au Carrousel et à la Sous‑direction des partenariats stratégiques et du patrimoine a été enlevée au poste et attribuée au Directeur exécutif, Affaires publiques, et qu’il n’avait pas exercé les fonctions qui semblaient justifier une classification au niveau EX-03. Le comité a conclu qu’il était regrettable que la révision du poste visé par le grief ait tardé aussi longtemps après le changement apporté aux fonctions et responsabilités. Il estimait par ailleurs que personne n’avait été pénalisé par ce retard, et que la date de prise d’effet du 27 juin 2011 était valide, puisque le 4 mai 2011, les modifications avaient été annoncées par le commissaire Elliott, et leur date d’entrée en vigueur fixée du même coup au 27 juin 2011.

[18]  Par conséquent, le comité a précisé dans sa recommandation qu’il était justifié que le poste visé par le grief soit attribué au groupe EX-02 et classé à ce niveau en date du 27 juin 2011. Dans une lettre datée du 5 septembre 2018, la commissaire de la GRC Lucki a approuvé le rapport et la recommandation du comité.

III.  Analyse

A.  Critère de contrôle

[19]  Le critère de contrôle approprié en l’espèce est celui de la décision raisonnable (McEvoy c Canada (PG), 2013 CF 685, au paragraphe 39 [McEvoy], conf. par 2014 CAF 164; Schamborzki c Canada (PG), 2015 CF 1262, aux paragraphes 30 et 31; Roopnauth c Canada (Revenu national), 2016 CF 1307, au paragraphe 18; Boucher c Canada (PG), 2016 CF 546, au paragraphe 13; Canada (PG) c Allard, 2018 CAF 85, aux paragraphes 23 à 25 [Allard]).

[20]  La norme de la décision raisonnable commande à la Cour, lorsqu’elle examine une décision administrative, de s’attarder « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[21]  La norme de contrôle applicable à une allégation d’iniquité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La Cour doit déterminer si la démarche ayant mené à la décision visée par le contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115).

[22]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74). Comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale : « Même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] "particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte", même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54).

[23]  Dans le contexte des griefs de classification dans la fonction publique fédérale, la teneur de l’obligation d’équité « se situe du côté d’une moindre exigence » (Chong c Canada (Conseil du Trésor), [1999] ACF no 176, au paragraphe 12). La jurisprudence a établi que c’est le comité de classification qui est tenu d’assurer le degré approprié d’équité procédurale envers le demandeur et dont la décision et la recommandation doivent être raisonnables (McEvoy, aux paragraphes 41 à 44).

B.  La décision relative à la classification était-elle raisonnable?

(1)  Les observations du demandeur

[24]  Selon le demandeur, puisque le grief de classification initial avait été soumis au BCGA, la GRC aurait dû veiller à ce que le différend au sujet de la description de travail soit dûment réglé. À son avis, le président du comité aurait dû demander un examen de la description de travail avant de se pencher sur le niveau de classification.

[25]  Le demandeur cite le Manuel d’administration de la GRC (ch l.1, art 11.8.1.4), qui énonce que le président du comité de révision doit prendre certaines mesures quand il est saisi d’une demande de révision de la classification :

[Traduction]

Au besoin, demander un examen du poste par un autre conseiller en OC [organisation et classification] agréé en vue de clarifier ou d’obtenir de l’information sur certains faits relatifs au poste. Le conseiller en OC remet son rapport au président, au membre et au gestionnaire/supérieur dans un délai de 15 jours civils suivant la conclusion de l’examen. L’examen du poste peut être fait au moyen de visites sur place ou d’entrevues téléphoniques avec le membre et son gestionnaire/supérieur. Le conseiller en OC qui effectue l’examen sur place ne devra pas avoir participé à la décision initiale à l’origine de la demande de révision.

[26]  Selon le demandeur, la jurisprudence a établi que le comité de révision qui éprouve des doutes à l’égard de la description de travail ne devrait pas se prononcer sur le grief de classification. Le demandeur affirme que le comité aurait dû s’assurer que les parties s’entendaient sur la teneur du poste avant de se pencher sur le grief de classification.

[27]  De l’avis du demandeur, l’antidatage de l’entrée en vigueur de la reclassification du poste au 27 juin 2011 — soit environ cinq ans plus tôt — n’est pas justifiable. Le demandeur souligne qu’une reclassification ne peut être rétroactive à plus d’une année, aux termes de la politique du Conseil du Trésor, et que, selon la politique de la GRC, l’antidatage devrait être l’exception plutôt que la règle pour tous les postes, et la date d’entrée en vigueur doit être raisonnable et défendable. Même si le comité a mentionné la suppression de certaines responsabilités à compter du 27 juin 2011 pour justifier d’accepter cette date d’entrée en vigueur, le demandeur estime qu’il n’a pas tenu compte des nombreuses autres responsabilités ajoutées au poste peu après, responsabilités qui ont été maintenues jusqu’au 27 juillet 2016.

(2)  Les observations du défendeur

[28]  Le défendeur défend la décision. Il soutient qu’il incombe au demandeur d’établir que la classification du poste visé par le grief était erronée, mais qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Le comité n’était pas tenu d’examiner la description de travail afin d’en évaluer le caractère approprié et, aux dires du défendeur, le comité aurait commis une erreur s’il avait modifié la description de travail ou refusé de prendre en considération les obligations et les activités qui y étaient décrites.

[29]  Le défendeur se reporte à la politique de la GRC suivant laquelle un grief portant sur la nature du travail est distinct d’un grief de classification et devrait être résolu à part, et ce, avant qu’il soit statué sur le grief de classification. Le défendeur souligne que, même si le demandeur a contesté la description de travail dans ses observations écrites présentées au comité, il n’a pas déposé de grief portant sur la teneur d’un poste (description de travail) et n’a pris non plus aucune mesure pour que le processus de révision de la classification soit suspendu, le temps de lui permettre de régler la question relative à la description de travail.

[30]  D’après le défendeur, il était raisonnable de fixer la date d’entrée en vigueur au 27 juin 2011. Il est clair, à la lecture du rapport du comité, que ce dernier a laissé au demandeur la possibilité de se faire entendre et a résumé ses arguments concernant l’antidatage de l’entrée en vigueur. Du point de vue du défendeur, la date du 27 juin 2011 était raisonnable, puisque la responsabilité relative au Carrousel et à la Sous-direction des partenariats stratégiques et du patrimoine ne faisait plus partie des tâches inhérentes au poste visé par le grief à compter de cette date. Comme le demandeur n’a occupé ce poste qu’à partir du 3 février 2014, il n’a jamais exécuté des tâches qui auraient, avant 2011, justifié la classification au niveau EX-03. Le défendeur a souligné que le raisonnement du comité à cet égard se tenait, et ne devrait pas être remis en question puisqu’il appartient aux issues possibles acceptables.

(3)  Le caractère raisonnable de la décision de classification

[31]  Bien qu’il soit exceptionnel d’antidater d’environ cinq ans la date d’entrée en vigueur pour le poste visé par le grief, ce fait, en soi, ne rend pas la décision de classification déraisonnable. Quand le poste a été classifié, en janvier 2010, la date d’entrée en vigueur était rétroactive à plus de deux ans.

[32]  De fait, « les affaires de classification sont parmi les questions les plus spécialisées et les plus obscures qu’un décideur en droit de travail puisse être appelé à trancher » (Allard, au paragraphe 25). Les décisions rendues par un comité de classification doivent faire l’objet d’un degré élevé de déférence (McEvoy, au paragraphe 39; Beauchemin c Canada (Agence Canadienne d’inspection des Aliments), 2008 CF 186, au paragraphe 20).

[33]   Dans la présente affaire, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Le rapport du comité était intelligible, transparent et justifiable; la recommandation et la décision prise par la commissaire en conséquence appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

C.  Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[34]  Le demandeur fait valoir que la documentation présentée à la commissaire ne comportait pas ses observations formulées dans le cadre du grief et que, même si une partie de ses arguments ont été résumés dans le rapport, certains des renseignements et des arguments les plus déterminants n’ont pas été reproduits ni mentionnés dans celui-ci. Le demandeur estime ne pas avoir eu la pleine possibilité de se faire entendre par le décideur, puisque la commissaire a pris sa décision sans tenir compte de ses observations concernant le grief.

[35]  Le demandeur avance que les documents remis à la commissaire contenaient une lettre d’avis prédéterminée, qui avait été rédigée avant même que la commissaire ne lise le rapport. À ses yeux, cette lettre présupposait que la commissaire avait effectué un [traduction] « examen attentif », alors qu’en fait elle n’avait jamais pris connaissance des observations du demandeur concernant le grief.

[36]  Étant donné que la politique du Conseil du Trésor n’a pas été suivie, tout le processus de reclassification était, de l’avis du demandeur, inéquitable. Il estime qu’il n’existait aucun fondement solide à l’évaluation sous-tendant la classification du poste, étant donné que le comité a examiné une description de travail incomplète et peu fiable, qui ne tenait pas compte de tous les éléments ajoutés au poste, et qu’il aurait dû ordonner la rédaction d’une nouvelle description de travail qui soit impartiale.

[37]  Le défendeur soutient que le comité a accordé au demandeur un degré approprié d’équité procédurale. Il est d’avis aussi que l’argument du demandeur, suivant lequel le comité aurait dû demander un examen de la description de travail, est malavisé. Une telle démarche relève d’une décision discrétionnaire, que le président du comité de révision peut prendre s’il le juge nécessaire.

[38]  Il n’y a aucune preuve, selon le défendeur, que le demandeur a réclamé un examen de la description de travail, et il incombait à celui-ci de déposer un grief distinct à l’égard du contenu de la description de travail pour le poste. Le défendeur soutient que le comité avait pour seule obligation d’entendre les arguments du demandeur, ce qu’il a fait.

[39]  Sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur. Le processus était conforme à l’obligation d’équité procédurale, vu que le demandeur a eu la possibilité d’exposer ses moyens relatifs à la classification du poste, ainsi que de se faire entendre, et que sa participation n’a été soumise à aucune restriction (Begin c Canada (PG), 2009 CF 634, au paragraphe 9).

IV.  Conclusion

[40]  En conclusion, j’estime que la décision de classification était raisonnable. Le rapport exposait clairement les motifs pour lesquels le grief de classification du demandeur a été rejeté. Le rapport, et l’acceptation de la recommandation du comité par la commissaire, sont justifiables, transparents et intelligibles, et ils appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée.

[41]  Chacune des parties a demandé des dépens à l’égard de la présente requête. Le défendeur a eu gain de cause et a donc droit aux dépens. Les parties ont informé la Cour à l’audience qu’elles avaient convenu qu’un montant forfaitaire de 950 $ représentait des dépens appropriés en l’espèce. Le demandeur devra donc payer au défendeur une somme forfaitaire de 950 $ à titre de dépens dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.


JUGEMENT dans le dossier T-1827-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur devra payer au défendeur une somme forfaitaire de 950 $ à titre de dépens dans un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’août 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1827-18

 

INTITULÉ :

MARTIN CHESSER c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Martin Chesser

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Helen Gray

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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