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  DES-1-97

 

 

ENTRE:

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée en rapport avec Hani Abd Rahim AL SAYEGH;

 

 

ET la transmission de cette attestation à la Cour fédérale du Canada conformément à l’alinéa 40.1(3)a) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2;

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

  [Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario),

  le lundi 5 mai 1997.]

 

 

 

LE JUGE McGILLIS

 

 

 

  Pour commencer, je désire placer la présente instance en contexte en faisant un bref examen du régime légal et de son objet de même que du rôle de la Cour.

 

  Sur le plan de la sûreté et de la sécurité publiques, la Couronne a toujours joui de la prérogative de common law « de décider qu’un étranger visé par une ordonnance d’expulsion pourrait demeurer au Canada sans aller à l’encontre de l’intérêt public » [1] .  Cette prérogative traditionnelle a été consacrée dans la législation au fil des ans dans diverses dispositions de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, et modifications.  Actuellement, les articles 39 et 40.1 de la Loi confient au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et au solliciteur général du Canada des pouvoirs, obligations et devoirs précis dans des situations qui ont trait à la sûreté et à la sécurité publiques.  Dans la décision Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669; conf. par (1996), 201, N.R. 233 (C.A.F.), j’ai expliqué l’objet de ces dispositions et résumé la procédure à suivre en vertu de l’article 40.1, dans les termes suivants, aux pages 680 à 685 :

 

Dans les modifications qu'il a apportées en 1988 aux dispositions de la partie III de la Loi sur l'immigration portant sur l'exclusion et le renvoi, le législateur fédéral a édicté deux régimes législatifs complètement distincts et séparés sous la rubrique « Sûreté et sécurité publiques », qui régit le renvoi du Canada des personnes ayant des antécédents ou des penchants criminels ou terroristes. Le premier régime se trouve aux articles 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 29] et 40 [mod., idem, art. 30] et concerne les résidents permanents, et le second est prévu aux articles 40.1 et 40.2 [édicté, idem, art. 32] et s'applique aux personnes qui ne sont ni citoyens canadiens ni résidents permanents. Dans les modifications qu'il a apportés en 1992 à la Loi sur l'immigration, le législateur fédéral a inséré l'article 38.1 [édicté, idem, art. 28], qui explique les buts législatifs des articles 39 à 40.1. Le législateur fédéral a notamment précisé que les dispositions législatives en question ont expressément pour but :

 

38.1...

a) de permettre au gouvernement fédéral de s'acquitter de son obligation de renvoyer les personnes qui menacent la sécurité du Canada ou dont la présence au pays est contraire à ses intérêts ou met en danger la vie ou la sécurité de personnes au Canada;

 

b)  d'assurer la protection des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité;

 

c) de permettre le renvoi rapide des personnes dont il a été décidé qu'elles appartiennent à une catégorie non admissible visée aux articles 39 ou 40.1.

Un examen de l'article 38.1 de la Loi sur l'immigration confirme par ailleurs qu'en édictant un régime législatif différent pour les résidents permanents d'une part, et pour les personnes qui ne sont ni citoyens canadiens ni résidents permanents d'autre part, le législateur fédéral a expressément reconnu le fait que les personnes qui font partie de cette dernière catégorie n'ont pas le droit de venir au Canada ou d'y demeurer, tandis que les résidents permanents n'ont qu'un droit limité de le faire.

 

En édictant l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, le législateur fédéral a créé un mécanisme qui permet l'examen rapide, par un arbitre judiciaire indépendant, du caractère raisonnable de la décision par laquelle deux ministres distincts ont délivré une attestation certifiant qu'une personne qui n'est ni citoyen canadien ni résident permanent appartient à une catégorie de personnes qui, pour diverses raisons — dont le terrorisme —, ne sont pas admissibles. Sous le régime de l'article 40.1, le ministre et le solliciteur général doivent fonder leur décision selon laquelle une personne appartient à une catégorie non admissible uniquement sur les «  renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance ». La remise de l'attestation ministérielle à un agent d'immigration ou à d'autres fonctionnaires déterminés met en branle diverses procédures prévues par la loi, y compris la détention obligatoire de la personne nommée dans l'attestation et la transmission de l'attestation à cette Cour pour qu'elle détermine si elle est raisonnable. Le ministre est tenu, dans les trois jours suivant la remise de l'attestation, « d'envoyer un avis » à l'intéressé pour l'informer de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à cette Cour, il pourrait faire l'objet d'une mesure d'expulsion. Dans les sept jours de la transmission de l'attestation à la Cour, le juge en chef ou le juge qu'il délègue (le juge délégué) doit examiner, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance « et recueill[ir] les autres éléments de preuve ou d'information présentés » en leur nom. Comme le ministre et le solliciteur général sont tenus de prendre leur décision uniquement à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, le juge délégué sait exactement quels renseignements ils ont examinés avant de délivrer l'attestation. Les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité sont les seuls éléments de preuve que le juge délégué doit examiner à huis clos. Si d'« autres éléments de preuve ou d'information » doivent être présentés, le ministre ou le solliciteur général peut demander au juge délégué de « recueillir tout ou partie de ces éléments » en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant. Le juge délégué ne peut accéder à cette demande ministérielle que s'il est d'avis que la communication des éléments de preuve ou d'information en question « porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes ».

 

  ...

 

Une fois qu'il a fini d'examiner les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité et qu'il a, le cas échéant, recueilli d'autres éléments de preuve ou d'information en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant, le juge délégué a l'obligation stricte de communiquer les renseignements en question à l'intéressé pour lui permettre de contester le caractère raisonnable de l'attestation délivrée par le ministre et le solliciteur général. En particulier, le juge délégué doit fournir un résumé des informations dont il dispose à l'intéressé « afin de permettre à celui-ci d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation ». Pour préparer le résumé des informations à l'intention de l'intéressé, le juge délégué doit évaluer le droit de l'intéressé d'« être suffisamment informé des circonstances » en se demandant si « [la] communication [de certains éléments de preuve ou d'information] pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes ».

 

  ...

 

Le juge délégué doit également se souvenir que la norme, selon laquelle l'intéressé doit être « suffisamment informé » et que le législateur fédéral a retenue pour les personnes qui ne sont ni résidents canadiens ni résidents permanents, est moins élevée que la norme applicable aux résidents permanents dans le cadre du régime parallèle prévu à l'article 39 de la Loi sur l'immigration. En ce qui concerne les résidents permanents, le législateur fédéral a en effet prévu au paragraphe 39(6) de la Loi sur l'immigration qu'il faut fournir au résident permanent « un résumé des informations », afin de lui permettre « d'être informé le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l'établissement du rapport ».

 

Le juge délégué doit par ailleurs donner à l'intéressé la possibilité d'être entendu.

 

  ...

 

Au terme de son examen, le juge délégué doit décider si l'attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information portés à sa connaissance. Si le juge délégué conclut que l'attestation n'est pas raisonnable, il doit l'annuler. La décision rendue par le juge délégué ne peut être portée en appel ni être revue par aucun tribunal. L'attestation qui n'est pas annulée au terme de l'examen du juge délégué « établit de façon concluante » le fait que la personne qui y est nommée appartient à la catégorie de personnes non admissibles qui y est visée.

 

  ...

 

L'instance prévue à l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration vise seulement et exclusivement à déterminer le caractère raisonnable de l'attestation ministérielle qui certifie que la personne qui y est nommée appartient à une catégorie déterminée de personnes non admissibles. Cet article de la loi ne traite pas de la question de l'expulsion.  [Notes de bas de page omises.]

 

 

  De plus, la question du caractère raisonnable de l’attestation relève purement et simplement du domaine de l’immigration; les principes, politiques et concepts qui sous-tendent le droit criminel n’ont aucune application dans une instance de cette nature.

 

  J’ai aussi noté dans la décision Ahani c. Canada, précitée, à la page 694, qu’« en édictant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a élaboré une procédure par laquelle il a tenté de trouver le juste milieu entre les intérêts divergents des particuliers et ceux de l’État ».  En fait, comme le juge Sopinka l’a fait observer dans l’arrêt Chiarelli c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 711, à la p. 742, relativement aux dispositions semblables quant au fond du prédécesseur de l’article 39 de la Loi sur l’immigration, le « Parlement aurait [...] pu prévoir simplement la délivrance d’une attestation sans la tenue d’une audience ».

 

  Ayant placé la présente instance dans son contexte légal propre, je vais maintenant aborder la question qui m’est soumise.

 

  Les 17 et 18 mars 1997, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le solliciteur général du Canada ont respectivement signé une attestation en vertu de l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, indiquant que Hani Abd Rahim Al Sayegh, une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent, est une personne visée par les sous-alinéas 19(1)c.1)(ii), 19(1)e)(iii), 19(1)e)(iv)(C), 19(1)f)(ii) et 19(1)f)(iii)(B) de la Loi.  Le 20 mars 1997, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a transmis l’attestation à la Cour, conformément à l’alinéa 40.1(3)a) de la Loi sur l’immigration, pour qu’il soit décidé si l’attestation doit être annulée.

 

  En vertu de l’alinéa 40.1(4)a) de la Loi sur l’immigration, j’ai tenu une audience à huis clos dans les sept jours de la transmission de l’attestation à la Cour.

 

  Le 27 mars 1997, j’ai signé une ordonnance exigeant, entre autres choses, qu’un résumé des informations présentées à huis clos soit signifié immédiatement à M. Al Sayegh en vertu  de l’alinéa 40.1(4)b) de la Loi sur l’immigration, afin qu’il puisse être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l’attestation.  J’ai aussi indiqué dans mon ordonnance qu’une partie des informations et des éléments de preuve examinés à huis clos ne seraient pas divulgués à M. Al Sayegh au motif que cette divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

 

  Le 5 mai 1997, j’ai donné à M. Al Sayegh la possibilité de se faire entendre sur cette question, au sens de l’alinéa 40.1(4)c) de la Loi.

 

  Dès le début de l’audience, M. Al Sayegh a choisi, par l’intermédiaire de son avocat, de ne pas témoigner.  Étant donné les informations très détaillées divulguées à M. Al Sayegh alléguant sa participation directe dans l’attentat à la bombe terroriste contre les Al Khobar Towers en Arabie saoudite le 25 juin 1996, son appartenance au Hezbollah saoudien et sa revendication frauduleuse du statut de réfugié au Canada, son témoignage était crucial.  Sa décision de ne pas témoigner constitue donc une omission de sa part de se prévaloir de la possibilité d’être entendu aux termes de l’alinéa 40.1(4)c) de la Loi sur l’immigration.

 

  Vu les circonstances, je n’ai pas la moindre hésitation à conclure, me fondant sur les éléments de  preuve et d’information dont je dispose, que l’attestation signée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le solliciteur général du Canada est raisonnable.

 

 

 

OTTAWA,

le 5 mai 1997.  D. McGillis 

  Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme :  _________________________________

 

  Jacques Deschênes 


  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE:DES-1-97

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE:AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée en rapport avec Hani Abd Rahim AL SAYEGH;

 

ET la transmission de cette attestation à la Cour fédérale du Canada conformément à l’alinéa 40.1(3)a) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE:Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE:le 5 mai 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

RENDUS PAR:le juge McGillis

 

 

DATE:le 5 mai 1997

 

 

 

ONT COMPARU:

 

 

M. Douglas M. BaumPOUR HANI ABD RAHIM AL SAYEGH

 

 

Mme Barbara MercerPOUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

PROCUREURS AU DOSSIER:

 

 

M. Douglas M. BaumPOUR HANI ABD RAHIM AL SAYEGH

Ottawa (Ontario)

 

 

M. George Thomson

Sous-procureur général

  du CanadaPOUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION



  [1] Chiarelli c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 711, p. 740.

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