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Date : 20001201

Dossier : IMM-2007-99

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2000

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                       CHING HO POON

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par une agente des visas qui a refusé de délivrer un visa au demandeur et à sa famille au motif que l'admission du fils du demandeur, Tat Chi, qui souffre d'un retard mental moyen, « entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » [1].


[2]    Le demandeur Poon Ching Ho fait preuve de force de caractère. Il dispose de suffisamment de ressources pour être admissible à titre de résident permanent au Canada dans la catégorie des immigrants investisseurs, si ce n'est les difficultés liées à l'admission de son fils. Il ressort des éléments de preuve que son épouse et lui consacrent beaucoup de temps à Tat Chi et que, dans les dix-sept années d'existence de ce dernier[2], ils ne l'ont jamais confié aux soins d'autres personnes. Leur déposition révèle qu'ils s'engagent à défrayer, pour l'essentiel, les coûts des services dont leur fils aura besoin, y compris l'école privée. Le défendeur ressent de la sympathie à leur égard, mais fait remarquer qu'un tel engagement ne peut être mis à exécution.

[3]    Le demandeur a déposé une demande de visa le 21 mars 1997. Il a subséquemment fourni à l'agente des visas des renseignements médicaux et psychologiques de toutes sortes, y compris une évaluation psychologique de Tat Chi, en date du 30 avril 1997, produite par Wong Chee Wing, un psychologue affilié au Centre for Psychological Resources Development à Hong Kong. Au terme de cette évaluation, les conclusions suivantes ont été tirées :

[TRADUCTION]

CONCLUSION :

Tat Chi est un garçon de 17 ans qui souffre d'une difficulté d'apprentissage scolaire limite légère à moyenne. Tat Chi a complété avec succès sa neuvième année scolaire au sein d'une école spéciale et cherche activement aujourd'hui l'occasion de se doter d'une formation professionnelle. Il n'a toujours aucune expérience de travail.


Tat Chi peut communiquer de façon adéquate en ce qui a trait aux choses simples du quotidien. Il a également développé des aptitudes à la vie quotidienne sur le plan de l'autonomie et de l'hygiène personnelle. Il est entièrement indépendant quant à la plupart des aspects des activités de la vie quotidienne, comme pour le fait de se nourrir, de s'habiller, de se laver et de faire sa toilette.

L'évaluation psychométrique effectuée au moyen du WAIS-R (version cantonaise) a montré que Tat Chi se situait dans la catégorie de difficulté d'apprentissage scolaire limite légère à moyenne, avec un QI à l'échelle complète entre 45 et 55. Sur l'échelle de comportements adaptatifs de Vineland, Tat Chi a obtenu un âge social approximatif de 7,4 ans. Les résultats donnent à penser qu'il fonctionne adéquatement lorsqu'il s'agit de simples tâches autonomes. Il n'a aucun problème de comportement évident qui puisse soulever des inquiétudes. À cette étape-ci, il peut encore avoir besoin de supervision avant de devenir plus indépendant et plus autonome. À long terme, Tat Chi nécessiterait un emploi protégé, ainsi qu'une formation et une supervision continues pour développer des aptitudes à se débrouiller par lui-même, comme pour le fait de se déplacer seul en utilisant le transport en commun, de s'acheter ce dont il a besoin sur une base quotidienne et de s'occuper de son chez-soi.

Sa famille est prête à l'aider, elle lui apporte du soutien et elle s'engage à s'occuper de Tat Chi après l'immigration au Canada.

[4]                 Au terme de l'examen du rapport psychologique et d'autres renseignements médicaux fournis par le demandeur, le Dr Gordon Hutchings, un médecin agréé qui travaille pour le défendeur, a préparé une Déclaration médicale en date du 15 juillet 1997 dans laquelle il a exprimé le point de vue suivant :

[TRADUCTION]

DIAGNOSIS/DIAGNOSTIQUE

317 RETARD MENTAL - LÉGER

NARRATIVE/COMMENTAIRE

Ce demandeur dépendant de 17 ans souffre d'un retard mental limite léger à moyen et il a un âge social d'environ 7 ans. Il a complété ses études au sein d'une institution pour déficients intellectuels, mais ses aptitudes sont considérablement limitées. Il est capable de compter, mais ne peut effectuer des opérations simples d'addition ou de soustraction. Il peut reproduire certains caractères chinois simples sous supervision. Bien qu'il soit indépendant au regard des principales activités de la vie quotidienne, il requiert un haut degré de soins et de supervision.


Il aurait besoin d'une formation professionnelle particulière et d'être placé dans un atelier protégé. Une fois le statut de résident permanent obtenu, il pourrait bénéficier d'autres services sociaux offerts aux personnes atteintes de déficience mentale, comme les soins de relève et de soutien. Il s'agit de services dont les coûts sont très élevés et, de ce fait, on s'attend qu'il entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux, ce qui le rend donc inadmissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

Souffre également :-

1) d'épilepsie

2) d'asthme


[5]                 Le Dr Ted Axler, un autre médecin qui travaille pour le défendeur, a souscrit à cet avis[3]. Cette Déclaration médicale a été communiquée au demandeur accompagnée d'une lettre datée du 14 août 1997. Cette lettre et le document qui y est joint représentent ce que le défendeur appelle sa « procédure équitable » , car celle-ci permet aux demandeurs de savoir qu'une décision défavorable à leur égard est sur le point d'être prise et de présenter des observations avant qu'elle le soit. La lettre indique que deux médecins sont parvenus à la conclusion que l'état de santé du fils du demandeur entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. On a renvoyé le demandeur à la Déclaration médicale pour des renseignements plus détaillés. Le demandeur a été informé qu'il disposait de soixante jours pour [TRADUCTION] « communiquer tout autre renseignement que vous jugez pertinent » . En l'absence de circonstances exceptionnelles, le demandeur a été avisé que sa demande serait rejetée dans 60 jours.

[6]                 Le demandeur a retenu les services d'un avocat et a demandé la prorogation du délai afin de soumettre d'autres renseignements. On a fait droit à sa demande. Par l'entremise de son avocat, le demandeur a demandé qu'on procède au traitement de sa demande, sous réserve du refus de son admission en raison de l'état de santé de Tat Chi, avant qu'il communique d'autres renseignements. Le défendeur a également accepté cette demande et on a procédé au traitement de la demande de visa avec la tenue d'une entrevue, le 12 janvier 1998, à laquelle le demandeur et son épouse ont été convoqués. Ces derniers disent ne jamais avoir été interrogés sur la question des soins que requiert Tat Chi. On a avisé le demandeur qu'il satisfaisait au critère normalement utilisé aux fins de l'admission, ce qui ne laissait en suspens que la question du fardeau des soins requis par Tat Chi au regard des services sociaux et de santé. Le 19 février 1998, l'avocat du demandeur a présenté une nouvelle demande de prorogation de délai afin de permettre le dépôt d'autres renseignements médicaux, demande qui a également été accordée.


[7]                 En juin 1998, on a permis à Tat Chi de se rendre au Canada afin de se soumettre à une évaluation par les psychologues de Ford and Associates, qui ont produit un rapport non daté de 13 pages à simple interligne contenant 25 recommandations distinctes quant aux divers besoins de Tat Chi. Ce rapport a été communiqué à l'agente des visas par l'entremise de l'avocat le 29 juin 1998, de même qu'une lettre dans laquelle les psychologues expriment leur désaccord quant à la Déclaration médicale en ce que celle-ci omet de prendre en compte les effets amélioratifs, sur le plan des coûts, du soutien parental dont Tat Chi bénéficierait; comme les mois ont passé et qu'aucune décision ne semblait être sur le point d'être rendue, l'avocat du demandeur s'est informé de la progression du dossier, après quoi le Dr Giovinazzo, le directeur des Services de santé de l'immigration, a commencé à mener sa propre enquête au sujet du bureau de Hong Kong. Le Dr Hutchings et le Dr Axler avaient depuis quitté l'établissement et c'est le Dr Kennedy qui s'est chargé de répondre aux questions.

[8]                 Finalement, en mars 1999, le Dr Giovinazzo et le Dr Kennedy ont examiné les renseignements médicaux produits et ont tous deux convenu que la conclusion relative à l'imposition d'un fardeau excessif devait rester inchangée. Le Dr Giovinazzo a noté plus particulièrement qu'en Ontario, Tat Chi jouirait d'une éducation spéciale jusqu'à l'âge de 21 ans. Le demandeur a été informé du rejet de sa demande le 7 avril 1999. La présente demande fait suite à ces démarches.


[9]                 Le demandeur a soulevé deux questions de fond, ainsi qu'une question de nature procédurale. La question de nature procédurale vient du fait que le défendeur n'a produit aucun affidavit, de sorte que l'avocat du demandeur a été privé de la possibilité de contre-interroger l'agente des visas quant aux motifs étayant la conclusion que les besoins en cause entraîneraient un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé. La même question a été soulevée et tranchée dans une affaire qui a été entendue subséquemment, soit Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1450. Dans cette affaire, j'ai statué que le défendeur ne peut être tenu de déposer un affidavit, mais que les notes STIDI ne peuvent servir d'éléments de preuve contre le demandeur que si la véracité de leur contenu est attestée par affidavit.

[10]            Les questions de fond portent que le demandeur aurait dû avoir eu la possibilité de réagir à la conclusion tirée par le Dr Giovinazzo selon laquelle Tat Chi serait admissible à un enseignement spécial jusqu'à ce qu'il ait 21 ans, un fait nouveau qui a été dévoilé tardivement dans le processus. En outre, le demandeur soutient qu'il s'agit d'une erreur de droit que d'omettre de prendre en compte le soutien familial dont bénéficierait Tat Chi, dans le cadre de l'examen relatif au fardeau que celui-ci risquerait d'entraîner à l'égard du système de bien-être social et de santé.


[11]            En ce qui a trait au premier point, il appert que la prétention du demandeur porte que si le Dr Giovinazzo avait l'intention de fonder sa conclusion relative au fardeau excessif sur la question de l'enseignement spécial, le demandeur aurait dû avoir la possibilité de s'exprimer à ce sujet, puisqu'il s'agit d'un motif différent de ceux qui étayaient l'évaluation précédente. La difficulté à laquelle on se bute avec cet argument est que la question de l'enseignement spécial a été soulevée dans le rapport du Dr Ford, rapport que l'avocat du demandeur a fait parvenir au défendeur. Dans les circonstances, il n'est pas manifeste que le demandeur se soit trouvé dans une position désavantageuse du fait qu'il n'ait pas eu une occasion de plus de commenter.

[12]            Le devoir de confronter un demandeur à des conclusions défavorables survient lorsque celles-ci se fondent sur des documents dont le demandeur n'a pas eu connaissance. Lorsque la question se rapporte à un document que le demandeur a lui-même produit, il n'incombe nullement à l'autre partie de prévoir la possibilité que le demandeur s'explique, puisque celui qui présente le document est réputé en connaître le contenu. Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1274, (1999), 173 F.T.R. 266.

[13]            La seconde question a trait au fait que le défendeur ne semble pas avoir tenu compte des circonstances familiales lorsqu'il a disposé de la demande. Autrement dit, le fardeau que représente cette famille, et en particulier Tat Chi, pour les services sociaux et de santé serait atténué du fait que la famille possède les moyens et la volonté d'absorber la plupart des coûts qui seraient autrement défrayés à même les fonds publics. Le demandeur fait valoir que cet élément aurait dû être pris en considération par les médecins agréés du défendeur.


[14]            L'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a mis en place le régime législatif en cause est manifeste. Comme le juge Rothstein l'a affirmé dans l'arrêt Thangarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 167 (C.A.F.), (1999), 176 D.L.R. (4th) 125, « [l]es services sociaux et de santé ne sont pas illimités et gratuits » . Il n'existe aucune considération de principe particulière militant en faveur de l'augmentation des pressions exercées sur des ressources limitées par l'admission au Canada de personnes qui utiliseraient une part excessive de ces ressources. Par contre, on peut s'attendre à ce que tout immigrant impose, dans une certaine mesure, un fardeau à l'égard de ces services, donc il ne s'agit pas de savoir s'il faut s'attendre à l'imposition d'un certain fardeau, mais plutôt de savoir si le fardeau auquel on peut s'attendre est excessif.

[15]            Le Règlement sur l'immigration de 1978 fournit quelques pistes quant à ce qu'il faut entendre par un fardeau excessif :



22. Afin de pouvoir déterminer si une personne constitue ou est susceptible de constituer un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou si l'admission d'une personne entraînerait ou pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, un médecin doit tenir compte des facteurs suivants, en fonction de la nature, de la gravité ou de la durée probable de la maladie, du trouble, de l'invalidité ou de toute autre incapacité pour raison de santé dont souffre la personne en question, à savoir :

a) tout rapport ayant trait à la personne en question rédigé par un médecin;

b) la mesure dans laquelle la maladie, le trouble, l'invalidité ou toute autre incapacité pour raison de santé est contagieux;

c) si la surveillance médicale est exigée pour des raisons de santé publique;

d) si l'incapacité soudaine ou imprévisible ou un comportement inhabituel peut constituer un danger pour la sécurité publique;e) si la prestation de services sociaux ou de santé dont cette personne peut avoir besoin au Canada est limitée au point

(i) qu'il y a tout lieu de croire que l'utilisation de ces services par cette personne pourrait empêcher ou retarder la prestation des services en question aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents, ou

(ii) qu'il est possible qu'on ne puisse offrir ces services ou que ceux-ci ne soient pas accessibles à la personne visée;

f) si des soins médicaux ou l'hospitalisation s'impose;

g) si l'employabilité ou la productivité éventuelle de l'intéressé est compromise; et

h) si un traitement médical prompt et efficace peut être fourni. DORS/78-316, art. 2.

22. For the purpose of determining whether any person is or is likely to be a danger to public health or to public safety or whether the admission of any person would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services, the following factors shall be considered by a medical officer in relation to the nature, severity or probable duration of any disease, disorder, disability or other health impairment from which the person is suffering, namely,

(a) any reports made by a medical practitioner with respect to the person;

(b) the degree to which the disease, disorder, disability or other impairment may be communicated to other persons;

(c) whether medical surveillance is required for reasons of public health;

(d) whether sudden incapacity or unpredictable or unusual behaviour may create a danger to public safety;

(e) whether the supply of health or social services that the person may require in Canada is limited to such an extent that

(i) the use of such services by the person might reasonably be expected to prevent or delay provision of those services to Canadian citizens or permanent residents, or

(ii) the use of such services may not be available or accessible to the person;

(f) whether medical care or hospitalization is required;

(g) whether potential employability or productivity is affected; and

(h) whether prompt and effective medical treatment can be provided. SOR/78-316, s. 2.


[16]            Dans l'affaire Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 27, (1998), 140 F.T.R. 311, le juge Wetston s'est penché sur la question de savoir dans quelle mesure la Cour peut se permettre de remettre en cause l'avis des médecins quant à la question du fardeau excessif :

[para6] La Cour n'est pas habilitée à contrôler l'avis donné par les experts médicaux au sujet du diagnostic et du pronostic. Il lui est toutefois loisible de contrôler l'avis donné par les médecins sur la question de savoir si l'état de santé d'une personne entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou les services de santé au Canada (Ahir c. M.E.I., (1983), 49 N.R. 185 (C.A.F.), Hiramen c. M.E.I., (1986), 65 N.R. 67 (C.A.F.)). Parmi les moyens qui peuvent être invoqués pour demander ce contrôle, mentionnons : l'existence d'incohérences ou de contradictions, l'absence d'éléments de preuve justifiant l'avis et le défaut de tenir compte des facteurs énumérés à l'article 22 du Règlement (Gao c. Canada (M.E.I.), (1993), 18 Imm.L.R. (2d) 306 (C.F. 1re inst.), à la page 318).


[para7] Aux termes du sous-alinéa 22e)(i) du Règlement, les médecins doivent déterminer si « la prestation de services sociaux ou de santé dont cette personne peut avoir besoin au Canada est limitée au point qu'il y a tout lieu de croire que l'utilisation de ces services par cette personne pourrait empêcher ou retarder la prestation des services en question aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents » (Fong c. Canada (M.C.I.), (1997), 126 F.T.R. 235). Les médecins commettent une erreur s'ils omettent d'examiner la question de savoir si le fardeau créé par un état médical déterminé est excessif sans se fonder sur des éléments de preuve portant sur la prestation de ce service social ou de santé précis au Canada.

[para8]    La Cour refusera toutefois d'examiner à fond la question de savoir si les agents se sont fondés sur des données fouillées pour formuler leur avis (Yogeswaran c. M.E.I., C.F. 1re inst., IMM-1505-96, 17 avril 1997). Il suffit que les médecins aient disposé de certains éléments de preuve qui leur permettaient de former leur opinion.

[17]            Dans l'affaire Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1068, (1995), 98 F.T.R. 308, le juge Teitelbaum a passé en revue la jurisprudence touchant à la question du fardeau excessif et, ce faisant, a abordé la question de la capacité à défrayer les coûts des services :

[para30]    Que le requérant soit considéré comme une personne fortunée et, si sa fille a besoin de soins spéciaux, qu'il puisse très bien en supporter les frais, cela est de peu de conséquence. Je conviens avec l'intimé que, comme condition d'admission, ce dernier ne peut imposer la condition que le requérant et sa famille acceptent de renoncer à tous les droits aux services sociaux au Canada pour la fille à charge Pui Shi Choi (voir art. 23.1 du Règlement sur l'immigration).

[18]            Pour résumer :

1)          Le fardeau excessif comprend, sans s'y limiter, la situation dans laquelle l'utilisation des services sociaux ou de santé par l'intéressé peut vraisemblablement empêcher ou retarder la prestation des services en question aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents.


2)          Il s'agit d'une erreur pour les médecins de tirer une conclusion sur la question du fardeau excessif sans d'abord examiner la disponibilité du service en question au Canada; Ma c. Canada, précitée.

3)          La Cour ne peut remettre en cause le diagnostic des médecins; Ma c. Canada, précitée.

4)          La capacité d'une personne à supporter les frais liés aux services sociaux ou de santé requis par un membre de sa famille est sans pertinence, car ces frais ne peuvent être réclamés ni auprès de cette personne, ni auprès de ce membre de la famille; Choi c. Canada, précitée.

[19]            En l'espèce, je ne peux faire droit à l'argument avancé par le demandeur selon lequel il n'a pas été tenu compte de la capacité de la famille à défrayer les coûts, car on a conclu dans l'affaire Choi, précitée, que ce facteur n'était pas pertinent. Même sans cette jurisprudence, j'en serais venu à la même conclusion. L'accès aux services sociaux et de santé au Canada est un droit dont peuvent jouir les citoyens canadiens et les résidents permanents. Une fois que Tat Chi obtiendra le statut de résident permanent, il lui sera loisible de se prévaloir de tels services financés à même les fonds publics selon ses besoins, et toute entente à l'effet contraire ne pourra lui être opposée.


[20]            Dans l'affaire Shan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1103 (QL), le juge Campbell s'est penché sur la question de savoir si l'omission de prendre en compte la question de la disponibilité des services peut faire échec à l'avis donné par le médecin, aux paragraphes 3 à 5 :

Pour ce qui est de la justesse de l'avis, reproduit en italiques dans la déclaration, le juge Heald a décidé, dans l'arrêt Fei c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 39 I.L.R. 2d 266 (à la page 280), qu'un avis médical formulé dans les mêmes termes se révélait insuffisant. À partir de la preuve qui lui avait été soumise, le juge Heald a conclu que l'avis médical en cause était fondé uniquement sur le coût des services requis et non sur leur disponibilité. Dans la présente affaire, je suis arrivé à une conclusion semblable.

En l'espèce, j'estime que le point de vue selon lequel « il s'agit là de modalités coûteuses, souvent non accessibles aux autres Canadiens » constitue une affirmation hâtive mettant clairement l'accent sur le coût des services requis tout en se référant de façon vague et marginale à la disponibilité de ces mêmes services. À ce titre, la décision de l'agent des visas n'est pas suffisamment étayée par la preuve. En effet, il n'y a eu en l'espèce ni examen des problèmes médicaux constatés, ni identification des services sociaux ou de santé appropriés et disponibles dans les circonstances, ni analyse de la question de savoir si un tel traitement entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Or, à mon sens, il s'agit là de conclusions préliminaires essentielles à la prise d'une décision en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii).

En conclusion, j'estime que la décision de l'agent des visas en l'espèce n'était pas suffisamment étayée par la preuve. Elle constitue donc une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire, conformément à l'alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale. En conséquence, la décision est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il statue de nouveau sur celle-ci. L'évaluation des troubles médicaux de l'enfant devra se faire à la date du réexamen.


[21]            Lorsqu'on examine les rapports médicaux produits en l'espèce, leurs conclusions selon lesquelles le fardeau sera excessif apparaissent être strictement tributaires du coût des services requis. Il ne s'agit pas de l'un des facteurs que les médecins agréés sont tenus d'examiner en vertu de l'article 22 du Règlement sur l'immigration de 1978. Le coût à lui seul ne peut être un facteur déterminant. Si c'était le cas, on s'attendrait à ce que les lois et les règlements fassent mention du coût excessif plutôt que du fardeau excessif. D'un autre côté, la question du coût n'est pas sans pertinence. Des services dispendieux signifient bien souvent des services à forte demande. On n'a qu'à penser au débat public au sujet des cliniques privées spécialisées dans l'IRM pour comprendre que certains services dispendieux constituent aussi des services à forte demande. Comme on l'a fait observer dans l'affaire Ma c. Canada, précitée, on doit tenir compte dans une certaine mesure de la question de la disponibilité des services pour être en mesure de conclure que le fardeau sera excessif. Je ne peux trouver, dans le présent dossier, d'indication selon laquelle on aurait tenu compte de la disponibilité des services. La Déclaration médicale jointe à la décision de l'agente des visas énonce simplement :

[Tat Chi] aurait besoin d'une formation professionnelle particulière et d'être placé dans un atelier protégé. Une fois le statut de résident permanent obtenu, il pourrait bénéficier d'autres services sociaux offerts aux personnes atteintes de déficience mentale, comme les soins de relève et de soutien. Il s'agit de services dont les coûts sont très élevés et, de ce fait, on s'attend qu'il entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux, ce qui le rend donc inadmissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[22]            Je conclus par conséquent que les rapports médicaux sont incomplets à cet égard.

[23]            La nature incomplète des rapports équivaut-elle à un motif de rejet de la décision rendue par l'agente des visas? Dans l'affaire Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 274, (1997), 131 F.T.R. 81, le juge Heald a examiné de façon assez approfondie le droit relatif à la compétence des agents des visas de contrôler les avis médicaux. Il conclut au par. 41 :


À mon avis, l'avis médical valablement émis sous le régime du sous-alinéa 19(1)a)(ii) lie l'agent des visas. Cependant, l'avis fondé sur une erreur de fait manifestement déraisonnable ou inconsistant, incohérent ou formé en contravention des principes de justice naturelle donne lieu à un excès de compétence. Un tel avis ne peut être valable sous le régime du sous-alinéa 19(1)a)(ii). En acceptant un tel avis, l'agent des visas commettrait une erreur de droit, et pour ce motif, sa décision serait susceptible de contrôle par la Cour. Par ailleurs, il importe de souligner que présentement, rien n'empêche une personne touchée de demander le contrôle judiciaire de l'avis médical même.[non souligné dans l'original]

[24]            En l'espèce, l'avis médical selon lequel les coûts des services sociaux requis sont « très élevés » se fonde de manière similaire sur des éléments de preuve incomplets et omet de prendre en compte la question de la disponibilité. Sur le fondement des affaires Ma, Fei et Shan, je conclus que l'agente des visas a étayé sa décision avec des avis médicaux erronés et qu'elle a de ce fait commis une erreur de droit qui justifie que la Cour intervienne.

[25]            En conséquence, la décision de l'agente des visas est annulée et le dossier est renvoyé à un autre agent des visas pour que celui-ci le réexamine sur le fondement d'un avis médical correct.


ORDONNANCE

La décision rendue par la vice-consule Mary Coulter, en date du 7 avril 1999, est annulée et le dossier est renvoyé à un autre agent des visas pour que celui-ci le réexamine.

      « J.D. Denis Pelletier »          

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-2007-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Ching Ho Poon c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 5 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE EXPOSÉS PAR

LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                     1er décembre 2000

ONT COMPARU :

Alan Diner                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alan Diner                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            Article 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. La version anglaise prévoit : « [...] their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services » .

[2]            Il est aujourd'hui âgé de 19 ans; l'affidavit a été déposé sous serment deux années auparavant.

[3]            19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer ...

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut_:

[non souligné dans l'original]

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