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Date : 20010607

Dossier : IMM-4146-00

Référence neutre : 2001 CFPI 607

ENTRE :

CONRAD MULLINGS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 14 juillet 2000 du fondé de pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, C.A. Goodes, directeur général, Règlement des cas, de délivrer un avis de danger conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration (l'avis de danger), dans laquelle il était conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est né en Jamaïque le 2 juin 1971. Il est citoyen jamaïcain et n'est citoyen d'aucun autre pays. Il est arrivé au Canada le 14 août 1988 à titre de résident permanent. Il était parrainé par sa mère. Il réside au Canada depuis lors.

[3]                 La mère, la soeur, le frère, une tante et un oncle maternels et cinq cousins du demandeur sont citoyens canadiens. Une nièce et un cousin du demandeur résident également au Canada. Le demandeur a la même amie depuis cinq ans. Son amie a un fils. Le père du demandeur réside en Jamaïque, mais il a abandonné sa famille lorsque le demandeur avait un an.

[4]                 Le 7 janvier 1992, le demandeur a été accusé de complicité à l'égard d'un vol qualifié; il a été déclaré coupable de cette infraction. Il conduisait la voiture qui était utilisée pour commettre le crime. Au moment où l'infraction a été commise, il avait 20 ans. Il s'est vu infliger une peine d'emprisonnement de neuf mois pour cette infraction et il a été mis en liberté conditionnelle après avoir purgé sa peine pendant trois mois.

[5]                 Au mois de mai 1994, le demandeur a également été déclaré coupable de possession d'une arme à autorisation restreinte non enregistrée, de possession de stupéfiants et d'inobservation d'un engagement. Il a été condamné à quatre-vingt-dix jours de prison pour ces infractions.


[6]                 Au mois d'août 1996, le demandeur s'est vu imposer une amende de 50 $ pour s'être trouvé dans une maison de jeu.

[7]                 En 1996, le demandeur a été accusé sous trois chefs de trafic de stupéfiants. La peine d'emprisonnement maximale pour les déclarations de culpabilité relatives à pareilles accusations est l'emprisonnement à perpétuité. Le demandeur a été mis en liberté sous caution en attendant le procès.

[8]                 Le 7 avril 1998, le demandeur a été déclaré coupable et, le 27 avril 1998, il a été condamné à trois ans de prison pour chaque accusation, à purger en même temps. Il a interjeté appel contre cette déclaration de culpabilité devant une cour d'appel et devant la Cour suprême du Canada. Les appels ont été rejetés. Pendant qu'il attendait une décision relative à ces appels, il était en liberté sous caution. Il a donc été en liberté sous caution pendant trois ans.

[9]                 Au cours des trois années pendant lesquelles il était en liberté sous caution, le demandeur vivait avec sa mère et travaillait à temps partiel comme employé de bureau pour MDI. Il gagnait 14 000 $ par année. Le demandeur avait antérieurement travaillé comme cuisinier. Il n'avait pas travaillé pendant environ un an; pendant ce temps, il touchait des prestations d'assistance sociale.


LES POINTS LITIGIEUX

[10]            1.         Le fondé de pouvoir du ministre a-t-il commis une erreur de droit en ne fournissant pas de motifs à l'appui de la décision ou, subsidiairement, en fournissant des motifs inadéquats?

2.         Le fondé de pouvoir du ministre a-t-il commis une erreur de droit en prenant, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, une décision qui était déraisonnable eu égard aux circonstances de l'affaire dans leur ensemble?

ANALYSE

1.         Le fondé de pouvoir du ministre a-t-il commis une erreur de droit en ne fournissant pas de motifs à l'appui de la décision ou, subsidiairement, en fournissant des motifs inadéquats?

[11]            Le demandeur soutient que le rapport d'avis ministériel ne constitue pas un motif adéquat lorsqu'il s'agit de prendre une décision conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. En outre, le demandeur affirme que le rapport fait simplement état d'un rapport antérieur dans lequel il n'était pas fait mention des arguments qu'il avait invoqués. Le demandeur est d'avis que les motifs de décision dans lesquels il n'est pas tenu compte de ses arguments et des facteurs pertinents ne sont pas adéquats.


[12]            Le demandeur se fonde sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaireBaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, où Madame le juge L'Heureux-Dubé a fait des remarques au sujet de l'obligation d'équité procédurale qui incombe à l'agent d'immigration qui examine une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration (les raisons d'ordre humanitaire) :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

J'estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l'espèce par la production des notes de l'agent Lorenz à l'appelante. Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu'il n'existe pas d'autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l'agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L'admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l'ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l'obligation d'équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d'assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l'équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu'en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu'en l'espèce les notes de l'agent Lorenz remplissent l'obligation de donner des motifs en vertu de l'obligation d'équité procédurale, et qu'elles seront considérées comme les motifs de la décision.

[13]            Dans la décision Ip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 152 (C.F. 1re inst), Monsieur le juge Dubé a examiné la question de l'application des principes énoncés dans l'arrêt Baker, précité, à la procédure prévue au paragraphe 70(5). Il a statué ce qui suit:


Je partage l'avis du demandeur qu'il se peut que des motifs écrits soient aussi nécessaires dans le contexte d'un avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. Il est clair que nous avons ici un cas où la décision a une signification extraordinairement importante pour la personne en cause et aura un impact fondamental sur son avenir. Le demandeur laisserait sa femme et son enfant au Canada et recevrait vraisemblablement une réception hostile des autorités chinoises auxquelles il a échappé en se réfugiant ici. Dans ces circonstances très particulières, le délégué du ministre avait l'obligation d'expliquer pourquoi sa décision, fondée sur un seul crime, semble ne pas tenir compte du tout de la preuve actuelle qui donne à penser que le demandeur n'est plus un danger pour le public.

[...]

En l'instance, il n'y a pas de motifs écrits du ministre ou de son délégué. L'avocat du ministre a soutenu qu'en l'instance, l'arrêt Baker n'imposait pas l'exigence de motifs écrits, puisque [Traduction] « un avis de danger n'enfreint pas la Charte et n'est pas une décision qui a des conséquences significatives pour la personne qui en fait l'objet » . Subsidiairement, il a soutenu que si des motifs devaient être présentés, ce que le ministre nie expressément, alors le document « Demande en vue d'obtenir l'avis du ministre » répond aux exigences fixées dans l'arrêt Baker.

Dans l'arrêt Baker, la Cour suprême a conclu que les notes de l'agent Lorenz étaient suffisantes. Dans l'arrêt Suresh, la Cour d'appel fédérale a emboîté le pas et accepté comme suffisante la note de service de M. Gautier.

J'ai examiné ces deux documents. Les notes de l'agent Lorenz, qui se présentent sous la forme d'un document dactylographié de deux pages, traitent en détail du cas de Mavis Pauline Baker depuis son arrivée au Canada le 8 août 1981. Il tire les conclusions suivantes :

[...]

La note de service de M. Gautier est un document sérieux de huit pages, qui traite des questions en cause, des antécédents, des tenants et des aboutissants, et qui comporte une recommandation. [...]

À côté de ceci, la Demande de l'avis du ministre en l'instance tient dans un rapport squelettique d'une page, qui renvoie brièvement dans son premier paragraphe complet à la condamnation pour enlèvement et à la décision du juge Reed. Le dernier paragraphe complet, qui est aussi le dernier, s'intitule Commentaires de l'agent de révision. Il est rédigé comme suit :

[Traduction]

COMMENTAIRES DE L'AGENT DE RÉVISION

J'ai examiné avec attention la lettre d'avis, les documents à l'appui qui sont mentionnés dans cet avis, ainsi que le rapport sur l'avis ministériel préparé par CIC et les prétentions du client. Ces documents constituent le dossier complet fourni au délégué du ministre à l'appui de la demande qu'il délivre un avis que Kwok Wai IP constitue un danger pour le public au sens du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration.

Il me semble clair qu'un rapport aussi sommaire ne peut en aucune façon être retenu comme des motifs suffisants faisant ressortir les facteurs pertinents en l'instance. Comme l'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Baker, « il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise » .


[14]            Le défendeur reconnaît que la question de savoir si des motifs doivent être prononcés dans le cas d'une décision fondée sur le paragraphe 70(5) est dans une certaine mesure ambiguë, mais il se fonde sur la décision que Monsieur le juge Teitelbaum a rendue dans l'affaire Atwell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1710 (C.F. 1re inst.).

[15]            Dans la décision Atwell, précitée, le juge Teitelbaum a noté la décision qui avait été rendue dans l'affaire Tewelde c. Canada (MCI), (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 86 (C.F. 1re inst.), où Monsieur le juge Muldoon avait statué qu'il n'était pas nécessaire de motiver un avis formulé en vertu du paragraphe 70(5). Le juge Muldoon estimait que la décision que la Cour d'appel fédérale avait rendue dans l'affaire Williams c. Canada (MCI), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.) n'avait pas été supplantée par l'arrêt Baker, précité, de la Cour suprême du Canada. Le juge Muldoon a fait remarquer que dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada avait statué que l'importance que revêtait la décision pour le requérant était un facteur significatif lorsqu'il s'agissait de déterminer le degré d'équité procédurale approprié dans un processus décisionnel particulier. Le juge Muldoon a noté que, dans l'arrêt Williams, précité, la Cour d'appel fédérale avait tenu compte de l'importance d'un avis fondé sur le paragraphe 70(5) lorsqu'elle avait statué qu'il n'était pas nécessaire de fournir des motifs.

[16]            Le juge Teitelbaum a ensuite examiné la décision qui avait été rendue dans l'affaireWilliams, précitée; il a statué ce qui suit :


Pour décider si un avis de danger doit être motivé, il faut d'abord examiner la nature et l'importance d'une telle décision. Dans l'arrêt Williams, au paragraphe 15, le juge Strayer déclare ce qui suit :

L'avis donné par le ministre en application du paragraphe 70(5) a donc pour effet de substituer le droit de demander un contrôle judiciaire au droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion, de substituer l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire dont elle est investie de dispenser une personne d'une expulsion légale à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire semblable conféré à la section d'appel par l'alinéa 70(1)b), et de substituer le droit de demander un sursis judiciaire au droit d'obtenir un sursis d'origine législative. Il me paraît donc difficile de considérer l'avis du ministre comme la cause véritable de l'expulsion de l'intimé. Il n'est même pas possible d'affirmer que l'avis du ministre est une cause sine qua non parce qu'on ne peut pas présumer qu'en son absence la section d'appel aurait relevé une erreur de fait qu'un contrôle judiciaire n'aurait pas permis de relever ou aurait exercé, en application de l'alinéa b), un pouvoir discrétionnaire plus favorable à l'intimé que celui qu'aurait exercé le ministre dans le cadre de son examen des raisons d'ordre humanitaire.

Le juge Strayer a également statué qu'un avis de danger ne pouvait être assimilé à une mesure d'expulsion. L'avis de danger vise en effet une personne qui est déjà sous le coup d'une mesure d'expulsion légitime. Ce fait est, selon le juge Strayer, significatif, parce que les exigences procédurales de la justice fondamentale varient selon le contexte dans lequel elles sont invoquées.

Pour ce qui est de la question précise de la nécessité des motifs, le juge Strayer a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 42 et 43 :

J'ai du mal à comprendre pourquoi une décision non motivée est nulle pour la seule raison que son examen par un tribunal siégeant en appel ou exerçant des pouvoirs de contrôle judiciaire peut être difficile. Je reconnais une fois de plus qu'il est très souhaitable que des motifs soient fournis, mais il est tout à fait possible qu'un tribunal, ou un juge du reste, rende une décision légitime sans fournir de motifs. L'expérience démontre que les cours de justice le font quotidiennement. Pourquoi devrait-il en être autrement pour les tribunaux? C'est particulièrement vrai lorsque les tribunaux exercent des pouvoirs en grande partie discrétionnaires, comme le ministre qui, en vertu du paragraphe 70(5), n'est pas tenu d'appliquer des principes juridiques existants à des conclusions de fait précises comme le font les cours de justice ou de nombreux tribunaux.


Je ne sais absolument pas pourquoi les cours de justice peuvent, de droit, rendre une décision non motivée, mais peuvent insister pour que les tribunaux ne puissent, de droit, le faire. Selon l'arrêt Doody et le juge des requêtes en l'espèce, cette affirmation s'explique par le fait que si le décideur ne motive pas sa décision, une cour de justice qui siège en révision ne peut pas savoir si la décision est correcte. Il me semble que cette approche est fondée sur la prémisse selon laquelle les décisions rendues par les tribunaux et les hauts fonctionnaires sont présumées erronées tant que leur bien-fondé n'a pas été établi. Toutefois, la séparation des pouvoirs et les principes ordinaires de retenue judiciaire exigent qu'il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présumant la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale. Cela ne diminue nullement l'opportunité pour le décideur de fournir des motifs, mais je ne vois pas comment on peut en faire une obligation légale en l'absence d'une exigence législative.

Le demandeur invoque l'arrêt Baker au soutien de son argument que les décisions doivent désormais être motivées et que l'arrêt Williams de la Cour d'appel fédérale ne tient plus. Je ne puis souscrire à cet argument. L'arrêt Baker portait sur des questions de partialité et des intérêts des enfants nés au Canada du requérant dans le contexte d'une décision fondée sur des considérations humanitaires relevant du paragraphe 114(2). Il n'est nulle part déclaré dans l'arrêt Baker que la décision du juge Strayer dans l'affaire Williams doit être écartée. D'ailleurs toutes les observations que la Cour a pu formuler dans l'arrêt Baker qui ne concernent pas la partialité et l'intérêt supérieur des enfants nés au Canada dans le cadre d'une décision reposant sur des considérations humanitaires ne sont que des observations incidentes qui ne lient pas notre Cour. À l'instar du juge Muldoon dans le jugement Tewelde, j'estime qu'on ne peut considérer que l'arrêt Baker a supplanté l'analyse solide à laquelle le juge Strayer s'est livré dans l'affaire Williams. En outre, l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Williams a été refusée ([1997] S.C.C.A. No. 332 (Q.L.) (dossier no 26059 C.S.C.). Il n'est donc pas nécessaire de motiver les avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5).


[17]            Dans la décision Bhagwandass c. Canada (MCI), [2000] 1 C.F. 619 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Gibson a examiné la question de savoir si l'omission de communiquer au demandeur, avant la prise d'une décision, qu'une demande avait été faite en vue de l'obtention d'un avis du ministre et d'un rapport sur l'avis ministériel constituait un déni d'équité procédurale. Le juge Gibson a analysé l'effet de l'arrêt Baker, précité, sur la conclusion que la Cour d'appel fédérale avait tirée dans l'arrêt Williams, précité. Le juge Gibson a conclu que les conclusions tirées dans l'arrêt Baker, précité, l'emportaient sur celles qui étaient énoncées dans l'arrêt Williams, précité, de sorte que les principes énoncés dans l'arrêt Baker, précité, s'appliquent maintenant. Le juge Gibson a conclu ce qui suit :

Compte tenu de la démarche que la Cour suprême du Canada a adoptée dans l'arrêt Baker pour caractériser l'incidence, je dois forcément conclure que la démarche que la Cour d'appel fédérale avait adoptée dans l'affaire Williams est supplantée par celle que le juge des requêtes avait adoptée dans cette affaire, et que c'est cette dernière démarche qu'il convient d'appliquer en l'espèce. J'expose donc la façon appropriée de caractériser l'incidence de l'avis fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, en paraphrasant les propos que Mme le juge L'Heureux-Dubé a tenus au paragraphe 15 [page 834] de l'arrêt Baker. Il s'agit d'un avis qui, en droit, ne permet qu'une variation de l'application du régime législatif à un résident permanent qui n'a pas, d'une façon plus ou moins grave, respecté la norme de conduite dont on s'attend des personnes qui se trouvent au Canada, mais qui constitue tout de même essentiellement un avis qui, dans les cas comme la présente affaire, détermine si une personne qui a passé toute sa jeunesse et sa vie adulte au Canada, mais qui n'a pas la citoyenneté canadienne, peut demeurer au pays ou sera tenue de le quitter. Il s'agit d'un avis qui enjoint à la personne visée de quitter le Canada, pays où elle s'est établie, si elle est réputée en mesure de s'établir ailleurs. Pour paraphraser les propos que Mme le juge L'Heureux-Dubé a tenus au paragraphe 15 [page 834] de l'arrêt Baker, il s'agit d'une décision importante qui a des conséquences capitales sur l'avenir de la ou des personnes visées.

[18]            Dans l'arrêt Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 341 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge Gibson; voici ce qu'elle a dit :

La deuxième question en litige de l'arrêt Williams qui doit être examinée en l'espèce consiste à savoir si un avis de danger doit être motivé. La Cour a dit que même s'il était toujours préférable que le décideur fournisse les motifs de sa décision, l'omission de donner les motifs au soutien d'un avis de danger ne constituait pas une violation des principes de justice fondamentale et de l'obligation d'équité.

Ces deux assertions tirées de l'arrêt Williams sont fondées sur le rejet de l'argument voulant que l'effet juridique d'un avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5) soit l'expulsion. De toute évidence, un avis de danger émis aux termes du paragraphe 70(5) n'est pas une mesure d'expulsion ni une mesure de renvoi. Il ne fait qu'empêcher qu'il y ait appel d'une mesure d'expulsion auprès de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ce qui signifie concrètement que la Section d'appel ne peut pas prendre en considération les raisons d'ordre humanitaire pour ne pas exécuter la mesure d'expulsion. Il a été dit dans Williams que le ministre pouvait tenir compte de ces raisons pour accorder la même réparation discrétionnaire en vertu du paragraphe 114(2). Il a été dit qu'en conséquence, l'avis de danger avait simplement remplacé une forme possible de réparation discrétionnaire par une autre.


La Couronne a présenté un argument semblable en l'espèce. On a fait valoir que lorsque la décision visée par le paragraphe 114(2) était défavorable, le demandeur avait perdu la dernière chance d'obtenir une dispense des exigences de la Loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire et que cela constituait un facteur pouvant justifier des protections procédurales supplémentaires. Par opposition, une personne faisant l'objet d'un avis de danger conserve le droit de demander que, pour des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2), une mesure d'expulsion ou de renvoi ne soit pas exécutée. On a prétendu que, pour ces motifs, l'effet d'un avis de danger n'était pas aussi grave que celui d'une décision défavorable rendue aux termes du paragraphe 114(2) et que les protections procédurales devaient être corrélativement moins grandes.

Je ne peux pas faire une distinction d'avec Haghighi de la manière proposée par la Couronne. Je ne conteste pas la conclusion de l'arrêt Williams selon laquelle la délivrance d'un avis de danger ne fait pas intervenir l'article 7 de la Charte, mais je n'interprète pas cet arrêt comme exigeant la conclusion que l'effet juridique et concret de l'avis de danger est moins important qu'une décision défavorable rendue aux termes du paragraphe 114(2). Comme il a été souligné dans l'arrêt Baker, une décision défavorable prise en vertu du paragraphe 114(2) peut avoir comme effet d'ouvrir la voie à l'expulsion parce qu'une demande fondée sur ce paragraphe constitue la dernière chance d'éviter le renvoi du Canada. De la même manière, l'avis de danger doit mener au renvoi. Cela est compatible avec ce que je considère être l'objet du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(i), qui consiste à éliminer un obstacle potentiel au renvoi rapide des criminels dangereux du Canada.

[...]

Enfin, la Couronne soutient que la procédure de l'avis de danger n'est pas contradictoire et que, pour ce motif, l'obligation d'équité du ministre n'existe qu'à un faible degré. Je ne peux pas accepter cet argument. Il me semble au contraire que la procédure de l'avis de danger adoptée par le ministre laisse voir la nécessité d'une norme d'équité plus exigeante que la norme applicable aux décisions prises aux termes du paragraphe 114(2). Cela est dû au fait que la procédure est contradictoire dès ses débuts et qu'elle le demeure jusqu'à la fin. [...]

[19]            Dans la décision Gonzales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 183 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Campbell a examiné la question de savoir si l'omission de fournir des motifs à l'égard d'une décision fondée sur les paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi sur l'immigration constituait un manquement à l'équité procédurale. Il a statué ce qui suit :

Je me fonde sur le raisonnement du juge L'Heureux-Dubé pour conclure que l'importance d'un avis émis aux termes des paragraphes 70(5) et 53(1) est aussi « cruciale » qu'une décision d'ordre humanitaire et que, par conséquent, pour être équitable envers le demandeur et les membres de sa famille, il y avait lieu, d'après moi, de fournir dans ce cas des motifs.


Par conséquent, je conclus qu'à l'égard des avis formulés en l'espèce aux termes des paragraphes 70(5) et 51(3) de la Loi, le défaut de fournir des motifs constitue une violation de l'obligation d'équité envers la personne concernée.

[20]            Le juge a statué que l'omission de fournir des motifs à l'appui d'une décision fondée sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration ne constitue pas un manquement à l'équité procédurale, mais il me semble que les arrêts Baker et Bhagwandass, précités, étayent la thèse selon laquelle l'omission de fournir des motifs constitue un manquement à l'équité procédurale.

[21]            En l'espèce, il s'agit donc de savoir si des motifs ont été fournis.

[22]            Dans l'arrêt Bhagwandass, précité (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a fait remarquer ce qui suit :

La Couronne a également soutenu que, conformément à l'arrêt Baker, le Rapport sur l'avis du ministre et la Demande de l'avis du ministre constituaient des « motifs » , de sorte qu'il était illogique d'exiger leur communication avant que la décision ne soit rendue. Cet argument ne tient plus lorsque l'arrêt Baker est bien compris. Avant cet arrêt, il était généralement estimé que l'obligation d'équité n'exigeait pas que des motifs soient fournis pour les décisions rendues aux termes du paragraphe 114(2). L'arrêt Baker a établi que ces décisions devaient être motivées. Toutefois, dans les circonstances particulières de cette affaire, il a été conclu que les notes du décideur suffisaient pour constituer des motifs. Le fondement de cette conclusion est l'inférence factuelle selon laquelle les motifs de la décision sont énoncés dans les notes du décideur, même si ces notes n'ont pas été écrites en tant que motifs.

Ce qu'on sollicite en l'espèce, c'est la communication du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre, après leur signature par l'agente de réexamen et l'analyste principal et avant leur présentation au ministre. À ce moment-là, ils ne constituaient pas et ne pouvaient pas constituer les motifs de l'avis de danger puisqu'aucun avis n'avait été émis. Le ministre ou son délégué a accepté la recommandation des fonctionnaires du ministère énoncée dans les deux rapports, il a émis l'avis de danger et il aurait pu adopter les rapports comme motifs de cet avis. La question de savoir si les rapports ont été adoptés de la sorte en l'espèce est une question factuelle qu'il n'y a pas lieu de trancher parce que le bien-fondé de l'avis de danger lui-même n'est pas en cause.


[23]            Il semble que le rapport sur l'avis ministériel et la demande d'avis du ministre peuvent être considérés comme des motifs s'ils sont adoptés par le ministre ou par son fondé de pouvoir lorsque l'avis de danger est délivré.

[24]            Dans la décision Ip, précitée, Monsieur le juge Dubé considérait que la demande visant l'obtention d'un avis du ministre servait de motifs à l'appui de l'avis de danger, mais il estimait que ces motifs étaient inadéquats.

[25]            Il importe de noter que, dans la décision Ip, précitée, la conclusion figurant dans la demande d'avis du ministre est exactement la même que celle qui a été tirée en l'espèce, où la demande dit ce qui suit :

[Traduction]

COMMENTAIRES ET RECOMMANDATION DE L'AGENT DE RÉVISION

J'ai examiné avec attention la lettre d'avis, les documents à l'appui qui sont mentionnés dans cet avis ainsi que le rapport sur l'avis ministériel préparé par CIC et les prétentions du client. Ces documents constituent le dossier complet fourni au fondé de pouvoir du ministre à l'appui de la demande qui est faite pour qu'il délivre un avis, selon lequel Conrad Constantine MULLINGS constitue un danger pour le public au sens du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration.


[26]       Dans la décision Alvarez c. Canada (MCI), 2001 A.C.F. no 409 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Heneghan était notamment saisie de la question de savoir si un avis délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi devait être motivé par écrit et si l'on devait communiquer les rapports sur lesquels le fondé de pouvoir du ministre s'était fondé. Le juge Heneghan a accueilli la demande de contrôle judiciaire pour le motif que l'équité procédurale exigeait que le rapport sur l'avis ministériel et la demande d'avis du ministre soient communiqués de façon à donner au demandeur une possibilité raisonnable d'y répondre.

[27]       Le juge Heneghan n'a pas statué sur la question, mais elle a fait des remarques au sujet de la question de savoir si la demande d'avis du ministre ou la recommandation du fondé de pouvoir du ministre pouvaient servir de motifs :

Je ne suis pas convaincue que la demande d'avis du ministre ou la recommandation du délégué du ministre corresponde à des motifs écrits. Au mieux, la demande d'avis contient un résumé des détails portant sur la situation personnelle du demandeur, y compris un examen de la documentation préparée par les Services correctionnels. Il s'agit d'une relation des événements, accompagnée de commentaires en provenance des personnes qui ont eu à évaluer le demandeur après sa déclaration de culpabilité. Ce document est préparé par une personne autre que le décideur et avant que la décision ne soit prise.

La recommandation au délégué du ministre comporte une certaine évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé si on le renvoyait en Colombie, mais elle ne s'arrête pas à la question de savoir quel est le risque actuel ou à venir que le demandeur pose pour la société canadienne. On peut présumer que ce risque est une partie essentielle du processus qui mène à la délivrance d'un avis de danger en vertu du paragraphe 70(5).

[28]       Dans la décision Do c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 72 (C.F. 1re inst.), il s'agissait de savoir si le défendeur devait fournir au demandeur le rapport et les documents envoyés au fondé de pouvoir du ministre et si le fondé de pouvoir du ministre devait fournir des motifs justifiant son avis, conformément à l'alinéa 46.01e) et au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. Monsieur le juge Rouleau a statué ce qui suit :

[...] Il semble qu'il faut maintenant considérer les rapports comme constituant des motifs, mais il faut poursuivre l'analyse en déterminant si ces motifs sont suffisants.


Dans Navarro c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1496 (1re inst.), M. le juge Pelletier a conclu que le ministre devait fournir les motifs à l'appui de son avis que le demandeur constitue un danger, prévu par l'alinéa 46.01(1)e), compte tenu de l'importance de cette décision pour la personne visée et du fait que cette décision est susceptible de surveillance judiciaire. Voici ce qu'il a ajouté :

Je conclus également que les motifs n'en ont pas été donnés. La Demande d'avis du ministre, qui a été produite après obtention de l'autorisation d'interjeter appel dans la présente affaire, ne contient pas les motifs de la décision. Après lecture du document, on ne peut pas dire pourquoi le fondé de pouvoir du ministre a émis l'avis qu'il a donné. Il se peut que le fondé de pouvoir du ministre ait pensé que le trafic de stupéfiants perturbe en soi l'ordre social au point que ceux qui s'y adonnent deviennent un danger pour le public sans qu'il soit besoin de preuve supplémentaire, mais le fondé de pouvoir du ministre ne l'a pas dit. Par conséquent, bien que la Demande d'avis du ministre se prête à l'élaboration de conjectures quant aux raisons qui ont motivé le fondé de pouvoir du ministre à formuler l'avis qu'il a formulé, elle n'explique pas quelles raisons ont mené à la décision.

Cet énoncé met en lumière, selon moi, l'importance qui doit être accordée à l'analyse de la question de savoir si le document présenté comme les motifs contient suffisamment de précisions pour révéler le raisonnement qui a mené à la décision. Je ne vois pas pourquoi la Cour ne suivrait pas ce précédent.

Il s'ensuit donc qu'il faut s'interroger sur la suffisance des motifs fournis sous la forme d'une « Demande d'avis du ministre » . Les arguments des parties sur ce point ne sont pas très étoffés. À la lecture du rapport, il semble toutefois possible de comprendre comment la représentante du ministre est parvenue à sa décision et je conclurais peut-être que ces motifs sont suffisants dans les circonstances de l'espèce.

[29]       J'admets qu'en l'espèce, les commentaires qui sont faits dans la demande d'avis du ministre ne me permettent pas de comprendre comment on est arrivé à la décision et que ces commentaires indiquent simplement les antécédents du demandeur. Aucune explication n'est donnée au sujet de l'avis du ministre selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public. En outre, compte tenu de la décision qui a été rendue dans l'affaire Ip, précitée, dans laquelle le libellé était identique, il m'est difficile de ne pas souscrire à l'avis du juge Dubé.


[30]       Toutefois, dans le rapport sur l'avis ministériel selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public, il est mentionné ce qui suit, dans la section 11, qui porte sur les motifs justificatifs : [Traduction] « Voir le compte rendu détaillé des antécédents criminels établi conformément à A27(1)X2 » .

[31]       Ce compte rendu détaillé des antécédents criminels établi conformément à A27(1) indique les circonstances dans lesquelles les allégations relatives aux infractions commises par le demandeur ont été faites. Il y est également fait mention de circonstances telles que le degré d'établissement du demandeur, les facteurs d'ordre humanitaire, la possibilité de réadaptation. Dans la section 9, intitulée [Traduction] « Recommandation et fondement » , il est dit ce qui suit :

[Traduction] Dans un compte rendu détaillé des antécédents criminels établi conformément à A27(1) (voir la pièce ci-jointe), il est recommandé qu'une directive prévoyant la tenue d'une enquête soit donnée, ce qui a été fait, d'où la mesure d'expulsion qui a été prise le 24 mars 1998 par suite du vol qualifié.

Dans les motifs de la sentence, le juge a dit ce qui suit : « Dans ce cas-ci, je suis convaincu, eu égard aux faits, que Mullings était un gros trafiquant de cocaïne de grande qualité et qu'à moins d'être arrêté, il était prêt à poursuivre ses activités de trafiquant, non seulement avec l'agent d'infiltration, mais aussi avec tout nouveau venu qui voulait de la cocaïne épurée » .

Les drogues constituent une menace pour la société.

Il est recommandé que la délivrance d'un avis du ministre soit demandée conformément au paragraphe 70(5) et au sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration.

[32]       Il s'agit de motifs adéquats aux fins de la délivrance de l'avis du ministre. Le compte rendu détaillé des antécédents criminels n'a pas été établi par le fondé de pouvoir du ministre, mais je suis d'avis que le fondé de pouvoir du ministre a adopté ces motifs.


[33]       À mon avis, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que le fondé de pouvoir du ministre n'avait pas fourni de motifs adéquats en concluant qu'il constituait un danger pour le public au Canada.

2.         Le fondé de pouvoir du ministre a-t-il commis une erreur de droit en prenant, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, une décision qui était déraisonnable eu égard aux circonstances de l'affaire dans leur ensemble?

[34]       En ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer, le juge Gibson a statué ce qui suit, dans la décision Bhagwandass, précitée :

Vu l'analyse que la Cour suprême a faite dans l'arrêt Baker, et compte tenu de l'incidence sur le demandeur de l'avis selon lequel il constitue un danger pour le public, je conclus que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Je suis convaincu que la conclusion, qui se reflète au paragraphe 17 de l'arrêt Williams, que des décisions subjectives, tel un avis, fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, selon lequel la personne visée constitue un danger pour le public, « ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence » , est supplantée par l'arrêt Baker. Je suis également convaincu que l'avis, qui fait l'objet du présent contrôle, selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public, peut être annulé, bien qu'il s'agisse d'une décision subjective, si, compte tenu des faits de l'affaire, la décision est déraisonnable ou si l'obligation d'équité n'a pas été respectée.

[...]

Bien que je n'aie pas à décider de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à une demande de contrôle judiciaire comme celle dont je suis présentement saisi, je conclus néanmoins qu'il s'agit de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[35]       Dans la décision Tewedle, précitée, le juge Muldoon a statué ce qui suit : Le représentant du ministre peut conclure qu'une personne est un danger pour le public en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi s'il y a possibilité qu'ayant commis un crime grave dans le passé cette personne puisse sérieusement être considérée comme un récidiviste potentiel; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (CAF), à la p. 668. Dans Thompson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1097], (IMM-107-96, le 16 août 1996) (C.F. 1re inst.), le juge Gibson déclare que ceci ne veut pas dire qu'une condamnation seule est un motif suffisant pour fonder une opinion de danger.


[36]       Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable puisque, à l'exception de la dernière déclaration de culpabilité relative au trafic de stupéfiants, les déclarations de culpabilité dont il avait fait l'objet se rapportaient toutes à des infractions relativement peu importantes.

[37]       En ce qui concerne le trafic de stupéfiants, le demandeur a été condamné à trois années de prison, soit une peine se rapprochant du minimum pour les infractions de ce genre. En outre, jusqu'au prononcé de la sentence, soit pendant une période qui a duré environ trois ans, le demandeur était en liberté sous caution. Au cours de cette période, il travaillait et il habitait chez sa mère, il n'a pas troublé l'ordre public et il n'a pas été accusé ni déclaré coupable d'infractions criminelles. Il est soutenu que le fait qu'il a été en liberté sous caution pendant environ trois ans est un facteur fort important, dont l'agent d'immigration n'a apparemment pas tenu compte.

[38]       Le demandeur se fonde sur la décision Chedid c. Canada (MCI), (1997), 127 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.) :


Il n'y a, en l'espèce, ni preuve que l'intéressé commettra vraisemblablement de nouvelles infractions pénales (la preuve indique plutôt le contraire), ni preuve d'une inclination systématique à la violence ou aux comportements criminels, ni preuve que l'intéressé a des habitudes ou des valeurs qui soient elles-mêmes des indices d'une mentalité criminelle. La Cour a eu l'occasion de dire (dans le cadre certes d'une remarque incidente) que la norme présidant à la remise en liberté dans le cadre de la Loi sur l'immigration est la même que pour la libération sous caution aux termes du Code criminel. Il a déjà été jugé, même si c'était par la justice pénale, que l'intéressé ne représente pas une menace pour la société. Ainsi qu'il en était dans l'affaire Archibald, la difficulté réside en l'espèce dans le fait qu'aucun lien n'a été établi entre la condamnation pénale dont le requérant a fait l'objet et la probabilité qu'il se rendra coupable de nouvelles infractions criminelles. En l'absence d'un tel lien, et en présence d'un nombre considérable d'indices que le requérant ne pose pas un danger pour la société, je suis porté à conclure que la décision du Ministre est, à tout le moins, fondée sur une conclusion de fait erronée et tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[39]       Malgré les savants arguments du demandeur, le fondé de pouvoir du ministre disposait, à mon avis, d'un nombre suffisant d'éléments de preuve pour étayer sa décision. On ne saurait dire que, compte tenu de la preuve, la décision était déraisonnable.

[40]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[41]       L'avocat du défendeur a soumis deux questions aux fins de la certification :

[Traduction] a) La délivrance d'un avis de danger conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration a-t-elle pour effet de priver la personne en cause d'un droit d'appel prévu par la loi seulement, ou influe-t-elle sur la perte de statut de cette personne et sur son renvoi du Canada?

b) Les rapports ministériels préparés en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration devraient-ils par inférence être considérés comme servant de motifs à l'appui de l'avis exprimé par le fondé de pouvoir du ministre?

[42]       L'avocat du demandeur a soutenu qu'il n'est pas nécessaire de certifier ces questions.


[43]       Je ne suis pas convaincu que ces deux questions soulèvent une question grave de portée générale. Par conséquent, aucune question n'est certifiée.

                          « Pierre Blais »                      

          Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 7 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4146-00

INTITULÉ :                                                        CONRAD MULLINGS

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                             LE 23 MAI 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                    LE 7 JUIN 2001

COMPARUTIONS :

J. SANDALUK                                                               POUR LE DEMANDEUR

J. TODD                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MAMANN & ASSOCIÉS                                             POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG                                           POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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